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Thibault CATEL

Université de Limoges – EHIC

Exposer ou « philosopher » ? Le discours savant dans les canards sur les calamités naturelles

L’auteur

Thibault Catel est maître de conférences en littérature du XVIe à l’université de Limoges. Il a soutenu une thèse en 2016 sur l’exemplarité des histoires tragiques du XVIe et du début du XVIIe siècle. Ses recherches portent sur les rapports de la littérature et de la morale, l’historiographie et la littérature factuelle des occasionnels.


Texte complet


Introduction

En 1620, en même temps que des canards consacrés à d’étranges meurtres advenus dans un château bourguignon, à un protestant dévoré par les rats après avoir blasphémé contre le Saint-Sacrement, à l’apparition d’un démon à la queue verte sur la cathédrale de Quimper Corentin, aux amours épouvantables d’un diable habillé en gentilhomme et d’une demoiselle ou encore à une résurrection miraculeuse [1], paraît un occasionnel intitulé l’Histoire veritable de la descouverte de l’eau minérale. L’ouvrage, relatant la découverte d’une fontaine dans la Beauce et détaillant les propriétés médicinales de l’eau minérale, possède des caractéristiques éditoriales (nombre réduit de pages) et poétiques (insistance sur la véracité du récit et recours à une rhétorique de l’admiration) qui l’apparentent à un canard. L’Histoire veritable de la descouverte de l’eau minérale ne se réduit pourtant pas à une histoire prodigieuse de plus. L’occasionnel, animé d’un véritable souci de santé publique, se présente comme une vulgarisation de savoirs médicaux : il s’agit, avec l’eau minérale, de proposer aux malades un remède beaucoup plus bénin et accessible que les traitements alors imposés et redoutés par eux. L’occasionnel se fait même ordonnance médicale quand l’auteur indique à ses lecteurs la posologie qu’il convient alors de respecter.

Cet exemple a été le point de départ d’une interrogation sur la place et le sens du discours savant dans les canards [2]. Cette étude nous a paru pouvoir être encouragée par la valeur scientifique bien établie de deux corpus proches des occasionnels, encore que pour des raisons diverses : les périodiques et la Bibliothèque Bleue. Les historiens des sciences et ceux du livre ont bien souligné le rôle joué par les périodiques dans la diffusion et le développement aux XVIIe et XVIIIe siècles d’une science moderne entée sur une « culture du livre [3] ». Concernant la Bibliothèque Bleue, des travaux comme ceux de Lise Andries ont pu montrer que « la vulgarisation des connaissances est […] une des grandes fonctions de la collection [4] ».

Sans méconnaître la spécificité des canards par rapport à ces deux autres formes éditoriales et sans bien sûr vouloir en faire un support de diffusion privilégié du savoir ou de la science de l’époque, ce travail voudrait nuancer l’idée selon laquelle les canards ne viseraient qu’à effrayer quand ils relatent des événements extraordinaires et montrer que, selon des modalités qu’il conviendra de préciser, certains d’entre eux s’offrent aussi comme des livres de vulgarisation. C’est pourquoi nous avons cherché à aborder ces occasionnels en tant que « genre épistémique », c’est-à-dire, comme le définit Violaine Giacomotto-Charra à la suite de Gianna Pomata, « comme textes, et pas uniquement comme sources (au sens de vecteurs neutres) pour l’histoire des sciences [5] ». La critique insiste sur le fait qu’on ne peut séparer la teneur épistémique du genre qui l’exprime : « un genre épistémique est un genre précisément parce qu’il modèle progressivement son contenu [6] ». Les modes de diffusion des canards ainsi que leur format réduit jouent certainement autant dans le rapport au savoir que le seul conservatisme idéologique supposé de leurs auteurs. Cette notion de « genre épistémique » a encore l’avantage de prendre en charge l’hétérogénéité des genres rhétoriques des occasionnels : récits brefs, relations, traités, lettres, etc.

La poétique implicite des canards semble au premier abord peu compatible avec des développements savants. Ainsi la philosophie naturelle, conçue encore au début du XVIe siècle comme la scientia du monde matériel et de ses transformations, prend comme objet « ce qui est toujours ou ce qui est le plus souvent [7] », c’est-à-dire ce qui est produit par des causes universelles. Or, les auteurs de canards sont précisément à la recherche d’événements extraordinaires qui se caractérisent par un trouble de la causalité et qui sont susceptibles d’émouvoir, d’étonner, d’apeurer le lecteur. C’est ce que constate d’ailleurs l’auteur du Recit veritable du miracle arrivé en l’eglise de Paris :

Car les evenemens ne sont point admirez, s’ils ne sont merveilleux : Or ils ne peuvent estre tels, s’ils ne sont extraordinaires : d’où nous voyons que les hommes n’admirent point les mouvemens si reguliers des corps celestes, les revolutions des astres constantes et reglées parmy leur inconstance, les changemens et alterations continuelles dans le corps de la Lune, les differentes vicissitudes des saisons de l’année, et une infinité d’autres merveilles, qui se presentent à nos yeux sur le theatre de la nature [8].

Étant donné que les canards trouvent leur matière d’élection dans les phénomènes extraordinaires et spectaculaires, l’étude du discours savant scientifique portera sur les occasionnels rapportant des calamités naturelles de la fin des années 1560 à la fin des années 1630 [9]. Celles-ci offrent l’intérêt de mettre en jeu deux régimes d’explication des faits, qui peuvent tout autant s’exclure que se combiner : la théologie et la philosophie naturelle. À la différence d’autres événements extraordinaires comme l’apparition de démons ou de batailles célestes, les calamités naturelles ont une double nature qui peut tout aussi bien les faire tomber du côté des prodiges miraculeux que des événements naturels. Cette tension est accentuée par la science particulière qui traite de ces phénomènes : la météorologie. Ce domaine qui échappe aux sens et à l’observation directe facilite un rapport à l’occulte, au mystérieux, à la Providence. Mais en même temps, comme le rappelle Susanna Gambino-Longo, les Météorologiques d’Aristote, qui propose une lecture naturaliste de ces phénomènes, constituent durablement le cadre de toute réflexion sur la question [10]. Cette tension entre providentialisme et naturalisme se retrouve pleinement dans les canards qui, comme on le verra, mettent en dialogue et dramatisent les deux régimes d’explication des faits.

Cette étude se veut une présentation des diverses manières dont les occasionnels relatant des calamités naturelles se rapportent au discours savant. Nous avons cru pouvoir identifier trois types de relation au savoir : un refus net qui fait primer une rhétorique de l’effet sur la recherche des causes ; une critique polémique de la causalité naturaliste associée à l’athéisme ou au protestantisme (par laquelle paradoxalement le canard se constitue aussi un lieu de savoir) ; une volonté de relayer un certain discours savant qui passe soit par la vulgarisation d’arguments naturalistes soit, de manière plus originale, par la diffusion d’un savoir empirique et expérimental.

La raison des effets

La relative uniformité des titres des canards – souvent intitulés « discours » ou « histoire » – masque une certaine diversité formelle : relation sèche des dégâts [11], chroniques [12], lettres [13], relations de voyage [14], récits qui empruntent à la forme tripartite du sermon [15] et même horoscope [16].

Ce que l’on peut remarquer, mis à part l’occasionnel de 1625 signé Lamberville [17], est l’absence de tout conseil pragmatique pour se prémunir des calamités, alors qu’elles constituent un enjeu quotidien pour le travail des hommes. Certes, on admettra qu’il n’est pas aisé d’esquiver un éclair et que la nature même de la catastrophe est de mettre en demeure la prudence humaine. Cependant, il s’agit avant tout d’un choix rhétorique puisqu’un auteur comme Lucio Maggio, dans son dialogue sur les tremblements de terre traduit en 1575 [18], proposait justement quelques expédients pour se protéger contre ces mouvements de terrain [19]. Mais les canards cherchent moins sur ce point à instruire qu’à édifier. Leur providentialisme militant fait de la calamité non pas un risque à éviter mais une occasion de se repentir.

Ce providentialisme explique l’attitude prudente, si ce n’est frileuse, des auteurs lorsqu’il s’agit de déterminer les causes des catastrophes. Dans un canard de 1570 sur l’inondation du Rhône, l’auteur mentionnerait bien les « causes et raisons du desbordement, pour complaire au curieux » si elles n’étaient trop incertaines « pour la varieté des opinions [20] ». Il préfère donc laisser à chacun le soin de trancher et se contente de décrire ce qu’il s’est passé. Un canard de 1618 débute par ces mots : « Les jugemens de Dieu sont inscruptables, les evenemens des choses incognus, et la fin de la vie incertaine [21]. » De nombreux occasionnels font ainsi profession de pieuse ignorance. L’explication majoritaire qui est donnée des calamités reste qu’il s’agit de signes que Dieu nous envoie pour nous admonester ou nous châtier de nos péchés.

