Appropriations de Corneille

Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen en octobre 2014, publiés par Myriam Dufour-Maître

Appropriations de Corneille

Appropriations de l’auteur

Appropriations littérales et littéraires de Pierre Corneille en sa maison de Petit-Couronne : l’exemple du livre d’or du musée

Marie-Clémence Régnier


Résumés

L’exposition « Corneille et nous », organisée par les Archives départementales de la Seine-Maritime en 2014, a été l’occasion de présenter un ensemble de documents originaux relatifs aux maisons normandes de Pierre Corneille. Présenté dans la vitrine d’accueil à l’entrée de l’exposition, l’ouvrage d’Edmond Spalikowski, intitulé Autour de la maison de P. Corneille. Anecdotes. Épisodes et Souvenirs. Visiteurs et Admirateurs donnait un aperçu des commentaires inscrits par les visiteurs dans le livre d’or de la première « maison-musée » consacrée à un écrivain en France. L’article présente un complément à l’exposition au travers d’une exploration approfondie de ce texte qui constitue un témoignage surprenant de la réception du musée cornélien auprès de visiteurs anonymes souvent laissés dans l’ombre.

Texte intégral

1L’exposition « Corneille et nous », organisée par les Archives départementales de la Seine-Maritime et le Mouvement Corneille, et présentée au Pôle culturel Grammont à Rouen au cours de l’automne 2014, a été l’occasion de présenter un ensemble de documents originaux relatifs aux maisons normandes de Pierre Corneille. Parmi ces archives qui rendaient compte de l’ampleur du culte collectif entourant les sanctuaires cornéliens du xixe siècle à nos jours, l’ouvrage d’Edmond Spalikowski, intitulé Autour de la maison de Pierre Corneille. Anecdotes. Épisodes et souvenirs. Visiteurs et admirateurs, occupait une place de tout premier rang. Présenté dans la vitrine d’accueil à l’entrée de l’espace d’exposition, le livre donnait un aperçu des commentaires inscrits par les visiteurs dans le livre d’or de la première « maison-musée » consacrée à un écrivain en France. Mais, ouvert sur une double page seulement, l’ouvrage ne livrait qu’une partie infime de ces témoignages. C’est la raison pour laquelle il a semblé intéressant de proposer dans cet article un complément à l’exposition grâce à l’exploration approfondie de ce texte.

2Malgré un titre sans doute un peu touffu qui laisse craindre que le propos ne soit qu’une collection de remarques éculées, l’ouvrage de Spalikowski constitue un témoignage surprenant de la réception du musée cornélien, qui mérite qu’on s’y attarde. En complément de l’analyse, quelques illustrations éclaireront par ailleurs le propos pour mettre en relief l’enracinement profond du texte dans le culte polymorphe qui entoure Corneille en sa maison au tournant des xixe et xxe siècles.

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L’Univers illustré, « La maison de Pierre Corneille à Petit-Couronne », no 1295 du 17 janvier 1880. Dessin par MM. Paris et H. Scott, suivi d’un article de M. Gerôme

3Né en 1874 à Rouen dans une maison située sur la place du Vieux-Marché non loin de la maison natale de Pierre Corneille rue de la Pie, Edmond Spalikowski voit le jour l’année même de l’achat par le département de la Seine-Inférieure de la « maison manante1 » de Corneille à Petit-Couronne, en périphérie de Rouen. C’est alors le début d’une vie consacrée à la découverte de la Normandie pour laquelle « il éprouvait un véritable culte2 ». « Spali » (comme l’appelaient ses proches), « médecin, professeur, écrivain de terroir, poète3 », est l’un de ces érudits normands, digne membre de la célèbre Société libre d’émulation de Rouen. Fils d’un artiste peintre et amoureux fou des petites rues médiévales du Vieux-Rouen, il sert dans l’armée en tant que médecin pendant la Grande Guerre avant de se consacrer à la littérature et à l’enseignement des humanités. Défenseur engagé de la paix pendant l’entre-deux-guerres, lauréat de la Société des poètes français, il sera également chancelier et président de la Société des écrivains normands, et membre, puis président, de la section permanente et de la Commission des sites de la Seine-Inférieure aux Beaux-Arts. Mais Spalikowski est surtout un parfait représentant de ces adorateurs et pèlerins des maisons des grands écrivains que le xixe siècle a vus essaimer. De cela témoigne la succession d’ouvrages que l’érudit publie dans les années 19304. Or, au sein de ce panthéon littéraire, il est un écrivain que « Spali » porte aux nues : Pierre Corneille. Après deux études à vocation anthropologique et sociologique5, le jeune Edmond tourne ses regards vers la littérature et publie son ouvrage consacré à la « maison des champs » de Corneille, auxquels succéderont deux autres essais sur le même thème6.

4La grande originalité de l’ouvrage réside dans la présentation des commentaires laissés par les visiteurs sur le livre d’or dont l’auteur ne se contente pas de recopier les remarques les plus saillantes. Au préalable, il se livre à une étude raisonnée des visiteurs eux-mêmes qu’il complète et éclaire de sa propre expérience de visite. Le texte de Spalikowski se construit ainsi sur un enchâssement de voix qui rend compte de la grande variété des « appropriations » individuelles et collectives en jeu dans la maison-musée de Corneille7.

5La réflexion proposée s’attachera à montrer que le témoignage de Spalikowski cristallise un grand nombre d’enjeux relatifs à la notion d’« appropriation ». L’ouvrage invite en effet à interroger celle-ci au sens premier du terme : l’achat et la transformation de la maison Corneille relève d’un processus d’appropriation collective d’un genre nouveau, qui repose sur le rachat des titres de propriété de la demeure, opéré par le département de Seine-Inférieure en 1874. De fait, le monument est bien un musée à vocation universelle, dans la tradition postrévolutionnaire et républicaine8. À ce premier niveau d’appropriation se surimposent sans aucun doute les différentes modalités d’appropriations des pèlerins-visiteurs, tant au plan littéral que symbolique, sur un ton tantôt élogieux tantôt critique qui confirme – s’il est encore besoin de s’en convaincre – que la constitution de la figure du « grand homme » ne se fait pas sans heurts. Dans cette perspective, il semble que la visite de la maison, convertie en musée, constitue le pendant du « sacre de l’écrivain » aux yeux du commun des mortels, et plus précisément la déclinaison, au sein d’une culture de masse en gestation, des rituels correspondants : la « visite au grand écrivain9 » et le pèlerinage laïc10.

