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Sharon P. JOHNSON

Virginia Tech (Virginie, USA)

Glissements discursifs et rhétoriques : des récits de viol dans le conte de fées, la jurisprudence et les canards sanglants de l’Ancien Régime

L’auteur

Sharon P. Johnson, professeure-chercheuse à Virginia Tech (États-Unis), est l’auteure de Boundaries of Acceptability : Flaubert, Maupassant, Cézanne et Cassatt, paru en 2000 chez Peter Lang. Elle a publié des articles sur les canards sanglants du XIXe siècle et sur la ville de Paris à la même époque. En particulier, elle a analysé la manière dont les discours médical, politique et littéraire ont construit les épidémies, l’immoralité et l’insalubrité de la ville en les croisant avec les traits qui caractérisent ses ouvriers et ouvrières. Cet article fait partie de sa monographie en cours intitulé Bodies that Speak : Narration and Interpretation of Rape in Law, Medicine and the Canards Sanglants in Nineteenth-Century France.


Texte complet


Cet article analyse la manière dont trois discours du XVIIe siècle – littéraire (« Le Petit Chaperon rouge » de Perrault), légal (dix manuels de jurisprudence) et journalistique (six canards sanglants) – représentent les crimes de viol et de rapt [1]. Dans ces trois types de discours, la construction du genre influence la manière dont on établit la culpabilité. À cet égard, les trois discours emploient des stratégies narratives et rhétoriques semblables, où la violence contre la femme devient un acte de désir ; les agresseurs deviennent les victimes ; et les victimes se métamorphosent en acteurs du crime, coupables de leur propre viol ou rapt.

Dans dix manuels et dictionnaires de jurisprudence consultés, allant du XVIe au XVIIIe siècle, le rapt et le viol sont décrits comme des délits violents et criminels [2]. Dans leurs définitions, le mot « rapt » renvoie à « viol » et inversement, brouillant donc le sens et le contexte de chacun. Le rapt et le rapt de séduction étaient vus comme les crimes les plus dangereux, car les parents craignaient que leurs filles en soient victimes et qu’elles perdent ainsi leur chasteté, leur innocence, et leur honneur. Ces manuels donnent la fausse impression que les crimes de viol étaient systématiquement punis. Georges Vigarello a analysé ces dimensions et souligne que les accusations de viol, leurs procès et leurs convictions étaient très rares. Il souligne aussi que les victimes déclaraient rarement leur viol, car le crime était considéré comme un péché et qu’elles seraient considérées comme impures et coupables du crime [3].

La critique littéraire aux États-Unis qui analyse le droit comme un texte culturel incite le lecteur à réfléchir sur le rapport entre la loi et la littérature. Peter Brooks et Paul Gewirtz (Law Stories) aussi bien que Guyora Binder et Robert Weisberg (Literary Criticisms of Law) ont généré des approches interprétatives à ce champ d’études interdisciplinaire, appelé le « Law and Literature Mouvement » – le mouvement de la loi et de la littérature [4]. Cet article propose une approche dans cette tendance critique où l’on analyse les représentations du viol et du rapt d’un point de vue narratif, c’est-à-dire en tant qu’histoires qu’on raconte concernant ce crime, le langage et la forme adoptés, et la manière dont on les interprète. Comme Brooks l’a dit si succinctement, « le langage fait partie intégrale de la rhétorique, on ne peut pas y échapper [5] ».

Mon corpus de canards sanglants de l’Ancien Régime se base sur la recherche précieuse de Jean-Pierre Seguin. Son Information en France avant le périodique présente 517 titres de canards sanglants. Maurice Lever suggère que des centaines ont été perdus, rendant les copies existantes encore plus rares. Les seuls parmi les 517 titres répertoriés de Seguin qui traitent du crime de viol, de la violence sexuelle ou du rapt sont les numéros 30, 35 [6], 36, 37, 103 [7] et 485 [8] représentant 1 % des cas traités dans son travail [9]. C’est un thème encore moins présent que dans mon étude actuelle sur des canards sanglants qui relatent le crime de viol pendant le long XIXe siècle, provisoirement intitulée Bodies that Speak : Narration and Interpretation of Rape in Law, Medicine and the Canards Sanglants in Nineteenth-Century France. Dans cette monographie en cours, j’ai répertorié 115 canards sur 3 300 titres analysés, ce qui représente 0,03 % de mon corpus. Pour ceux de l’Ancien Régime, quoique les numéros 40, 70, 71 et 76 représentent le crime de rapt ou de viol, ils sont exclus de cet article, car ils relatent un crime ou motivation différents (la vengeance et/ou l’inceste) ou un événement hors de la période analysée dans ce travail.

Cruauté plus que barbare et inhumaine de trois soldats Espagnols, contre une jeune Damoiselle Flamande ; lesquels après luy avoir ravi par force le thresor de sa virginité, lui firent violemment sentir la mort. Ensemble la juste punition de ces ravisseurs meurtriers en face de l’armée, le 6 Avril 1606 [10].
Exemplaire punition du violement et assassinat commis par François de La Motte, Lieutenant du sieur de Montestruc, en la garnison de Mets en Lorraine, à la fille d’un bourgeois de ladite ville : et executé à Paris le 5 Décembre 1607 [11].

Comme la jurisprudence de l’époque, les récits des six canards montrent une idéalisation de l’application des lois du viol ; on dénonce le crime de viol et la morale dramatise le châtiment des péchés de l’homme. Cependant, dans les canards 30 et 36, la culpabilité de l’agresseur est minimisée, car il est représenté comme une victime de son désir. La décriminalisation de la violence est emblématique des discours légaux et sociaux des XVIIe et XVIIIe siècles, soulignant une acceptation tacite des crimes violents contre la femme, et du viol en particulier.

