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Barbara DIMOPOULOU

Université d’Aix-Marseille, CIELAM – EA 4235

Auguste Sautelet, premier éditeur de Mérimée, et le Théâtre de Clara Gazul (1825) dans son contexte éditorial


Texte complet


« Chemin de fer »

Selon quelle logique le Théâtre de Clara Gazul, première œuvre publiée par Mérimée, s’est-il inséré dans le catalogue du libraire-éditeur Philibert-Auguste Sautelet et de son associé Nicolas-Jean-Baptiste-Alexandre Paulin ? Telle sera ici notre interrogation, qui portera également sur les dynamiques et les enjeux intellectuels et sociopolitiques au moment de la publication de l’œuvre, déterminants pour sa circulation. Il nous faut suivre en quelque sorte, en le rebroussant, le chemin fait par l’éditeur depuis la découverte du « manuscrit » jusqu’à la mise en vente et l’accompagnement du livre sur le marché de la librairie. Cette étude se situe donc à l’intersection de deux champs disciplinaires : l’histoire de l’édition (en explorant celle de l’éditeur) et une étude de réception du Théâtre de Clara Gazul (à travers celle de la production globale de son éditeur). On ne s’interdira pas, par moments, un pas de côté pour intégrer certaines remarques relevant d’un troisième champ, celui de la bibliographie matérielle définie par McKenzie [1].

Du point de vue de l’histoire littéraire, l’intérêt de cette investigation s’impose de lui-même, étant donné qu’en cette année 1825, les deux jeunes intellectuels, Mérimée et Sautelet, son aîné de trois ans, futurs familiers du « grenier Delécluze », aussi inexpérimenté l’un que l’autre, s’engagent dans une aventure commune, celle du livre [2]. L’annonce de la parution de l’ouvrage dans Le Globe (21 mai 1825) rapproche ainsi les deux collaborateurs : « Le libraire Sautelet ne pouvait mieux débuter que par cette publication, qui, nous l’espérons dans l’intérêt de l’art et de la liberté dramatique, sera heureuse. » Première publication donc pour Mérimée, jeune auteur mal dissimulé sous le masque de la comédienne Clara Gazul, nom lui-même emprunté au Maure Gazul, héros du Romancero. Je ne m’attarderai pas sur la valeur provocatrice de ce pseudonyme féminin, qui fait office à la fois de titre et de signature. Il est la mantille transparente du jeune écrivain qui finira ses jours académicien sans même que son éditeur ne l’ait imaginé.

L’éditeur

Sautelet, éditeur de fraîche date donc, inclut parmi les premières publications de son catalogue de fonds – au sens de production de titres d’ouvrages et non de document publicitaire imprimé – ce recueil de pièces quelque peu inattendu dans un ensemble constitué essentiellement de ce que nous appelons aujourd’hui les « sciences humaines et sociales ». La personnalité et le parcours de l’éditeur ne sont pas sans intérêt pour notre propos. Sautelet succède le 22 mars 1825 au célèbre auteur du Manuel du libraire et de l’amateur de livres, Jacques-Charles Brunet qui, par parenthèse, n’exerça jamais réellement un autre métier que celui de bibliographe. L’acte d’association avec Paulin est signé à Paris le 20 avril 1825.

Marque d’éditeur où l’on distingue les initiales des noms des deux associés.
(Source : page de titre de l’ouvrage anonyme Lettres d’une belle-mère à son gendre sur quelques sujets d’histoire et de politique, Paris, A. Sautelet et Cie, 1829, 386 p.).

Camarade d’Albert Stapfer et de Jean-Jacques Ampère au collège Bourbon, élève de Jouffroy, Sautelet fut le condisciple de Mérimée et de Balzac au lycée Henri IV, avant de suivre les cours de Cousin à la Faculté des Lettres. Son destin tragique, immédiatement porté à la connaissance de ses contemporains grâce à l’article « Une mort volontaire [3] » de son ami Armand Carrel, est également bien connu aujourd’hui du lecteur des éditions critiques de l’œuvre de Mérimée dotées de notices biographiques (plus ou moins précises). C’est dans le chapitre IV : « Le Globe et les libraires » (p. 269-282) de l’ouvrage de Jean-Jacques Goblot, intitulé Le Globe, 1824-1830. Documents pour servir à l’histoire de la presse littéraire [4], que l’on trouve les informations les plus complètes concernant Sautelet. J’en relève les plus intéressantes pour mon propos en y ajoutant des notes explicatives. Elles permettent de révéler l’orientation des activités et de la politique éditoriale de ce libraire-éditeur en rapport avec les mouvements intellectuels et idéologiques de son époque, marquée par la censure et les luttes pour la liberté d’expression, menées de façon emblématique par le groupe de jeunes libéraux regroupés autour du Globe.

Sautelet assurait justement la fonction de libraire du journal. Je cite Goblot pour la définition de cette fonction informelle, ainsi que pour les rapports étroits entre Sautelet et le Globe de la première période. Elle coïncide, en effet, avec celle de l’activité de la maison Sautelet et Cie située place de la Bourse, puis à compter du 12 juillet 1828 [5], au 14 rue de Richelieu :

[…] il s’agit du libraire chez lequel les lecteurs pourront se procurer la plupart des ouvrages dont il est question dans les colonnes du Globe. C’est donc un libraire qui s’approvisionne régulièrement en nouveautés et qui consacre une large part de ses activités à la vente au détail, même s’il est en même temps un libraire-éditeur. Ainsi, bien que l’appellation n’apparaisse qu’en 1828, il y a un « libraire du journal » dès 1825 : pour les littératures étrangères, Bossange paraît déjà prêt à assumer ce rôle, qui est ensuite attribué à Johanneau, puis à Sautelet, puis de nouveau à Johanneau. […] En 1821, il [Sautelet] entra dans la Charbonnerie, et fut l’un des membres de la vente à laquelle appartenaient Augustin Thierry, Dubois, Leroux, Jouffroy, Bertrand. […] Sa librairie ne tarda pas à devenir un lieu de réunion que les Globistes fréquentaient souvent, mais où l’on rencontrait surtout des jeunes gens fidèles au souvenir du carbonarisme et aux opinions républicaines, tels que Carrel, Ary Scheffer, Albert Stapfer. Sautelet était également l’ami d’Olinde Rodrigues, et c’est probablement par lui qu’il entra en contact avec les premiers disciples de Saint-Simon : il prit part à la fondation du Producteur, et fut l’un de ses actionnaires, ce qui ne l’empêcha pas d’éditer le pamphlet de Stendhal [6] contre les « industriels ». En août 1827, lors de la fondation de la société Aide-toi, le ciel t’aidera [7], c’est lui, avec son ami Paulin, qui introduisit au sein de cette société le groupe des Francs-parleurs, représentants résolus de l’opposition républicaine [8].