6Pour évoquer la gamme variée des appropriations en jeu, deux temps seront successivement abordés : il sera tout d’abord question des pratiques par lesquelles les visiteurs s’approprient littéralement la maison de Corneille au travers de l’analyse, par Spalikowski, du livre d’or du musée. Cette étape invitera à dégager, dans un second temps, les contours d’une série d’appropriations littéraires de la maison, dont témoignent les nombreux poèmes composés par les visiteurs et les rêveries poétiques de Spalikowski. Ainsi rattachée à plusieurs grandes traditions littéraires, la « Maison sublime11 » de Corneille se métamorphose au fil du texte en un paradis champêtre digne d’un âge d’or made in Normandy.

7Le texte du « Docteur écrivain12 » s’organise autour de deux étapes : une première partie consacrée à l’exégèse des commentaires du livre d’or, une seconde partie à deux récits de Spalikowski lui-même. Le tout est organisé en onze chapitres avec « introduction » et « conclusion » selon une logique duale à travers laquelle se dessinent une approche qu’on pourrait qualifier d’« historienne » et « ethnologique » d’une part, et une approche « littéraire » d’autre part. La composition du livre obéit ainsi à une volonté de structuration évidente, malgré sa relative brièveté (moins de 70 pages).

8Au seuil de l’ouvrage, Spalikowski se livre à une étude en règle des visiteurs comme un médecin observe ses patients, comme un naturaliste classe les espèces. Aussi Albert Lambert, célèbre homme de théâtre rouennais, présente-t-il l’étude dans sa préface de la façon suivante :

Voici un livre charmant, simple, clair, écrit d’une plume alerte de poète emmanchée dans le scalpel d’un médecin, ce qui nous donnera quelques phrases coupantes, rapides coupes de bistouri qui feront crier la bêtise humaine, hélas sans la guérir13.

9De fait, soucieux de se montrer à la hauteur de sa toute jeune réputation, Edmond Spalikowski s’attache moins à « raconter » l’histoire du lieu qu’à établir les « relations des faits, dits et épisodes récents14 ». Dans ce but, il s’appuie à plusieurs reprises sur des sources historiques et biographiques précises, à l’instar de l’étude de François Bouquet15, évoquant ici et là ses propres ouvrages16… L’imbrication des discours « savant » et « littéraire », constante, ainsi que le mélange des genres (entre essai socio-historique, satire polémique et rêverie poétique) confèrent ainsi à l’essai toute son originalité.

10Au fondement de l’ouvrage de Spalikowski donc, une idée singulière et inédite : la présentation et l’étude d’une partie du « registre » du musée de Petit-Couronne. Le premier critère d’analyse repérable est d’ordre national, assorti d’un critère chronologique. Mais, étrangement, « Spali » débute son parcours du livre d’or en s’intéressant aux pèlerins anglais, alors même que ces derniers ne constituent pas la catégorie de visiteurs la plus importante, ni la première au plan chronologique. Faut-il voir dans ce choix la volonté de dénoncer, de façon satirique, l’attitude de « mauvais » visiteurs pour mieux valoriser les « bons » visiteurs, les Français, appelés à se réapproprier les lieux ? L’hommage rendu à un cordonnier17, ancien grognard de l’Empire, qui a fait don au musée d’un bahut, relique cornélienne, le laisse penser.

11Le premier chapitre est placé sous le signe de la rivalité nationale entre l’Angleterre et la France au détour d’un hommage sincère rendu aux deux conservateurs du musée Corneille, MM. Maillet Du Boullay et Gaston Lebreton. Par la suite, une double qualification péjorative vient caractériser le comportement des Anglais, décrits comme des « admirateurs maniaques18 » et, de façon euphémistique et ironique, comme des « chineurs19 » par nature. Et « Spali » de préciser que l’Anglais « a la rage de voler20 » et le culte des reliques vissé au corps. Élément fondateur de la consécration (au sens fort du terme) des maisons des écrivains depuis la Renaissance au moins, le culte des reliques prend en effet chez les Anglais une dimension tout à fait essentielle21, que l’ancrage séculaire du culte du génie en sa demeure porte à une rare intensité Outre-Manche. Pour appuyer son propos, Spalikowski évoque ainsi quelques anecdotes qu’il tient du gardien du musée, obligé de contenir la passion vandale des perfides Anglais. Avec complaisance, il souligne que « les uns s’attaqu[ent] à la pierre montoir de la porte d’entrée, à l’aide d’un petit marteau et d’un ciseau à froid », quand d’autres « emport[ent] de petits morceaux d’écorce des bûches qui reposent sur les splendides chenets des cheminées22 ». Caractéristique d’un processus littéral d’appropriation de la maison de l’écrivain, elle-même perçue comme le prolongement métonymique du corps de l’écrivain, le prélèvement d’innombrables fragments reliquaires n’en demeure pas moins sacrilège d’après « Spali », puisqu’il attente à l’intégrité du sanctuaire cornélien et des richesses qu’il renferme, en même temps qu’il remet en cause, dans une certaine mesure, la dimension auratique du lieu23. Assurément polémiques et volontiers excessifs, les commentaires de Spalikowski n’en apportent pas moins un éclairage très utile à la compréhension d’un des aspects de l’« appropriation » du temple cornélien dans le droit fil d’une tradition religieuse sécularisée24. Si l’érudit fait état à juste titre de la passion anglaise pour ces reliques, force est de constater qu’il fait preuve également d’une certaine mauvaise foi, les Français n’ayant sans aucun doute pas échappé à cette mode chineuse, et encore moins à la tentation de critiquer Corneille sous son propre toit, comme l’exégète le rapporte à travers certains commentaires tirés du livre d’or – auxquels d’ailleurs il préfère les éloges25.