Dans un occasionnel de 1574, l’incendie advenu un Venise ne peut être expliqué par des « raisons naturelles » comme le voudraient les « Physiciens [22] ». Or, il est clair d’après l’auteur du canard que la « vraie cause » de cet « accident » est à chercher du côté de la colère de Dieu qui a permis que la foudre embrase la paille qui mit ensuite le feu au château [23]. Le canard se conclut par un psaume qui vient réaffirmer que les calamités naturelles sont avant tout des signes de l’ire divine [24]. Selon la belle formule de Denis Crouzet, dans ces canards, « la nature sort sans cesse de son cours naturel, pour devenir un espace théophanique [25] ».

La majorité des occasionnels s’intéressent plus aux effets qu’aux causes des calamités ou se contentent de mentionner des causes visibles et secondes (remparts rompus, engorgement de la rivière). La focalisation sur les effets de la catastrophe permet par ailleurs de résoudre un problème dans la représentation des calamités : le bruit du tonnerre, la force d’une secousse sismique, la quantité d’eau déversée sont difficiles à représenter en eux-mêmes. Il est plus simple de dépeindre leurs effets. En outre, la description des effets de ces catastrophes aurait l’avantage de mieux assurer de leur véracité :

Les effects cautionnent mon dire, et l’horreur qui les devance, contraint ma plume de faire halte à tout coup, chargée de honte, et troublée en soy-mesme de se voir engagée parmy ces sanglantes allarmes où la frayeur et l’estonnement seront le fruict de ses travaux [26].

Deux modes de représentation de la violence des événements sont alors privilégiés : l’énumération factuelle des dégâts matériels et la description dramatique qui transforme la scène en spectacle. Le premier mode de représentation repose sur la quantification des dommages matériels et humains. L’occasionnel de 1618 sur les inondations arrivées en Languedoc dénombre par exemple cinq-cents maisons brûlées à cause de la foudre [27] ; le canard de 1627 sur le tremblement de terre dans les Pouilles fait la liste de tous les lieux touchés et indique le nombre de morts (17 000) [28] ; celui de 1637 sur la foudre qui a frappé Tours et Amboise procède à un inventaire extrêmement précis des dégâts constatés dans les différents bourgs, rues, cimetières, jardins de particulier [29].

L’autre mode de représentation repose sur des images saisissantes, sortes d’imagines agentes témoignant de la puissance de la catastrophe. On peut penser au motif pathétique de l’enfant que l’on retrouve vivant entre ses deux parents morts [30] ou à celui topique du nourrisson dont le landau flotte sur les flots et qui sort indemne d’une inondation qui a décimé toute une ville [31]. Dans certains récits, les descriptions sont particulièrement soignées comme dans celui rapportant une inondation advenue en Angleterre :

Ce furieux escadron de Neptune en peu d’heures assiegea les villes et bourgades du païs, et en aussi peu les emporta : elles sembloient autant d’Isles emmy les eaux, et en un tour de teste ne paroissoient plus ; aux endroicts les plus avallez, les tours, les temples, et les arbres representoient des villes soumarines nouvellement descouvertes [32].

Plus loin, des lapins montés sur des brebis pour échapper à l’inondation viendront compléter ce tableau pittoresque.

Malgré cette tendance à ne rapporter que les effets, un nombre significatif des occasionnels répertoriés (plus d’un tiers) allèguent, en bonne ou en mauvaise part, les causes naturelles. C’est sur ceux-ci que portera désormais l’analyse.

Conflits de canards : la dénonciation de la causalité naturaliste

La recherche des causes des calamités, majoritairement conçues comme des signes envoyés par Dieu, est régulièrement dénoncée par les auteurs d’occasionnels. Ne pas se satisfaire de la valeur de signe des catastrophes, tenter d’en découvrir le mode de production, revient à refuser le dialogue avec Dieu. C’est en fonction de ce rapport à Dieu qu’il faut comprendre que la recherche des causes soit associée à deux catégories honnies par les auteurs du corpus : les naturalistes, fréquemment accusés d’athéisme, et les protestants.

Dénonciation du naturalisme

Le naturalisme regroupe divers courants d’idées hétérodoxes qui se développent au XVe et au XVIe siècles et qui rejettent les explications surnaturelles, soit en prônant un retour au vrai Aristote soit en se tournant vers le platonisme ou l’épicurisme [33]. Sous la même appellation de naturalistes sont regroupées des personnalités aussi diverses que Pomponazzi, Cardan ou les jésuites de Coimbra. Cette définition qui embrasse large correspond à celle qu’en proposent les occasionnels chez qui les naturalistes forment un ensemble aux frontières mal délimitées puisque les auteurs se gardent bien de citer un nom quelconque. Les naturalistes sont simplement caractérisés comme ceux qui cherchent des causes naturelles et « attribuent tout à nature [34] ». On pourrait reprendre comme trait distinctif plus précis, celui retenu par un canard de 1606 sur l’inondation du Tibre, qui fait des naturalistes ceux « versez en la Physique, et qui ont leu les Meteores, d’Aristote [35] ».

Un reproche fréquemment adressé à ceux qui s’interrogent sur la nature des causes est de ne pas prêter attention à la valeur de signe des calamités. La science témoigne d’un oubli de Dieu. Selon le canard sur un déluge arrivé en Poitou et en Bretagne, devenus sourds à Dieu, nous n’écoutons plus ses « messages ordinaires » : « nous donnons trop à la nature, et nostre inclination endurcie au mal, ou plustost aveuglée au centre de ses tenebres, ne veut point ouïr de ces nouvelles si elles ne sont extraordinaires [36] ». L’occasionnel sur le tremblement de terre survenu aux villes de Tours, Orléans et Chartres déplore que l’on n’ait pas tenu compte de la comète apparue un an auparavant qui annonçait la catastrophe : « nonobstant on n’en fait aucun estat, sinon que philosophiquement on veut recercher la cause de tels et autres prodiges : et plusieurs sont si osez que dire celà estre naturel [37] ». Le réquisitoire se poursuit quelques pages plus loin :

Ce tremblement n’est autre chose qu’un advertissement pour nous tirer à penitence, car encor que noz Philosophes facent cela naturel, et que c’est une exhalation chaude et seche estant és entrailles et profondité de la terre, y engendree de soymesme ou bien d’ailleurs y estant poussee, et que cherchant yssue pour aller au lieu de son ordinaire, par sa violence, elle rompe la terre, et la contraigne par sa vehemence à un tel mouvement : si est-ce toutesfois que bien peu souvent a-on veu tremblement de terre que quelque calamité, comme guerre, famine ou peste ne s’ensuivist [38].

L’auteur résume ici l’explication aristotélicienne des tremblements de terre qui fait encore autorité à l’époque [39]. L’argument, un peu lapidaire, qui est opposé à cette explication est celui de l’insuffisance de cette théorie pour rendre compte de la corrélation presque systématique qu’il y a entre le tremblement de terre et d’autres calamités. Le raisonnement naturaliste est condamné, non pas parce qu’il serait intégralement faux, mais parce qu’il est incomplet. En l’absence d’une théorie naturaliste capable de prendre en charge la totalité des faits, l’explication la plus satisfaisante rationnellement reste que le dérèglement du cours ordinaire de la nature est l’œuvre de Dieu.

On trouve une ligne d’argumentation similaire dans un canard sur un tremblement de terre arrivé à Angers en 1588. Le texte se présente comme une remontrance au lecteur trop curieux dont l’inclination pour les « raisons naturelles » est le revers d’une « mescognoissance de […] Dieu ». À la manière d’un sermon, le ton se fait accablant :

O miserable, double de malice ne te repens tu point de ta vie ? les cheveux ne te herissent ils point ? ton cœur ne te tremble il point ? Tu sçais que l’heure est incertaine de la venue de ce grand Dieu, et que ce pendant les messagers de sa Justice nous menassent rudement et presagent ou un renouvellement et changement de toutes choses, ou la venue de ce grand Dieu en sa gloire pour destruire toute ceste machine ronde pour la confusion de nos pechez. C’est folie d’alleguer tes raisons naturelles et philosophiques que ce sont des vents, lesquels enclos dans la terre, pour n’avoir exhalation ny respiration, invitent à ce grand tremblement. Tu me diras d’ailleurs que les eaux contenues aux fins de la terre entrant aux abismes, esmeuvent et la font trembler : mais toutes ces raisons frivoles mal digerees par ton esprit, sont elles suffisantes pour rabattre et confondre les effects de la puissance de Dieu, à fin que remettant le tout à la nature, tu te flattes en tes desirs, mescognoissant le moteur et autheur de toutes choses, qui t’a si liberalement doué de ses graces, et tu brusles d’un desir violant à considerer les secrets de Dieu, ausquels tu ne peux attaindre la cognoissance, pour-ce que tu n’as la foy, mais une ame ingrate [40].

Comme dans l’occasionnel précédent, l’explication naturaliste aristotélicienne échoue à rendre raison de tous les phénomènes observés. Si elle est condamnée, ce n’est pas en raison de sa faiblesse épistémologique mais bien parce qu’elle est l’expression d’un péché plus profond de libido sciendi, d’une hybris à vouloir « considerer les secrets de Dieu ».