Par ailleurs, Goblot s’appuie sur le témoignage de Rémusat pour affirmer que Sautelet était féru de littérature : « [I]l voulait faire servir sa librairie encore plus aux lettres qu’à la politique [9]. » Sautelet devient actionnaire du Globe en mai 1826, moment où il remplace Alexandre Johanneau dans le rôle de libraire du journal. Selon l’hypothèse de Goblot,

il possédait un fonds de détail assez considérable, malgré l’importance de ses activités d’éditeur. En juillet 1828, il céda son magasin de détail à Alexandre Mesnier, et se consacra dès lors uniquement à l’édition : aussi bien avait-il déjà cessé d’être le libraire du journal. Il est probable qu’il connaissait dès cette époque les difficultés financières qui devaient l’acculer au suicide deux ans plus tard. Des divergences d’opinions politiques et littéraires contribuèrent peut-être aussi à éloigner Sautelet des Globistes : comme Armand Carrel, comme beaucoup d’autres jeunes républicains, il était bien plus hostile à la poésie romantique qu’on ne l’était au Globe [10]. À la fin de 1829, il créa son propre journal, la Gazette littéraire ; et peu de temps après, il prit une part active à la fondation du National, dont il fut le gérant [11].

On trouve dans ces extraits, les principaux jalons du parcours de Sautelet éditeur. D’aucuns prétendent que dans une vie antérieure, il était lié au milieu de la banque [12].

Au sujet du National [13], ultime étape de sa carrière, je convoque aussi deux témoignages que j’éclairerai par des éléments d’archive. Le premier, parmi les moins cités, est celui de Chateaubriand dans les Mémoires d’outre-tombe :

Un journal, composé dans le but avoué de renverser l’ancienne dynastie, vint échauffer les esprits. Le jeune et beau libraire Sautelet, poursuivi de la manie du suicide, avait eu plusieurs fois l’envie de rendre sa mort utile à son parti par quelque coup d’éclat ; il était chargé du matériel de la feuille républicaine : MM. Thiers, Mignet et Carrel en étaient les rédacteurs [14]. Le patron du National, M. le prince de Talleyrand, n’apportait pas un sou à la caisse ; il souillait seulement l’esprit du journal en versant au fonds commun son contingent de trahison et de pourriture [15].

On sait à quelles mésaventures cette responsabilité de gérant du journal a conduit Sautelet. En même temps que Dubois, directeur du Globe, et pour des raisons équivalentes [16], Sautelet a été jugé le 10 mars 1830 et condamné à trois mois de prison et mille francs d’amende pour avoir excité « à la haine et au mépris du gouvernement du roi ». Cet événement survenu deux mois après le lancement du journal (3 janvier), précède de deux mois le suicide de Sautelet (13 mai). D’ailleurs, comme il apparaît dans l’inventaire après décès, établi le 27 mai 1830 [17], Sautelet, s’est donné la mort « dans une pièce au premier étage au fond de l’appartement occupé par l’administration du journal du National, ladite pièce éclairée par une croisée donnant sur la rue Favart ». La même pièce d’archive fait état du contenu des documents présentés par Paulin au notaire qui établit l’inventaire. On y lit également :

Une pièce qui est l’expédition délivrée […], d’un acte sous seing privé, daté de Paris le vingt-huit décembre mil huit cent vingt-neuf, enregistré, déposé pour minute […], suivant acte passé […], le 29 du mois de décembre aussi enregistré, contenant les statuts de la société en commandite formée pour l’établissement, la publication & l’exploitation du journal intitulé Le National a résulté de cet acte que :
M. Sautelet était seul associé gérant & responsable & tous les autres associés ne sont que commanditaires seulement ;
La durée de la société a été fixée à cinquante années qui ont commencé à courir du premier janvier mil huit cent trente.
La propriété du journal a été divisée en douze actions dites payantes et en sept demi-actions dites gratuites.
Le capital nominal de chaque action payante a été fixé à vingt mille francs.
Elles ont été à l’instant réparties entre les associés ou mandataires signataires du dit acte et M. Paulin a souscrit pour une action ou vingt mille francs.
Les douze actions payantes ou les dix-sept demi-actions gratuites représentent la propriété du journal.
Il a été attribué à Auguste Sautelet comme ayant contribué à la fondation du journal & comme occupant la fonction d’associé gérant, trois des demi-actions gratuites dont est ci-dessus parlé […].

Deuxième témoignage : une lettre, assez connue, d’Albert Stapfer à Jean-Jacques Ampère (4 juin 1830), qui renseigne sur la personnalité de Sautelet et sur les raisons qui l’ont conduit à la mort, certaines de ces raisons pouvant être nuancées :

Le peu de secours qu’il avait trouvé dans sa famille, lui fit entreprendre la librairie avec l’argent d’autrui, ce qui rendait nécessaire de sa part une économie dont il ne fut jamais capable [18]. […] Le temps était venu où il ne pouvait plus rien dissimuler à Paulin. Il n’a pas eu la force de lui faire cet aveu de son vivant. Ajoutez à cela l’horrible chagrin où l’avait plongé la conduite de Mme B[runet] à son égard, la perspective d’une détention qui devait lui ôter tout moyen de s’occuper de ses affaires personnelles. Que sais-je encore ? Peut-être des motifs plus secondaires, des misères, des riens. Quand la coupe est remplie, une goutte d’eau la fait déborder. Comment se fait-il, dites-vous, que nous n’ayons rien deviné ? Ah ! mon cher ami, son air de franchise le servait si merveilleusement, lorsqu’il voulait cacher ce qu’il éprouvait. Vingt fois Paulin, se doutant de l’état de ses affaires, s’était jeté à ses genoux pour obtenir un aveu, et toujours Sautelet, à force de paraître calme, avait fini par le tranquilliser [19].