Mon interprétation du « Petit Chaperon rouge » se base sur les sept premières éditions, de 1697 à 1785-1786 [12], car l’intrigue est restée identique, tout comme le public [13]. De même, la jurisprudence n’a pas changé jusqu’à la Révolution Française (1789) et au code Napoléon (1805). Ce conte cherche à instruire et à plaire. Les similarités que l’on trouve entre la jurisprudence et « Le Petit Chaperon rouge » se doivent sans doute au fait que Perrault fut avocat, officier et membre de l’Académie française pendant le règne de Louis XIV. La contextualisation de la voix qui normalise la violence avec la jurisprudence dans les manuels à travers trois siècles aide le lecteur actuel à saisir les présuppositions qui sous-tendent ce conte.

Ce que les trois discours partagent est la transmission d’une leçon, ou leur prétention à servir de guide moral. « Le Petit Chaperon rouge » représente une dimension du mythe social au sens barthésien ; il dépeint une compréhension « naturelle » de notre place dans la société et les sanctions sociales qui nous arrivent lorsqu’on transgresse les normes appropriées pour chaque sexe :

Ce que le monde fournit au mythe, c’est un réel historique, défini, […] par la façon dont les hommes l’ont produit ou utilisé ; ce que le mythe restitue, c’est une image naturelle de ce réel. […] Le mythe ne nie pas les choses, sa fonction est au contraire d’en parler : simplement, il les purifie, les innocente, les fonde en nature et en éternité, il leur donne une clarté qui n’est pas celle d’explication, mais celle du constat [14].

Les mœurs et les comportements sociaux sont traités comme une vérité, expliquant la nature du monde. Les manuels et dictionnaires de jurisprudence et les deux canards analysés ici constituent une autre dimension de ce « réel historique » dont parle Barthes. Les deux construisent leur « réalité » en incorporant des exemples de mythes antiques et/ou de la littérature afin d’illustrer leurs arguments et raisonnements. Les trois discours s’informent les uns les autres ; individuellement et collectivement ils construisent un sens du monde et ils cherchent à régler le comportement humain. Bien que les aspects qui réunissent ces trois textes culturels soient similaires dans leur manière d’inculquer, de reproduire, et quelquefois de mettre au défi les structures du pouvoir et les systèmes de pensée, insistons sur le fait que les trois n’ont pas la même portée sociale. Un conte de fées ou les événements racontés dans un canard sanglant ne régissent pas la vie d’un individu comme le fait la jurisprudence dans un tribunal.

Les manuels de jurisprudence présentent un historique de la pénologie du viol depuis la loi romaine jusqu’à leur époque, on trouve une accumulation de discours et de sentences sévères contre le rapt et le viol, ce qui cache le fait qu’on laissait le plus souvent passer ce crime sans châtiment. Quand on regarde de plus près les sept peines pour crime de viol dans La Jurisprudence de Pape, six sur sept coupables ont reçu la peine la plus légère, telle qu’une somme à payer au lieu de la peine de mort [15]. D’une manière semblable, les canards 30 et 36 donnent une représentation idéalisée de la loi ; le viol est dénoncé et leurs titres et morales dramatisent les châtiments des péchés des hommes.

D’un crime de violence à un crime de désir ; comment la victime devient le coupable du crime

Parmi tous les documents analysés, les canards présentent le crime de viol et de rapt avec le plus grand nombre de détails et avec le style le plus littéraire et passionné. C’est comme si le crime avait inspiré un transport. Comme nous le savons bien, et Maurice Lever le souligne, les canards constituent un genre hybride qui mêle le journalisme, le reportage, la chronique judiciaire et la fiction. Sous l’Ancien Régime ils ont été reconnus comme un genre à part [16]. Dans le 30e canard, le chroniqueur s’émeut en relatant l’enlèvement et le viol de Mademoiselle Marthe :

[Les soldats espagnols] ravissent de ses lèvres rosines par force plusieurs baisers, ils découvrent son sein blanc comme lait, et par des attouchements impudiques s’efforcent de découvrir ce qu’elle couvrait [17].

Il dévoile le corps de Marthe et son viol imminent avec retenue mais aussi dans un langage poétique et érotisé qui semble décrire un ravissement désiré des deux côtés plutôt qu’un viol. La domination physique de la femme par l’homme fait avancer le récit. Les mots « par force » nous rappellent qu’il s’agit d’un acte de violence ; cependant lorsqu’on brouille les langages violent et érotique, la description devient incongrue, car le chroniqueur qualifie les lèvres et les seins de Marthe de « rosines » et de « blanc comme le lait » en déclarant la « cruauté plus que barbare et inhumaine » de ce crime [18]. On n’a pas affaire à des faits neutres [19].