Les canards tirent de la pluralité des explications théoriques un second argument contre les naturalistes :

Combien que les naturalistes ont travaillé leurs esprits, consommé le temps, despendu leur science en vain pour s’efforcer d’entrer dans le centre des causes et motifs des innondations, et chascun d’eux en descrire leurs opinions telle quelle : mais par les diversitez des causes, ou essence que chascun en son particulier opine, il semble plutost entre eux estre plus comble de mensonge que de verité : tellement que nous pouvons dire avec l’equité, laissant ces fantastiques esprits en leurs opinions, que le tout depart des arrests et executions qui s’ensuyvent de la glorieuse Majesté divine [41].

La diversité des opinions – dont le mot et ses dérivés sont trois fois répétés – des savants trahit la vanité et l’incertitude de la philosophie naturelle et alimente un scepticisme chrétien selon lequel Dieu est seul objet de certitude. Un autre canard souligne qu’après de vaines recherches des « causes occultes », l’homme finit par reconnaître « que la nature est une poësie Enigmatique, et une peinture à divers lustres et couleurs [42] ».

Le Discours sur l’espouventable et merveilleux tremblement de terre advenu à Ferrare et sur l’inondation du Pau, publié par Rigaud en 1570, un des premiers occasionnels à mentionner les naturalistes, est emblématique de la constitution du canard comme espace polémique de savoirs. Le tremblement de terre de Ferrare permet de confondre la « raison naturelle » à laquelle recourent les « physiciens ». Sur trois pages, l’auteur du canard reprend l’explication des naturalistes pour la réfuter :

Les naturalistes, et ceux qui attribuent tout à nature, m’ameneront peut estre les douze villes qui en Asie fondirent en abysme par un tremblement de terre du temps de Tiberius Cæsar : ils allegueront deux montagnes qui par un mouvement s’entrechoquerent, et qui causerent un dommage extreme en Italie : ils produiront un infinité de maux que tel accident à procreé : si est-ce qu’il y a quelque chose de particulier à considerer en se [sic] desastre, qui ne se trouvera en tous ceux qui jadis sont advenus. Qui sont les physiciens qui s’en soyent apperceus ? Le tremblement advenu aux Lacedemoniens jadis, leur fut predit : un autre le devina advenir en quelque autre lieu, par le sentiment de l’eau qu’il avoir tirée d’un puis : davantage les tremblements ne sont ordinairement qu’en temps serain, et non agité de vents, et lors mesmes que les oyseaux n’ont quasi moyen de voler : puis aussi ils n’adviennent presques que sur le printemps et l’automne : et voyla pourquoy la France pour sa froideur, et l’Ægypte pour sa chaleur, en sont exemptes. Il n’y a eu aucun tel signe en cestuy ci. Monsieur le duc ne l’avoit preveu : le peuple ne s’y attendoit : l’estat de la ville ne s’en interrompait : l’hiver aussi dominant par tout, n’en donnoit aucune souspeçon : et puis qui eust penser à chose tant inusitée [43] ?

Tout ce passage provient du livre II de l’Histoire naturelle de Pline : celui qui a annoncé le tremblement de terre aux Lacédémoniens est Anaximandre de Milet et celui qui l’a prédit grâce à l’eau d’un puits est Phérécyde, maître de Pythagore. L’escamotage des noms de ces autorités participe évidemment à une stratégie de disqualification de l’explication naturelle. Dans la seconde partie du texte, l’auteur du canard réfute la théorie naturaliste en soulignant qu’elle ne supporte pas l’épreuve des faits : en effet, le tremblement de terre de Ferrare s’est produit dans des conditions exactement inverses à celles décrites par les physiciens. La singularité de la calamité, mise en avant par le texte (« quelque chose de particulier à considerer », « chose tant inusitée »), vient remettre en cause la régularité et donc la prédictibilité des tremblements de terre.

L’auteur dresse ensuite un portrait pathétique des habitants frappés par le tremblement de terre. L’inondation qui vient après doit achever de confondre les partisans des causes naturelles :

L’ateiste cerchant ici quelque subterfuge et eschapatoire, s’esleveroit sur ses ergots, et voudroit fonder ses resveries sur cest accident, comme estant impossible, si la deité se mesloit des affaires humaines, que tel mal peut advenir, mais qu’il y advise [44].

Les physiciens et naturalistes sont devenus « l’ateiste ». La condamnation est topique. On peut rappeler que Brucioli, auteur de traductions de Lucrèce et qui sera mis à l’index pour ses traductions de la Bible, avait écrit des Dialogues sur certains points de la philosophie naturelle et choses météorologiques qui venaient d’être traduits en français (1556) [45]. L’enjeu est grave : il faut détourner les indécis des sirènes du naturalisme. Le canard apparaît comme un espace polémique, le lieu d’une bataille idéologique qu’il faut remporter pour le salut des fidèles.

Après cette attaque en règle contre les philosophes naturalistes, la fin du canard et de l’argumentation ne laisse pas cependant de laisser le lecteur perplexe. L’auteur y affirme que les philosophes et astrologues nous ont prédit, grâce aux planètes, un temps fort turbulent, ce qui est confirmé par les événements récents (inondations du Rhône et en Hollande). Alors qu’il refusait aux savants la capacité de prévoir des calamités, l’auteur fait ici volte-face. Il se sert même d’arguments astrologiques pour asseoir son propos. En fait, le problème est bien moins la teneur ou l’existence d’un savoir scientifique que l’orientation, la finalité de ce dernier.

Les auteurs d’occasionnels sont prêts à reconnaître l’existence de causes naturelles dès lors qu’elles sont intégrées à un discours providentialiste :

Un philosophe me peut rendre compte de la cause des deluges, et desbords des Torrents, qui procedent, soit ou des grandes pluyes, ou des neiges qui se fondent aux montaignes. Il me peut dire que l’iris ou l’arc en Ciel se fait lors que le Soleil frappant une onde de ses rayons, la reverberation en refrappe le nuage, si bien qu’il le bigarre de diverses couleurs comme l’on voit. Tout ce discours fondé sur la raison humaine a quelque apparence de verité, mais neantmoin il faut toujours lever les yeux plus haut, et regerder [sic] ce grand Moteur, qui reserve ces amas des neiges, ou des pluyes pour laver le salle limon de nos vices, comme il fit du temps de Noé, et qui au mesme temps fit paroistre ce bel email et cest arc celeste, en seigne d’une alliance nouvelle qu’il contracta avec les mortels [46].

De même, l’auteur du canard sur l’effondrement d’une montagne à Pivry ne dénonce pas l’existence de causes naturelles (il en mentionne même certaines) mais leur exclusivité :

Les abysmes et les feux tiennent quelque chose de la nature : mais voir muer de leurs places, il faut veritablement advoüer que ce fait est si hault, et la cause tellement cachée, que l’esprit humain n’est capable de pouvoir penetrer dans le creux de ces profondes cavernes [47].

On constate que, même dans les occasionnels les plus sévères à l’égard de la recherche des causes, une cohabitation de la philosophie naturelle et du discours théologique est possible : ce qui est condamné, encore une fois, n’est pas la reconnaissance de causes naturelles mais l’esprit de recherche, la vaine curiosité.

Foi de canards : science et protestants

Ce discours anti-savant prend un tour confessionnel et politique dans les années 1620. Les canards s’engagent dans la lutte contre les protestants, sur le plan théologique, en réaffirmant avec vigueur la sacralité de la Vierge et de l’Eucharistie : dans le Discours veritable du desastre miraculeux arrivé par le feu du ciel sur la fléche de l’Eglise Parochiale de Bar le Duc de 1619, c’est grâce à l’intercession de Marie que le feu est éteint [48] ; dans un autre canard de 1620, seul un pain de seigle contenant une hostie consacrée permet de chasser le démon qui était apparu sur l’église [49].

Les occasionnels suivent l’actualité politique puisque, de 1620 à 1628, Louis XIII a entrepris de lutter contre le parti protestant. De manière significative, plusieurs canards font mention de calamités advenues dans des places fortes protestantes où se déroulent des combats. La représentation des calamités assume clairement un rôle de propagande qui vise à soutenir les troupes royales et à décourager les protestants. Dans un canard paru en 1622 à propos de la foudre tombée sur la « ville mutine de Montauban », l’auteur rappelle que huit mois auparavant sont survenus des « signes effroyables au Ciel, comme prises de villes, deffaictes de plusieurs armees [50] ». Or, les protestants se sont gaussés de ces avertissements, déclarant « que les ignares peuvent croire ce que bon leur semble ; mais les gens doctes, et litterez ne croyent point ces fadaises [51] ». Dans un occasionnel de la même année, sur la non moins mutine Castres, la foudre apparaît comme un instrument de Dieu, protecteur des monarchies, « pour escraser les testes rebelles » :

Ce sont des coups du Ciel ceux là, et qui sont d’autant plus pesants qu’ils viennent d’une cause plus qu’humaine, pour nous faire voir et cognoistre que nous ne sommes que des avortons, et que les forces humaines ne sont qu’un petit soufle au regard de ces vents violents et orageux qui descendent d’enhaut : et pour nous faire toucher par la mesme experience que Dieu abhorre les rebellions des peuples contre leurs Souverains [52].