Paulin, remarquable par sa discrétion, qualifié par Stendhal d’« honnête, patriote et borné [20] », a permis au journal de perdurer en prenant la dette à sa charge. L’inventaire après décès rapporte à ce sujet :

Enfin, que la continuation de la gestion sociale, à laquelle le S. Paulin a droit exclusivement, et le recouvrement du dit cautionnement, comprenant la presque totalité des opérations préliminaires de la succession de M. Sautelet, décédé célibataire, sans ménage et domicilié dans le local de la société, où M. Paulin a lui-même son domicile. – Dans ces circonstances, le comparant croit faire une chose convenable et même économique en offrant aux héritiers, dont la plupart habitent des lieux éloignés de celui de l’ouverture de la succession, de se charger en même temps de la gestion & administration de la succession de son associé, sauf à en rendre compte à qui de droit. Requérant même expressément que les autorisations nécessaires lui soient conférées à cet égard, comme ayant intérêt en qualité de créancier de M. Sautelet, tant personnellement que du chef des créanciers de la société, à faciliter & accélérer les opérations de la succession du débiteur.

Autant d’éléments montrant que le suicide de Sautelet n’est pas sans lien avec ses activités éditoriales. Revenons désormais sur le réseau des auteurs présents, d’une façon ou d’une autre, dans les colonnes du Globe et publiés par Sautelet. Comme le signale Goblot, le journal priait (3 mars 1827, t. IV, no 87) les libraires de lui adresser des ouvrages pour recension « sans aucune recommandation ni article de commerce [21] ». Malgré cette déclaration d’impartialité digne d’une profession de foi, le catalogue Sautelet semble y avoir bénéficié d’un accueil souvent favorable. Goblot affirme qu’il lui paraît

certain que les liens du journal avec quelques libraires, particulièrement Sautelet et Mesnier, ont influé sur sa rédaction. Certes, si tant de place est donnée aux Fragments philosophiques de Cousin, c’est d’abord parce que les rédacteurs du Globe sont de proches amis de l’auteur, et que pour l’essentiel ils approuvent sa philosophie : qu’en outre l’éditeur du livre soit un des actionnaires du journal, ce n’est, au mieux, qu’une raison de plus. Mais les Globistes auraient-ils consacré un compte rendu au Nain politique de Madame de Choiseul-Gouffier (t. V, no 64, 30 août 1827) ou à un roman intitulé Les Trois sœurs [22] (t. VI, no 53, 26 avril 1828) si ces ouvrages n’avaient pas été édités par Sautelet ? Il est vrai qu’ils étaient capables, à l’occasion, de juger sans complaisance les livres qu’éditait leur ami […]. Beaucoup d’auteurs quémandaient au Globe une simple annonce, et ne l’obtenaient pas : être édité chez Sautelet ou chez Mesnier était sans doute avoir une chance sérieuse d’échapper à ce sort [23].

Goblot identifie, à partir des initiales de leur signature, quatre-vingt-dix rédacteurs du Globe. Parmi ces rédacteurs, au moins vingt-huit, d’après mes observations, sont des auteurs du catalogue Sautelet. J’inclus à cette somme de rédacteurs Mérimée lui-même, bien que l’étude de René Andioc récemment achevée et publiée par Jean Canavaggio, Peter W. Cogman et Antonia Fonyi concernant les articles sur le théâtre espagnol, infirme cette remarque [24].

Le catalogue Sautelet dans son contexte éditorial

Malgré la richesse des ressources dont nous disposons actuellement et les outils performants pour leur exploitation, il semble impossible et peut-être inutile d’établir la liste exhaustive des auteurs et des titres du catalogue d’un éditeur de la période qui nous intéresse ici. Il n’existe aucune garantie d’exhaustivité dans le Catalogue collectif de France, le Catalogue général de la BNF et la Bibliographie de la France, ou Journal général de l’Imprimerie et de la Librairie, puisque telle n’est pas leur vocation. En outre, les incohérences de catalogage compliquent sérieusement le repérage des titres. Le recoupement de ces bases permet néanmoins, sans grand risque d’abus, de se former une idée assez précise de la production de l’éditeur étudié et de situer sa production dans son contexte socio-économique. Nous avons la chance, concernant l’année 1825, de pouvoir nous appuyer sur l’étude de Paule Salvan, « Un moment de la diffusion du livre : livres et lecteurs en 1825 », dans Humanisme actif. Mélanges d’art et de littérature offerts à Julien Cain [25]. Elle s’appuie, elle-même, sur les statistiques établies par le comte Daru [26] et en tire des conclusions significatives que je cite :

[…] de 1815 à 1825, le nombre d’ouvrages de théologie est passé de 303 à 774, le nombre des feuilles tirées ayant presque triplé. On enregistre une forte hausse des ouvrages de législation (81 à 614) […]. Progrès remarquable pour les sciences : de 262 à 798 ouvrages […]. La production a doublé pour l’économie politique (137 à 264) et quadruplé pour les beaux-arts (62 à 266). Pour l’histoire, peu de progrès si l’on envisage le nombre d’ouvrages (1 263 à 1 324) mais le nombre de feuilles tirées est passé de 25 410 504 à 39 457 957. On compte plus du double d’ouvrages de belles-lettres (1 014 à 2 687) avec près du triple de feuilles. Pour la philosophie, la production est passée de 125 ouvrages à 331 […].

