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Sarah BRUN

Université de Rouen - CÉRÉdI

La farce à l’épreuve du tragique au XXe siècle


Texte complet


Vous savez bien que j’écris une farce tragique.
Une farce tragique n’est pas un drame.
Surveillez votre terminologie
 [1].

La farce irréductible au tragique ?

La tension entre comique et tragique est à son comble dans le genre de la « farce tragique » ; mais cette alliance du parangon du comique théâtral et du tragique n’est-elle pas contre-nature ? En effet, la farce semble de prime abord irréductible à la notion de tragique. Le théâtre médiéval ne repose pas sur la dichotomie aristotélicienne opposant comédie et tragédie, mais sur une opposition entre théâtre profane et théâtre religieux [2] : la farce, qui apparaît en France vers 1450, est non pas opposée, mais étrangère au tragique. « Fort joyeuse et récréative », elle se construit contre le théâtre religieux, auquel elle offre un contrepoint comique et divertissant. Ce n’est qu’à la Renaissance que l’on pense à nouveau le théâtre en termes de comédie et de tragédie : les auteurs de la Pléiade aspirent à redorer le blason du théâtre comique français en prenant modèle sur la comédie latine de Térence et la comédie érudite italienne. Les théoriciens humanistes, et à leur suite les théoriciens classiques, s’ingénient à dissocier cette nouvelle comédie française du comique. Dominique Bertrand rappelle ainsi que « la constitution d’une doctrine esthétique de la grande comédie s’est nouée autour de la mise en sourdine obsessionnelle du rire [3]. » La comédie régulière est pensée par opposition à la farce, dont elle doit se distinguer à tout prix, et qu’elle doit supplanter dans le paysage théâtral du divertissement [4]. La farce n’a donc plus aucune place dans ce nouveau paradigme théâtral. Elle est unanimement condamnée en raison même de sa nature comique, et ce d’autant plus que le comique farcesque apparaît comme un mode dégradé, grossier, bas, vulgaire, du registre comique. La farce est subsumée sous le genre de la comédie, dont elle devient un sous-genre honteux, son autonomie générique est niée. Ce qui occupe donc les théoriciens et les praticiens du théâtre aux XVIe et XVIIe siècles, c’est le rapport entre farce et comédie. Toute comparaison avec la tragédie et le tragique est impensable, et constituerait un véritable grand écart axiologique.

Le XIXe siècle prépare la mise en tension de la farce et du tragique. Le théâtre romantique y contribue en proposant une esthétique théâtrale du mélange des registres, et en contestant les règles de la tragédie classique. De plus, la perte de vitesse des avatars delavigniens ou ponsardiens de celle-ci dans la seconde moitié du siècle permet la dissociation du tragique de la tragédie. Mais l’impulsion majeure provient sans doute de la revalorisation que connaît la farce à la fin du siècle : les manuscrits médiévaux sont redécouverts, édités, commentés, traduits en français moderne, inscrits au programme du lycée [5], joués par des amateurs ou lors de matinées classiques à l’Odéon sous la direction de Ginisty et d’Antoine [6]. Érudits et dramaturges s’emploient à donner ses lettres de noblesse à ce genre si longtemps décrié et vont jusqu’à plaider pour sa réhabilitation, à l’instar de Gustave Lanson qui n’hésite pas, dans son article « Molière et la farce », à écrire que la farce est un genre à part entière ayant « son esthétique, sa méthode d’invention [7] ». Enfin, la fin du siècle connaît une profonde mutation du rire, décrite par Bernard Sarrazin dans L’esprit fumiste et les rires fin de siècle [8]. Ce dernier explique que si Hugo, dans sa juxtaposition du grotesque et du sublime, préserve encore la distinction du haut et du bas [9], les Hydropathes, les Hirsutes, les Incohérents, les Zutistes ou autres Jemenfoutistes balaient les distinctions traditionnelles entre les genres et n’hésitent pas à associer les extrêmes :

À la fois le registre du rire s’ouvre sans limite, du rose au noir, du haut en bas, du trivial au sublime, et les extrêmes se rapprochent. La situation la plus tragique peut désormais être couverte par le discours le plus comique [10].