Dans les deux canards, on observe à la fois une politisation de la calamité (elle vient prêter assistance à Louis XIII dans son entreprise de reconquête du territoire) et une confessionnalisation négative de la science : ce sont les esprits forts huguenots qui, à la manière des naturalistes, refusent de voir dans les calamités un signe divin.

Ce réenchantement du miracle à des fins confessionnelles et politiques est dans l’air du temps. La même année, par exemple, Guillaume de Rennes publie Les Merveilles et miracles tant naturels que surnaturels, qu’il dédicace à la Vierge. Il s’agit d’un long poème sur la nature qui, par la substitution des thèses providentialistes aux thèses atomistes, se veut l’équivalent chrétien du De rerum natura de Lucrèce. Contre les protestants, Guillaume de Rennes se prononce en faveur des miracles de la Vierge [53] et affirme la nature catholique des divers miracles que l’on peut observer [54].

De ce parcours, on constate que les canards défendent un providentialisme selon lequel le dérèglement de la nature ne peut être entièrement expliqué par des facteurs naturels et qui fait de la recherche exclusive de causes un signe de la défiance par rapport à Dieu. En cela, les canards diffèrent grandement de la Gazette où les catastrophes recensées sont enregistrées en tant qu’information politique [55] et de périodiques ultérieurs qui considéreront les calamités naturelles non plus comme des signes mais des risques à anticiper et à éviter.

Le canard déchaîné : diffusion d’un discours savant

La vulgarisation des savoirs

Les occasionnels ne sont pas pour autant, dans leur totalité, hostiles à la causalité naturaliste. Il s’en trouve quelques-uns pour diffuser des exposés savants dont la longueur atteste leur ambition de vulgarisation. On peut prendre comme exemple un canard de 1615 sur le dégât causé par un orage en Picardie. Le début du texte ne semble pas favorable aux explications naturalistes : l’auteur rappelle que les catastrophes sont des signes envoyés par Dieu pour nous inciter à la repentance. Dans le passage suivant, cependant, large place est faite aux explications savantes :

Il y a toutesfois des personnes si impies qui veullent persuader que les embrazements et cheutes du feu celeste : sont plustost choses naturelles ou ordonnees pour chastier les mal vivants, qui transgressent sans espoir d’aucun amendement, les commandements du tout puissant, et disent qu’il y a deux sortes de vapeurs qui montent sans cesse en l’air, dont les unes sont chaudes et humides, et d’autant qu’elles sont les plus grandes et pondereuses, demeurant en la moienne region de l’air et la sont condensees et espoissies et enfin se resouldent et convertissent en pluyes, gresles neiges, et autres choses semblables : les autres exhalations qui sont eslevees de la terre en l’air, sont chaudes et seiches et par leur chaleur et siccite elles sont eslevées plus haut que les precedentes, de maniere qu’elles arrivent jusques à la supresme region, et la s’eschaufent et enflamment tellement que d’icelles naissent et prennent origine les feux et flames, les Commettes ardentes, dragons et autres choses semblables, lesquelles causent de l’estonnement et de la terreur au peuple qui est ignorant des causes d’icelles quand il eschet que les vapeurs seiches viennent quelquesfois à penetrer et s’engouffrer dedans le sein de quelques nuées, elle les fendent et crevent par la partie la plus fragille, et alors l’esclair se manifeste, le Ciel retentit, puis de l’ardeur de c’est entre-choquement qui sort des nuëes, naissent les foudres, combien que ceste raison soit naturelle, si est-ce que les tempestes ne sont pas toujours attribuees aux causes naturelles, les Diables comme dit Sainct Paul, les esmeuvent quand Dieu leur veut permettre, infinité d’exemples tirees [sic] de sainctes escritures, le verifient assez [56].

On perçoit, au début et à la fin de l’extrait, l’effort de l’auteur pour concilier, certes avec maladresse, recherche des causes et possibilité d’une interprétation providentialiste. Pour le reste, il s’agit d’une exposition naturaliste en bonne et due forme des phénomènes météorologiques, issue à la fois d’Aristote et de Lucrèce [57] – ce dernier niant pourtant explicitement que la foudre soit l’œuvre des dieux. Il est remarquable que l’auteur du canard ne cherche pas à réfuter cette explication et qu’il fasse de l’ignorance des causes, non plus un signe de dévotion, mais de la simplicité du peuple (« peuple qui est ignorant des causes »).

Dans un occasionnel de 1578, publié à Lyon chez Rigaud, sur un tremblement de terre advenu à Lyon [58], sur les sept pages de texte une seule est consacrée à cet événement précis. Les six autres sont une reprise des développements de Pline sur les tremblements de terre, ceux-là mêmes qui étaient réfutés et raillés dans le canard de 1570 sur la catastrophe de Ferrare publié également chez Rigaud. Les mêmes savoirs sont désormais pris en bonne part et l’auteur cherche à redonner une intelligibilité à la réflexion plinienne : les savants (Anaximandre de Millet et Phérécyde) retrouvent leur identité, l’argumentation n’est plus tronquée (l’auteur suit Pline jusqu’au bout) et les liens entre les signes étranges et les tremblements de terre à venir sont de nouveau explicités [59]. Au vu de cette disproportion entre la relation de l’événement et les passages explicatifs, il s’agit, pour l’auteur de l’occasionnel, bien plus de vulgariser un savoir que d’édifier.

Dans certains canards, comme celui sur une inondation advenue en 1616, on observe des tentatives intéressantes pour appliquer la théorie aux faits :

Il est ainsi que par les pluyes y advenuës le Vendredy treziesme jour de Janvier, 1617 (le jour precedent ayant esté clair et autant serain qu’il estoit possible, neantmoins de bien grandes chaleurs) s’esleverent en l’air plusieurs vapeurs et nebulositez sortantes des montagnes circonvoisines, desquelles vapeurs humides, et espaisses, peu chaudes ; se causent les nuees, la bruyne, la neige, la pluye, la gresle et la rosee. Or d’icelles se causa subitment une pluye forte et continuë, laquelle tomba de plus en plus en abondance, en sorte que puis apres par la violence de l’eau, des torrents, coulante impetueusement par un petit ruisseau (lequel on passe quasiment ordinairement à pied sec) descendant des montagnes au costé gauche, vers Savonne, vint une tant grande et ravissante inondation d’eaux, qu’il en est advenu un succez calamiteux et deplorable [60].

L’effort pour rendre compte de ce désastre de manière immanente passe à la fois par une reconstitution des circonstances climatiques qui ont précédé la catastrophe et par une description précise de la topographie. L’auteur cherche à établir les causes de cet événement – le verbe « causer » revient à deux reprises dans le texte – qui se trouvent, selon la doxa aristotélicienne, dans la température des vapeurs ici dégagées par la pluie.

Le savoir véhiculé se caractérise par un certain conservatisme scientifique. Comme le remarquent deux historiens des sciences, Paul Delaunay et Jacques Roger : « Plus que les autres sciences de la Nature, les sciences de la Terre portent, au XVIe siècle, le poids des attitudes intellectuelles ou psychologiques héritées du passé [61]. » Le canard de 1634 sur l’incendie de la forêt de Boisfort ne manque pas d’intérêt sur ce point. Avant de décrire les ruines de l’incendie, l’auteur veut

faire voir quel est l’ordre des quatre elemens, sçavoir le Feu, l’Air, l’Eau, et la Terre, et de faire paroistre comme le Feu est le plus puissant et redoutable de tous, en cette sorte. Chacun sçait qu’il y a quatre Elemens, dont le premier et le plus haut c’est le Feu : ce qui est aysé à voir és cometes, qui est une vapeur que le feu enflamme. L’autre plus prochain, c’est l’air, qui est appellé des Grecs et des Latins Aer. Cet Element vivifie toutes chose : aussi se fourre-il partout, et se mesle avec tout ce qui est de cet univers : et tient on que par la vertu d’iceluy la terre balance au milieu de l’eau, qui est le quart element. De-là vient que joignant l’un à l’autre, ils causent une liaison et complexion si grande, que ceux qui sont legers sont retenus bas par la pesanteur de ceux qui sont pesans, et au contraire ceux qui sont les plus legers tiennent les plus posans en raison, et les gardent d’aller à fonds. Et par ainsi usans esgalement de leurs forces contraires, et chascun en son endroict, ils demeurent fermes, et retirez de l’assiduel du Ciel ; lequel se contournant tousjours en soy-mesme tient la terre en son milieu comme son plus bas Element de tous. La terre aussi suspenduë aux engons de cet univers, tient par contre-eschange les Eslemens mesmes qui la tiennent en suspens. Et neantmoins elle est seule immobile, car tout cét univers se contourne à l’entour d’icelle. Et neantmoins comme elle est meslee et composee de tous les autres Elemens, aussi leur sert elle comme point d’appuy. Voila ce quel est l’ordre (suivant l’Histoire naturelle) des quatre Elemens en general [62].

