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Lucie LAVERGNE

Université Blaise Pascal – CELIS – EA 1002

Engendrer, éprouver, dissoudre : gestualité de l’œil, de la langue et de la main chez quelques poètes espagnols contemporains, à la croisée des poésies verbales et visuelles


Texte complet


Parce qu’ils déploraient l’épuisement et l’inefficacité [1] du langage poétique utilisé par leurs prédécesseurs immédiats [2], les poètes expérimentaux des années 1960 et 1970 déplacèrent le poème et bousculèrent les habitudes du lecteur. Leurs productions sortaient du cadre et des supports traditionnels (inclusion d’objets, remise en cause du livre, etc.), la lecture devint aussi un spectacle, parfois interactif. Le poème mettait alors en scène des procédés nouveaux (dessins, peintures et photos), utilisés en parallèle, en dessous, conjointement ou à la place de l’écriture. Ainsi, apparut, dans l’Espagne des années 1960, la « nouvelle avant-garde [3] » poétique, impulsée par les figures catalanes de Joan Brossa et Guillem Viladot, ou, à Madrid, par l’uruguayen Julio Campal, fondateur de Problemática 63. Plusieurs groupes de poètes apparurent dans les années qui suivirent [4]. Vingt ans plus tard, dans les décennies 1980 et 1990, l’essoufflement, voire « l’épuisement [5] » de la production expérimentale, semblait certain, mais ni total, ni définitif [6]. Que reste-t-il aujourd’hui de cette aventure poétique au-delà des marges de la page et du livre et, bien souvent, hors du langage lui-même ? Comment cette révolution de l’expérimentation influence-t-elle la production poétique contemporaine ?

Juan Eduardo Cirlot (1916-1973), José Luis Castillejo (1930-2014), Alfonso López Gradolí (1943), Luis Eduardo Aute (1943), participèrent à la mouvance expérimentale des années 1960-1970 et produisirent conjointement, parfois sur la même page, une poésie langagière et visuelle. Dans la lignée de la poésie expérimentale, Pablo del Barco (1943) et Julián Alonso (1955) poursuivent cette recherche de formes mi visuelles-mi langagières, qui oscillent entre le mot et l’image, traitent le langage comme un matériau en mouvement, à faire agir, qui bâtit un rythme propre, ni purement verbal, ni complètement visuel. Le travail de la plasticité de la langue, le questionnement de la matérialité de la page, la suggestion, jamais tout à fait réalisée ni définitive, d’une sortie du cadre (du livre, notamment) permettent d’appréhender leur écriture par le biais des « gestes » qu’elle effectue. Le premier de ces gestes renvoie à l’engendrement de matière langagière, étalée sur la page et créatrice d’un rythme poétique perceptible visuellement. Ce rythme est par ailleurs également éprouvé lors de la lecture, et lui confère une dimension tactile : c’est le geste de la langue, de la bouche du lecteur. Les dispositifs poétiques, notamment ceux émanant d’auteurs pluriels mettent aussi en jeu la main, le bras, tout le corps dans un geste de reflets et de rebonds. Dans cette dynamique d’apparition-disparition, on trouve aussi une dimension sensuelle, voire érotique que nous commenterons enfin.

La territorialisation de la page depuis les années 1960 : produire de la matière

L’innovation la plus fondamentale de la poésie visuelle expérimentale fut sans aucun doute la valorisation de la page poétique qui, de support invisible, passé sous silence, devint, avec les avant-gardes de la deuxième moitié du XXe siècle, une matière travaillée totalement. L’une des formes récurrentes du poème visuel fut le recouvrement de la page par la répétition de mots ou caractères. Dans le poème « Es el número 1 », de José Luis Castillejo (1967) [7], la répétition du chiffre 1 qui recouvre toute la page est commentée par le titre qui, par sa redondance tautologique avec le poème, nous force à regarder sans cesse l’espace paginal, qui se pose comme non référentiel : tout a lieu en son sein, la répétition du chiffre ne transcende en aucune manière la page dont elle s’empare, et qu’elle recouvre jusqu’aux bords. Dans le poème « No hay sitio », inclus dans le même ouvrage et élaboré selon le même dispositif de répétition systématique [8], on constate la dimension performative de l’écriture qui, comme elle l’annonce, occupe « toute la place ». S’il est cantonné aux limites du livre et de la page, le poème en prend totalement possession selon une double dynamique horizontale (linéaire, traditionnelle) mais aussi verticale. En témoigne d’ailleurs le poème de Fernando Millán, « Nadie », du recueil Textos y antitextos de 1970 [9] qui mime le déploiement spatial des mots croisés.