Les manuels judiciaires décrivent les crimes sans rien embellir et avec très peu de descriptions physiques ; ils présentent le qui, le quoi, le lieu, l’âge de la victime et de l’accusé avec les arguments présentés au procès. Le style du conte de fées de Perrault est plus simple et épargne au public des détails graphiques et sanglants. Comme genre populaire, le merveilleux se combine avec la magie ; le dialogue anime le récit et les animaux qui parlent ajoutent un plaisir supplémentaire. Les lieux sont moins précis (le village, la forêt, la maison de grand-mère), les personnages n’ont ni prénom ni patronyme et sont présentés comme des types avec des caractéristiques reconnaissables [20]. La mère est « bonne », la grand-mère est « malade », le loup est « intelligent », « rusé », « dangereux » et « doucereux », et le Petit Chaperon rouge, comme son nom l’indique, est petite, et naïve. L’équivoque et les indices à double entente permettent deux interprétations possibles de ce conte. Il se peut que l’âge baroque ait influencé le style exubérant des récits des canards sanglants, tout comme le Classicisme et la bienséance ont pu influencer le conte de Perrault dans la mesure où ce dernier écrit d’une manière moins sensationnaliste et avec plus de réserve en narrant deux crimes de meurtre ou de viol.

Les récits des trois catégories de texte partagent d’autres points communs. Dans les canards comme dans le conte de Perrault, les victimes de la violence sont des filles ou des adolescentes [21] et elles sont représentées avec les mêmes traits : la beauté physique, la naïveté et l’insouciance [22]. Les trois textes présentent une scène où une fille devient la victime du crime, car elle ne prête pas attention à son environnement ou ne réfléchit pas. Avant le crime, la nature est une force positive ; les protagonistes aiment écouter les oiseaux, courir après des papillons et cueillir des fleurs. Leurs plaisirs simples s’opposent aux désirs et aux ruses des agresseurs. Leur contentement met mal à l’aise les lecteurs parce qu’ils sentent qu’une attaque se prépare. Quand la fille est surprise, l’attaque et l’horreur de ce qui suit sont dramatisées. Cette exposition récurrente contribue à un glissement narratif central par lequel la victime devient complice de son propre viol, rapt ou meurtre.

Le premier exemple vient du « Petit Chaperon rouge » :

En passant dans un bois [le Petit Chaperon rouge] rencontra compére [sic] le Loup […]. Il lui demanda où elle alloit : la pauvre enfant […] ne sçavoit pas qu’il étoit dangereux de s’arrêter à écouter un Loup [23] […].

Le Petit Chaperon rouge lui donne alors des indications précises pour se rendre chez sa grand-mère. Il dit qu’il aimerait y aller aussi et propose qu’ils prennent deux sentiers différents pour voir qui arrive le premier :

Le Loup se mit à courir de toute sa force par le chemin qui étoit le plus court ; & la petite fille s’en alla par le chemin le plus long, s’amusant à cueillir des noisettes, courir après des papillons, & à faire des bouquets de petites fleurs qu’elle rencontroit [24].

Dans l’histoire, le Petit Chaperon rouge fait des erreurs de jugement : elle parle au loup, elle perd son temps à s’amuser dans la forêt, et elle croit que sa grand-mère est malade lorsque cette dernière lui parle avec une voix si grave. Sur ces erreurs Perrault construit sa moralité en disant que 1. « des jeunes enfants, surtout des jeunes filles belles, bien faites et gentilles font très mal d’écouter toutes sortes de gens » ; 2. « ce n’est pas chose étrange que le loup en mange autant [25] ».

Perrault présente une leçon curieuse : le lecteur n’apprend pas que des crimes horribles ont des conséquences sévères pour ceux qui les commettent, mais plutôt que la victime est à blâmer. C’est elle qui a parlé au loup quand elle n’aurait pas dû et elle qui doit changer son comportement en prêtant attention aux actions d’autrui. Le conte dépeint symboliquement et littéralement deux types de violences possibles contre la femme – le meurtre et/ou le rapt de séduction. La moralité fonctionne purement à un niveau littéral, servant comme un avertissement contre les dangers du rapt ou du viol. Dans le conte de Perrault, l’auteur disculpe le loup, comme la jurisprudence disculpe les agresseurs du crime de viol. Dans le crime de meurtre, une victime est toujours la victime du crime sans exception ; cependant, dans le crime de viol, on met en question l’honneur et la crédibilité de ce que raconte la femme et on examine ce qu’elle a fait ou pas lors des procès. Dans ce sens, il y a des similarités structurelles entre l’avertissement de Perrault et le langage de la jurisprudence qui ressemblent plus aux interprétations du crime de rapt et de viol qu’à celui de meurtre.

Dans les deux canards, la victime est encore une fois coupable de ce qui lui arrive à cause de sa naïveté ou de son insouciance :

[…] recueillant maintes odorantes fleurs, [mademoiselle Marthe] entendait le gazouillement des oiseaux. Hélas, au milieu de ces plaisirs, elle ne prévoit les malheurs qui lui doivent arriver ; en ces délices elle ne reconnaît son désastre ! Ces trois Espagnols la découvrant d’assez loin, accourent si couvertement à la faveur du bois, que la pauvre demoiselle fut plutôt surprise qu’éprise du désir d’échapper [26].
« Ma fille, venez avec moi, et je vous en montrerai de plus beaux, et de plus belle [sic] fleurs, […]. » Ce jeune tendron, portée de son jeune désir et qui conduite de sa simplesse, se met à la suite de la vieille, comme un chevreuil, sous la conduite du boucher, va droit à la boucherie. Hélas ! […] Cette pauvrette s’en va pour trouver quelques bouquets et fleurettes, ne pense pas qu’elle va perdre […] le bouquet des bouquets et la reine des fleurs, qui est la rose de sa virginité, voire même sa propre vie [27].