Les tirages moyens sont également calculés : « environ 2 000 pour la théologie, la législation et l’histoire, 1 200 pour les sciences, 1 000 pour la philosophie, 1 350 pour les belles-lettres ». Les invendus représentent seulement le cinquième des feuilles imprimées. Les statistiques sont donc réconfortantes et la librairie se porte bien : « En principe, le nombre des libraires n’est pas limité comme celui des imprimeurs, mais l’obligation du brevet qui peut être supprimé en cas de délit en restreint pratiquement le nombre. […] il existe, à Paris en 1825, 480 libraires et 84 bouquinistes. » Le moment du lancement de l’affaire Sautelet-Paulin, n’est donc pas mal choisi et son catalogue semble bien s’intégrer dans le paysage éditorial de son temps.

Pour l’année 1828, à partir de laquelle Sautelet commençait à connaître ses premières difficultés financières, nous disposons de statistiques, peut-être moins fiables, bien qu’elles soient données par Philarète Chasles, auteur polygraphe et publiciste renommé, dans son article « Statistique littéraire et intellectuelle de la France, pendant l’année 1828 [27] ». Cette longue étude, qui se veut d’ailleurs plus qualitative que quantitative, vaut davantage pour ses appréciations qui permettent d’esquisser le paysage éditorial de l’année. Commençons, tout de même, par regarder les chiffres. Concernant les douze premiers secteurs éditoriaux [28], nous avons : Histoire, 736 ouvrages ; Matières religieuses, 708 ; Poésie, 463 ; Drame, 308 ; Journaux, 286 ; Jurisprudence, 267 ; Romans, 267 ; Politique et administration, 264 ; Éducation, 260 ; Rapports, Travaux de sociétés savantes…, 233 ; Médecine et Pharmacie, 220 ; Littérature, Rhétorique, Critique, 214. Le rédacteur commente ainsi ces résultats :

Si dans chacune de ces divisions, on recherche et compte les ouvrages dignes de remarque, soit par les idées nouvelles qu’ils ont émises, soit par leur utilité, leur originalité, leur succès, ou même (si ce sont des réimpressions) pour la beauté, le soin et la correction de l’exécution matérielle, le tableau précédent changera de face. On trouvera que plusieurs des classes les plus riches en apparence, sont les plus pauvres en réalité.

Par exemple, selon Chasles, la poésie offre seulement 32 ouvrages dignes d’attention ; pour l’histoire, genre dominant, seuls 127 ouvrages « offrent des documents nouveaux, une utilité réelle, et éclair[e]nt les antiquités de la France, son histoire récente, ou celle des autres pays du monde » ; pour le roman, 34 ouvrages remarquables, « y comprises les réimpressions et traductions de bons ouvrages étrangers » ; pour le drame, 25 ouvrages remarquables. Parmi les rares noms d’auteurs cités pour la qualité de leurs œuvres, on trouve certains auteurs du catalogue de Sautelet dont nous donnerons bientôt un aperçu. Par exemple Constant, Rey et Boekh dans le sous-secteur de « politique générale » ; en philosophie, Cousin, Damiron et les auteurs traduits Th. Reid et Dugald Stewart ; en morale, Guizot ; en éducation, Mme Necker de Saussure ; en histoire littéraire, Villemain et Sainte-Beuve ; en histoire, Auguste et Amédée Thierry, Thiers et Hallam.

Dans le Catalogue général de la Bibliothèque nationale de France, si l’on élimine les doublons, on recense environ 150 titres édités par Sautelet, seul ou en coédition. Les principaux éditeurs avec qui il collabore sont Dupont, Roret, Verdière, Mame, Gosselin, Furne. Son imprimeur de prédilection est Henri Fournier. Le frère de celui-ci, Jean-Hippolyte Fournier, libraire, dit H. Fournier jeune, reprendra plus tard, en tant qu’éditeur, une partie du catalogue Sautelet et deviendra ainsi l’éditeur de Mérimée pour la troisième édition du Théâtre de Clara Gazul (1830), augmentée de « L’Occasion » et du « Carrosse du Saint-Sacrement » [29]. Depuis l’étude de Nicole Felkay, Balzac et ses éditeurs 1822-1837. Essai sur la librairie romantique [30], on connaît les rapports entre les frères Fournier et Balzac qui fut l’imprimeur de La Jaquerie. Un coup d’œil rapide sur les titres présents dans le Catalogue général de la BNF et dans les catalogues imprimés du fonds conservé sous la cote Q 10 à la BNF [31] suffit pour nous rendre compte que l’écrasante majorité des auteurs édités par Sautelet sont des contemporains. Hormis Mérimée et Stendhal, voici en guise d’exemples, les noms d’autres auteurs parmi les plus illustres, accompagnés du titre de l’ouvrage généralement le plus valorisé par l’éditeur, puisqu’on le retrouve souvent dans ses brochures publicitaires : de Barante (Histoire des ducs de Bourgogne), Bertrand (Lettres sur les Révolutions du Globe), Brillat-Savarin (Physiologie du goût), Carrel (Histoire de la Contre-Révolution en Angleterre sous Charles II et Jacques II), Comte (Histoire de la Garde Nationale de Paris, Depuis l’époque de sa fondation jusqu’à l’ordonnance du 29 avril 1827), Coquerel (Essai sur l’histoire générale du Christianisme), Courier (Œuvres complètes avec beaucoup d’inédits), Cousin (Fragments philosophiques), Duchatel (De la Charité dans ses rapports avec l’état moral et le bien-être des classes inférieures de la société), Dunoyer (L’Industrie et la Morale, considérées dans leurs rapports avec la liberté), Duvergier de Hauranne (Lettres sur les élections anglaises et sur la situation de l’Irlande), Fétis (La Musique mise à la portée de tout le monde), Fournier (Traité de la Typographie), Guizot (traducteur de Histoire constitutionnelle d’Angleterre, depuis l’avènement de Henri VII jusqu’à la mort de George II, par M. H. Hallam), Jouffroy (traducteur des Esquisses de philosophie morale de Dugald Stewart), Leclercq (Proverbes dramatiques), Lerminier (Introduction générale à l’Histoire du droit), Necker de Saussure (De l’Éducation progressive), Sainte-Beuve (Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au seizième siècle), Salvandy (Histoire de la Pologne avant et sous le roi Jean Sobieski), Thiers (Histoire de la Révolution française), Villemain (Lascaris, ou les Grecs du quinzième siècle), Vitet (Les Barricades, scènes historiques)… Pour des raisons commerciales, Sautelet inclut aussi Mme Rémusat et Mme Guizot dans son catalogue. À travers ces exemples, on voit que la production de Sautelet se situe résolument du côté des modernes et suit même souvent la pente de l’actualité la plus immédiate. Avoir autant été mêlé que l’a été Sautelet au monde des journaux de l’opposition a évidemment orienté la conception de son catalogue. C’est encore plus flagrant pour certains titres compromettants parus anonymement : Procès de la relation historique des obsèques de M. Manuel (19-28 septembre) (1827) ou Couronne funèbre du Général Foy (1825), ce dernier avec un « Avertissement des éditeurs » que je cite intégralement :