Du reste, dès les années 1960 et 1970, on observait aussi dans la poésie langagière (et non seulement visuelle ou expérimentale) ce travail de la matière langagière, par un déploiement vertical sur la page, en colonnes. Notamment, les énumérations fondées sur des parallélismes de construction, engendrent échos sonores et figures visuelles, parallèlement à l’élaboration syntagmatique et « horizontale » d’un contenu sémantique. On en perçoit le signe dans la popularisation de la pratique de l’anaphore qui domine absolument l’écriture de certains poètes de poésie verbale, comme les premiers recueils de Pere Gimferrer, poète phare de la génération des Novísimos : Malienus, Mensaje del Tetrarca (1962). Les exemples abondent dans ces deux recueils, je m’en tiendrai donc à mentionner le poème « Cenobio [10] » où se répète à treize reprises consécutives la structure suivante : « los que » + verbe au présent de l’indicatif + complément d’objet direct sans article (v. 47-60). La structure connaît par ailleurs des variantes de genre (v. 41-44) et d’agencement syntaxique (v. 45-46).

Cette modalité scripturale basée sur la répétition et la verticalité est mise en pratique aussi dans le poème « Letanías » du recueil Las Oraciones oscuras (1966) de Juan Eduardo Cirlot, proche de la poésie expérimentale. L’anaphore, utilisée comme procédé d’engendrement textuel vertical, y est doublée d’un réseau interlinéaire de redondances et de modulations sonores. La première de ses neuf strophes est structurée par l’anaphore du substantif « Reina », dont les sonorités et les lettres – particulièrement la première syllabe re- – sont constamment rappelées par un réseau de redondances phonétiques : la syllabe « er », écho renversé à la syllabe initiale de « Reina », revient à quatre reprises [11], modulée en « es » (quatre fois), « ex » (exterminio) et « ez » (padecen), disséminées dans l’ensemble de la strophe.

Reina de los cementerios invisibles,
Reina de los exterminios luminosos,
Reina de las esmeraldas que suplican,
Reina de las manos desenterradas,
Reina de las espadas que padecen,
Ora pro me.

À la structure strophique globale (l’arborescence dessinée par l’anaphore) s’ajoute un travail interne de la matière langagière dont le caractère non prédéterminé rappelle les « opérations locales [12] » qui caractérisent l’« espace lisse » défini par Gilles Deleuze et Félix Guattari. Ici, un langage « actif », et en quelques sortes auto-productif, rythme la strophe et fait progresser le discours.

Concernant l’héritage contemporain de cette technique d’écriture, on peut citer le poème « Andalucía », de Pablo del Barco (années 2000), où la spatialisation du langage est aussi un procédé de rythme directement basé sur la visualité. Les colonnes suggérées par la disposition verticale des mots sont soulignées par la verticalité des lettres « l », « d » et « í » accentués. Or, il ne s’agit pas seulement d’un étalement du texte sur la surface paginale mais bien d’un « auto-engendrement » du langage. Le terme « Andalucía » qui figure en haut, sur la première ligne, semble glisser verticalement sur la page, dans des répétitions partielles (anda, andaluz, luz), modulées par l’agrégation d’autres lettres (porfía, armonía), ce qui provoque en retour une alternance des paronomases, sous formes d’anaphore (« porfía », « por su luz », « por servida ») et des anagrammes (« nada », « anda »). Ce déplacement du mot sur la page s’appuie sur des marques langagières et visuelles, comme l’alternance des lettres « a » et « e » – envers graphiques l’un de l’autre – ou bien sonores, comme l’écho modulé des sifflements produits par les sons « z » et « s ». Loin d’être seulement occupée, la page s’apparente à ce que Gilles Deleuze et Félix Guattari nomme un « territoire » : « un acte, qui affecte les milieux et les rythmes [13] ». Si la disposition verticale fait aussi ressurgir des correspondances étymologiques (entre « andalucía » et « luz » par exemple), la coïncidence sémantique est seconde : elle émane directement du travail de la surface, comme puissance créatrice de matière verbale.

Pablo del Barco, « Andalucía », dans Poesía visual española (antología incompleta),
éd. Alfonso López Gradolí, Madrid, Calambur, 2007 p. 62.

La lecture « tactile »

Par ailleurs, ce travail de la matière langagière « engendrante » se répercute, dans l’effort de lecture. En poésie expérimentale plus encore qu’en poésie visuelle, la lecture hésite devant la linéarité brisée, les heurts de la syntaxe, bute devant les références multiples, mais aussi, sur les entrechocs et les échos de phonèmes. Alors, le poème s’éprouve, au double sens où la lecture est un effort à fournir, une épreuve, et une expérience tactile et orale (on pourrait presque dire buccale) antérieure à la vocalisation articulée et à la lecture mentale.