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Maison de Pierre Corneille, Petit-Couronne, France, près de Rouen
Source : Flickr Commons project, 2008. Collection « Library of Congress »

12La seconde catégorie de visiteurs concerne les Français, que l’érudit classe chronologiquement. L’évolution dans l’emploi des termes et la périodisation traduisent un changement de statut des visiteurs et des pratiques au fil du temps, que trois termes clefs caractérisent : « curieux », « écrivains » et « artistes26 ». De fait, après une première période (1879-1880) où les Normands et quelques Parisiens seraient les seuls à franchir le seuil du musée d’après le commentateur, la période suivante (1881-1890) ferait la part belle aux autres provinces françaises, aux étrangers, aux grandes figures des Lettres et des Arts (artistes, écrivains, académiciens) ainsi qu’aux représentants des institutions républicaines (universitaires, hommes politiques). « Spali » peut bien affirmer alors que « déjà, à cette époque, la maison de Corneille était devenue célèbre, des milliers de visiteurs en avaient franchi le seuil27 » et annoncer que « désormais, toutes les nations vont envoyer leurs représentants, pour se donner rendez-vous sous le toit de Corneille28 ». C’est, du moins, « ce dont attestent les nombreuses signatures d’Anglais, d’Américains, d’Allemands et même de Français des départements du Centre et du Sud29 ».

13Parmi les visiteurs, Spalikoswki distingue quelques noms (très) célèbres, tels ceux de Beuzeville, auteur de Corneille chez le savetier30, Jules Adeline, Sarah Bernhardt, ou encore de descendants d’écrivains, ici de Hugo, là de Racine… Ces visiteurs ont partie liée avec la première phase d’appropriation massive de la maison qui connaît un premier pic lors des cérémonies commémoratives de 1884, au cours desquelles un pèlerinage est organisé à Petit-Couronne. Après cette période très « mondaine » selon toute évidence, la situation semble se normaliser et le public, assez conséquent (1300 visiteurs par an en moyenne31), se composer d’anonymes (« les Cornéliens d’Asnières »), plus ou moins lettrés. En somme, de fervents admirateurs de Corneille à qui la visite de la maison et de bonnes Humanités, quelquefois, font pousser des ailes de poètes.

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Affiche pour le bicentenaire de Corneille, au centre « Visite à la maison de Pierre Corneille à Petit-Couronne », collection des Archives départementales de la Seine-Maritime

14Dès lors, la dimension littéraire des textes écrits par les visiteurs ainsi que quelques informations sur leur identité conduisent Spalikowski à se livrer à une étude sociologique des publics, à une époque où cette science connaît d’ailleurs ses premiers développements. Le jeune Edmond ne se contente toutefois pas d’identifier une certaine frange de la population. Citant son essai sur les paysans, l’apprenti sociologue se livre à une virulente critique de leur comportement irrespectueux. Ignorant tout de Corneille, exclusivement dévoué à la culture de la terre et ne voyant dans la maison du génie qu’une « cambuse » (chambre ou maison mal tenue dans le langage populaire), le paysan serait cet homme mal dégrossi, qui, à l’instar du philistin, ne comprendrait rien à la valeur symbolique, esthétique et patrimoniale du musée cornélien32.

15Mais il ne faudrait pas croire pour autant qu’Edmond Spalikoswki oppose radicalement les respectueux admirateurs de Corneille, les « bourgeois », aux « classes » populaires impies, à qui les lettrés confisqueraient l’héritage cornélien. La lutte des classes ne pénètre pas si strictement la maison de Corneille. Les visiteurs qui laissent des commentaires peu respectueux ou idiots compteraient également des « bourgeois » dans leurs rangs. À cet égard, « Spali » sait gré à un visiteur, en qui il reconnaît un « honnête ouvrier33 », d’avoir composé un aimable hommage, ce qui ne l’empêche pas de remarquer au passage l’orthographe « boiteuse34 » du visiteur et d’ironiser sur les « baux habits » revêtus pour l’occasion. À la lecture de l’ouvrage, il semblerait bien que la sanctuarisation symbolique de la maison comme « temple » sacré du culte cornélien, ait pour effet, en tout cas aux yeux de Spalikowski, de sélectionner et de légitimer certains publics au détriment d’autres, offrant ainsi la maison, parfois souillée par la bêtise iconoclaste des « idiots », à la dévotion de « courageux lettrés35 ».

16Néanmoins, l’essentiel résiderait peut-être davantage, aux yeux de Spalikowski, dans la qualité de l’expérience de visite. Ainsi, celle-ci n’apparaît pas tant liée, en définitive, à la valeur historique des reliques, qu’à l’atmosphère des lieux. De même, la qualité des commentaires des visiteurs, sélectionnés parce que « curieux36 », tiendrait davantage à la sensibilité poétique des visiteurs à l’« âme » des lieux qu’à une parfaite maîtrise des humanités.

17De fait, la sélection drastique à laquelle se livre l’auteur ne revêt pas seulement une dimension testimoniale et historienne. L’attention marquée que porte Edmond Spalikowski aux textes poétiques, peu nombreux en comparaison de la grande majorité des remarques lapidaires du registre – et plutôt élogieux au regard de commentaires plus critiques37, constitue sans doute un prélude nécessaire à sa carrière d’écrivain. Au cœur de cette écriture, une veine intimiste dont le jeune auteur se fait le chantre assidu.

18La « privatisation » du génie que Stéphane Zékian observe dans la constitution de la figure du grand écrivain national s’accompagne de la représentation de ses vertus domestiques dans les portraits qui lui sont consacrés38. José-Luis Diaz a, pour sa part, dégagé les enjeux de cette privatisation dans les éloges académiques et les textes biographiques au travers de l’intérêt des contemporains pour la dimension « humaine » du grand homme39. Les travaux de Jean-Marie Thomasseau40, Georges Zaragoza et Roxane Martin41 sur la production théâtrale du début du xixe siècle ont précisé, quant à eux, les visages que les contemporains prêtent à Corneille dans un décor domestique conventionnel, entre deux emplois fixes : celui du bon père de famille bourgeois et celui du génie, poète misérable et reclus dans son cabinet de travail.