Le plus bel éloge de l’homme guerrier, citoyen et orateur, dont la France entière déplore aujourd’hui la perte, c’est bien certainement le concert unanime de larmes et de regrets que font entendre les hommes de tous les partis. Nous n’avons pas voulu que les traces d’un exemple aussi nouveau fussent perdues ; nous désirons au contraire en perpétuer le souvenir. Tel est le motif qui nous a suggéré l’idée heureuse de recueillir tout ce qui a été et sera dit sur l’illustre défenseur des libertés publiques. Nous puiserons indistinctement dans les journaux, organes de toutes les opinions ; et cet ouvrage, modèle de franchise et de vérité, sera un nouvel hommage à la mémoire d’un homme qui n’a jamais failli.

Cette partie du péritexte éditorial, sorte de tribune réservée, est pleinement investie par l’éditeur, instance commerciale mais non seulement, puisqu’il assume clairement ici son rôle d’intellectuel engagé.

Sautelet ne néglige pas pour autant les classiques, qui semblent gagner généralement les suffrages du public. Trouvent ainsi une place dans son catalogue (souvent en coédition) les Voltaire, Rousseau, Diderot, Corneille, Racine, La Fontaine dont les œuvres complètes, en belles éditions, sont proposées aux lecteurs en nombreuses livraisons (j’y reviendrai). Une remarque s’impose ici concernant ces auteurs établis dans les goûts des lecteurs de la Restauration : bien qu’ils appartinssent à une époque antérieure, ils n’étaient pas pour autant des auteurs neutres du point de vue des mœurs politiques. Paule Salvan attire notre attention sur l’accueil que la presse a réservé à ces nombreuses éditions. Le Mémorial catholique (I, 3 mai 1825, p. 261-299) en semble indigné :

On se demandera peut-être où et comment ont pu s’écouler… tant d’éditions qui présentent une masse si effrayante de volumes impies ? […] On est forcé d’admirer encore l’art avec lequel les nombreuses impressions de Voltaire ont été calculées pour toutes les fortunes, pour tous les goûts… Nous avons… des Voltaire compacts, des Voltaires Elzeviers, des Voltaire de la grande et de la petite propriété, le Voltaire des chaumières…

Elle rapporte aussi la riposte du Constitutionnel : « Depuis que des missionnaires imprudents ont fait livrer aux flammes quelques exemplaires de Rousseau et de Voltaire, les éditions… se sont multipliées et ont été épuisées avant même d’être complètes [32]… » Si l’on se fie à la Bibliographie de la France (23 avril 1825, no 17), Sautelet fait son entrée en lice par la publication d’un auteur dramatique : Molière. La publication de ses œuvres complètes va s’étaler sur deux ans et la première déclaration de la série se fait sous le numéro 2221 :

Œuvres complètes de Molière. Édition revue sur les textes originaux, et précédée de la vie de Molière par Voltaire, et de son éloge par Chamfort (Prospectus). In-8o de ¼ de feuille. Imp. De Fournier, à Paris. – À Paris, chez Sautelet, chez A. Dupont, chez Verdière. L’édition formera un seul volume in-8o, qui paraîtra en cinq livraisons. La première est promise pour le 1er mai ; les autres de vingt en vingt jours. Les souscripteurs, avant le 15 mai, paieront chaque livraison 3–0. Plus tard 3–50.

Le Théâtre de Clara Gazul dans le catalogue de Sautelet

À côté des classiques, Mérimée, auteur débutant, côtoie donc dans le catalogue de son éditeur, tous ces auteurs ainsi que Béranger, Walter Scott, Chateaubriand, qui font partie des best-sellers de la période 1826-1830 [33]. La Bibliographie de la France, no 23 (4 juin 1825) annonce le volume sous le no 3077 :

THÉÂTRE de Clara Gazul, comédienne espagnole. In-8o de 22 feuilles ¼ de Imprim. De Fournier, à Paris. – À Paris, chez Sautelet. Prix 6–0
La Notice de Clara Gazul est signée : Joseph L’Estrange.