Dans ces deux extraits et dans la jurisprudence, du regret s’exprime pour les victimes du crime d’une manière semblable : « la pauvre enfant [28] », « la pauvre demoiselle [29] », « cette pauvrette [30] » ou « la pauvre fille [31] » Dans tous les textes, les filles sont représentées comme les objets du désir masculin, de la faim ou de la brutalité animale / masculine. Cela dit, la jurisprudence ne dépeint pas toujours l’agresseur ou le crime dans ces termes.

Dans le 30e canard, les violeurs sont aussi tenus pour coupables. Le titre est explicite : « ces ravisseurs meurtriers » ont reçu « la juste punition ». Mais il y a un renversement langagier à la fin de l’histoire qui disculpe partiellement les trois soldats espagnols. Le 36e canard suggère que la victime est à blâmer : les jeunes filles sont violées à cause de leur beauté. On reviendra sur ces deux glissements discursifs. Dans le conte de Perrault et dans la jurisprudence, on blâme les femmes pour les crimes de viol ou de rapt, car on estimait que des jeunes filles étaient faibles et incapables – physiquement et mentalement – et pour cette raison aussi elles faisaient des témoins moins crédibles. Selon Georges Vigarello, les femmes étaient considérées comme coupables si les juges estimaient qu’elles étaient à un endroit dangereux ou qu’elles avaient une moralité douteuse [32]. En particulier, on trouve ce langage de culpabilité dans les maximes IV et V de Bruneau quand il décrit le crime de viol. Dans la maxime IV, il cite Aristote qui avance qu’une femme ne peut pas être blâmée pour le crime de viol si ce n’était pas volontaire (!) ; cependant, le philosophe conclut que la nature féminine est naturellement plus faible et donc susceptible de pécher :

Aristote dit qu’une action ne peut être imputée à blâme lorsqu’elle est involontaire. Il ne faut pas conclure qu’une fille ou femme n’a pas été violée ou prise par force de ce qu’elle a conçuë & se trouve enceinte, […] car suivant la Medecine [sic], la nature agit quoique la volonté ny consente pas, elle s’irrite par la volupté & par d’autres raisons [33] […].

Dans cette citation, le viol est érotisé comme le désir, et un acte violent est représenté comme un phénomène où la femme est guidée par sa « volupté », un type de jouissance sexuelle qu’elle vit pleinement. On en infère que la femme désire être violée ; l’homme lui donne ce qu’elle désire et donc n’est pas coupable. De cette manière, un acte de viol est décriminalisé, étant codé comme une forme de concupiscence.

La femme est aussi blâmée dans la jurisprudence lorsqu’on trouve une confusion entre le rapt et le viol d’une manière encore plus flagrante. Dans les entrées « rapt » de Denisart et de Ferrière, la femme est représentée comme une victime de l’amour. Dans le manuel de Ferrière, les jeunes femmes sont prises par les mots séducteurs de leurs ravisseurs qui profitent d’elles dans leurs moments de faiblesse. La vertu féminine se laisse emporter par la séduction :

… le rapt de séduction est plus dangereux […] parce qu’il plus difficile à éviter. En effet, […] sitôt que l’âme d’une jeune personne est subjuguée par la séduction ; elle ne peut pas se délivrer de la captivité où elle se trouve réduite. […] Dans le rapt de séduction, tous les sens sont fascinés avec le cœur, on ne pense que comme pense le séducteur, on a les mêmes sentimens [sic] que lui, & l’on ne voit que par ses yeux [34] .

En s’appuyant sur des distorsions lexicales, la jurisprudence traite de l’enlèvement et du viol poétiquement, comme une affaire de cœur. Le suborneur / violeur devient un séducteur motivé par le désir. La soumission de la jeune femme est inévitable ; elle ne peut pas échapper à sa captivité métaphorique. Le séducteur et la séduite forment une entité. Le viol devient le ravissement, et la violence devient le désir.

De la violence au désir : comment l’agresseur devient la victime

La représentation des traits, des désirs et des motivations de l’agresseur se recoupent entre les trois discours. Dans le « Petit Chaperon rouge » et les canards sanglants, les hommes / agresseurs sont dépeints comme agressifs, méchants et métaphoriquement comme des animaux affamés. Dans tous les textes, le ravissement des femmes est naturalisé ou érotisé. Quand la violence est dépeinte comme un comportement « normal » ou est transformée en acte de désir, on amoindrit ou anéantit ses aspects inhumains et abominables [35]. Paradoxalement les agresseurs « brutaux » et « cruels » du viol et du rapt sont aussi exhibés comme des victimes malheureuses de leurs propres désirs. Comme les protagonistes femmes, ils sont « [des] pauvre[s] malheureux [36] ».

Perrault normalise les actions du loup en disant que c’est n’est pas chose étrange que les loups « mangent » autant de filles [37]. Bien que le loup ait tué ou « violé » deux êtres humains, Perrault ne condamne pas ses actions. La présentation du comportement du loup (et celle des deux victimes) reflète des arguments essentialistes qui expliquent le comportement humain basé sur la biologie, c’est-à-dire l’anatomie d’un être humain. Les caractéristiques représentant le loup créent un amalgame avec la construction sociale de la masculinité : les hommes / les loups sont « naturellement plus intelligents et plus forts ». Un deuxième amalgame se fait qui relie le loup aux constructions sociales de la sexualité masculine hégémonique : les loups / les hommes sont « naturellement plus actifs et agressifs ». Quand Perrault choisit le loup pour dépeindre la sexualité masculine, la brutalité du loup implique que le comportement des hommes est parfois guidé par leurs instincts au lieu de leur raison. Au début, Perrault suggère qu’il y a deux types de loups, mais à la fin de sa moralité, il ne présente que l’exemple d’un mauvais loup ; aucun modèle positif et non-violent de la masculinité n’est proposé. La contextualisation du conte avec la jurisprudence de l’époque démontre comment les deux discours sanctionnaient et même encourageaient la brutalité et la cruauté masculines. On socialise le sexe masculin à se comporter comme un criminel sans se soucier du châtiment possible.