19Dans cette perspective, les témoignages laissés sur le livre d’or du musée attestent de la permanence et de la diffusion de ces représentations mais aussi de l’évolution du sujet dans les pratiques littéraires. Par ailleurs, ils invitent à penser que ces légendes ne sont plus le fait exclusif des milieux littéraires et académiques. En quelques décennies, « la maison de Pierre Corneille » est ainsi devenue un sujet à part entière, au plan littéraire notamment. L’abondance de poèmes, aux côtés de citations latines et de commentaires savants, témoigne en effet de la vivacité de ce type d’exercice rhétorique sur lequel s’appuie l’enseignement des Belles-Lettres à l’époque. En outre, il revêt ici une dimension visiblement mondaine (potache aussi par endroits), que l’exposition du registre aux regards des autres visiteurs amplifie certainement. Ainsi la confrontation des textes au sein d’un même recueil reconduit-elle une tradition héritée des concours académiques ou des « jeux floraux42 ». De fait, une lecture attentive des commentaires sélectionnés par l’essayiste permet de faire état de la maîtrise et de la facilité surprenante pour nous, contemporains, avec laquelle les visiteurs composent leur ode. Or ce serait peut-être négliger là l’extrême codification et la pratique assidue de cet exercice rhétorique dont certains éléments, comme autant d’invariants, constituent des topiques en réalité éculées : de fait, ces textes font l’objet d’innombrables réécritures, très semblables. L’accumulation des exemples, dans l’ouvrage étudié, ne traduit-elle pas d’ailleurs de façon implicite la banalisation de cette pratique ?

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Les Environs de Rouen [Illustrations de] : entrée de la maison de Corneille [au Petit-Couronne] :
le four, la cheminée, le puits. Dessins de Gustave Fraipont, Rouen, E. Augé, 1890, p. 246.

20Et pour cause. On discerne dans ces textes plusieurs topiques, qui font de la « maison de Corneille » un véritable « lieu commun » au sens rhétorique du terme. La première a trait à l’image « bourgeoise » de Corneille, campé en bon père de famille, en homme d’intérieur travaillant sagement et obstinément à sa gloire et à l’entretien de son foyer. Une autre topique emprunte à la réception romantique43 de Corneille, elle-même héritière d’une topique académique : de façon inversement proportionnelle, l’humble logis devient le « temple » du grand homme, la chaumière un « château », celui d’une élite morale et esthétique. Au tournant du xxe siècle, cette tradition fait en effet l’objet d’un regain d’intérêt : la pauvreté du génie prend le visage de l’humilité et de la simplicité du gentilhomme de province, dimension d’ailleurs appuyée par l’aménagement du musée de Petit-Couronne. Les pièces de ce dernier sont meublées de façon relativement simple, quoique dans le style néo-Louis XIII qui fait fureur dans la bourgeoisie au xixe siècle44. Enfin, une dernière topique, très largement mobilisée dans l’espace du musée, remotive des traditions religieuses passées au crible de la sécularisation et de diverses théories animistes pour instituer une forme de croyance dans le « génie des lieux » et l’« âme » de la maison. À l’approche des lois de 1905, la vivacité du culte laïc rendu au grand homme trouve ainsi une assise solide dans la vénération du sanctuaire cornélien, ce qui n’empêche nullement certains visiteurs (comme un certain abbé V. Samson), assez nombreux d’après l’auteur, de rendre hommage au fervent chrétien que fut Corneille dans ce qui tient tout à la fois du temple du grand homme et de l’église45.

21Pour preuve, Henri Wilhelm, bibliothécaire des Sociétés savantes de Rouen, mobilise l’ensemble des topographies mentionnées, et tout particulièrement la dernière, ce dont témoignent – outre la personnification de la maison – l’emploi connoté de la majuscule (« Il ») pour désigner Corneille, et les italiques :

 À la maison de P. Corneille

Jadis, humble séjour lorsque l’on ta [sic] construit
On ne te destina que pour être un réduit.
Mais quand le grand Corneille en eut fait sa retraite
Le peuple t’appela le château du poète :
Alors tant de héros passèrent sous ton toit
Que le nom de Palais est devenu ton droit.
Aujourd’hui qu’Il n’est plus, très vieux et solitaire,
De réduit qu’on te fit, tu deviens sanctuaire
Où chacun vient offrir, au seuil qui vit ses pleurs
Des chants avec amour, avec respect, des fleurs.
2 juillet 188146

22Le sonnet que « Spali » présente au début de son étude, et dans l’auteur duquel il salue « un universitaire », rend compte également des topiques dégagées. L’ethos humble de Corneille, transposé au charmant logis rustique par le recours à la « couleur locale » normande, le dispute à plusieurs topoï de la rhétorique classique et académique : topoï de la muse visiteuse, du locus amoenus (normand) et du temple du grand homme :

La maison de Pierre Corneille

Voici donc le logis par Corneille habité,
Sa petite maison dans le vallon perdue,
La cour et le jardin de modeste étendue :
J’aime dans un grand cœur cette simplicité,

C’est là qu’il a souffert, aimé, rêvé, chanté,
C’est là que tant de fois la muse est descendue
Pour lui dicter ces vers dont l’âme confondue
Admire l’immortelle et sublime beauté.

Les enfants du poète ont pris soin de sa mémoire
Ils recueillent, pieux, les vestiges de gloire
Les traces de sa vie éparses sous les cieux.

Découvre-toi, passant, car dans cette humble enceinte
Chaque place est auguste, et chaque pierre est sainte
L’âme du grand Corneille habite dans ces lieux47 !

23Centrés sur la figure divinisée de Corneille, les commentaires du livre d’or font également un sort à l’œuvre dramatique et poétique du dramaturge, qui innerve le livre d’or et l’ouvrage de Spalikowski. Aussi personnages et situations dramatiques sont-ils convoqués par les visiteurs, comme dans le propre poème de « Spali », intitulé « Vision ». La demeure de Corneille y devient le décor théâtral où se réunissent les personnages cornéliens, dans une mise en scène qui n’est pas sans rappeler l’esprit de la toile d’Edmond Geffroy pour la « maison de Molière » :

[…]
Chaque fois, j’ai pu voir dans le jardin secret
Des fantômes de rois, de soldats, de maîtresses
[…]
L’ombre de César à Polyeucte et Cinna,
Horace et Rodogune, à voix basse, mais grave
Parlait des vanités, et plus loin Perpenna
Cherchait Sertorius, triste comme un esclave48 […].

