À la fin de l’année 1849, la Société des Comédiens-Français n’a jamais été plus en danger d’être dissoute. Après le court mandat républicain de Lockroy (mars à octobre 1848), la nomination provisoire, comme commissaire du gouvernement, d’Eugène Bazenerye (octobre 1848-novembre 1849) et l’intérim assuré pendant la même période par le régisseur Edmond Seveste, l’instabilité est maximale. Il incombe donc au nouveau gouvernement de la République de statuer sur l’avenir du théâtre national. Malgré les difficultés envisageables, le poste est très convoité et les intrigues vont bon train, surtout dans les milieux de la fonction publique. Deux auteurs médiocres, Édouard Mazères, préfet de son état, et Adolphe Simonis, dit Empis, fonctionnaire à la liste civile et membre de l’Académie française, s’y verraient bien [1]. L’homme de lettres Arsène Houssaye, largement plébiscité par les auteurs romantiques, et notamment soutenu par Victor Hugo, et aussi par Rachel, au faîte de sa gloire et de son influence, est néanmoins nommé, provisoirement encore, le 15 avril 1849, commissaire du gouvernement. Il souhaite rendre au Théâtre de la République son nom historique de Comédie-Française. Dans ses Mémoires, intitulés Confessions, au tome 3 consacré à son mandat à la Comédie-Française, il brouille volontiers les faits chronologiques pour légitimer au maximum sa nomination [2]. Il raconte que, au début de 1850, le ministre Baroche, fraîchement nommé à l’Intérieur, et très marqué à droite, aurait nommé le préfet Mazères, obligé de se dédire et de déchirer la nomination, sur la pression conjointe de Hugo, Dumas, Musset, Augier et Ponsard, ainsi que de Rachel qui exerce un chantage à la démission et s’appuie sur la protection du président.
Quoi qu’il en soit, le 15 avril 1850, un décret le nomme administrateur général de la Comédie-Française (titre déjà porté par François Buloz), avec redéfinition des fonctions. Les responsabilités plus larges conférées à l’administrateur s’accompagnent d’une allégeance croissante aux autorités, surtout après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, considéré comme le protecteur et le principal soutien d’Arsène Houssaye.
Passons rapidement sur ses victoires administratives, qui ne sont pas à négliger. Il obtient du duc de Morny, éphémère ministre de l’Intérieur, par un décret du 19 janvier 1852, la fin du douloureux conflit qui opposait la Comédie-Française à l’État sur le sujet de son loyer [3]. Ce décret, calqué sur ceux qui règlent la situation du Louvre, de l’Odéon et de l’Opéra, et complété d’un cahier des charges précis et sans réplique, affecte la salle Richelieu à l’exploitation de la Comédie-Française. Ajoutons à cela que, dès décembre 1852, le Palais-Royal tout entier entre dans la dotation immobilière de Napoléon III. Arsène Houssaye réorganise les personnels, désormais affectés uniquement au service du théâtre, sauf le caissier et le contrôleur général, nommé par le Comité d’administration avec sanction du ministre de l’Intérieur. Il obtient aussi l’autorisation d’ajouter un rang de fauteuils à l’orchestre. Trois semaines de fermeture en juillet-août 1854 suffisent à réaliser ce travail, à nettoyer les corridors et à remplacer les papiers peints souillés dans la salle.
En échange de la bienveillance désormais impériale, au nom de laquelle les Comédiens-Français reprennent le titre de Comédiens français de l’Empereur, la Comédie-Française est aux premiers rangs pour célébrer la grandeur de Napoléon III. Après la mémorable représentation du 22 octobre 1852, en présence du prince-président, dont l’affiche porte (ironie ou naïveté ?) : Cinna ou la Clémence d’Auguste, de Corneille, L’Empire, c’est la paix, stances d’Arsène Houssaye, déclamées par Rachel, tout de blanc vêtue et ceinturée de feuilles de chêne, et Il ne faut jurer de rien de Musset, le buste de Napoléon III, dès 1853, trône sur la cheminée du foyer. Le 15 août 1854, une représentation gratuite est donnée pour la fête de l’empereur. En 1855, c’est la prise de Sébastopol qui inspire à Arsène Houssaye, devenu poète officiel, une nouvelle ode récitée au cours d’une représentation gratuite (Les Demoiselles de Saint-Cyr d’Alexandre Dumas, et Le Médecin malgré lui). L’année suivante, la naissance, puis le baptême du prince impérial, sont prétexte à de nouvelles réjouissances publiques et à la gratuité des représentations. La troupe officielle est régulièrement invitée à Compiègne et à Fontainebleau pour des représentations privées au cours desquelles, constate le comédien Got dans son Journal : « Pour nous, en vérité, l’on nous traite comme des filles [4]. »
C’est dire que l’administrateur général est loin de faire l’unanimité parmi les sociétaires. On lui reproche d’être dépensier, d’aimer le luxe, d’être un peu trop mondain…
À sa décharge, il se défend d’être perméable aux pressions diverses dont il est l’objet de la part des autorités, que ce soit dans le domaine du répertoire (auteurs protégés dont il refuse la lecture), de l’engagement des comédiens (et surtout des comédiennes…), et même de la servilité à l’égard de l’empereur, refusant catégoriquement de porter les flambeaux devant lui lors de ses visites à la Comédie-Française.