Comme on l’a déjà indiqué, les remarques à double entente du « Petit Chaperon rouge » permettent deux interprétations de ce conte : le meurtre ou le viol, car des éléments clefs de la narration connotent l’acte de manger (le meurtre) et un langage sexuel (le viol) : la faim, l’appétit, l’acte de dévorer [38]. Les canards dépendent de ces métaphores aussi. Dans le 30e canard, les soldats espagnols sont « plus cruels que des tigres affamés [39] ». Ils enlèvent Marthe par force et « assouvissent leur brutal désir [40]  ». Dans le 36e canard, François de La Motte lutte contre ses désirs mais lui aussi « assouvi[ra] [s]es appétits [41] ». Comme chez le loup, les instincts règnent sur la raison. Aussi l’homme n’est-il pas totalement coupable : « il soumit incontinent sa raison à ses sens, et sans coup détourner ni férir se donna en proie à ses sales appétits [42] ». L’amour est un tyran qui usurpe toutes ses capacités, comme un pouvoir surnaturel. De même, il n’est pas totalement blâmable pour ses actions dans cette justification : « [le] tyran d’amour saisit du fort de son cœur et […] y commandait à baguette [43]. »

Même si la jurisprudence ne métaphorise pas le désir masculin en termes animaux, le raisonnement autour du crime est identique : il serait dû à la perte de la raison chez l’homme et la fusion de la violence avec le désir : « cette brutale & malheureuse concupiscence […] détruit la raison & porte l’homme à ravir l’honneur d’une fille ou d’une femme [44] […] ». On trouve aussi des expressions à double entente qui contribuent à peindre la violence comme une langueur sexuelle excitée par la femme. Un glissement discursif fait de l’homme la vraie victime du crime. Dans le Traité des matières criminelles de Guy du Rousseaud de La Combe, on republie la Déclaration du Roi, concernant le rapt de séduction du 22 novembre 1730 dans laquelle le roi édicte que la pénalisation du « rapt de séduction » est passée d’une « sévérité excessive » à une « laxité excessive [45] ». Certaines peines mises en application pour baisser le taux des rapts, comme celle qui insiste que le « ravisseur » se marie avec sa « séductrice », a en fait encouragé « à donner un nouvel appas au crime [46] ». On remarque que la victime est appelé une « séductrice » : l’agresseur est maintenant celui qui est séduit, et dans ce glissement de sens, devient la victime du crime. Le substantif « appas » renforce ce renversement aussi. À l’origine au XVIe siècle, appas voulait dire « pâture, servant à attirer les animaux pour les prendre ». Au XVIIe siècle il connotait les « attraits extérieurs d’une femme qui excitent le désir [47] ».

On vient de voir comment la jurisprudence du viol et du rapt brouille les contours d’un crime de violence avec un langage amoureux ; ces crimes ont aussi été représentés comme d’abominables et brutaux affronts :

Rapt
Et ainsi a esté jugé par Arrest de la Tournelle à Paris […] ce crime en telle horreur [48] […].
Par une ancienne Ordonnance de Louis premier du nom, […] le rapt est mis au nombre des crimes atroces [49] […].
Viol
Je ne crois pas qu’un homme puisse commettre une plus grande brutalité que celle-ci [50].
Meurtre
Nous remarquons seulement ici […] l’atrocité de ce crime [51] […].

Discursivement, on trouve des parallèles narratifs dans les deux canards où le rapt et le viol sont représentés comme des crimes brutaux. Comme dans la jurisprudence, une accumulation de substantifs et d’adjectifs dépeignent les violences sexuelles et le meurtre négativement : ils représentent « du tort et de l’injure [52] », un « maléfice [53] », un « sacrilège [54] », « un acte de haine [55] » et une « exécration abominable et abomination exécrable [56] ». En même temps, ces sources emploient un trope de l’amour courtois selon lequel l’amant tombe amoureux à la vue de la beauté de la femme. Quand le Capitaine aperçoit son objet de désir la première fois, il ressent de l’amour :

Ce capitaine, jetant et tournant les yeux (éveillés et hardis) sur les beaux objets […] avisa une fille […]. […] Il fut donc vaincu de l’amour que la beauté de cette jeune fille lui coula dedans l’âme [57].

Cet horrible homme enlève la fille de force et la viole à maintes reprises durant trois jours. Il connaît des plaisirs inouïs. Quand le roi décide de sa peine qui est la décapitation, il croit que d’autres hommes seront dissuadés de vivre de telles « sensualités » :

… la grâce que le roi lui fit fut qu’il aurait la tête tranchée et recevrait le digne salaire de sa méchanceté. Sur quoi, un chacun peut reconnaître que l’homme ne se doit de la sorte précipiter à ses sensualités, et que là où la crainte de Dieu et des hommes ne l’en détournerait, la crainte du supplice doit pour le moins être suffisante pour l’en détourner [58].

Ce qui est sûr et certain est que la victime de viol n’aura pas considéré trois jours d’agressions sexuelles comme une expérience « sensuelle » de la part du Capitaine.