L’auteur nous livre un véritable morceau de science, un résumé profitable à la fois de la théorie des éléments développée par Aristote et de la cosmologie ptoléméenne. Alors que les découvertes coperniciennes se diffusent enfin largement en Europe, alors que l’édifice aristotélicien qui repose sur la théorie des quatre éléments est remis en cause depuis le milieu du XVIe siècle (notamment par Cardan qui, dans son De subtilitate, refuse au feu sa nature d’élément [63]), cet canard paru en 1634, qui défend bec et ongles le feu comme élément premier et supérieur, apparaît comme une ultime tentative pour sauver le monde clos et rassurant que garantissaient ces théories.

Il arrive, bien que ce soit plus rare, qu’un autre type de discours fasse entendre. En 1633, paraît un occasionnel intitulé Histoire des effets merveilleux du Tonnerre et Foudre du Ciel qui s’ouvre sur une discussion à propos de la nature du tonnerre dont l’ampleur témoigne d’une véritable volonté de diffusion du savoir :

C’est une chose veritable qu’en toutes les creatures il y a un amour, et un petit universel qui les incite à aymer leur naturel, et à le desirer. Mais comme les nations sont diverses, ainsi est-il de l’amour et de l’apetit qui sont en elles, d’où vient qu’il y a d’autant de sortes de nature, que de diversitez. C’est pour cela que le feu et l’air ayment naturellement le haut, et y tirent tousjours comme leau et la terre ayment le bas, et y tendent continuellement. Or c’est en cecy que l’on considere la cause des tonnerres, des tremblemens de terre, et autres semblables troubles entre les Elemens. Car tout cela arrive lors que les creatures, qui par leurs contraires sont empeschees de suivre leur naturel, combatent contre celles qui les en gardent, comme s’il y avoit guerre ouverte entre elles. Ce qui fait que celle qui par force se peut donner ouverture, acquiert l’avantage qu’elle souhaite. Mais à cause de la repugnance qui y est, cela ne se peut faire sans grande violence, et bruit merveilleux, dont procedent plusieurs effects admirables, notamment du tonnerre. C’est ce qui a donné sujet à plusieurs grands esprits d’en rechercher les causes de pres : Mais les opinions des hommes en cela sont toutes differentes. Les uns soustiennent que le tonnerre est causé des coups que donne le feu estant dans les nuees, lesquelles il fend, se faisant paroistre parmy comme on peut voir és éclairs. Aristote en ces Meteores escrit que des exalations chaudes et seches, eslevees de la terre jusques en la supreme region de l’air, et repoussees par la vertu des rais des estoiles dans les nuees naist et provient le tonnerre. Car ces exalaisons voulans sortir au large et se mettre en liberté, apportent ce bruit, que Nature estouffe souvent tandis qu’elles combattent contre les nuees. Mais lors qu’elles peuvent avoir issuë, elles font éclater la nuë comme si c’estoit une vessie pleine de vente rompuë par force.
Je laisse toutes ces disputes aux Philosophes, et je me contenteray de dire, que la vraye cause du tonnerre est le vent enclos, qui ne cherche qu’à sortir. Mais ce qui est le plus esmerveillable en iceluy, c’est la grande violance de son éclair, et les choses étranges qui arrivent de son feu, à cause de son mouvement fort leger. Chacun sçait qu’il y a difference de chaleur, et non seulement pour la matiere un feu est plus chaud que l’autre, comme celuy qui est au fer, est plus chaud que celuy qui est en la paille, et celuy qui est au bois de chesne, est plus chaud que le feu du bois de saule. C’est pour ceste raison qu’il faut sçavoir que le feu est plus chaud et plus puissant en six manieres ; Par nature, comme j’ay dit, car le plus ardent brusle plus legerement et davantage ; Par la matiere, comme celui qui est au fer ; Par mouvement, car il est plus penetratif ; Par magnitude ou propre, ce qui est commun à chaque feu ; Par l’empeschement de respiration et par contrainte ensemble, comme il se void en la chaux, qui s’allume d’eau : car la chaleur acquise et causee en la fournaise estant l’espece du feu, est enclose et assemblee dans la chaux, dont elle revient en feu par le mouvement et assemblage de l’eau. Or le mouvement contraint doit non seulement penetrer davantage, mais aussi il allume la chaleur, et rend un feu plus chaud qu’un autre. Voila pourquoy ce n’est pas grande merveille si l’esclair du Tonnerre a tant de force et de violence que son feu, comme allienné de la nature des autres, fait des choses estranges, puis que non seulement il penetre plus à cause de son mouvement leger, mais qu’il est beaucoup plus chaud que tout autre feu : D’où vient qu’il peut tuer toutes sortes d’animaux en les touchant, et faire fondre l’argent qui est dans une bourse sans la brusler ny endommager aucunement. En voicy des tesmoignages si clairs, que qui voudroit douter ignoreroit la lumière du Soleil [64].

L’auteur du canard fait mention de plusieurs théories, toutes naturalistes, qu’il restitue avec fidélité. Dans la seconde partie du texte (à partir de « je laisse toutes ces disputes aux Philosophes [65] »), il tranche en faveur de la théorie de Lucrèce sur les vents. Ce passage sur la chaleur variable du feu est tiré du De Subtilitate de Cardan, dont l’auteur semble suivre la traduction qu’en a donnée Richard Le Blanc [66]. En réalité, il s’agit d’une reprise presque mot pour mot d’une compilation anonyme intitulée les Diversitez de toutes les principales choses du monde [67]. L’adaptation (ou le plagiat) montre que, malgré l’originalité des propos qu’il rapporte, l’auteur ne se départ pas d’une certaine prudence : alors que le compilateur cite Épicure sans sourciller, l’auteur du canard biffe précautionneusement ce passage dans son adaptation (entre les deux paragraphes). Cet occasionnel ne manque cependant pas de cohérence : alors que l’auteur du traité se plaît à raconter des histoires et à lister les causes « supernaturelles » du tonnerre, l’auteur de l’occasionnel s’en tient résolument aux faits matériels et, quand il le peut, observables. C’est en raison de ce « positivisme » qu’il faut comprendre qu’il fasse suivre son histoire d’une autopsie réalisée par un chirurgien comme on va le voir.

La science expérimentale : le sang et le chirurgien

La valeur savante, si ce n’est scientifique, des canards réside en fait sûrement moins dans l’exposé de théories nouvelles que dans la relation d’expériences et dans l’empirisme de certaines observations. Par exemple, dans Les estranges et desplorables accidents arrivez en divers endroits sur la riviere de Loire paru en 1633, l’auteur propose une explication des inondations détachée de tout providentialisme qui repose sur des observations géologiques :

Particulierement la riviere de Loire, qui de tout temps les impetuositez ont tousjours fait de grands naufrages, pourautant qu’elle est platte et non profonde, cela cause son excessive rapidité, et icelle occasionne souventesfois la perte de beaucoup de biens et de personnes qui naviguent sur ladite riviere [68].

L’Histoire miraculeuse des eaux rouges comme sang, tombées dans la ville de Sens relève quant à elle pleinement de la science expérimentale. Le récit rapporte qu’il y a peu s’est abattue sur Sens et ses environs une pluie rouge dont le titre nous dit qu’elle est miraculeuse. Il n’en faut pas plus pour que les habitants concluent à une chute de sang tombée des cieux. Maître Thomas Mont-Sainct, chirurgien de son état et auteur de cette lettre devenue un occasionnel [69], ne se rallie pourtant pas à l’avis populaire. Avec méthode, il observe où et quand sont tombées ces pluies et met à l’épreuve l’hypothèse sanguine en détrempant des feuilles de son jardin qui ont reçu ces gouttes. Le destinataire pourra lui-même en faire l’expérience car il lui envoie plusieurs feuilles tachées, accompagnées des conseils suivants :

Je vous advise seulement que pour cognoistre le sang d’avec cette matiere semblable, cela est maintenant facile estant sec, pource que le sang qui est sec ne se dissoult pas si aysément que font lesdictes taches et marques, qui se delayent à la moindre humidité et s’effacent. Or le sang desseché, bien qu’il rougisse, premierement il ne garde pas sa couleur vermeille : et qui plus est, il le faudroit laisser tremper longuement. Bref c’est une vraye couleur de vermillon ou de lacque : Si vos sçavants veulent mediter sur ce sujet, vous leur pouvez communiquer la pure verité [70].

Le maître diffuse, à des fins savantes, un processus expérimental précis issu de son savoir empirique de chirurgien.