La consultation de la correspondance d’Arsène Houssaye conservée dans les archives de la Comédie-Française (AR ad 14) montre le caractère très directif et exigeant des lettres émanant des autorités, qu’il s’agisse de Romieu, directeur des Beaux-Arts, d’Achille Fould, ministre d’État ou même de Camille Doucet, du bureau des Théâtres.
Houssaye tente aussi de réformer le Comité de lecture, dont les choix rétrogrades l’insupportent [5], mais la tentative d’adjoindre aux comédiens des personnalités du monde littéraire échoue et, au bout d’à peine une année, le Comité de lecture redevient l’apanage des seuls comédiens [6]…
La censure étant rétablie et se montrant de plus en plus pointilleuse, Arsène Houssaye est obligé de jouer très finement pour faire accepter certains de ses choix, et notamment la représentation des comédies d’Alfred de Musset. Le cahier des charges accumule les mesures drastiques : retour au monopole des genres défini par les décrets napoléoniens, allégeance unique de la troupe au Théâtre Impérial et obligation de demander pour tout et pour rien l’autorisation des autorités.
Passons donc au domaine artistique proprement dit, en commençant par le répertoire. À sa nomination, on jouait, selon ses propres mots « un répertoire démodé du vaudeville sans couplets dont Scribe fut le grand maître avec beaucoup de talent et surtout avec beaucoup de malice.[…] Le répertoire ancien [était] joué sans foi ni feu dans le silence glacial d’une salle vide. […] » Parmi les pièces reçues par le Comité de lecture à son arrivée, Houssaye trouvait trois tragédies de Viennet, une comédie d’Empis, une du sociétaire Samson, un drame du sociétaire Beauvallet, et toute une série de sollicitations de Scribe et de Mazères…
« On s’ennuyait au Théâtre-Français hormis les grands jours où Mlle Rachel ressuscitait la tragédie. »
Le succès même de Rachel pose problème, par le déséquilibre qu’il introduit dans les recettes du théâtre. Absente pendant de longues périodes où elle va faire de l’argent en province ou à l’étranger, elle laisse la place à ce répertoire désuet dont Houssaye ne veut plus, malgré l’excellence de la troupe. Il va donc faire en sorte qu’elle joue enfin les auteurs contemporains, et même si certaines des œuvres choisies sont décevantes sur le plan littéraire, il aura eu le mérite de lui faire jouer Hugo, Dumas, « et les autres », dit-il avec pudeur (Augier, Scribe, Ponsard et Mme de Girardin). Pour ramener le public aux représentations du répertoire classique, il renouvelle les décorations et les costumes, fait travailler de jeunes décorateurs. Nolau et Rubé succèdent au vieux Cicéri, Rubé s’associe à Chaperon. Les esquisses de décors fourmillent de détails, tout doit être « joli », « bien fait ». Le temps est venu du décor anecdotique, et celui des multiples décorations, réalisées par divers ateliers.
Le répertoire va changer au cours du Second Empire et présenter de plus en plus à un public satisfait de sa réussite sociale une image à peine déformée d’une société mue par l’argent, l’ambition, l’affairisme ; et les peintres décorateurs – en dehors de quelques grandes fresques historiques qui leur permettent de déployer des trésors d’imagination – rivalisent d’invention dans la réalisation de salons cossus.