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© Collections Comédie-Française
Molière et les caractères de ses comédies par Edmond Geffroy, sociétaire de la Comédie-Française,
Huile sur toile 158 ×170 cm. En bas à gauche, Molière, « le contemplateur »

24À l’aune d’une tradition à l’évidence stéréotypée, il semble toutefois que Spalikowski privilégie les tenants d’une veine intimiste et régionale (voire régionaliste) sur les accents encomiastiques et universalistes de nombreux commentaires. La progression chronologique et critique du propos amène en effet l’auteur à désigner ses champions avant de valoriser son propre hommage poétique. Ainsi, dans une veine plus personnelle, deux des poèmes intégrés au palmarès de l’auteur ont recours au motif de la « vision » du fantôme de Corneille dans sa maison, et à la reconstitution théâtrale des lieux, soit que le dramaturge, soit que ses personnages se meuvent dans le décor de Petit-Couronne. Dans cette perspective, ces textes font écho aux chapitres suivants dans lesquels Spalikowski s’essaie à la composition de deux descriptions de la maison de Petit-Couronne.

25Le pittoresque, qui infuse la dernière partie de l’ouvrage, accompagne la mise en scène théâtrale du décor normand du musée. Dans les deux derniers chapitres sont mis en regard deux tableaux : l’un intitulé « Autrefois : Une journée de Pierre Corneille à Petit-Couronne (mai 1642) », l’autre « Aujourd’hui : En hiver. (décembre 1900) ». La construction en miroir traduit l’esprit mélancolique de l’auteur, en quête d’un âge d’or qu’il évoque dans deux récits cousus de fil blanc. L’attention portée aux objets du quotidien se double ainsi d’un intérêt très marqué pour les « tableaux de la vie privée de l’hôte cornélien au xviie siècle49 » dans une veine bucolique qui contribue à donner à la maison de Petit-Couronne une place centrale dans la légende cornélienne. Ainsi, Spalikowski entend-il, malgré l’absence « de documents authentiques qui nous permettent de faire revivre pour ainsi dire la vie de Corneille […], reconstituer l’emploi de ses journées, grâce au peu que nous savons et l’imagination aidant50 ».

26Bien que l’apprenti écrivain délaisse progressivement le vers au profit de la prose de l’historien, la couleur littéraire du propos occupe une place de plus en plus importante dans l’ouvrage. La reconstitution imaginaire d’une journée, sur laquelle repose le chapitre VIII, dresse le portrait de Corneille dans sa vie privée. Faisant écho à quelques commentaires du livre d’or, « Spali » met à son tour à l’honneur les valeurs héroïques et patriotiques que l’auteur des Horaces promeut dans son œuvre. Cet aspect important de la réception de Corneille trouve en effet à se déployer de façon originale ici. Tout se passe comme si Corneille se comportait dans son intimité comme ses héros sur la place publique. L’ordre et la simplicité de son mode de vie entreraient ainsi en résonance avec les valeurs que prônent les héros romains du dramaturge. Le modèle littéraire cornélien se double par conséquent d’un modèle moral, sur lequel se fonde très largement la consécration de la figure cornélienne, auréolée de gloire aux lendemains de la défaite de Sédan et sous la IIIe République51. La maison de Corneille ne serait pas seulement, dès lors, un lieu d’initiation à la vocation littéraire : elle serait également un témoignage monumental d’un mode de vie en adéquation, dans l’esprit de « Spali », avec un sentiment intense de la nature et la valorisation de valeurs morales que le grand écrivain incarnerait de façon exemplaire. Dans cette perspective, la maison constitue le socle fondateur d’un imaginaire idéalisé de la vie du grand Corneille, dans un lieu à son image52.

27À cet égard, la promotion du motif pittoresque et la théâtralisation opérée convergent dans une esthétique picturale propice à plusieurs scènes de genre (repas, écriture, prière, méditation), qui flattent le goût des contemporains pour ce type d’images d’Épinal, comme en témoignent les toiles des peintres académiques Hillemacher et Gérôme, où Corneille figure dans son intérieur.

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Jean-Léon Gérôme, Une collaboration, 1873, huile sur toile, collection particulière

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Eugène-Ernest Hillemacher, Les Deux Corneille, lithographie, salon de 1864
Musée Pierre-Corneille, Réunion des musées métropolitains Rouen Normandie

28La traduction littéraire de ces scènes chez Spali repose ainsi sur l’accumulation de stéréotypes où se donne à voir la vie simple, pieuse et réglée d’un jeune couple de parents à la campagne. L’extrait suivant en donne un bon aperçu :

Ce matin-là, Pierre s’était levé d’assez bonne heure, avide de respirer l’air pur dont une longue résidence à Paris et à Rouen l’avait privé.
Pour ne pas troubler le sommeil de sa femme et de sa fille, il était descendu furtivement au jardin.
Il se promène maintenant à pas lents, murmurant une courte prière, qu’il interrompt, de temps en temps, pour regarder les premières fleurs de pommier. […] Puis, ouvrant son livre, qui n’est autre que L’Imitation de Jésus-Christ, il parcourt un chapitre53.

29Le récit reprend également à son compte un imaginaire clichéique du travail littéraire, autour du motif de l’inspiration et du décor bucolique, pré-textes probablement fournis par des images proches de l’illustration dont nous accompagnons l’extrait suivant :

Le jeune auteur demande sa liberté […], il monte dans son cabinet de travail. Mais l’inspiration ne vient pas. […] Il s’est assis sur un bloc qui sert de siège et, après quelques minutes d’attention, la verve est revenue.
Pendant deux heures, le papier se remplit. Parfois, l’auteur se repose, la tête dans ses mains, ou bien, il se lève, cueille une fleur et réfléchit.