À mi-chemin entre la poésie langagière et la poésie expérimentale, l’œuvre de Juan Eduardo Cirlot développe ce procédé jusqu’à l’évacuation de tout autre système d’organisation textuelle (notamment syntaxique) reléguant au second plan la valeur de référence du langage et son rapport au sens. Au premier vers du poème « Hombres, sombras, nombres [14] », la répétition rhizomatique, non articulée, des lettres centrales « ombr », laisse percevoir un stade de construction du langage antérieur à l’articulation des syllabes. Le rythme sourd du cœur des mots (autour des bilabiales et labiales /b/ et /m/), de leurs sonorités vibrantes, et de leur agencement ternaire. On peut peut-être interpréter ainsi ce vers : les « hommes » réduits à des « ombres » n’ont plus d’hommes que le « nom ». Sur le plan sémantique, le vers décrirait un processus de dissolution de la figure humaine, réduite au langage, avec le troisième terme, nombres. Or, cette dissolution résulte des modifications de la matière langagière, et de son rythme qui travaille les phonèmes [15]. Au troisième vers du poème : « Cruz, cruces, crucemos », c’est la plasticité langagière qui traduit l’action et l’irruption de la voix poétique, surgie, là encore, du cœur des mots. Le passage du substantif singulier (cruz) au pluriel (cruces) puis au verbe conjugué (crucemos, nous traversons) évoque l’avènement d’un sujet collectif et indéfini. Sa voix perce tout juste, dans le pétrissage des mots et l’engendrement des syllabes. On note, du reste, qu’après l’apparition de la première personne du pluriel, le discours adopte une forme syntaxique articulée, comme si un processus d’avènement d’un sujet (et avec lui du logos) avait été mené à bien :

Cielo de los planetas, cielos de los cometas,
cielo de las estrellas
fijas.
. Adoremus.

Le travail de la matière langagière précède et déclenche l’avènement, progressif et duratif, d’une voix poétique [16]. Le poème reproduit le processus complexe et continu de formation du langage par la modulation, la répétition, l’agrégation des phonèmes, des syllabes, le travail souterrain de la fondation des mots. Alors, comme dit Henri Meschonnic, « le geste avec le corps et la voix, de divers côtés, est réintroduit dans le langage [17] », car ce sont bien « le corps et la voix » du lecteur qui, ressentant et reproduisent les sons et leur enchaînement presque sensuel, produisent un rythme puissant, « buccal », issu de la matérialité du texte et, précisément, de l’agencement des phonèmes.

Du premier phénomène, visuel, d’engendrement textuel (vertical comme on l’a vu d’abord ou horizontal et linéaire comme dans ce dernier exemple de Juan Eduardo Cirlot) en découle un second, tactile ou buccal, activé par la lecture. Le mouvement de l’œil se répercute dans le mouvement de la langue. Ainsi, dans la poésie expérimentale des années 1960-1970, les jeux de mots, fréquents, sont souvent créateurs de néologismes où résonnent les phonèmes, suggérant, parfois, des convergences et affinités essentielles entre les mots. Ainsi, dans le poème « Matria o muerte » de Luis Eduardo Aute, c’est par le jeu des bilabiales, l’occlusive /p/ remplacée par la nasale /m/ que le poète fait résonner le père, caché derrière l’étymologie de « patria », in absentia, et la mère, suggéré par le néologisme « matria » qui semble renvoyer à la « matrice ». L’alternative « la patrie ou la mort » est donc remplacée par « la mère ou la mort » soit, la vie ou la mort car, comme le rappelle Laurent Pflughaupt, le « m » est « la lettre la plus humaine » qui « renferme l’idée des eaux matricielles [18] ». Le poème fait donc résonner deux types d’appartenance identitaire, patriotique et familiale. Le dessin de drapeau qu’il représente en son centre (rappel de la notion de « patrie ») sur lequel figure un sexe de femme, avec la légende « Ésta es la bandera de mi Matria » (« Voilà le drapeau de ma Matrie ») plaide pour cette reconnaissance à la fois personnelle et universelle : au contraire de l’appartenance distinctive symbolisé par le drapeau (d’une nation), c’est le sexe de n’importe quelle femme qui est ici représenté. Le poème propose donc un autre positionnement de l’homme au monde par cette alternative à la « patrie » : la « matria », par laquelle tous les hommes sont égaux et indissociablement liés à la nature.

Cette valeur symbolique et signifiante conférée aux phonèmes dès les années 1970 imprègne aussi l’œuvre du poète contemporain Julián Alonso.

Arquitectura,
arquitextura,
arquiternura,
textura,
ternura,
templo,
epidermis,
arco de media piel,
de medio punto.
Friso,
arquitrabe,
mano,
dedos lentos de amor
que se deslizan
por el barroco altar
de tu edificio [19].