Renouveau encore, Arsène Houssaye rétablit à la Comédie-Française un orchestre permanent (qui avait disparu des cadres à la Révolution), dont il confie la direction à un jeune musicien d’avenir nommé Jacques Offenbach. Il en profite pour donner à la musique contemporaine une place plus importante. Offenbach, Gounod, Meyerbeer sont sollicités.
La censure, rétablie et renforcée par des mesures exigeant, pour les premières représentations, la présence de commissaires de police chargés d’en faire un compte rendu, rend la tâche de l’administrateur de plus en plus difficile. Des œuvres sont proscrites, corrigées, arrêtées, suspendues. Des corrections sont imposées à l’innocente Mademoiselle de La Seiglière [7], de Jules Sandeau, dont le succès va perdurer. La plupart des grandes pièces d’Émile Augier sont soumises à un contrôle strict et à de nombreuses corrections (Diane, Les Lionnes pauvres, Le Fils de Giboyer, Le Joueur de flûte…). Mais c’est surtout les comédies de Musset qui font scandale, et il faut toute l’obstination et toute la diplomatie de Houssaye pour en faire accepter la représentation à laquelle le ministre Baroche et son féal Romieu sont particulièrement opposés. Il réussit à imposer la représentation du Chandelier [8] et des Caprices de Marianne [9]. En revanche, sa tentative de faire jouer Mérimée, Le Carrosse [10], est un pur échec, qui fait hurler déjà les catholiques intégristes. La pièce, sifflée, disparaît très vite de l’affiche.
Une première affaire oppose Houssaye aux autorités politiques, lorsque, dès 1849, ayant demandé à Ponsard d’écrire pour Rachel une Charlotte Corday, il récolte un refus de la capricieuse tragédienne, assorti de l’opposition des membres de l’assemblée, tant conservateurs que républicains, effrayés à l’idée de voir représenter sur scène les personnages de Danton, Marat et Robespierre. Louis-Napoléon, qui ne veut pas se fâcher avec les amis de Ponsard, bien que tenté de faire retirer la pièce, refuse la démission que Houssaye a mise dans la balance [11]. Victor Hugo intervient à son tour, écrivant au ministre cette phrase que tout un chacun devrait méditer :
Selon moi, la pièce ne court que le danger d’être bruyamment applaudie. Les allusions théâtrales n’ont jamais fait de révolution. Si l’on s’en inquiétait trop, il ne faudrait jouer aucun des chefs-d’œuvre consacrés : pas plus Cinna, que Tartuffe, ni que Le Mariage de Figaro.
Avant le coup d’état, Victor Hugo jouit encore d’un prestige inégalé, que renforce encore la belle reprise d’Angelo, avec enfin Rachel dans le rôle de la Tisbé. Il faut ajouter à la décharge d’Arsène Houssaye, souvent accusé de servilité envers Napoléon III, qu’il n’a jamais baissé la garde devant l’empereur quant à la représentation des auteurs exilés, Hugo et Dumas, que l’on a continué à jouer pendant son mandat [12].
À propos d’Alexandre Dumas, un quiproquo littéraire éclaire la grande ignorance du public bourgeois de la Comédie-Française. Houssaye lui avait demandé de lui concocter, pour étoffer une reprise de l’Amour médecin, des entr’actes « à la manière de ». Le public n’a rien compris au second degré et a copieusement sifflé Molière pour du Dumas. Les entr’actes sont donc immédiatement désaffichés, tandis que Rachel, enfin conquise par le répertoire contemporain, s’apprête à jouer Mademoiselle de Belle-Isle (1850), autre grand succès, malgré les interventions de la censure, censure qui, en 1853 s’opposera à la représentation de deux pièces proposées par Dumas, La Jeunesse de Louis XIV et La Jeunesse de Louis XV. Romulus, en revanche, écrite en collaboration avec Paul Bocage et Octave Feuillet, remporte un vrai succès, en 1854 et, dans les années suivantes [13], Houssaye s’écrie : « On finira par proscrire Molière lui-même de la Maison de Molière. » Il remet au répertoire Marivaux, Sedaine, Regnard, Lesage…
Il reste néanmoins prisonnier des auteurs à la mode, ceux de « l’école du bon sens » et est obligé de se plier aux goûts du public… et des comédiens, dont il tente en vain de réformer le Comité de lecture. Grâce aux grands efforts de décoration, grâce aussi à l’interprétation de Rachel, il parvient à obtenir des succès durables avec des pièces des auteurs à la mode. Ainsi Diane d’Émile Augier [14], Lady Tartuffe de Mme de Girardin [15], Adrienne Lecouvreur de Scribe [16].