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Pierre Corneille dans sa maison de campagne de Petit-Couronne. Héliogravure du xixe siècle
ADSM

30À la lumière de ces deux extraits, on comprend alors pourquoi la journée de 1642 est mise en regard avec son pendant contemporain. Il s’agit de faire revivre le passé et de redonner tout son lustre à la maison, sa luxuriance à la campagne normande en voie d’industrialisation et d’urbanisation. Ce faisant, la théâtralisation de Petit-Couronne cherche à faire « revivre54 » Corneille dans un décor qui, pour être réel, n’en apparaît pas moins « élyséen », mythifié. Le voyage dans le temps, très marqué par le rousseauisme, évoque ainsi peu à peu, sous la forme d’une réécriture très libre, les rêveries d’un promeneur solitaire à la campagne. À cette influence sourde s’ajoute enfin une dernière tradition poétique : celle de la reverdie, dont la maison de Petit-Couronne constitue le décor printanier, Corneille et sa famille, le personnel, et le thème de la bonne vie, le fil rouge narratif. Dans cette perspective, la maison de Corneille fait bel et bien l’objet d’une reconstitution fantasmée, aucunement archéologique. Rappelons en effet que la propriété des Corneille était originellement une grande ferme, nullement un manoir comme le croient bien des visiteurs, séduits par le charmant spectacle des lieux que le département de Seine-Inférieure leur offre là. À cet égard, la maison de Corneille monumentalise et muséalise assurément l’archétype de la demeure normande du gentilhomme, avec ses colombages, ses airs de manoir et son décor bocager en bord de Seine55, microcosme idyllique qui fait fureur au xixe siècle56. Dès lors, ce qui pourrait passer pour une veine littéraire éculée et un peu facile (il faut bien l’admettre), n’est-il pas à attribuer dans une certaine mesure à la recherche d’un style naïf et simple empruntant sciemment aux pastorales ou aux « jeux floraux » que l’auteur mentionnait plus haut ?

31Quoi qu’il en soit, l’épisode heureux des grandes et belles heures de l’Histoire de France et de la jeunesse de Pierre Corneille, symboliquement représentées par le printemps au prix d’une interprétation erronée de la biographie cornélienne d’ailleurs57, fait place à une mise en scène de Petit-Couronne dans une tonalité dysphorique, marquée par le thème de la « décadence ». Corneille apparaît désormais sous les traits d’un vieillard au soir de sa vie, symbolisé par l’hiver, méditant sur la fortune incertaine que son nom connaîtra après sa mort. Traversé par les isotopies du regret, du froid et de la mort, le texte dépeint le musée de Petit-Couronne comme le tombeau abandonné de la mémoire cornélienne :

« Quand viennent les mois sombres d’hiver, la maison semble endeuillée. […].
Un jour triste et morne filtre par les vitraux. Plus rien qui anime le temple du dieu. […]
Sans doute, aux jours d’hiver Corneille dût pleurer son brillant passé disparu […]58 »

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« La maison de la Dame blanche », croquis d’Edmond Spalikowski, Pont-de-l’Arche d’autrefois et d’aujourd’hui, Rouen, Lestringant Fils, 1931, p. 34.

32Cependant, l’ouvrage ne se clôt pas sur cette note lugubre mais sur un double appel plutôt confiant. Spalikowski invite ainsi son lecteur à visiter la maison pour animer les lieux, en même temps qu’il l’invite à faire revivre le génie cornélien à travers la lecture de ses œuvres, dont les vertus morales redonnent force et vigueur à l’âme…

33L’ouvrage d’Edmond Spalikowski condense nombre d’acceptions du terme « appropriation » qui font état de la constitution d’imaginaires liés à la « domestication » du personnage cornélien au xixe siècle. Celle-ci opère en particulier au travers de pratiques de visite ritualisées que traduisent, à leur manière, les commentaires inscrits au registre du musée ou la collecte de reliques. Dans ce sens, les appropriations de Corneille à Petit-Couronne résideraient dans l’adaptation polymorphe de son personnage, sur la scène théâtrale de sa propre maison, tous deux rendus opportunément conformes à l’image du génie et du gentilhomme campagnard que les contemporains fantasment.

34Un mode de vie idéal paraît en effet s’esquisser dans le décor idyllique de la maison de Corneille, paradis terrestre propice au recueillement du travail intellectuel et à la rêverie, où tout est silence, calme et tranquillité. Autour de la maison, de l’église et de la forêt, motifs qui structurent la description du paysage alentour, c’est donc tout un « écosystème », pour ainsi dire, qui concourt à l’épanouissement de la légende cornélienne et, corrélativement, d’un âge d’or où la campagne normande est épargnée par l’urbanisation et l’industrialisation des bords de Seine.

35Dans l’essai de Spalikowski, la caractérisation intimiste de la maison et du village contient en germe les fondements d’une réflexion plus générale sur le devenir de la civilisation. De fait, la maison de Corneille deviendra au fil du temps un repère essentiel des travaux de l’écrivain et érudit normand. L’inspiration poétique y rejoindra des aspirations idéologiques de plus en plus affirmées, ainsi que le laisse pressentir l’intérêt de l’auteur pour un commentaire rédigé par un célèbre visiteur en 1884 : Paul Déroulède59. « Spali » développera ainsi au gré des années une esthétique et une idéologique nostalgiques, voire franchement passéistes, à laquelle s’ajoutera dans l’entre-deux-guerres une réflexion hygiéniste. Ces interrogations, sur la question du logement et son attachement au thème de la maison en particulier, alimenteront ainsi tout au long de la carrière de l’érudit son admiration pour le mode de vie rural de Corneille et de ses compatriotes normands60. L’exemple cornélien représenterait le noyau sur lequel peut se fonder l’organisation de toute une société, l’idéal d’une famille guidée par un pater familias menant une vie droite et simple dans l’épanouissement de l’Esprit et du Beau. Dans cette perspective, le patronage dramatique du « grand Corneille » trouvera son aboutissement au terme de la carrière de Spalikowski dans l’engagement de ce dernier en faveur d’œuvres théâtrales édifiantes écrites pour un public rural61.

Notes

1 Georges Dubosc, À travers Rouen Ancien et moderne. Histoire et description de la Ville de Rouen, Rouen, Librairie Henri Defontaine, 1920, p. 218. L’expression, tout comme celle de « maison des champs », y figurent.

2 Camille-Robert Désert, Edmond Spalikowski. Poète, écrivain normand. Né à Rouen le 1er juin 1874 – Mort à Clères le 3 août 1951, Condé-sur-Noireau, impr. Charles Corlet, 1974, p. 14. Les éléments biographiques dont il sera question ici sont tirés de cet ouvrage.