Ainsi, l’ensemble du poème « Arquitextura » (1992) est structuré par l’imbrication des champs lexicaux de l’architecture et du corps, réunis par l’isotopie du tissage, comme le révèle, dès l’abord, la triple paronomase : arquitectura / arquitextura / arquiternura. De nouveau, les néologismes (les deux derniers termes) soulignent la solidarité des dimensions sensorielles et signifiantes. La succession des trois termes permet en effet d’apprécier l’adoucissement progressif de l’occlusive vélaire /k/ (arquitectura) à la fricative vélaire (arquitextura) puis sa substitution par une nasale dentale /n/ (arquiternura). De la vélaire (/k/) à la dentale (/n/) c’est aussi un déplacement de l’arrière du palais jusqu’à l’avant de la bouche du lecteur qui se produit et se prolonge encore avec la nasale bilabiale /m/ et l’occlusive /p/ utilisés conjointement dans templo, puis dans media piel, medio punto. Le mouvement de la langue du lecteur se structure autour de « transitions musculaires » que Spire compare aux moyens « dont usent les architectes, les peintres, les sculpteurs pour capter la beauté dans l’ordre plastique visuel [20] ». Cette captation est tactile et orale. Lorsque les lettres « m » et « p », combinées dans templo, sont espacées sur plusieurs syllabes (epidermis), puis plusieurs mots (media piel, medio punto), aux mouvements buccaux internes, s’ajoute un étirement et de fait un déploiement de ce rythme infralangagier. Car le « m » et le « p », là encore, renvoient, plus que n’importe quelles autres lettres, aux premiers mouvements de la bouche de l’enfant [21], soit à l’origine du langage. Laurent Pflughaupt dit encore que « le “m” se trouve symboliquement à la source de toute vie matérielle, et de toute vie spirituelle par le son et la sensation physique qu’il procure [22] ». De fait, le « m », comme le « p », est explicitement associé à la peau dans le poème de Julián Alonso (epidermis, piel), où il évoque et, dans le même temps, fait éprouver l’épanouissement de la sensorialité.

Les deux vers centraux arco de media piel, / de medio punto qui décrivent une figure qu’on peut lire comme érotique ou architecturale (la courbe des hanches, ou l’arc en demi cintre), constituent un point de basculement du poème. La métaphore corporelle de media piel précède pour la première fois l’isotopie architecturale. Par la suite, termes architecturaux et corporels apparaissent et se suivent comme des métaphores les uns des autres, l’objet du poème pouvant être à la fois le corps humain – et ses formes architecturales – ou le corps de bâtiments – et la grâce de ses lignes. Or, ce balancement entre isotopies qui structure le poème s’éprouve par la lecture orale : les occlusives (dans arquitrabe, « architrave ») et les vibrantes (également avec friso) renvoient à l’isotopie de l’architecture et semblent mimer la dureté de la pierre, les nasales (manos, lentos, amor) renvoient à la sensualité d’un corps. Cette dualité structurante de la lecture se poursuit jusqu’au syntagme final tu edificio. Bien que l’on puisse lire edificio comme une nouvelle métaphore du « corps », à moins de penser au sens littéral (moins probable) de « bâtiment », le terme pourrait aussi avoir le sens figuré de « création ». Cette interprétation renverrait, à nouveau, au poème que le sujet poétique ne considère pas comme sien, mais qu’il attribue à l’interlocuteur, soit, semble-t-il au lecteur comme l’indique le possessif (« tu »). Le poème est l’édifice, construit par la lecture, où s’imbriquent les champs lexicaux et les sensations provoquées par les phonèmes. Le corps du lecteur (plus précisément : sa bouche) et le corps du poème sur la page « prennent corps » par la lecture.

Si celle-ci n’est pas seulement la réalisation d’un écrit, déjà donné, mais qu’elle produit et éprouve une sensorialité, alors elle dépasse nécessairement l’inscription paginale (et livresque) du poème : elle s’inscrit dans le passage du poème écrit à celui qui le réalise, du sujet qui écrit à celui qui lit et fait vivre. C’est cet effort pour, en fin de compte, annuler l’écart physique entre les deux par une création unique que révèlent les poèmes « à quatre mains », tels que ceux que Julián Alonso a réalisé avec Fernando Palacios ou Luis Eduardo Aute.

Le cas des poèmes « à quatre main » : deux modalités du reflet et du passage

Si les poèmes expérimentaux sont fréquemment basés sur une rencontre (de matériaux, de procédés, de discours), c’est particulièrement le cas pour le récent recueil Gestos (2013) [23], réalisation conjointe du poète Julián Alonso et du peintre Fernando Palacios. Le recueil est composé de textes poétiques (d’Alonso) situés sur la page de gauche, et de motifs abstraits réalisés à la peinture d’un ton rouge-brun (de Palacios) présentés sur la page de droite. La page, support invisible des vers et la page support de la matière picturale se font face [24]. Sur la seconde, le geste du peintre saute aux yeux, par les dégoulinures, les giclures, mais aussi les différences d’épaisseur et de densité de la matière : les effets de transparence, parfois, ou au contraire le surplus (quand le rouge-brun vire au noir) témoignent d’un effort plus ou moins intense, d’une rapidité ou d’une lenteur de mouvement, d’un survol ou d’un geste tenu.

Si l’une et l’autre page peuvent d’abord sembler indépendantes, il s’avère que la mise en regard des peintures abstraites et des poèmes de Julián Alonso sémantise les peintures. Le vers initial du premier poème, « Silencio », souligne cette fusion des espaces référentiels, langagiers et concrets (la page) par la métaphore introduite en incise : arrojas una piedra – una palabra – (« tu lances une pierre – un mot – »). L’expression « arrojas una piedra » est réitérée au début de chaque strophe, reproduisant sur la page le « ricochet » de la « pierre » à laquelle ils sont assimilés. Ce ricochet est répété en quelque sorte dans le passage de la page de gauche à la page de droite, qu’on lit aisément comme une illustration ou une glose l’une de l’autre. Par exemple, la seconde strophe évoque le bruit d’un clapotement (« suena un chapoteo ») alors même que la page de peinture est parsemée de taches minuscules qui rappellent des gouttes et l’élément liquide. Dans cette correspondance, la vue (de la peinture qui dégouline, à droite), l’ouïe (le bruit de l’eau dénoté et suggéré par le mot « chapoteo », clapotement), le toucher (par la matérialité de la peinture et le va-et-vient d’une page à l’autre) sont stimulés.