Ce descriptif codé correspond effectivement aux caractéristiques matérielles de l’ouvrage fini : 22 cahiers, 340 pages ; les dimensions pour cet in-8o sont 13,5  20,5 cm. Ajoutons que la couverture est d’une couleur vert pâle et que sur sa 4e page, est présenté un extrait du catalogue naissant sous la forme suivante :

SOUSCRIPTIONS

__________

ŒUVRES COMPLÈTES DE VOLTAIRE, 2 vol. in-8o imprimés sur papier coquille vélin superfin satiné. Cette édition est publiée en 60 livraisons, de 2 fr. 50 c. chacune, qui paraissent de 15 en 15 jours. La première a été mise en vente le 15 Mars.
ŒUVRES COMPLÈTES DE J.-J. ROUSSEAU, 1 vol. in-8o, mêmes papier et caractères que le Voltaire. Cette édition est publiée en 25 livraisons, de 2 fr. chacune, qui paraissent de 15 en 15 jours. La première a été mise en vente le 15 Février.
ŒUVRES COMPLÈTES DE MOLIÈRE, précédées de sa Vie de Voltaire, et de son Éloge par Chamfort. 1 vol. in-8o imprimé avec les mêmes caractères que le Voltaire et le Rousseau sur papier superfin vélin d’Annonay. Cette édition est publiée en 5 livraisons de 3 fr. chacune qui paraissent de 20 jours en 20 jours. La première a été mise en vente le 1er Mai.

SOUS PRESSE.

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ÉTUDES POLITIQUES ou Recherches sur la Liberté, par Dunoyer, ancien Rédacteur du Censeur Européen. 1 vol. in-8o. – Prix : 7 fr.
THÉÂTRE COMPLET DE GOETHE, traduction nouvelle, précédée d’une notice par M. A. Stapfer. 4 vol. in-8o. – Prix : 24 fr.
TRAITÉ DE LA TYPOGRAPHIE, par H. Fournier, imprimeur. 1 vol. in-8o. »

Nous y voyons l’annonce des grandes opérations éditoriales en cours consacrées aux auteurs classiques. La pratique courante de la vente « en souscription » et par multiples livraisons, permet à la fois à une partie du public d’étaler sur le temps l’acquisition des ouvrages coûteux et à l’éditeur de s’assurer une avance auprès d’un public plus aisé. Comme de nos jours, cette stratégie facilite le financement de la production des titres commercialement plus incertains. L’accent y est mis sur leur aspect matériel soigné, seule valeur ajoutée par l’éditeur – choix du format, du papier, des caractères typographiques –, qui cherche par ce geste à les rendre attractifs tout en leur conférant un caractère d’unité formelle les constituant ainsi en collection. L’objet-livre prime alors, dans le cas de ces ouvrages dont le contenu et surtout les auteurs sont connus et a priori appréciés, contrairement aux ouvrages « sous presse », présentés par des notices brèves lesquelles mettent en avant le nom des auteurs accompagné d’un qualificatif. On y perçoit la volonté de l’éditeur de promouvoir « ses » auteurs, bien moins connus que les classiques, mais sur qui repose la véritable identité éditoriale de son catalogue et, qui plus est, dans le cas précis de Sautelet, qui appartiennent à son entourage. Inutile de préciser que l’auteur du Traité de la typographie est évidemment l’imprimeur du Molière dont nous avons vu plus haut l’annonce dans la Bibliographie de la France, mais aussi celui du volume de Théâtre de Clara Gazul, volume qui devient en lui-même le témoin matériel du réseau de personnes tissé et animé par l’éditeur.

La question que nous devons nous poser maintenant concernant le Théâtre de Clara Gazul, est : dans quelle mesure cette œuvre innovante, iconoclaste sur le plan esthétique et dérangeante sur le plan politique, ce qui n’était pas pour déplaire à son éditeur, fait-elle partie de ce que Paule Salvan appelle « la diffusion dirigée », c’est-à-dire orientée et ciblant un public spécifique, position qui lui garantirait potentiellement l’adhésion d’un lectorat plus large ? Elle nous apprend que le livre n’est pas tiré à plus de 1 000 exemplaires. Étant donné les tirages moyens pour le genre dans cette période, on en déduit que même si sa publication a été bien préparée par les lectures chez Delécluze et par l’annonce dans le Globe, le succès auprès d’un public plus large, affirmé pourtant par les amis de Mérimée, devait être tout relatif [34]. Même si sur ce point nous en sommes réduits à des conjectures, la lettre de Mérimée adressée à X*** [Lingay], au sujet de la publication de La Jaquerie (datée approximativement d’avril 1828), constitue aussi un indice en ce sens : « Pour tous les arrangements avec le libraire, vous avez plein pouvoir. Vous pourrez dire un mot à Sautelet de cette affaire, cependant comme il vaut mieux traiter les affaires de finances avec d’autres qu’avec ses amis, j’aimerais mieux enfoncer un autre libraire que lui [35]. »

Nous avons vu Sautelet accompagner l’auteur et son œuvre dès ses premières apparitions sur la scène littéraire. Le projet a dû le séduire par son contenu ouvertement anticlérical et universaliste [36], par sa tonalité hyperbolique et scabreuse jusqu’à l’ironie et à l’humour grivois, par sa prose étrangère à l’emphase, par sa structure faisant fi des contraintes de composition. Polémique sans être dogmatique, cette œuvre semble correspondre aux critères de choix de l’éditeur qui accueillera, un an après la parution du Théâtre de Clara Gazul, son auteur dans le rôle de théoricien de théâtre. Mérimée sera l’éditeur scientifique de Cervantès dans : Histoire de Don Quichotte de la Manche, traduite de l’espagnol par Filleau de Saint-Martin ; précédée d’une notice historique sur la vie et les ouvrages de Cervantès, par M. Pr. Mérimée, Paris, A. Sautelet et Cie, Libraires, Place de la Bourse, 1826. Le Prospectus, sous forme de dialogue entre La Comtesse et Le Chevalier, inséré dans ce volume, est une manière toute mériméenne de proposer une « théorie », manière équivalente à celle de Clara Gazul présentant « son » art dans le Prologue de « son » recueil, lui aussi conçu comme un dialogue entre Le Grand, Le Capitaine, Le Poète et Clara Gazul. Suivons les dernières répliques du Prospectus :

LE CHEVALIER – Vous voyez que Cervantes savait bien des portraits. Quant au mélange de tons et de styles, tantôt badins, tantôt sérieux, vous n’en serez pas scandalisée, car vous n’êtes pas comme messieurs de l’Académie, ou comme ce chasseur qui, allant à la chasse aux lapins, n’aurait pas tiré un lièvre.
LA COMTESSE – Non, sans doute. Je ne suis point classique.
LE CHEVALIER – Si vous l’étiez, je vous dirais admirez don Quichotte, M. de La Harpe l’ordonne ; mais je vous dis à vous, lisez-le et jugez-le, maintenant que vous avez vingt-six ans.