3 Ibid., p. 14.

4 À travers l’histoire littéraire normande. Michelet en Normandie, Rouen, Albert Lainé, 1932 ; Autour de Flaubert. Gustave Flaubert et Adolphe Chéruel. Flaubert et la presse, Rouen, Lainé, 1933 ; Maupassant à Étretat, Rouen, Lainé, 1936.

5 Edmond Spalikowski, Étude sur les logements actuels des ouvriers de Rouen et des grandes villes industrielles, Rouen, 1894 ; Études d’anthropologie normande, Paris, 1897.

6 Edmond Spalikowski, Autour de la maison de P. Corneille, Paris, 1901 ; À propos des séjours normands de Pierre Corneille, Rouen, Lainé, 1938 ; Nos manoirs normands, Rouen, Lainé, 1939.

7 Acquise par le père de Corneille en 1608, la propriété familiale, avec ses terres, revient au dramaturge en 1639. Redécouverte en 1836, la maison est rachetée en 1874 par le département de Seine-Inférieure pour y établir un musée ; La Maison de Corneille, excursion à Petit-Couronne, Rouen, J. Girieud, s. d.

8 Dominique Poulot, Musée, nation, patrimoine, 1789-1815, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des Histoires », 1997.

9 Olivier Nora, « La visite au grand écrivain », dans Les Lieux de mémoire II. La nation, dir. Pierre Nora, Paris, Gallimard, « Bibliothèque illustrée des histoires », 1986, p. 563-587.

10 Jean-Claude Bonnet, Naissance du Panthéon. Essai sur le culte des grands hommes, Paris, Fayard, 1998.

11 Autour de la maison de P. Corneille, p. IV.

12 Ibid.

13 Ibid., p. II.

14 Ibid., p. 5.

15 Ibid., p. 27 ; F. Bouquet, Points obscurs et nouveaux de la vie de Pierre Corneille, Paris, Hachette, 1888.

16 Ainsi de Paysages et paysans normands, Paris, Baillère, 1899.

17 Autour de la maison de P. Corneille, p. 12.

18 Ibid., p. 10.

19 Ibid.

20 Ibid., p. 10-11.

21 Writers’ Houses and the Making of Memory, dir. Harald Hendrix, New York, Routledge, 2012.

22 Autour de la maison de P. Corneille, p. 11.

23 Voir Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique [éd. or. Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit]. Version de 1939, trad. Maurice de Gandillac, Paris, Gallimard, « Folioplus », 2007. L’analyse de Benjamin semble pouvoir être transposée à la maison d’écrivain dans une certaine mesure quoiqu’avec intérêt, la maison étant, comme l’œuvre d’art parfois une œuvre d’art, unique et singulière. De ce point de vue, la dispersion de fragments de la maison, reconduite à grande échelle par la production industrielle d’objets dérivés, cartes postales au premier chef, paraît accentuer le problème soulevé. Notons que les cartes postales du musée Pierre Corneille traversent l’Atlantique pour se retrouver à la bibliothèque du Congrès, preuve du rayonnement important du phénomène.

24 Jean-Claude Bonnet, ouvrage cité ; Paul Bénichou, Le Sacre de l’écrivain, 1750-1830. Essai sur l’avènement d’un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Paris, Corti, 1973.

25 Un visiteur note : « […] Et malgré tes beautés, Corneille [sic] et tes noblesses / Les tragiques païens avaient fait mieux que toi. […] », Autour de la maison de P. Corneille, p. 50.

26 Ibid., p. 15.

27 Ibid., p. 32.

28 Ibid., p. 33.

29 Ibid.

30 Ibid., p. 16-17. Voir Corneille chez le savetier, scène historique de la vie de Pierre Corneille, par MM. Beuzeville et Th. Le Breton… [Rouen, Théâtre des arts, 29 juin 1841], Rouen, impr. de N. Périaux, 1841.

31 Autour de la maison de P. Corneille, p. 15.

32 Ibid., p. 8 et suiv. Dans son essai sur les manoirs normands, l’auteur reviendra à la charge contre les vandales révolutionnaires qui ont saccagé les monuments du passé. Il fait d’ailleurs du manoir du Fay, ayant appartenu à la famille maternelle de Corneille, l’archétype du manoir normand Louis XIII, p. 10-14.

33 Ibid., p. 41.

34 Ibid.

35 Ibid., p. 15-18. Toutefois, il convient de considérer ces propos avec la plus grande prudence. Ainsi, l’étude des commémorations organisées en 1884 et en 1906 à partir des archives départementales et municipales de Rouen révèle que les festivités ont dû mobiliser un certain nombre de pèlerins et curieux issus des milieux populaires. Il faut dire que les festivités ont pris un tour spectaculaire, digne des plus grandes fêtes foraines. Feux d’artifice, courses automobiles… figurent au programme, au côté de manifestations plus solennelles : pèlerinage rue de la Pie, inauguration d’une plaque, à Petit-Couronne en chemin de fer, discours, banquets… Pour en revenir au cas qui nous occupe, il est certain que le musée a dû attirer des visiteurs d’horizons élargis au vu des commentaires inscrits au registre, et ce en plus grand nombre que ne le laissent croire les commentaires de « Spali ». Force est de constater, pourtant, que ces témoignages, bien qu’assez nombreux, sont moins intéressants (ils se limitent à une signature et un mot admiratif par exemple). Le fossé entre ces groupes sociaux, en termes d’éducation et de pratiques culturelles, peut expliquer ces disparités, tout comme l’autocensure qui a dû maintenir certains visiteurs, moins rompus à l’exercice, à l’écart du livre d’or.

36 Autour de la maison de P. Corneille, p. 36.

37 L’exégète passe assez rapidement sur les commentaires anecdotiques, même s’il prend la peine parfois d’en noter quelques-uns : ainsi de ce visiteur qui se plaint par exemple du caractère trop moderne de certains aménagements du musée, qui tranche avec son allure « moyen-age » [sic] ou de cet autre qui interpelle la mairie de Rouen au sujet de la maison de la rue de la Pie, abandonnée (voir p. 39).