La mise en regard des poèmes de Julián Alonso et des peintures de Fernando Palacios, effectuée après réalisation des œuvres (sans consultation préalable), évoque un contact entre auteurs, entre créations, mais provient surtout d’un acte volontaire de mise en correspondance des codes sémiotiques (verbe-image) pour signifier l’illustration réciproque des mots et des traces de peinture (par exemple, du clapotement et des gouttes). Cet effort de correspondance témoigne d’une lecture active. En rassemblant après coup, leurs productions, Alonso et Palacios se positionnent en lecteur et spectateur l’un de l’autre, et substituent de fait, à la mise en regard duelle de leur livre, une composition en triangle : le texte, l’image, leur relation – que nous reproduisons encore en lisant leur livre, pages de gauche et pages de droite. Le titre du recueil, Gestos, renvoie non seulement à un procédé poétique et artistique consistant en l’exhibition spectaculaire de la double page poético-visuelle, mais surtout à un rapprochement de discours, permettant la création d’une émotion commune. En effet, le choix du terme gesto (plutôt que ademán par exemple) en souligne la dimension affective : gesto désigne d’abord l’expression du visage, la moue, voire la grimace [25] ou, par métonymie, le visage lui-même [26]. Le « geste » qu’évoque le titre du recueil renvoie à la lecture agissante qui l’a produit et continue d’opérer à travers nous, lecteurs, pour la construction d’une figure unique. Ce rapprochement des œuvres toujours recommencé par la lecture fait du poème un acte (plus qu’un écrit) et invente à ce recueil un sujet : non seulement un objet poétique, mais une voix commune.

Bien sûr, dans cet exemple d’Alonso et de Palacios, la rencontre de l’image et du texte se présente comme un phénomène dialogique et duel, que symbolise la reliure centrale du livre, autour d’un procédé d’interactions et de renvois où les deux discours (littéraire et pictural) fonctionnent simultanément. Au contraire, dans le diptyque « Café », composé par Julián Alonso et Luis Eduardo Aute, en 2008 [27], deux discours ne se posent pas comme simultanés mais comme se succédant, inexorablement, selon un ordre non déterminé, illimité mais nécessairement temporel, duratif. À l’esthétique de l’interaction par ricochet s’oppose celle du tourbillon du mouvement des feuilles.

En effet, il s’agit de deux textes situés de part et d’autre de la même feuille de papier, que l’on retourne dans le sens de la hauteur pour passer d’un texte à l’autre, par un mouvement circulaire qui n’est réglé par aucun ordre précis : aucun poème ne se pose comme premier ou second par rapport à l’autre. Aucun texte ne constitue non plus de réponse, ni de prolongation de l’autre. Il s’agit plutôt d’échos sonores et sémantiques, puisqu’y reviennent les mêmes motifs de l’absence et de l’avenir obstrué : « Ni siquiera café / había en los posos / del futuro » – il n’y avait pas même de café dans le marc du futur (Luis Eduardo Aute) ; « No había posos / en el café / donde leer futuros » – il n’y avait pas de marc, dans le café, où lire les futurs (chez Julián Alonso). Les images inversées de l’absence du marc (chez Julián Alonso) et de l’absence du café (chez Luis Eduardo Aute) renvoient à la même impossibilité de dévoilement d’un sens et d’avenirs à lire.

No había posos
en el café
donde leer futuros.
La taza era una sima
de fondo cristalino,
de dulce olvido
dulce
como un lento veneno

JULIÁN ALONSO

Ni siquiera café
había en los posos
del futuro.
Sólo tazas
vacías de contenido,
de dulces olvidos
envenenados
por la lentitud
de la muerte.

LUIS EDUARDO AUTE

On peut faire une lecture métatextuelle de ces poèmes, tellement l’analogie est tentante, entre le café noir dans la tasse blanche et l’encre noire sur la page. Dans les vers, il est question d’une lecture que le locuteur n’arrive pas à effectuer, car il est face à un espace vide (chez Aute), à un « gouffre au fond cristallin » (sima de fondo cristalino, dans le poème d’Alonso). Le dispositif du poème déplace ces motifs sur le plan matériel, par une métaphore gestuelle. L’acte de passage d’un poème à l’autre par le geste de tourner la feuille non reliée, la répétition potentiellement infinie de ce geste (dont rien n’indique le début ni la fin, ni ne le structure) reproduit cette lecture sans fin (sans terme et sans but) qu’évoque, dans les vers, la métaphore du marc de café illisible et qu’on scrute en vain. Par conséquent, l’espace poétique n’est plus totalement celui de la page. De même que nous évoquions, plus haut, l’effort demandé par une lecture sonore et orale, le geste réalisé, ici, est aussi perceptible dans l’air brassé et déplacé par le mouvement de la feuille qui tourne. Le geste se déploie en un espace poétique infini, en somme, dont les composantes sont certes matérielles (une page, une main) mais qui, pourtant, n’est pas délimitable, aux frontières modulées par l’idiosyncrasie de la lecture.