Sur la 4e page de couverture du sixième et dernier volume de cet ouvrage, au milieu des « Livres de fonds », « Souscriptions » et « Sous presse » des Dunoyer, Fournier, Castil-Blaze, Molière, Stendhal, Taschereau, [Brillat-Savarin], Stapfer, Dugas-Montbel, Voltaire, Racine, Rousseau, Regnard, Mme de Sévigné, Corneille, Walter Scott, Théodore Leclercq, se trouve aussi annoncé, dans ce formidable désordre, le « THÉÂTRE DE CLARA GAZUL, comédienne espagnole, 1 vol. in-8o, 12 fr. ». Sur le théâtre du livre, le nom de Mérimée apparaît donc seulement au « seuil » (pour utiliser le mot de Genette) et ce n’est que pour indiquer l’auteur de la notice sur Cervantès. Si cette disposition ne dupe personne quant à la paternité de Clara, il nous semble essentiel d’attirer l’attention sur cette scénographie de l’objet-livre.

« Achevé d’imprimer »

On le sait, pour le Théâtre de Clara Gazul, Sautelet ne devait concurrencer rien de moins que le géant de la publicité au XIXe siècle, Ladvocat, dont la série de « Chefs-d’œuvre des théâtres étrangers » avec comme traducteurs des noms célèbres (dont certains Globistes : de Barante, Guizot, Rémusat, Villemain…) proposant six volumes de théâtre espagnol, circulait déjà depuis trois ans sur le marché. Le faux titre du volume de Mérimée, « Collection des théâtres étrangers », est certainement un clin d’œil à cette série. Quant aux pièces montées sur scène, ce qui n’était pas le cas du Théâtre de Clara Gazul, à l’exception de « L’Amour africain », « on prête à Jean-Nicolas Barba l’édition de quelque 30 000 pièces, du Consulat à la monarchie de Juillet […] », selon Élisabeth Parinet [37]. Du reste, le nom de Sautelet figure à côté des Baillière, Barba, Béchet, Bossange, Canel, Corréard, Dentu, Fournier, Gosselin, Ladvocat, Lecointre, Levavasseur, Pigoreau, Renduel, Renouard dans la liste des éditeurs bénéficiaires d’une aide octroyée par le nouveau gouvernement lors de la fameuse crise de 1830 qui frappait l’édition et qu’aggravait la révolution de Juillet [38]. Cette aide arrivait bien trop tard pour le jeune éditeur dandy, idéologue et amoureux.

Notes

[1Donald Francis McKenzie, La Bibliographie et la sociologie des textes, préface de Roger Chartier, Paris, Éditions du cercle de la librairie, 1991.

[2Selon Pierre Trahard, c’est Sautelet qui introduit Mérimée chez Delécluze « au commencement de 1825 » (La Jeunesse de Prosper Mérimée (1803-1834), Paris, Librairie ancienne Édouard Champion, 1925, t. I, p. 113) et nous savons par Pierre Salomon que Mérimée « se rend pour la première fois chez Delécluze » le 13 mars, à savoir la veille de la première séance de lecture de l’œuvre (Théâtre de Clara Gazul, suivi de La Famille de Carvajal, Paris, GF-Flammarion, 1968, « Chronologie », p. 7-8).

[3Revue de Paris, t. XV, en juin 1830, p. 205-216.

[4Paris, H. Champion, 1993, complément de son ouvrage de référence : La Jeune France libérale. Le Globe et son groupe littéraire. 1824-1830, Paris, Plon, 1995.

[5Voir Le Globe, t. VI, no 75.

[6Le pamphlet de Stendhal D’un nouveau complot contre les industriels, qui a suscité une vive polémique dans les milieux libéraux, a paru le 3 décembre 1825 chez Sautelet. Voir l’édition critique de ce pamphlet par Michel Crouzet aux éditions La Chasse au snark, 2001.

[7On se souvient que cette société fut à l’origine de la fameuse campagne des brochures qui mènera à la chute le ministère Villèle (1828). Salvandy, auteur publié par Sautelet et ministre de l’instruction publique à partir de 1837, fut en 1827 le principal rédacteur de ces brochures, elles aussi éditées par Sautelet.

[8Jean-Jacques Goblot, op. cit., p. 275-276.

[9Rémusat, Mémoires de ma vie, Paris, Plon, 1959, t. II, p. 282 (cité par Goblot, ibid.).

[10Une note de Jean-Jacques Goblot à cet endroit signale : « À Sainte-Beuve, qui l’avait pressenti pour éditer ses Poésies de Joseph Delorme, il répondit par un refus : “Vous connaissez […] nos préjugés contre la poésie ; nous n’y croyons guère comme amateurs, et pas du tout comme marchands”. » (Lettre du 6 octobre 1828, dans Sainte-Beuve, Correspondance générale, Paris, Stock, 1935, t. I, p. 108.) Signalons que le 3 novembre 1824 déjà Sautelet écrivait à Jean-Jacques Ampère : « Je regrette que tu te brouilles avec la prose ; tu le sais, je n’ai pas l’oreille aux vers. » (André-Marie et Jean-Jacques Ampère, Correspondance et souvenirs, de 1805 à 1864, Paris, J. Hetzel, 1875, t. I, p. 281).

[11Jean-Jacques Goblot, op. cit., p. 278-279.

[12« Fatigué de gagner trop d’argent à la banque, tel est le bruit qui court, cet homme s’est établi libraire, sans avoir aucune notion de ce commerce. On voit que chez lui il va y avoir compensation. » (Auguste Imbert [1791-1840], Biographie des imprimeurs et des libraires, précédée d’un coup d’œil sur la libraire, par M. A. I*******, Libraire, Chez l’auteur, s. d., p. 93).