On peut citer un autre canard dans lequel empirisme et observation supplantent l’exposé de connaissances théoriques ou théologiques. Il s’agit du Discours sur l’inondation arrivée aux faux-bourg S. Marcel lez Paris, par la riviere de Bièvre du sieur de Lamberville. Dans cet occasionnel, il n’est plus nulle part question d’explications philosophiques à l’inondation, les « causes » sont purement matérielles :

La possession vitieuse, clandestine et violente de plusieurs proprietaires des heritages situez le long de la riviere de Bievre et ancien cours d’icelle, estant cause des inondations et Deluges survenus és fauxbourgs Sainct Marcel et Sainct Victor, requiert qu’on en mette au jour les remedes et moyens certains.
[…] Contre le naturel des autres rivieres, elle est PORTÉE, (vraye cause des inondations,) et coule contre le cours du Soleil, ayant sa source et orgine entre Guyencourt et Sainct Cloud, descendant dans la riviere de Seyne au dessus de la porte Sainct Bernard [71].

Le sieur de Lamberville, qui souhaite vendre ses services d’ingénieur à la ville, procède ensuite à une liste de solutions matérielles contre les inondations [72] et soustrait, par là même, ce type de calamités au discours habituellement fataliste qui les accompagnait.

Enfin, dans l’Histoire des effets merveilleux du Tonnerre de 1633 déjà citée, on remarque un intéressant changement du régime d’attestation des événements : il ne s’agit plus de se fonder sur la bonne parole de l’auteur mais d’étayer son discours sur des faits positifs. L’auteur joint en effet, à l’appui de ses déclarations sur les accidents causés par la foudre à Bonny-sur-Loire, le certificat d’un chirurgien connu de l’époque (G. Pichery). Le maître barbier donne non seulement l’identité précise des cinq victimes frappées par les éclairs (noms, métiers, adresses) mais encore fait l’autopsie de leur corps avec un haut degré de précision :

[…] s’est trouvé sur l’os parietal droict, une contusion de la grosseur d’une bale de mousquet, le poil de la barbe du mesme costé a esté roussi et bruslé, il luy est paru quelques gouttes de sang aux oreilles et nez, son cousteau estant dans sa pochette dans sa gaine du mesme costé, ayant la pointe en haut, ladite gaine a esté rompuë et le cousteau fondu en sa pointe, et sur le taillant proche ladite pointe, ledit taillant est fondu et demeuré comme de couleur d’estain. Il ne s’est trouvé aucun mal à ses habits, ains sont tous entiers. Quatre ou cinq heures apres sa mort, tout le bas ventre estant ou plus chaud que s’il eust testé vif, rendoit une odeur de soulfre brûlé, de telle sorte qu’à peine pouvoit-on durer dans la chambre où il estoit [73].

L’occasionnel, dans cette seconde partie attentive à assurer la référentialité de son propos, devient le support d’un savoir purement informationnel, retrouvant peut-être en cela une origine épistolaire. Délesté de tout discours, et plus encore de toute narrativité, le canard tire son intérêt de l’attestation et de la transmission de faits qui valent pour eux-mêmes et non plus pour leur signification cachée et pourront tout autant attirer le curieux qu’intriguer l’homme de science.

Comme on a pu le voir, les occasionnels sur les calamités naturelles ont tendance à tenir les explications savantes à bonne distance que ce soit par goût pour le spectaculaire, par providentialisme, ou encore par prudence. Cette attitude, si elle témoigne d’un certain conservatisme savant (que l’on observe dans l’attachement à la cosmologie ptoléméenne), ne doit pas être prise comme une marque d’obscurantisme et d’ignorance. Les auteurs des canards ont une connaissance – certes souvent rudimentaire – des causes naturelles qu’ils participent à diffuser quand bien même ce serait de manière polémique. Le problème n’est pas tant l’existence d’une science que son orientation épistémologique. Si les naturalistes font le lit de l’athéisme, c’est en ce qu’ils défendent un état de la science qui n’a d’autres fins qu’elle-même. Cependant, on observe parallèlement que des occasionnels, certes minoritaires, assument un rôle de vulgarisation scientifique voire se font le véhicule d’un savoir expérimental. Polémiques ou didactiques, les canards mentionnant des causes naturelles prouvent, s’il en était encore besoin, que le public des occasionnels, pour curieux qu’il soit des faits étranges, n’en est pas pour autant guidé seulement par la soif des sensations fortes.

Si les développements sur les causes deviennent plus fréquents au fil du temps, il faut se garder de toute approche téléologique qui voudrait voir dans cette évolution le signe d’un tournant rationaliste qu’auraient pris ces occasionnels. À côté de ces nouveautés qui annoncent les feuilles scientifiques perdurent en bonne place les canards providentialistes.

La diffusion de savoirs expérimentaux dans les occasionnels, à partir des années 1620, bénéficie en fait de la valorisation progressive de l’expérience dans la science. On sent affleurer, dans le recours à ces disciplines non universitaires que sont la chirurgie ou l’ingénierie, des préoccupations scientifiques nouvelles, pour lesquelles l’empirisme et l’observation jouèrent un grand rôle [74]. Il n’est peut-être pas étonnant que le canard, plus tard le périodique, en puisse être un des supports privilégiés, car son format bref se prête merveilleusement bien à la relation d’expériences et d’observations circonstanciées, ponctuelles et débarrassées d’un appareillage théorique trop pesant.

Ces occasionnels, qui relaient un discours savant en bonne part, sont peut-être l’indice d’un changement qui touche la manière même d’envisager la valeur de ces imprimés : le scripteur ne serait plus ce locuteur anonyme dont la parole particulière s’efface devant celle des discours officiels, mais un énonciateur dont la voix individuelle s’affirme. Le fait que les occasionnels, qui délaissent les explications théologiques au profit du savoir expérimental, soient signés (cas de l’occasionnel de Lamberville) ou attribuent le discours à des individus vivants et savants irait dans le sens de l’établissement progressive d’une fonction-auteur dans les canards.

Notes

[1Respectivement Cruels et estranges meurtres et massacres faits dedans le chasteau de Broignon, pres la ville de Dijon en Bourgongne, au commencement de mars dernier. Ensemble les estranges et espouvantables choses qui s’y sont passees, Paris, jouxte la copie imp. à Langres, par J. Des Preys, 1620 ; Discours miraculeux, tres admirable, prodigieux et veritable, d’un de la Religion Pretenduë de La Coste Saint-André, en Dauphiné, lequel pour avoir blasphemé contre le Saint-Sacrement a été miserablement mangé par les rats, Chambéry, A. Brossard, 1620 ; La Vision publique, d’un horrible et tres-espouvantable Demon, sur l’Esglise Cathedralle de Quimpercorentin en Bretagne. Le premier jour de ce mois de Fevrier 1620. Lequel Demon consomma une Pyramide par feu, et y survint un grand tonnerre de foudre du Ciel, Rennes, J. Durand, 1620 ; Les estranges et espouventables amours d’un Diable, en forme de Gentillomme. Et d’une Damoisselle, de Bretagne, Rennes, J. Courtois, 1620 ; Miraculeuse resurrection d’un enfant venu mort au monde, Qui a receu vie en l’Eglise de Nostre-Dame de Bonne-nouvelle en Gastinois, le 16. Juillet 1620, Paris, Cl Armand, 1620.

[2Nous ne ferons pas dans cet article de différence substantielle entre les dénominations de « canards » et d’« occasionnels » qui posent chacune des problèmes spécifiques (voir sur ce point la contribution de Romain Weber dans ce recueil).

[3Voir par exemple Nicolas Petit, L’Éphémère, l’occasionnel et le non livre à la bibliothèque Sainte-Geneviève (XVe-XVIIIe siècles), Paris, Klincksieck, 1997.

[4Lise Andries, « Histoire de livres bleus », dans Lise Andries et Geneviève Bollème, La Bibliothèque Bleue. Littérature de colportage, Paris, R. Laffont, 2003, p. 22.

[5Violaine Giacomotto-Charra, « Quelques réflexions sur la notion de genre épistémique à la Renaissance », Réforme, Humanisme, Renaissance, 2018/1, no 86, p. 185-197, et particulièrement p. 185. Pour la théorisation de cette notion, V. Giacomotto-Charra renvoie à Gianna Pomata et Nancy G. Siraisi, (dir.) Historia. Empiricism and Erudition in Early Modern Europe, Cambridge, MIT Press, 2005, p. 1-38.

[6Violaine Giacomotto-Charra, art. cité, p. 188.

[7Aristote, Métaphysique, trad. J. Tricot, Paris, Vrin, 2000, VI, 3, p. 232.

[8Recit veritable du miracle arrivé en l’Eglise de Paris, le 9. jour de May 1631, Paris, François Julliot, 1631.

[9Nous avons retenu une cinquantaine de canards parus entre 1561 et 1637 qui traitent de tremblements de terre, d’incendies, d’inondations, de foudres et de tonnerres.