On voit bien, enfin, comme on passe, en poésie visuelle du mouvement de l’œil à celui de la bouche et de la main, de gestes ponctuels suggérés par l’écrit, à une véritable gestuelle, libre, du lecteur. Je voudrais enfin m’intéresser à un quatrième type de geste, non plus suggéré par le poème mais opéré par lui et que j’observerai, en poésie contemporaine, chez Julián Alonso et Pablo del Barco : il s’agit des processus doubles, renvoyant au double geste érotique de dévoilement et de dissolution.

Le geste poético-érotique : dévoiler et dissoudre

Le poème « Ocultas en tu cuerpo » du recueil Arena de Julián Alonso [28] s’apparente à un calligramme, particulièrement dans sa première strophe où l’on observe, à travers la disposition des vers, la fusion de la page comme espace d’écriture et de la page comme support plastique, permettant son traitement érotique : si le poème, dès le premier vers, évoque un corps (« tu cuerpo »), la page le produit et le montre, par la longueur et le positionnement centré des vers ; en montrant ce corps, elle se pose en retour comme un corps, un support matériel.

ocultas en tu cuerpo
ciudades que me son inaccesibles
Tombuctú
Petra
Isfahán
rutas prohibidas
por donde aventurar mi caravana

Dans ces quelques vers, entre le corps sensuel féminin et le corps du texte, se met en place un jeu de réfléchissement et de « remplacement » : la matérialité de l’écrit tente de réparer, en vain, l’inaccessibilité du signifié des mots. Si le texte donne à voir un corps féminin, il ne peut dévoiler ce que ce corps renferme comme l’indique les premiers mots « ocultas en tu cuerpo » (« tu caches dans ton corps »). On pourrait presque y lire le constat du caractère frustrant et énigmatique des signes qui dénotent en tenant éloigné. Les villes (ciudades), énumérées sur trois vers, sont considérées comme réelles, bien que lointaines, mais pourtant d’emblée définies comme inaccessibles (v. 2), interdites (v. 3). S’établit une double dynamique de renfermement (par la thématique du secret, de la cachette, de l’accès bloqué) et d’ouverture, à travers la puissance de suggestion poétique des mots qui renvoient aux villes, et du corps de femme qui renvoie à l’exotisme et l’érotisme associés à ces mêmes villes. Le poème montre la fusion idéale des mots et des choses dans un corps tout à la fois suggéré (sur la page) et suggestif. Il met en contact les discours langagiers et visuels, et questionne le visible et l’invisible, le dicible et le non-dit. Ce faisant, le poème visuel trahit la limite de son matériau (les mots et l’encre), il enferme, tout en suggérant, l’au-delà des mots : les choses. Dans ce jeu de dévoilement et de voilement, que j’appelle le « geste érotique » du poème, « donner à voir », en fin de compte, revient toujours à cacher.

Le caractère indissociable de ces deux dynamiques s’observe dans le poème visuel contemporain de Pablo del Barco « Amor puro [29] » (2000). L’espace paginal est divisé en neuf cases où les deux termes du titre sont répétés et superposés, jusqu’à saturation de l’espace. La répétition aboutit, dans la huitième case, à un espace dense presqu’intégralement recouvert. Dans la neuvième, celui-ci est totalement gris et s’y ajoute une virgule blanche, centrale, nouvellement apparue, suggérant un clitoris. Un sexe de femme est donc révélé à force de superposition de mots « amor puro » (amour pur). On peut bien sûr mettre en valeur la dimension performative de ce processus et interpréter le poème ainsi : la sexualité est l’aboutissement du sentiment amoureux.

L’érotisme est reproduit jusque dans le dispositif poétique : une surenchère amoureuse impossible à contenir brouille les lignes, les sens et finalement aboutit au dévoilement (impudique) et la révélation paradoxale d’un sexe de femme. Celui-ci apparaît à la faveur d’un griffonnage, puis d’une rature (à quoi peut aussi renvoyer cette forme de virgule blanche qui traverse la zone grise), soit par un double procédé d’annulation. Le poème ne montre que dans la mesure où il cache – de fait, le texte est méconnaissable et illisible, à partir de la case 5. La répétition des mots, jusqu’à saturation, provoque en fin de compte leur dissolution ; le discours verbal est éprouvé (au sens de « mis à l’épreuve », cette fois) jusqu’à épuisement du dispositif et, finalement, anéantissement du discours. Les deux dynamiques contraires que sont l’exhibition et l’anéantissement sont solidaires et leur enchaînement érotique bâtit le poème.