Mais il n’obtient qu’un succès d’estime avec Ulysse [17], ambitieux projet de Ponsard, tragédie avec chœurs, dont la musique a été confiée à Charles Gounod. Même déception avec l’adaptation théâtrale du Lys dans la vallée de Balzac, par Barrière et Beauplan [18], qui ne dépasse pas les 25 représentations. Ponsard, Augier et Scribe restent en tête des auteurs à succès. Les Contes de la Reine de Navarre, de Scribe [19], profitent des débuts éclatants de la jeune Madeleine Brohan.
Il ne faut pas oublier non plus quelques succès plus surprenants, qu’il faut aussi attribuer à l’excellence de la troupe. Tel le petit acte de Mme de Girardin, La joie fait peur [20], qui doit sa réussite à l’interprétation de Regnier, ou la « charmante bluette » (le mot est de Gautier) qu’est Le Bonhomme Jadis d’Henri Murger [21], impeccablement interprété par Provost, Delaunay et Delphine Fix. Si peu de créations de l’époque ont survécu à leur succès pourtant important (Les Jeunes gens de Léon Laya, Péril en la demeure d’Octave Feuillet, ou Par droit de conquête d’Ernest Legouvé), on ne peut pas reprocher à Arsène Houssaye de ne pas avoir essayé de renouveler le répertoire. La dernière année de son mandat, il donne d’ailleurs au choix des nouveautés une inflexion plutôt littéraire, avec les œuvres d’Octave Feuillet, Edmond About, George Sand et Gérard de Nerval [22].
Arsène Houssaye, dont les goûts artistiques, ne plaisent pas toujours aux sociétaires, renouvelle la décoration de son bureau et se voit obligé de s’en justifier aux yeux du ministre :
On paraît aussi s’inquiéter des folies de mon luxe. Si j’ai une table de Boulle, une pendule Louis XVI, des tapisseries des Gobelins, c’est bien à mes dépens et non aux dépens de la Comédie. On ne peut pas me condamner aux folies de l’acajou, puisque je ne veux plus jouer les pièces à la mode du temps de l’acajou [23].
La volonté purement artistique de Houssaye s’exprime dans sa conception de l’art comédien, qu’il met en parallèle avec celui du peintre : « ils font le même métier, puisqu’ils représentent des actions humaines pour les yeux comme les poètes les représentent pour l’âme », considérant aussi la comédie comme « une peinture parlante [24] ». Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si de nombreux comédiens sont à l’époque aussi des peintres, tels Geffroy, Beauvallet, Mirecour…
Arsène Houssaye est aussi un homme raffiné. Fondateur de L’Artiste, il connaît la valeur des œuvres d’art et s’est vite rendu compte que l’accumulation des œuvres données, léguées, parfois achetées, qui ont rejoint les cimaises des foyers et de la cage d’escaliers de la Comédie-Française, est plus que l’embryon d’une véritable collection muséale. Il veille à la faire considérer comme telle et à donner conscience à la Société des Comédiens-Français de sa responsabilité par rapport à ces collections, que l’État, dès lors que le décret de 1850 lui donne la possibilité de s’ingérer plus ou moins dans ses affaires, lorgne du coin de l’œil et contribue à augmenter par des commandes publiques. Le décret du 15 avril 1850 comprend d’ailleurs un article (25, titre III) prévoyant « un récolement général de tous les objets composant le matériel, le mobilier, les collections de tableaux et de sculptures, les archives et la Bibliothèque du théâtre. » Malheureusement, je n’ai trouvé trace ni dans les archives de la Comédie-Française ni aux Archives nationales, de ce récolement qui devait être réalisé avec l’aide de Théodore Lassabathie, chef du Bureau des Théâtres au ministère de l’Intérieur.