38 « Le classique en robe de chambre supplante le classique en majesté. Ainsi s’explique sa domestication, c’est-à-dire son inscription dans le cadre restreint de la vie privée », Stéphane Zékian, L’Invention des classiques. « Le siècle de Louis XIV existe-t-il ? », Paris, CNRS Éditions, 2012, p. 261.

39 José-Luis Diaz, L’Homme et l’Œuvre. Contribution à une histoire de la critique, Paris, Presses Universitaires de France, « Les littéraires », 2011.

40 Jean-Marie Thomasseau, « Corneille et Racine héros de comédie à l’époque romantique », Littératures classiques, no 48, Jeux et enjeux des théâtres classiques (xixe et xixe siècles), préface de Mariane Bury et de Georges Forestier, Paris, PUF, 2003, p. 125-134.

41 Georges Zaragoza, « La tentative dramatique Corneille de Hugo » (p. 107-120) et Roxane Martin, « La figure de Corneille dans le théâtre du xixe siècle : Pierre Corneille, modèle du dramaturge romantique ? » (p. 133-146) dans Corneille des romantiques, textes réunis et présentés par Myriam Dufour-Maître et Florence Naugrette, Rouen, Publication des Universités de Rouen et du Havre, 2006.

42 Autour de la maison de P. Corneille, p. 45.

43 Sur ce point, je me permets de renvoyer aux contributions de G. Zaragoza et de R. Martin, évoquées plus haut.

44 La rareté des reliques cornéliennes et des documents attestant de l’aménagement originel des lieux, ainsi que le statut « rural » de la maison peuvent expliquer l’aspect assez austère des pièces du Musée, du moins en comparaison des intérieurs en vogue à l’époque. Voir le numéro de juin 2015 de la revue Romantisme, consacré aux « intérieurs ».

45 Corneille n’est pas épargné par l’auteur sur ce sujet. Dans un curieux chapitre consacré à « Corneille chrétien », Spalikowski se livre à un diagnostic clinique de la névrose du personnage, « monomane religieux », et prend soin de noter que la vie amoureuse de Corneille ne témoigne pas d’un mode de vie très chrétien (!) (p. 51-53). Pour le reste, nous nous contentons ici de caractériser ces textes à grands traits à travers quelques exemples. L’étude complète du corpus, éclairé par l’analyse du registre, prend place dans notre thèse intitulée « Vies encloses, demeures écloses. Le grand écrivain français en sa maison-musée (1879-1937) » (soutenue le 24 novembre 2017).

46 Autour de la maison de P. Corneille, p. 33-34.

47 Ibid., p. 19-20.

48 Ibid., p. 47.

49 Ibid., p. IV.

50 Ibid., p. 55.

51 Ralph Albanese, Corneille à l’École républicaine. Du mythe héroïque à l’imaginaire politique en France, 1800-1950, Paris, L’Harmattan, « Espaces littéraires », 2008.

52 Témoin de cette appropriation symbolique, l’appropriation de la dénomination de Petit-Couronne, identifiée par le syntagme « maison des champs », auquel fait écho, des années plus tard, l’expression « maison dans les champs » qu’un Spalikowski, au soir de sa vie, emploie pour désigner sa maison de la rue des Friquets à Clères, en Normandie (La Maison dans les Champs, Rouen, Henri Defontaine, 1930).

53 Autour de la maison de P. Corneille, p. 56-57.

54 Ibid., p. 55.

55 La présence d’une planche illustrée de la maison dans un album pittoresque corrobore cette idée (P. Dujardin, E. Letellier, La Normandie monumentale et pittoresque …, Le Havre, Lemâle et Cie, 1893). En 1938, Spalikowski ironisera sur la crédulité des visiteurs qui s’enthousiasment pour le spectacle de « bourgeoise endimanchée » de la maison, « décor romantique » très largement artificiel, aux sirènes duquel le jeune homme pourrait avoir cédé en 1901 du reste… (À propos des séjours…, op. cit., p. 10).

56 Histoire de la vie privée, dir. Ph. Ariès et G. Duby, tome IV De la Révolution à la Grande Guerre, dir. Michelle Perrot, Paris, Seuil, 1999, p. 349.

57 La famille n’a pas dû passer beaucoup de temps à Petit-Couronne. Corneille a passé l’essentiel de sa vie dans sa maison urbaine de Rouen, rue de la Pie, et dans ses domiciles parisiens.

58 Ibid., p. 63-65.

59 « Et toi Corneille, toi père du grand courage / Redis-nous tes leçons dont tu formais les cœurs / Le calme dans l’effort, la haine après l’outrage. / Redis-nous la Patrie et refais-nous vainqueurs », Autour de la maison de P. Corneille, p. 36.

60 Étude sur les logements actuels des ouvriers de Rouen et des grandes villes industrielles, Rouen, impr. Espérance Cagniard, 1894 ; L’Art et les problèmes sociaux, Rouen, libr. Lestringant, 1921 ; La Normandie rurale et ignorée, Rouen, Maugard, 1932 : un chapitre entier est consacré à la « maison » normande, assorti d’illustrations de l’écrivain (p. 33-48).

61 Camille-Robert Désert, Le Bonheur aux champs, drame rustique en 3 actes, préface par Edmond Spalikowski, Yvetot, Impr. commerciale, 1945.

Pour citer ce document

Marie-Clémence Régnier, « Appropriations littérales et littéraires de Pierre Corneille en sa maison de Petit-Couronne : l’exemple du livre d’or du musée » dans Appropriations de Corneille,

Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen en octobre 2014, publiés par Myriam Dufour-Maître

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude », n° 24, 2020

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=849.

Quelques mots à propos de :  Marie-Clémence Régnier

Université d’Artois
Marie-Clémence Régnier est maître de conférences à l’université d’Artois. Elle a soutenu en 2017 une thèse sur la genèse des « maisons d’écrivains » en France (1879-1937), sous la direction de Florence Naugrette et de Françoise Mélonio, à l’université Paris-Sorbonne. Lauréate du prix de thèse Aguirre-Basualdo de la chancellerie des universités de Paris et de l’association des musées normands (2018), elle est l’auteure de plusieurs articles sur la question et s’intéresse plus largement aux notions de monumentalisation et de muséalisation appliquées à la littérature, ainsi qu’aux représentations de l’écrivain aux xixe et xxe siècles.