Comme dernier exemple, je propose la comparaison du langage dans le 30e canard qui parle du viol comme un désir ardent : c’est une « fureur de [la] passion [59] ». Les soldats espagnols qui ont violé et tué Mademoiselle Marthe sont dénoncés. Aussitôt ils connaissent leur peine. Mais le chroniqueur décrit l’état d’esprit de ceux-ci comme « débordés aux voluptés [60]  ». Le canard se termine avec une complainte de trois strophes. On donne le dernier mot aux violeurs. Ils font référence à leurs péchés et au viol en les nommant « nos désirs », « nos cupidités » et « nos lubricités [61] », des substantifs qui dénotent le désir et un plaisir sexuel intense. Le dernier vers de la complainte propose un renversement ironique : « Nous goûtons mille morts, mille enfers, mille larmes. » Avec la repentance, ils se lamentent d’être des victimes de leurs passions brutales et animales. Ils n’ont pu contrôler leurs appétits. Dans les deux canards, la beauté féminine suscite du désir (et de la violence), mais on ne devrait pas condamner les hommes qui en sont responsables.

Comme nous l’avons vu, les discours juridique, littéraire et journalistique produisent des glissements linguistiques et des renversements narratifs qui fusionnent le viol et le désir, dont le résultat est d’exonérer les agresseurs d’un crime violent, car ils ne pouvaient s’empêcher de le commettre. Leur désir était trop fort. Puisque le rapt et le viol sont construits comme désir masculin pour une femme, et puisque les femmes suscitent ce désir chez l’homme, les femmes de ces diverses sources ne sont clairement pas les victimes du viol ; elles sont partiellement ou entièrement coupables. Si les conclusions ici tirées de ces six canards sanglants de l’Ancien Régime semblent faibles ou peu conclusives, elles ont plus de poids lorsqu’on identifie ce même glissement discursif et narratif dans dix-sept sur cent quinze canards du XIXe siècle, représentant 15 % des titres répertoriés. C’est alors un phénomène plus caractéristique d’un certain type de canard qui traite le crime du viol [62].

Notes

[1J’adresse mes remerciements à la maison d’édition Taylor & Francis pour m’avoir accordé la permission et les droits mondiaux dans toute langue d’utiliser moins de 20 % du contenu de mon article « The Toleration and Erotization of Rape : Interpreting Charles Perrault’s Le Petit Chaperon rouge within Seventeenth- and Eighteenth-Century French Jurisprudence », Women’s Studies, 32, 3, 2003, p. 325-352, https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00497870310071, consulté le 19 septembre 2019.

[2Ces textes incluent Hyacinte Boniface, « Du crime du rapt », Arrests Notables de la cour du parlement de Provence, tome IV, Titre 6, chapitres 1-16, Lyon, La veuve d’Horace Molin, 1758, p. 315-27 ; Laurens Bouchel, La Bibliotheque ou thresor du droict françois, 2 tomes, Paris, Nicolas Buon, 1629 ; M. A. Bruneau, Observations et maximes sur les matières criminelles, Paris, Guillaume Cavelier, 1715 ; Guy du Rousseaud de La Combe, Traité des matières criminelles, suivant l’ordonnance du mois d’août, & les Édits, Déclarations du roi, Arrêts & Réglemens intervenus jusqu’à présent, 5e édition, Paris, Theodore Le Gras, 1762 ; Jean-Baptiste Denisart, Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle, 6e édition, 3 tomes, Paris, Desaint, 1768 ; Claude-Joseph de Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique, 4e édition, Paris, Joseph Saugrain, 1758 ; Joseph-Nicolas Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, 64 tomes, Paris, J. Dorez (-Panckoucke), 1775-1783 ; Guy Pape, La Jurisprudence, 2e édition, Grenoble et Paris, La Veuve d’André Giroud and Saillant et Nyon, 1769 ; Jean Papon, Nouvelle et cinquième edition [sic] du recueil d’arrests notables des cours souveraines de France, Lyon, Jean de Tournes, Imprimeur du roi, 1569 ; Claude Le Brun de La Rochette, Les Procez civil et criminel, Rouen, Clement Malassis, 1661.

[3Georges Vigarello, Histoire du viol : XVIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1998, p. 48.

[4Guyora Binder et Robert Weisberg, Literary Criticisms of Law, Princeton, Princeton UP, 2000 ; Peter Brooks et Paul Gewirtz (éd.), Law Stories : Narrative and Rhetoric in the Law, New Haven, Yale UP, 1996.

[5Peter Brooks, « The Law as Narrative and Rhetoric », dans Law Stories…, op. cit., p. 20.

[6Le canard numéro 35, Exemplaire pvnition dv violement et assasinat commis par François de La Motte, sieur du dit lieu, & Lieutenant de Monteftruc, en la garnifon de Mets, est identique au 37e canard, sauf pour son titre. Chacun est composé de 9 paragraphes en 15 pages. Ils sont presqu’identiques au 36e canard, analysé en détail dans cet article. Celui-ci contient le jugement du roi qui est absent dans numéros 35 et 37.

[7Execrable cruauté de trois voleurs habillez en hermites lesques tuoyent et desvalisoient tous les passagers aux environs de Nantes en Bretagne ensemble les meurtre et violement d’une Damoiselle de Poictiers, femme d’un riche seigneur de la dicte ville, commis par lesdits voleurs habillez en Hermites, Paris, l’Imprimerie de N. Alexandre, 1625. Il raconte exactement ce que son titre indique. Les coupables sont décrits comme des « monstres » et la Damoiselle refuse de donner son consentement ; le résultat en est que les trois « hermites » la violent « honteusement » puis la tuent (p. 13).