[10Susanna Gambino-Longo, « La météorologie au XVIe siècle entre Aristote et Lucrèce », dans Frank La Brasca et Alfredo Perifano (dir.), La Transmission des savoirs au Moyen Âge et à la Renaissance, Presses universitaires de Franche Comté, 2005, vol. 2, p. 275-288.

[11Discours sur l’espouvantable et merveilleux desbordement du Rosne dans et à l’entour la ville de Lyon et sur les misères et calamités qui y sont advenues, Lyon, Rigaud, 1570 ; Discours deplorable d’une estrange inondation d’eaux survenuë le 13 janvier à Ceve ville de Piedmont, Chambéry, P. Meziere, 1616.

[12Memorable discours des foudres, tempestes, tonnerres, tourbillons de vens, tremblement de terre, inondations d’eaux, Paris, P. Mesnier, 1587 ; Histoire deplorable des signes apparus au ciel, avec la perte de la ville et marquisat de Seve et de l’épouvantable mort de plus de quatre mille personnes, qui ont été submergées par le grand déluge, arrivé aux vallées de Piemont, et du grand tremblement de terre advenu en la ville de Montelimar, Lyon, J. Doret, 1610 ; Admirable et horrible inondation et deluge d’eau, advenue dans la val d’Oste, depuis le 15 jour du mois de juin 1620 jusques au 30 d’iceluy, Troyes, M. Bertier, 1620.

[13Merveilleux deluge d’eaux et de foudres, advenu à Constantinople, qui a causé la ruine de plusieurs edifices d’inestimable valeur, où la vie du grand Seigneur a perillé. Avec les convenances de paix entre la Seigneurie de Venize et ledit grand Turc, Lyon, B. Rigaud, 1570 ; Effroyable accident arrivé en la Savoye et Piedmont, par la foudre et tempeste tombée du ciel entre son Altesse le Prince Major et un Seigneur de marque, Lyon, F. Yvrat, 1629.

[14Discours merveilleux et effroyable du grand tremblement de terre, advenu és villes de Rouen, Beauvais, Pontoise, Mantes, Poicy, Saint Germain en Laye, Calais, et autres endroicts de ce Royaume. Avec le traicté des processions et prieres publiques qui ont esté faictes le 6. jour d’Avril 1580, Lyon, M. Jove et J. Pillehotte, 1580.

[15Discours espouventable de l’horrible tremblement de terre advenu ès villes de Tours, Orleans et Chartres, le Lundi XXVI. jour de Janvier, dernier passé, Paris, J. d’Ongoys, 1579 ; Sur le tremblement de terre survenu à Angers le 26. Mars, 1588. Conseil chrestien, Paris, s. n., 1588 ; Discours veritable sur le calamiteux naufrage et deluge des glaçons au pays de Poitou et Bretagne, Avec la perte d’un fauxbourg d’Orléans, le vingt-huictiesme de Janvier, Lyon, J. Poyet, 1608.

[16Brief discours de quelques pluyes de sang advenues au Conté de Venaissin, ensemble d’un tonnerre prodigieux advenu sur la fin de Janvier 1574. Avec la signification d’une Planette en forme humaine, comme un feu begearre et violent, sortant ses effects sur les villes de Lyon, Avignon, Carpentras, Beauquaire, Nismes et Montpellier, et autres lieux de la Gaule Narbonnoise. Le tout calculé par noble A. de Blegers de la Sale, docteur Mathématicien, Astrophile et Poesiphile, natif de Carpentras et citoyen d’Avignon, Lyon, J. Patrasson, 1574.

[17Discours sur l’inondation arrivée aux faux-bourg S. Marcel lez Paris, par la riviere de Bievre, le lendemain de la Pentecoste 1625. Et moyens d’empescher à l’advenir telles inondations & conserver ladite riviere à cause de son incomparable proprieté pour les Teintures, nonobstant le destour des sources de Rungis. Plus, autre advis pour l’establissement des Tueries, Tanneries et Megisseries, par le moyen du destour de ladite riviere, du dessus de la ville de Paris, Paris, J. Barbote, 1625.

[18Lucio Maggio, Discours sur les tremblements de terre en forme de dialogue, Paris, D. Du Val, 1575.

[19Plus tard, Louis du Thoum développera lui aussi quelques « remedes » à adopter contre les tremblements de terre (outre s’enfuir du lieu où terre tremble…) : faire des conduits sous terre pour favoriser l’évacuation des vents, choisir des maisons qui ont des caves ou des voûtes moins exposées, préférer les murs de brique, ne pas construire sur des sols près de la mer (Le tremble-terre ou sont contenus ses causes, signes, effets et remedes, Bordeaux, G. Pernot, 1616, p. 200 sq.).

[20Discours sur l’espouvantable et merveilleux desbordement du Rosne, op. cit., p. 10, cité n. 11.

[21Discours veritable et deplorable de la chute des ponts au Change et S.-Michel, arrivée à Paris le 20 janvier, par le ravage des eaux et impétuosité des glaçons ; ensemble de deux maisons et demi au faubourg S.-Marcel, avec la mort de sept ou huit personnes, Lyon, J. Gautherin, 1616, p. 3.

[22Brief discours du merveilleux et terrible accident advenu par feu, en la ville de Venise, apres les triumphes et magnifiscences faictes à l’élection du Duc. Avec une exortation faicte au peuple par un docteur en theologie d’icelle ville. Dedié à Monsieur le Cardinal de Lorraine, Paris, P. Des-Hayes, 1574, n. p. Cet occasionnel reprend en large partie un autre paru en 1561 sur l’incendie de Londres (Brief discours de la tempeste, et fouldre advenue en la cité de Londres en Angleterre, sur le grand temple et clocher nommé de sainct Paul, le quatriesme Juin, M.D.LXI, Paris, G. Nyverd, 1561). La relation de 1574 se démarque de celle de 1561 par les passages ajoutés sur les naturalistes et la causalité.

[23Par ailleurs, la causalité régulière invoquée par les « Physiciens », en relativisant l’unicité extraordinaire de la catastrophe, ne possède par le même intérêt dramatique que la colère divine.

[24« L’ire de Dieu qui souvent se courrouce / De noz meffaits, ses traicts enflammez / Pour esmouvoir les cœurs audacieux / A redouter la puissance des cieux » (Brief discours du merveilleux et terrible accident advenu par feu, en la ville de Venise, op. cit., n. p., cité n. 22).

[25Denis Crouzet, « Sur la signification eschatologique des “canards” (France, fin XVe-milieu XVIe siècle) », dans Marie-Thérèse Jones-Davies (dir.), Rumeurs et nouvelles au temps de la Renaissance, Paris, Klincksieck, 1997, p. 25-42, et particulièrement p. 37.

[26Discours veritable sur le calamiteux naufrage et deluge des glaçons au pays de Poitou et Bretagne, op. cit., p. 4-5, cité n. 15.

[27Les grandes Inondations arrivées au pays du Languedoc, avec les deluges espouvantables advenus au bourg de Boullebecq et autres lieux du pays bas. Ensemble le nombre des hommes, femmes et enfants, et le nombre des maisons qui ont été bruslées durant ledit deluge, Lyon, J. Villet, 1618.

[28Recit veritable et espouventable du tremblement de terre arrivé à la Pouille le 30 juillet de la presente année 1627. Traduit d’Italien en François, suyvant la lettre envoyee de Naples (le 7 août 1627), Lyon, C. Armand, 1627.

[29Histoire remarquable et très-véritable de la foudre arrivée tant en la ville, faubourgs de Tours, et près de la ville d’Amboise et autres lieux circonvoisins desdites villes. Écrit de Tours, le 28e jour de juillet 1637, Tours, s. n., 1637.

[30Discours prodigieux de ce qui est arrivé en la comté d’Avignon, contenant tant le déluge, dégât des eaux et feu tombé du ciel, Paris, N. Rousset, 1616.

[31Voir Le Grand Desbord et inondation de la riviere du Tybre, advenu à Rome le dix huictiesme de janvier 1606, Paris, F. Hyby, 1606 ou Discours deplorable d’une estrange inondation d’eaux survenuë le 13 janvier à Ceve ville de Piedmont, op. cit., cité n. 11 ou encore Discours veritable du grand et espouventable deluge arrivé en Espagne au Comté de Barcelone, Paris, E. Libert, Jouxte la copie espagnole, 1618.

[32Discours veritable et tres-piteux, de l’inondation et debordement de mer, survenu en six diverses provinces d’Angleterre, sur la fin de janvier passé 1607, Paris, F. Bourriquant, 1607, p. 6.

[33Nous reprenons cette définition à Benoît Belhoste, Histoire de la science moderne. De la Renaissance aux Lumières, Paris, Armand Colin, 2016, p. 243.

[34Discours sur l’espouventable et merveilleux tremblement de terre advenu à Ferrare et sur l’inondation du Pau audit lieu, Lyon, B. Rigaud, 1570, p. 5.

[35Le Grand Desbord et inondation de la riviere du Tybre, op. cit., p. 1, cité n. 31.

[36Discours veritable sur le calamiteux naufrage et deluge des glaçons au pays de Poitou et Bretagne, op. cit., p. 4, cité n. 15.