Arsène Houssaye intervient personnellement dans des achats importants, et encourage la création picturale autour du Théâtre-Français. Il achète pour orner les murs de son cabinet, et pour une bouchée de pain, les magnifiques tapisseries de Flandre, qui s’y trouvent encore en partie. C’est encore Arsène Houssaye qui acquiert pour la Société les portraits des auteurs Duval, Picard et Pigault-Lebrun par Boilly, et quelques portraits d’acteurs de la génération précédente, comme Michot ou Armand. Les autorités comblent par des commandes d’État les absences d’acteurs historiques de la troupe : portraits de Mme Préville, de Grandval, de Bonneval, buste d’Adrienne Lecouvreur… L’empereur lui-même offre à « sa » troupe le tableau emblématique réalisé par le sociétaire Edmond Geffroy, toujours vigilant à laisser des traces de ses camarades, intitulé « Molière et les caractère de ses comédies », et le fait somptueusement encadrer en y laissant sa marque. C’est en 1856 qu’est achetée une des pièces maîtresses des Collections, le tableau de Delacroix représentant Talma dans le rôle de Néron, dans Britannicus. La statue de Rachel, réalisée par Clésinger, exposée au salon de 1851, prend place au foyer. Désormais, les Comédiens-Français ne peuvent plus traiter avec légèreté ce Musée vivant qu’ils ont constamment sous les yeux. Il faut cependant souligner que jamais, au XIXe siècle, dans les archives du ministère de l’Intérieur, section des Beaux-Arts, la Comédie-Française n’est mentionnée avec le statut de Musée, malgré la demande qui en est faite par Arsène Houssaye, dans une lettre datée de septembre 1852, à Romieu, directeur des Beaux-Arts [25].
Entre-temps, Arsène Houssaye, accablé par les attaques personnelles et par la perte de sa femme, démissionne et laisse la place au baron Empis, dont Charles Monselet écrit :
Son principal mérite était d’avoir collaboré avec M. Mazères. Il est vrai que le principal mérite de M. Mazères était d’avoir collaboré avec M. Empis. Son horizon était borné au nord par Alexandre Duval, au sud par Picard, à l’est par Fulgence et à l’ouest par Wafflard. Scribe était déjà trop avance pour lui.
Empis remplacera la table Boulle du cabinet de l’administrateur par l’ancien bureau d’acajou, et sera plus enclin à reprendre les comédies d’Alexandre Duval et de Louis-Benoît Picard que les succès des auteurs romantiques.
Et tandis que Jules Janin se félicite de voir Arsène Houssaye revenu aux arts, « sa vraie patrie » et aux lettres, « sa vraie passion », Théodore de Banville, dans un long article consacré à La Comédie-Française en 1855, fait le bilan de son mandat, en terme plus qu’élogieux et parfois peut-être contestables :
En 1855, la Comédie-Française a élevé ses recettes à près d’un million en jouant tous les auteurs aimés, de Corneille à Hugo, de Molière à Alfred de Musset, de Regnard à Alexandre Dumas, de Marivaux à Mme de Girardin. On a payé des dettes qui remontaient au droit des auteurs, qui était, il y a dix ans, de trente mille francs, s’est élevé à cent mille francs, sans parler du droit des pauvres, qui a été aussi de cent mille francs. Voilà de l’argent bien placé. Voilà l’éloquence des chiffres ? J’ai vu à la Comédie-Française ces époques légendaires dont le simple récit aurait l’air d’un conte d’Hoffmann ou de Henri Heine. La salle, décorée par un peintre fossile, s’en allait en miettes ; autour des loges ou des galeries une poussière grise et subtile, la poussière de l’ennui et du désespoir, voltigeait dans l’air et dans les rayons. Sur la scène, devant un décor indescriptible, un comédien, vêtu de la redingote jaune à brandebourgs noirs, récitait, à un public absent des vers qui n’étaient plus de Racine, ni de Corneille, ni de personne, puisqu’il y manquait cet élément à peu près indispensable, à la vie. On disait alors : « Je vais à la Comédie-Française », comme on dit : « Je vais à Tombouctou », ou « Je vais mourir ». Un jeune directeur est venu : tout a changé. La lumière vive baigne les galeries à camaïeux d’or sur lesquelles se penchent des auditeurs avides. Les spectacles nouveaux et les spectacles classiques assemblent un monde charmé, et, dans la voix de l’acteur, devenue sympathique depuis qu’elle est entendue et comprise, il écoute directement le poète et lui répond par l’enthousiasme. Je jette les yeux sur la carrière fournie par la Comédie-Française pendant la direction de M. Arsène Houssaye, et je vois que cette grande institution n’a jamais poursuivi avec plus de bonheur sa destinée glorieuse. Non seulement il y a foule tous les jours à la Comédie, et Molière est toujours de la fête. Pour moi, c’est tout, car on peut tout faire avec un public qui écoute Molière, et, quand Molière n’est pas malade, la poésie se porte bien. »