Sous la direction de Robert Kahn et Catriona Seth, Publications des Universités de Rouen et du Havre, Rouen, 2010
Cet ouvrage est issu du colloque annuel « transversal », colloque international organisé en décembre 2006, et qui a réuni des traducteurs de grand renom : Jean-Michel Déprats, Jean Canavaggio, Tiphaine Samoyault… et des théoriciens : Karlheinz Barck, Jean Bollack, Yves Chevrel… autour d’une question très actuelle.
La retraduction est un moment second et essentiel dans l’histoire de la réception d’une œuvre. Elle diffère de la traduction ‘première’ par son statut paradoxal : le simple fait de son existence atteste à la fois de l’échec de la traduction en tant qu’activité transférentielle et de l’espoir que cette pratique ‘post-babélienne’ continue de susciter. Échec : ce qui est « visé par l’original » (Walter Benjamin) reste inaltérable, traverse toutes les époques. Ainsi le langage shakespearien est-il d’une éternelle jeunesse. Ses traductions, elles, deviennent nécessairement ‘obsolètes’, comme on pourrait le dire d’une technique ou d’une machine. On a estimé‘la durée de vie’ d’une traduction d’une grande œuvre à environ une trentaine d’années, une génération. Pourtant, chaque nouvelle traduction, même et surtout de textes ‘canoniques’, suscite l’espoir, sinon celui d’une réussite si complète qu’elle mettrait un point final à la quête du sens et du ‘rythme’ (Meschonnic), du moins d’un réel progrès dans la dite quête. On irait ainsi vers toujours plus d’authenticité, de lisibilité. L’original, enfin, dévoilerait ses secrets. En ce sens la retraduction démultiplierait le pouvoir libérateur, messianique, de la traduction qui, selon Benjamin, « fait au moins un signe, indiquant le lieu promis et interdit où les langues se réconcilieront et s’accompliront » (in La tâche du traducteur).
Le colloque n’a pas opposé théorie et pratique. Faute de pouvoir répondre à toutes les questions posées par cette activité singulière, il a tenté de les délimiter. Une retraduction ne s’impose-t-elle pas dès lors que le texte original a été modifié par les recherches philologiques et génétiques (Cervantès, Dostoïevski, Proust, Kafka, Benjamin…) ? Quels rapports légaux, économiques sont-ils impliqués par un processus qui est aussi de nature éditoriale ? S’agit-il de toujours se conformer à l’attente d’un public ? Le second traducteur doit-il tenir compte des choix du premier ? Sa ‘tâche’ est-elle plus facile ? Qu’est-ce qui différencie son travail de celui de son prédécesseur du point de vue de sa pratique langagière, des stratégies d’élucidation employées ? Y a-t-il toujours, nécessairement, un gain ? Celui-ci serait-il de type cumulatif dès lors qu’on en arrive à une troisième ou quatrième version ? Ce sont ces questions et d’autres encore auxquelles le volume a tenté de répondre, en évoquant des œuvres de toutes les époques, philosophiques, théâtrales, romanesques…, des traductions vers le français ou à partir de lui, dès lors qu’il s’agissait bien d’une traduction venant après une autre. Benjamin aimait citer ce proverbe : « Eimal ist keinmal » – que l’on pourrait retraduire : « Une fois ne compte pas ».
C’est à la générosité des (re)traductions et des (re) traducteurs que le volume veut rendre hommage.
Table des matières
Robert Kahn et Catriona Seth, Avant-propos : une fois ne suffit pas
Yves Chevrel, Introduction : la retraduction – und kein Ende
Jean Bollackck, Ouverture : écriture et retraduction
Ire partie, Retraduction et philosophie
Philippe Marty, Le « re » de « retraduire ». La communauté des traductions (meinen dans un vers de Rilke : Sonnets à Orphée, I, 4)
Jean-Pierre Cléro, Bentham et la retraduction
Catriona Seth, Adam Smith retraduit par Sophie de Condorcet
Karlheinz Barckck, « Le baroque de la banalité »
Marc Sagnol, Retraduire les concepts benjaminiens : Urgeschichte, Trauer, Vergängnis
IIe partie, La retraduction du texte de théâtre
Claire Lechevalier, Paul Mazon d’une Orestie à l’autre
Jean-Michel Déprats, La retraduction de Shakespeare : problèmes et enjeux
Ariane Ferry, Quelle traduction française pour la Penthésilée de Kleistaprès Julien Gracq ?
Daniel Mortier, La retraduction du Cercle de craie caucasien de Brecht : une entreprise mystérieuse
IIIe partie, La retraduction du texte romanesque
Jean Canavaggio, Retraduire Don Quichotte pour la Pléiade
Jean-Louis Backés, Évolution des normes. Note sur diverses traductions de Dostoïevski et de Virginia Woolf
Lance Hewson, Madame Bovary : versions anglaises
Dominique Jardez, Le retour de Moby Dick
Robert Kahn, Proust en allemand : « Noch einmal ? » À propos d’une retraduction récente
Anne-Rachel Hermetet, Retraduction et réception : les nouvelles de Pirandello
Thiphaine Samoyault, Retraduire Joyce
IVe partie, « Le proche et le lointain »
Philippe Brunet, Traduire en hexamètres, redire Homère
Gabriel Bianciotto, De quelques traductions du Roman de Renart
Bénédicte Vilgrain, Cendrillon au Tibet
Frédéric Weinmann, Une chevauchée fantastique entre l’Allemagne et la France. Naissance, triomphe et mort de la Lénore française
Florence Bancaud, Retraduire le Journal de Kafka à la lumière de sa genèse
Lucile Arnoux-Farnoux, Traduire et retraduire Cavas, ou les métamorphoses de Protée