[37Discours espouventable de l’horrible tremblement de terre advenu ès villes de Tours, Orleans et Chartres, op. cit., p. 8, cité n. 15.

[38Ibid., p. 18-19.

[39Dans les Météorologiques, Aristote écrit que les phénomènes qui relèvent de la science météorologique (la foudre, les tremblements de terre, les vents, les météores, arc-en-ciel) proviennent tous des exhalaisons sèches ou humides de la terre, combinées à la température des matières avec lesquelles elles entrent en contact.

[40Sur le tremblement de terre survenu à Angers le 26. Mars, 1588, op. cit., p. 8-9, cité n. 15.

[41Discours prodigieux de ce qui est arrivé en la comté d’Avignon, op. cit., p. 3-4, cité n. 30.

[42Recit veritable de la ruine arrivee en la ville de Pivry, au pays des Grisons, Paris, J. Bouïllerot, 1618, p. 4.

[43Discours sur l’espouventable et merveilleux tremblement de terre advenu à Ferrare, op. cit., p. 5-7, cité n. 3.

[44Ibid., p. 12-13.

[45Dans ces derniers, Brucioli s’intéresse aux différentes causes physiques du « terremot », expression de la « force de la Nature », et jamais dans son exposé ne fait intervenir Dieu (Dialogues sur certains points de la philosophie naturelle et choses météorologiques, pris des dialogues d’Antoine Brucioli, Lyon, G. Rouille, 1556, p. 56).

[46Le Grand Desbord et inondation de la riviere du Tybre, op. cit., p. 2-3, cité n. 31

[47Recit veritable de la ruine arrivee en la ville de Pivry, au pays des Grisons, op. cit., p. 4, cité n. 42.

[48Discours veritable du desastre Miraculeux arrivé par le feu du Ciel sur la fléche de l’Eglise Parochiale de Bar le Duc, ville capitale du Duché de Barrois, le 14. jour du présent mois de Mars 1619, Lyon, F. Yvrard, 1619. On rappellera aussi que le début du XVIIe siècle est marqué par l’essor des congrégations mariales (voir Louis Châtellier, L’Europe des dévots, Paris, Flammarion, 1987).

[49Le grand feu, tonnerre et foudre du ciel, advenus sur l’eglise cathedrale de Quimper-Corentin en basse Bretainne. Ensemble la vision publique d’un horrible & tres-espouventable demon sur ladite eglise dans ledit feu, le premier jour de février 1620, Rennes, Durand, 1620.

[50Les effects miraculeux, sur le desastre fait par l’horrible foudre du Ciel, tumbee sur la ville de Montauban, Lyon, P. Marniolles, 1622, p. 7.

[51Ibid., p. 8.

[52Effroyable accident arrivé dans la ville de Castres par l’embrasement de leur magasin procédant de la foudre du ciel, ou leurs poudres, salpestres, plomb, mesches & autres munitions ont esté emportees en l’air, Paris, N. Rousset, 1622, p. 12.

[53« Les miracles qu’on voit se faire en ceste Eglise / Vous dictes, Reformé, que ce n’est que feintise / Et qu’ils ont dés longtemps en l’eglise cessé, / De ce vous combattez la Vierge et ses merveilles : / Mais ce ferme Rocher n’est en rien offencé, / Par tous les foibles coups de vos machines vieilles » (Guillaume de Rennes, Les Merveilles et miracles tant naturels que surnaturels, Paris, P. Godeau, 1622, p. 1).

[54« Miracle est sur Nature, ou en Nature mesme / Miracle est un effect de ce grand Dieu supresme, / Une action de maistre un traict de Souverain / Un tel tesmoignage seur de puissance celeste / Dont la cause est cachée à tout esprit humain / Bien que l’effect en soit aux hommes manifeste. / C’est un don precieux dont Jesus favorize / Souvent sa chere espouse et Catholique Eglise » (ibid., p. 2)

[55Voir Grégory Quinet, « L’économie de l’information sur les catastrophes à l’époque moderne », dans René Favier et Anne-Marie Granet-Abisset (dir.), Récits et représentations des catastrophes depuis l’Antiquité, Grenoble, Publications de la MSH-Alpes, 2005, p. 291-305.

[56Discours pitoyable de la ruine advenuë depuis peu de jours en l’un des fauxbourgs de la ville de Han en Picardie, par le feu du ciel, qui brusla environ six vingts et sept maisons, et une belle Eglise, avec un grand nombre d’Habitans, où furent veuz des signes merveilleux et estranges, apparoistre au Ciel, Paris, G. de la Rivière, 1615, p. 4-6.

[57Pour Lucrèce, la formation de la foudre provient de l’entrechoquement des nuées (De rerum natura, L. VI, v. 100-422).

[58Tremblement de terre advenu à Lyon le mardy vingtiesme jour de may mil cinq cens septantehuict, peu avant les quatre heures du soir, Lyon, B. Rigaud, 1578.

[59Ainsi, si l’on a pu prévoir le tremblement de terre de l’eau du puits, c’est en raison de la mauvaise odeur de celle-ci, qui provient des mouvements souterrains invisibles en train de se produire.

[60Discours deplorable d’une estrange inondation d’eaux survenuë le 13 janvier à Ceve ville de Piedmont, op. cit., p. 4-5, cité n. 11.

[61Paul Delaunay et Jacques Roger, La Science moderne (de 1450 à 1800), Paris, PUF, 1969, t. II, p. 109.

[62L’Effroyable Incendie et bruslement general de la Grande Forest de Boisfort en Picardie. Et les Deplorables Ruines arrivees par le Feu aux lieux circonvoisins. La nuict du mardy au mercredy trentiesme Aoust 1634, Paris, J. Augé, 1634, p. 3-6.

[63Cardan, Les livres de Hiérome Cardanus, intitulés de la subtilité et subtiles inventions, ensemble les causes occultes et raisons d’icelles, traduis de latin en françois par Richard Le Blanc, Paris, C. L’Angelier, 1556, fo 24 ro.

[64Histoire admirable des effets merveilleux du Tonnerre et Foudre du Ciel, qui ont tué et blessé plusieurs personnes et bœufs estant à la campagne près de Gyen et Bony sur Loyre. Et un deluge inombrable d’eauës arrivé en mesme temps aidit lieu. Avec le certificat du sieur Pichery, Chirurgien, demeurant à Bony, qui a visité les corps morts et blessez, Paris, J. Martin, 1633, p. 3-7.

[65Cette intervention ne marque pas nécessairement un refus du savoir, mais sûrement plus une attention au lectorat visé, vraisemblablement peu savant, qui pourrait être gagné par l’ennui si cet exposé se prolongeait.

[66Cardan, Les livres de Hiérome Cardanus, op. cit., fos 27 ro-28 vo.

[67Diversitez de toutes les principales choses du monde. Traictees fort amplement et divisees en douze Journées, par le sieur de la P., Paris, R. Fouet, 1610, p. 77 ro-vo.

[68Les estranges et desplorables accidents arrivez en divers endroits sur la riviere de Loire, & lieux circonvoisins, par l’effroyable desbordement des eaux, & l’espouventable tempeste des vents le 19. & 20. janvier 1633. Ensemble les miracles qui sont arrivez à des personnes de qualité & autres, qui ont esté sauvez de ces périlleux dangers, Paris, J. Brunet, 1633, p. 4.

[69Le lien entre expérimentation scientifique et genre épistolier n’est peut-être pas de circonstance. Il annonce en tout cas l’importance des lettres comme mode de diffusion de la pensée scientifique au XVIIe siècle.

[70Histoire miraculeuse des eaux rouges comme sang, tombées dans la ville de Sens et és environs, le jour de la grand feste Dieu dernière 1617, Paris, S. Moreau, 1617, p. 6-7.

[71Lamberville, Discours sur l’inondation arrivée aux faux-bourg S. Marcel lez Paris, par la riviere de Bièvre, op. cit., p. 3 et p. 7, cité n. 17.

[72Parmi plusieurs d’entre elles, on peut retenir que les meuniers doivent avoir des pales nivelées à proportion de l’eau ou qu’ils doivent augmenter d’un pied la hauteur des berges.

[73Histoire admirable des effets merveilleux du Tonnerre, op. cit., p. 11, cité n. 62.

[74Voir sur ce point Clifford D. Conner, Histoire populaire des sciences, Montreuil, L’Échappée, 2011, p. 241-329.


Pour citer l'article:

Thibault CATEL, « Exposer ou « philosopher » ? Le discours savant dans les canards sur les calamités naturelles » in Canards, occasionnels, éphémères : « information » et infralittérature en France à l’aube des temps modernes, Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen en septembre 2018, publiés par Silvia Liebel et Jean-Claude Arnould.
(c) Publications numériques du CÉRÉdI, "Actes de colloques et journées d'étude (ISSN 1775-4054)", n° 23, 2019.

URL: http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?exposer-ou-philosopher-le-discours.html

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