[8Celui-ci est ambigu, car dans le premier texte qui le compose, Le Discovrs effroyable, d’vne fille enleuée, violée, & tenuë plus de trois ans par vn Ours dans sa cauerne Auec vne missiue sur le mesme subject (Paris 1605), on trouve presqu’une ode à la chasteté : la page 8 raconte que le diable a pris possession d’un ours qui a violé une fille de Savoie : « [il] luy otter tout ce que nous auons de plus beau, c’est la chasteté. » Mais dans le texte qui suit, Discovrs effroyable, d’vne fille enlevée, violée, & tenuë plus de trois ans par vu Ours dans sa cauerne, on indique qu’il y avait eu seulement un « rapt » et que l’Ours « l’aurait rauie & amenée en sa cauerne » (p. 9). Le titre précise qu’il y a eu viol mais pas le texte ; en outre, si on n’est pas dans le domaine de la fiction, il est difficile de croire qu’un viol a eu lieu, car l’ours avait le corps d’un humain du nombril à la tête et le corps d’un ours du nombril aux pieds. Il y a deux similitudes avec le récit du « Petit Chaperon rouge » et les autres canards : on plaint le sort de la jeune fille en disant qu’elle est « cette pauure creature » et on accuse l’ours d’être un « meschant animal » (ibid., p. 12-13). Comme on le voit dans la note 36, on confond un acte violent (le rapt par force) avec l’amour (l’ours est « amoureux » de la fille (ibid., p. 12). Il y a d’autres disjonctions entre le titre et le texte : par exemple, le texte rapporte que la fille est en captivité moins d’un an mais le titre annonce qu’elle est restée dans la cave plus de trois ans (ibid., p. 12).

[9Je voudrais remercier Romain Weber qui m’a généreusement communiqué trois titres supplémentaires traitant le viol dans le répertoire de Jean-Pierre Seguin.

[10Jean-Pierre Seguin, L’Information en France avant le périodique : 517 canards imprimés entre 1529 et 1631, Paris, Maisonneuve et Larose, 1964. Numéro 30 dans l’inventaire de Seguin, 1.

[11Ibid., numéro 36 dans l’inventaire de Seguin, 1.

[12Histoires ou Contes du temps passé, avec moralitez, Paris, C. Barbin, 1697 ; Contes de Monsieur Perrault, avec des moralitez, Paris, la Veuve Claude Barbin, 1707 ; Contes de Monsieur Perrault, avec moralitez, Paris, Nicolas Goselin, 1724 ; Histoires, ou Contes du temps passé avec des Moralités, La Haye, 1742 ; Histoires, ou contes du temps passé, avec des moralités par M. Perrault, La Haye et Liège, Bassompierre, 1777 ; Contes des fées par Charles Perrault de l’Académie Françoise, tome I, Paris, Lamy, 1781 ; Nouveau cabinet des fées, tome 1, 1785-1786, Genève, Slatkine, 1978.

[13Le public des contes de Perrault a été principalement des adultes aristocratiques de la cour, bien que l’auteur admette que depuis toujours, les contes de fées sont racontés oralement aux enfants de toutes les classes sociales par leurs grand-mères, nourrices ou servantes (Charles Perrault, Préface, Griselidis, Paris, J.-B. Coignard, 1695-1697, p. 3).

[14Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1957, p. 230.

[15Op. cit., p. 264-266.

[16Maurice Lever, « Introduction », Canards Sanglants : Naissance du fait divers, Paris, Fayard, 1993, p. 7-46, p. 17.

[17Cruauté plus que barbare et inhumaine, op. cit., p. 119.

[18Ibid., p. 119.

[19Les mêmes caractéristiques mélangent la violence à l’érotisme quand le père de Marthe la trouve pendue et presque morte. Le lecteur suit le regard du père-chroniqueur décrivant le corps nu de cette fille. Le père-chroniqueur (et ainsi le lecteur) s’arrête sur les yeux, les cheveux, les seins puis le corps entier avant de remarquer le cordon autour du cou. Les yeux de la victime sont qualifiés de « filés de la mort » et une deuxième fois la métaphore du sein virginal apparaît (ibid., p. 123).

[20On distingue des rapports familiaux (fille, mère, grand-mère) et des métiers (le bûcheron). Toutes les citations du « Petit Chaperon rouge » viennent de l’édition de 1742.

[21Les victimes de viol ne sont pas toujours des filles. Perrault s’adressait à tous les enfants, affirmant que le crime raconté arrivait aussi bien aux jeunes garçons qu’aux jeunes filles. C’est un détail qui échappe à l’attention des critiques littéraires. Les lois du XVIIe et du XVIIIe siècle discutaient explicitement du fait que les crimes de rapt et de viol arrivaient aux jeunes et aux adultes des deux sexes. Dans quatre manuels, ceux de Bruneau, Denisart, Pape, Bouchel, des appellations neutres désignent l’un ou l’autre sexe comme « une personne » ou « une jeune personne » (11 %). On trouve aussi des termes familiaux englobant les deux sexes comme « fils ou filles » (8 %). Plusieurs fois les manuels utilisent une catégorie générale de « personne », mais après ils présentent seulement des cas de filles (4 %). Dans 75 % des cas la victime est exclusivement une fille.

