Port-Royal, la littérature et le cinéma aux XXe et XXIe siècles
Société des Amis de Port-Royal
Paris, octobre 2019
organisé par Tony Gheeraert (Université de Rouen, CÉRÉdI), Laurence Plazenet (Université Clermont-Auvergne, Centre international Blaise Pascal), Constance Cagnat (Paris-Sorbonne, CELLF)
Argument
Loin que sa destruction depuis maintenant plus de trois siècles ait relégué Port-Royal aux oubliettes, écrivains et cinéastes ont été nombreux aux XXe et XXIe siècles à avoir mis en scène l’abbaye et les grandes figures qui ont marqué son histoire. L’hostilité bien connue du monastère envers les fictions et les images abusives n’a retenu ni romanciers ni réalisateurs qui, au contraire, lui ont offert souvent sa plus belle illustration depuis le Port-Royal de Sainte-Beuve.
On peut s’interroger sur le sens de ce paradoxe, et plus généralement sur la persistance d’une fascination pour Port-Royal qui ne se cantonne pas aux commentaires universitaires, mais touche aussi et peut-être surtout les créateurs de fiction. Au siècle dernier, les plus grands ont éprouvé cette invincible attraction : Mauriac, Bernanos, Green ou Montherlant ont tenu à lier pour toujours leur nom au monastère de la vallée de Chevreuse, au « jansénisme », ou à Pascal. Plus près de nous, Jean-Philippe Toussaint et Pascal Quignard continuent à trouver dans un courant spirituel vieux de trois siècles, et dans les hommes et femmes qui l’ont fait vivre, de façon bien différente, une inépuisable source d’inspiration.
Que représente au vrai Port-Royal pour ces auteurs ? L’image que films ou romans en renvoient est rien moins qu’univoque. Chez Bernanos, dont toute l’œuvre est hantée par la puissance du mal, le Journal d’un curé de campagne s’achève sur l’affirmation : « tout est grâce ». Robert Bresson se souvient de cette leçon ultime. Il prête ces derniers mots au curé d’Ambricourt à la fin de son adaptation cinématographique du roman : ils sont prononcés en voix off, alors que sur l’écran une haute croix rappelle invinciblement le scapulaire des religieuses de Port-Royal [1]. Léon Daudet, déjà, inscrivait dans la tradition pascalienne le Soleil de Satan, comparant le récit, « nu et grave », de la rencontre avec le diable, à « une allée de Port-Royal des Champs [2] ». Après la Seconde Guerre mondiale, c’est le symbole d’une résistance à l’oppression injuste des hommes que Montherlant célèbre dans sa pièce Port-Royal. Mauriac, vers la même époque, et malgré les réserves doctrinales qu’il éprouve à l’égard du « jansénisme », trouve néanmoins dans Pascal et Port-Royal l’occasion d’un ressourcement. Au milieu de l’océan de destruction nihiliste où se trouve plongé son siècle [3], il revendique sa « dette envers Pascal » au cours d’une célèbre conférence en Sorbonne : « l’écrivain à qui je dois le plus et qui m’a le plus marqué […] ». « Le feu d’une seule nuit de Pascal aura suffi à nous éclairer durant toute notre vie [4] », affirme-t-il. Emblème de la liberté de conscience, lumière dans un univers enténébré, le Pascal des écrivains est encore pour beaucoup d’entre eux le héraut de l’antimodernité. Ainsi en va-t-il de Péguy, qui considère l’auteur des Pensées comme un remède au « monde moderne [5] » qu’il exècre.
Le cinéma, avec les moyens qui lui sont propres, prend aussi volontiers Pascal pour boussole morale dans un monde désorienté : le fragment « Infini-Rien », celui qui énonce l’argument du « pari », paraît constituer « l’impératif catégorique [du] système moral » de Rohmer, non seulement dans les Ma Nuit chez Maud, mais également dans le Conte d’hiver et même dans ce Conte d’été d’allure si frivole [6]. Rossellini, de son côté, fait se côtoyer l’histoire et la légende dans son Blaise Pascal, biopic très personnel où l’auteur des Provinciales devient le témoin d’un procès en sorcellerie [7].
Écrivains et cinéastes du XXIe siècle se réapproprient différemment encore l’héritage de Port-Royal : l’éclatement formel et générique qui caractérise les Fragments sur la grâce de Vincent Dieutre (2006), entre documentaire et fiction intimiste, tend à déconstruire la représentation conventionnelle et parfois sclérosée du monastère, et ainsi à en renouveler l’image. Laurence Plazenet, dans son roman La Blessure et la Soif, entreprend quant à elle de « rendre à ces voix leur fulgurance » : Port-Royal y figure un refuge pour passions incandescentes, montrant le chemin brûlant d’un absolu, conduisant ses créatures quelque part entre le ciel et l’abîme, entre le hurlement des corps et le silence de Dieu.
Les contributeurs pourront donc s’interroger aussi bien sur l’image de Port-Royal dans un matériau dont on a donné ici seulement une esquisse sommaire, que sur les raisons qui conduisent les créateurs à se tourner vers cet épisode tourmenté de notre histoire littéraire.