En effet, la dissolution du langage constitue un motif récurrent dans plusieurs poèmes contemporains expérimentaux où le discours poétique et verbal est continuellement questionné, éprouvé, démantelé. Ainsi, plusieurs poèmes de Julián Alonso traitent directement de ce caractère imprévisible de la lecture qui échappe à toute volonté préalable et qui, par sa difficulté même, constitue un geste de dissolution du langage et du discours. La lecture respectueuse de la linéarité du texte est impossible, le langage se dissout, illisible, énigmatique, obligeant le lecteur à lever les yeux du texte, à faire des choix de lecture inédits ou à se taire. Dans « Este poema no se puede leer [30] », les mots se superposent les uns aux autres et à des traits horizontaux avec lesquels les lettres se confondent, rendant la lecture difficile. Dans « Este poema no hay quien lo lea », la lecture bute sur des caractères ponctuels non lisibles, tels que « €la Venecia ». Le poème « Este poema es ilegible », constitué de traits et de points, s’avère totalement illisible. Le paroxysme semble atteint dans le poème « Lengua de máquina », du même auteur, où le texte qui semble être le produit d’une utilisation aléatoire de la machine à écrire, se refuse totalement à la lecture. À chaque fois, l’espace de la lecture n’est plus celui de la page, l’important se situe ailleurs, dans son blocage, précisément, son refus d’être lu. Le petit recueil Versos para no ser leídos, d’où sont tirés ces exemples, rappelle cette phrase de Nietzsche, citée par Michel Guérin [31] : « On ne tient pas seulement à être compris quand on écrit, mais tout aussi certainement à ne pas l’être ». Michel Guérin considère comme un mode d’écriture cette « confrontation ouverte » qui exprime l’impuissance du langage à saisir les choses.

Julián Alonso, « Este poema es ilegible », Palencia, Cero a la izquierda, 2008, non paginé.

Littéralement, Julián Alonso le réduit en poussière dans la série intitulée « Disolución [32] », poème expérimental composé de six feuilles de petit format non reliées (gardées dans une pochette cartonnée), où s’inscrivent et disparaissent les lettres du mot « Disolución ». L’acte performatif prend plusieurs formes : les lettres s’effacent partiellement ou totalement, rétrécissent, se brouillent. Sur la dernière feuille, intégralement blanche, est agrafé un petit sachet plastifié contenant une poussière brune. Le poème crée sa propre dissolution et réalise une performance de l’image biblique du « retour à la poussière », mais paradoxalement, cette dissolution se produit par une création de matière : la feuille est plus épaisse que les précédentes, le plastique crisse sous le doigt, le sachet agrafé pèse, les grains de poussières s’y répartissent différemment, leur mouvement suit celui de la main du « lecteur ». L’expérience du poème met en jeu la pulpe du doigt, la peau de la main, le muscle qui soutient la feuille. Ce poème de Julián Alonso est particulièrement révélateur de cette intention fondamentale de la poésie expérimentale : la mise en scène de l’échec du langage verbal à dire le réel et ses objets, et le comblement de cet échec par un rapport au monde renouvelé et la matérialité de l’écriture.

Les poèmes que nous avons réunis sont très différents dans les procédés et dans dispositifs. Pourtant, tous, sous l’influence des expérimentations enthousiastes de la poésie visuelle des années 1970, sont mus par un même questionnement du langage, du rapport du langage au monde, auquel renvoie chacun des gestes (engendrement, exhibition, dissolution) qui mettent en jeu des composantes visuelles, sonores, jusqu’au corps entier du sujet (écrivant et lisant). Ainsi, le langage d’abord s’empare de l’espace, se déploie par l’espace, jusque dans cet écart qui sépare le lecteur de la page, ou précisément dans sa résorption. Le langage fabrique des sens, les expose, les donne à voir et en même temps, selon un procédé d’écriture métatextuel récurrent en poésie expérimentale, il est mis à l’épreuve, souvent même en échec. Les poètes contemporains que j’ai évoqués ici appellent de leurs vœux une expérience poétique vive et sensuelle, dans un désir de se réapproprier un message poétique nécessairement trahi et insuffisant lorsqu’il s’en tient aux mots et aux signes. En se réappropriant le langage, ils libèrent le poème du cadre de la page jusqu’à, précisément, ce qui la dépasse, ce qu’elle appelle mais ne serait contenir : un geste de la langue et de la bouche, des yeux, des mains qui tournent les pages.

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Notes

[1Juan José Lanz évoque une crise du langage poétique, incapable d’exprimer le réel, ou de développer de nouvelles possibilités significatives dans Antología de la poesía española (1960-1975), Madrid, Austral, 1997, p. 55.

[2Nous nous référons à la génération de la Poesía social, développée dans les années 1940 et 1950 principalement. Il est certain, par ailleurs, que la poésie visuelle des années 1960 est en revanche héritière des avant-gardes du début du siècle (notamment du créationnisme et du cubisme), de même que de la production de calligramme d’Apollinaire. Elle est également influencée par la production d’outre-Atlantique (par exemple le groupe brésilien Noigandres).

[3Alfonso López Gradolí, La Escritura mirada. Una aproximación a la poesía experimental española, Madrid, Calambur, coll. « Biblioteca litterae », 2008, p. 91.