[22Le Petit Chaperon rouge était la fille la plus jolie de son village : « Il étoit une fois une petite fille de Village, la plus jolie fille qu’on eût sçû voir » (op. cit., p. 1). Mademoiselle Marthe dans le 30e canard a été la plus belle fille de tout le voisinage et avait quinze ou seize ans (Cruauté plus que barbare et inhumaine, op. cit., p. 120). La fille d’une famille respectée dans le canard 36 était aussi belle que gracieuse et était « d’[un] âge tendre » (Exemplaire punition du violement et assassinat, op. cit., p. 135).

[23Perrault, op. cit., p. 2, je souligne.

[24Ibid., p. 2-3.

[25Ibid., p. 5.

[26Cruauté plus que barbare et inhumaine, op. cit., p. 121, je souligne.

[27Exemplaire punition du violement et assassinat, op. cit., p. 136, je souligne.

[28Perrault, op. cit., p. 2.

[29Cruauté plus que barbare et inhumaine, op. cit., p. 121.

[30Exemplaire punition du violement et assassinat, op. cit., p. 136.

[31Papon, op. cit., III : 1282 ; VII : 1284.

[32G. Vigarello, op. cit., p. 9, 49, 53-57.

[33M. A. Bruneau, op. cit., p. 400.

[34C.-J. de Ferrière, op. cit., p. 470.

[35Dans le corps de mon texte je n’analyse pas le 71e canard, car il traite du crime d’inceste. Cependant il y a des parallèles entre ce canard, les autres textes analysés dans cet article et le texte de Proal, Le Crime et le suicide passionnels (Paris, F. Alcan 1900 ; préface p. I-II ; IV-V). Proal est président de chambre à la Cour d’appel de Riom en 1900 quand il publie son œuvre. Les termes « la passion » et « l’amour » s’appliquent à un transport de désir amoureux, à un acte incestueux et à un crime de violence sexuelle. L’homme est un être scindé : il peut être rationnel ou instinctuel, jusqu’au point de ressembler à un animal féroce. Dans le 71e canard, le récit a un message contradictoire : l’inceste, dépeint comme un crime irrationnel de passion, est naturalisé mais il est aussi sévèrement punissable par la loi. Dans le récit et dans la peine du juge, la fille violentée est dépeinte comme blâmable et coupable pour les actes de son père. Comme peine, il doit regarder la décapitation de sa fille, après quoi il doit être brûlé vif sur un poteau. Chez Proal et dans le 71e canard, on brouille « la violence du désir », l’abus du pouvoir parental ou conjugal et le crime du viol. Dans l’exemple que cite Proal à la page 629 et dans le canard sanglant, la fille et la femme ne peuvent pas refuser les demandes de ceux qui détiennent le pouvoir par crainte de désobéir au père ou de mourir aux mains de son époux. (Discours veritable, de Tousainct Letra, lequel a esté bruslé tout vif dans la ville d’Aix, le 26 d’Aoust dernier, pour avoir violé sa propre fille. Avec les procédures et Arrests de la Cour, Lyon, François Evrard, 1618. p. 1).

[36Exemplaire punition du violement et assassinat, op. cit., voir n. 8, p. 135.

[37C. Perrault, op. cit., p. 5.

[38Bien qu’il s’agisse d’un langage sexuel dans le conte, l’auteure insiste sur le fait que viol est un acte de violence sexuelle et non pas un acte sexuel de désir. Jacques Chupeau inclut trois verbes qui contribuent à l’ambiguïté sexuelle de ce texte : « embrasser », « courir » et « voir » (« Sur l’équivoque enjouée au Grand Siècle : l’exemple du Petit Chaperon rouge », XVIIe siècle, 150, janvier-mars 1986, p. 35-42, p. 39).

[39Cruauté plus que barbare et inhumaine, op. cit., p. 122.

[40Ibid., p. 122.

[41Exemplaire punition du violement et assassinat, op. cit., p. 138.

[42Ibid., p. 135.

[43Ibid., p. 135.

[44Cl-J. de Ferrière, op. cit., p. 749.

[45G. du Rousseaud de La Combe, op. cit., p. 894.

[46Ibid., p. 894.

[47Trésor de la langue française informatisé, https://www.cnrtl.fr/definition/app%C3%A2ts, consulté le 19 septembre 2019.

[48C. Le Brun de La Rochette, op. cit., p. 18, je souligne.

[49C.-J. de Ferrière, op. cit., p. 469, je souligne.

[50M. A. Bruneau, op. cit., p. 397, je souligne.

[51C.-J. de Ferrière, op. cit., p. 214, je souligne.

[52Cruauté plus que barbare et inhumaine, op. cit., p. 124.

[53Ibid., p. 120, 121.

[54Exemplaire punition du violement et assassinat, op. cit., p. 133.

[55Ibid., p. 135.

[56Ibid., p. 133.

[57Ibid., p. 135.

[58Ibid., p. 140, je souligne.

[59Cruauté plus que barbare et inhumaine, op. cit., p. 124.

[60Ibid., p. 120.

[61Ibid., p. 124.

[62Je retrace ces glissements dans le 4e chapitre de ma monographie en cours intitulé « Le Trope du Petit Chaperon rouge ».


Pour citer l'article:

Sharon P. JOHNSON, « Glissements discursifs et rhétoriques : des récits de viol dans le conte de fées, la jurisprudence et les canards sanglants de l’Ancien Régime » in Canards, occasionnels, éphémères : « information » et infralittérature en France à l’aube des temps modernes, Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen en septembre 2018, publiés par Silvia Liebel et Jean-Claude Arnould.
(c) Publications numériques du CÉRÉdI, "Actes de colloques et journées d'étude (ISSN 1775-4054)", n° 23, 2019.

URL: http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?glissements-discursifs-et.html

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