[13Le 19 février 1830, Mérimée y publie la première des cinq Lettres d’Espagne, « L’Histoire de Rondino » et les 7 mars et 3 juin 1830, ses deux critiques sur les Mémoires de lord Byron, par Mme Belloc.

[14Maurice Levaillant, annotateur du texte, signale que : « Chacun d’eux devait diriger le National pendant une année. Thiers fut le premier directeur à partir du 3 janvier 1830, date du numéro initial. » (Édition du centenaire, Paris, Flammarion, 1982, t. III, p. 576).

[15Ibid.

[16Voir Jean-Jacques Goblot, op. cit., p. 550-552.

[17Pièce conservée aux Archives nationales sous la cote : AN, MC ET XLVIII 660 (merci à Jean-Jacques Tomasso de me l’avoir signalée et de l’avoir transcrite).

[18On sait pourtant, par l’inventaire après décès, que c’est à son beau-frère Jean-François Chignard que Sautelet est redevable d’une somme de 21 000 F sur un total de 83 090,75 F que constitue sa dette.

[19André-Marie et Jean-Jacques Ampère, Correspondance et souvenirs, op. cit., t. II, p. 22-23.

[20Stendhal, Vie de Henry Brulard, édition établie sur le manuscrit, présentée et annotée par Béatrice Didier, Paris, Gallimard, « Folio Classique », 1973, p. 480 (note 1 de la p. 246).

[21Cité par Jean-Jacques Goblot en note, op. cit., p. 269.

[22Ouvrage d’une certaine Mme Achille Comte, publié en 1827.

[23Jean-Jacques Goblot, op. cit., p. 280-281.

[24Voir René Andioc, « Les articles du Globe sur le théâtre espagnol sont attribués à tort à Mérimée », Cahiers Mérimée, no 6, Classiques Garnier, 2014, p. 9-20.

[25Paris, Hermann, 1968, 2 vol., t. II, p. 165-178.

[26Pierre Daru, Notions statistiques sur la librairie pour servir à la discussion des lois sur la presse, Paris, Didot, 1827.

[27Revue de Paris, t. VII, 1829, p. 191-243.

[28Notons que la nomenclature bibliographique n’est pas la même que précédemment.

[29La deuxième édition, signalée dans le catalogue imprimé de janvier 1827, est une réimpression de l’originale assurée par Sautelet.

[30Paris, Promodis-Éditions du Cercle de la librairie, 1987.

[31Nous consacrons à ces documents une étude qui sera publiée dans un des prochains numéros des Cahiers Mérimée.

[32Paule Salvan, art. cité, p. 173-174.

[33Voir Martyn Lyons, « Les Best-sellers », dans Roger Chartier et Henri Martin (dir.), Le Temps des éditeurs : du romantisme à la Belle époque, t. III, Paris, Promodis-Cercle de la librairie, 1985, p. 409-437.

[34À cet égard, Pierre Trahard nous donne les renseignements suivants : la première lecture des Espagnols en Danemarck et d’Une femme est un diable par Mérimée lui-même a lieu le 14 mars devant les seuls J.-J. Ampère et Sautelet et passe inaperçue ; le 27 mars, J.-J. Ampère lit les Espagnols, Le Ciel et la terre et L’Amour africain devant Sautelet, Paulin, Viollet-le-Duc, A. Stapfer, Cerclet et d’autres, qui applaudissent. La vente de la première édition de l’ouvrage est assez lente, épuisée seulement en 1826 (La Jeunesse de Prosper Mérimée, op. cit., t. I, p. 160, 163, 257/n. 2 et t. II, p. 225.) D’autres lectures avaient suivi, les 3 et 10 avril, puis le 29 mai (Pierre Salomon, op. cit.).

[35Prosper Mérimée, Correspondance générale, établie par Maurice Parturier, avec la collaboration de Pierre Josserand et Jean Million, t. I, 1822-1835, Paris, Le Divan, 1941, p. 26.

[36On dirait libéral avec les Globistes, potentiellement en opposition avec l’idée de patrie, dans son acception étroitement militariste et nationaliste, mise à l’épreuve dans Les Espagnols en Danemarck. Delécluze (Journal, Paris, Grasset, 1948, p. 403-414), rapporte la conversation suivante entre Artaud et Sautelet, d’une étonnante modernité dépassant même la ligne idéologique affichée dans Le Globe : « Sautelet : […] Qu’est-ce que ces gens-là ont de commun avec la patrie ! et puis (riant) qu’est-ce que la patrie ? Il n’y a plus de patrie… il n’y a pas de patrie. – Bah ! ce sont de vieilles idées. – La patrie !… Et vous, monsieur Delécluze, est-ce que vous sentez quelque chose pour la patrie ? est-ce que vous croyez à la patrie ? » (cité par Jean-Jacques Goblot, La Jeune France libérale, op. cit., p. 367).

[37Élisabeth Parinet, Une histoire de l’édition à l’époque contemporaine, XIXe-XXe siècles, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points Histoire », 2004, p. 61.

[38Ibid., p. 162.


Pour citer l'article:

Barbara DIMOPOULOU, « Auguste Sautelet, premier éditeur de Mérimée, et le Théâtre de Clara Gazul (1825) dans son contexte éditorial » in Mérimée et le théâtre, Actes de la journée d’études du 28 novembre 2014 (Université Paris-Sorbonne), organisée par le CELLF (Université Paris-Sorbonne), le CÉRÉdI (Université de Rouen), le CRP19 (Université Sorbonne-Nouvelle), et la Société Mérimée. Textes réunis par Xavier Bourdenet et Florence Naugrette.
(c) Publications numériques du CÉRÉdI, "Actes de colloques et journées d'étude (ISSN 1775-4054)", n° 14, 2015.

URL: http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?auguste-sautelet-premier-editeur.html

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