[4Dans l’effervescence du moment se créent Problemática-63, la Cooperativa de Producción Artística y Artesana créée en 1966, le groupe N. O. (de 1968), le groupe Zaj (créé en 1964). Voir José Antonio Sarmiento, La Otra Escritura. La poesía experimental española, Universidad de Castilla-la-Mancha, coll. « Monografías », 1990, p. 11-37.

[5Fernando Millán parle d’un épuisement significatif. Voir Fernando Millán et Chema de Francisco, Vanguardias y vanguardismos ante el siglo XXI, Madrid, Agora, 1998, p. 18.

[6Juan Carlos Fernández Serrato souligne la pérennité de ce qu’il considère comme « une poésie visuelle d’inspiration concrétiste » dans les années 1980 et 1990, dans ¿Cómo se lee un poema visual ?, Alfar, Séville, 2003, p. 33.

[7José Luis Castillejo, Caída del avión en terreno baldío, Madrid, Parnaso 70, 1967, non paginé.

[8Le titre du poème signifie : « il n’y a pas de place », dans ibid.

[9Fernando Millán, Textos y antitextos, Madrid, Parnaso 70, 1970, p. 21.

[10Pere Gimferrer, Malienus, in Poemas (1962-1969), Madrid, Visor, 2000, p. 102.

[11Cf. les termes « cementerios », « exterminios », « esmeraldas », « desenterradas ».

[12Gilles Deleuze et Félix Guattari, Milles plateaux, Paris, Minuit, 1980, p. 597.

[13Ibid., p. 386.

[14Los Espejos (1962), dans Del no mundo, éd. Clara Janés, Madrid, Siruela, 2008, p. 85.

[15Pour Christian Prigent, tout poète rêve d’« inventer des formes chargées de significations mais dont le dynamisme emporte les significations dans des portées sonores et rythmiques dont l’in-signifiance condense le sens même du geste d’écrire » (Le Sens du toucher, Paris, Cadex, 2008, p. 7).

[16Le poème est oral, ce qu’Henri Meschonnic définit (en l’opposant au « parler ») comme « un primat du rythme et de la prosodie dans le mouvement du sens ». Voir Dans le bois de la langue, Paris, Laurence Teper, 2008, p. 61. Il établit aussi cette distinction dans Politique du rythme, politique du sujet, Paris, Verdier, 1995, p. 150.

[17« Le rythme et le discours », Langue française, no 56, 1982, p. 21.

[18Laurent Pflughaupt, Lettres latines, Paris, Éditions Alternatives, 2003, p. 94.

[19Julián Alonso, Arquitextura, Diputación de Guadalajara, 1992.

[20Plaisir poétique et plaisir musculaire, Paris, José Corti, 1986, p. 38 : « ces réactions qui nous donnent des sensations internes de contraction locale ou générale, d’angoisse, d’oppression, de halètement, modifient indirectement notre tonus et celui de nos attitudes et de nos gestes et agissent ainsi sur notre mimique externe muette, sur les mouvements de notre gorge et par suite sur les nuances de notre voix ».

[21Pensons simplement à la prononciation des mots « mamá », « papá ».

[22Laurent Pflughaupt, Lettres latines, Paris, Éditions Alternatives, 2003, p. 94.

[23Ediciones Cero a la izquierda, 2013.

[24En cela, elle possède une dimension rythmique pour Henri Meschonnic, « Une page est toujours un rythme, et un moment du rythme qu’est l’unité-livre », Critique du rythme, Paris, Verdier, 1982, p. 303.

[25C’est son 2e sens rapporté par le dictionnaire de la Real Academia Española.

[26C’est le 4e sens rapporté par le dictionnaire de la Real Academia Española.

[27Tiré de Julián Alonso, Poema del perdedor, inédit.

[28In Pasos en la arena, Diputación Provincial de Palencia, 2008.

[29Poesía visual española, Antología incompleta, Madrid, Calambur, 2007, p. 61.

[30Julián Alonso, Versos para no ser leídos, Palencia, Cero a la izquierda, 2008, non paginé.

[31Michel Guérin, « Le geste de penser », Revue Appareil, no 8, 2011, p. 64. En ligne : http://appareil.revues.org/1338. M. Guérin conclut ensuite : « Dans le fait, il n’y a pas conciliation, mais confrontation ouverte, ou mieux : passage souple d’un côté sur l’autre et retour. »

[32Editorial Al margen, 1994.


Pour citer l'article:

Lucie LAVERGNE, « Engendrer, éprouver, dissoudre : gestualité de l’œil, de la langue et de la main chez quelques poètes espagnols contemporains, à la croisée des poésies verbales et visuelles » in Les Gestes du poème, Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen en avril 2015, publiés par Caroline Andriot-Saillant et Thierry Roger (CÉRÉdI).
(c) Publications numériques du CÉRÉdI, "Actes de colloques et journées d'étude (ISSN 1775-4054)", n° 17, 2016.

URL: http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?engendrer-eprouver-dissoudre.html

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