Ainsi, le rire fumiste « vient brouiller les cartes du rire traditionnel, de telle manière que le lecteur ou l’auditeur, piégé, et pris à contre-pied, ne sait plus s’il doit rire, pourquoi il rit, pourquoi il ne rit pas quand il devrait rire [11]. » Cette position inconfortable sera au cœur de la « farce tragique ».

La farce, lieu privilégié du tragique : l’exemple d’Ionesco

La perte de vitesse de la tragédie et la revalorisation de la farce, ajoutées à cette mutation du rire sous l’impulsion du fumisme, préparent le terrain à une mise en tension des deux univers. Nombre d’hommes de théâtre de la première moitié du XXe siècle jouent de cette tension dans leurs pièces, sans toujours l’aborder de façon théorique. Eugène Ionesco est l’un des auteurs qui s’est le plus exprimé sur les rapports féconds que peuvent entretenir farce et tragique, au point de faire de la farce un lieu privilégié du tragique.

La relativité du tragique et du comique

Il faut partir de sa relativisation de la traditionnelle bipolarisation entre comique et tragique. Dans Victimes du devoir, Nicolas d’Eu médite sur « la possibilité d’un renouvellement du théâtre [12] », impliquant le renoncement aux formes théâtrales conventionnelles, et notamment aux genres : « Plus de drame ni de tragédie : le tragique se fait comique, le comique est tragique, et la vie devient gaie [13]… » Ionesco reprend cette formule prônant l’identité des contraires dans ses Notes et contre-notes [14]. De fait, en fonction du contexte culturel et historique, du public, de la mise en scène, les pôles tragique et comique peuvent tout à fait s’inverser ; et Ionesco ne manque pas de rappeler sa stupéfaction face à l’hilarité du public lors des représentations de La Cantatrice chauve, qu’il envisageait comme « tragédie du langage », ou de La Leçon, « dans laquelle on voyait comment un professeur, atroce, sadique, s’y prenait, pour tuer, une à une, toutes ses malheureuses élèves. Le public trouva que cela était franchement gai [15]. »

La redistribution du comique et du tragique

Cette « inquiétante relativité [16] » l’amène à redistribuer leur traditionnelle polarité en faisant du comique un genre « plus désespérant » que le tragique. Il affirme ainsi : « Je n’ai jamais compris, pour ma part, la différence que l’on fait entre tragique et comique. Le comique étant intuition de l’absurde, il me semble plus désespérant que le tragique. Le comique n’offre pas d’issue [17]. » Et d’expliquer que le tragique est réconfortant car il reconnaît la réalité d’une fatalité, de lois objectives régissant l’Univers. Le critique Richard Coe se penche longuement sur cet apparent paradoxe dans son article « La farce tragique [18] ». Pourquoi le comique serait-il plus désespérant que le tragique ? Tout d’abord, la tragédie présuppose un idéal humain, puisque la catharsis postule la perfectibilité de l’homme. En outre, l’expérience affective de l’identification dans la tragédie entraîne une perte de lucidité et dissipe la conscience de l’absurde, alors que la comédie, selon le critique,

exprime [l’]intuition [de l’absurde] en des termes qui, eux-mêmes, sont absurdes, et ne suggèrent rien, ni critère ni loi objective érigée contre l’absurde et qui puisse rassurer. […] Être conscient, et pourtant impuissant, participer à une situation sans être capable d’oublier sa propre identité ou perdre sa propre réalité dans un personnage de théâtre est, finalement, plus tragique que de se créer, par le martyr, l’illusion d’une signification [19].

Cette lucidité comique condamne le spectateur à prendre conscience de ce qui est « tragique ou risible dans la condition humaine [20] ». Somme toute, paradoxalement, le tragique serait réconfortant, et le comique, désespérant.

La potentialité tragique de la farce

C’est dans ce contexte qu’intervient la farce, qui occupe, dans le spectre du comique, une position stratégique. Bernadette Rey-Flaud dans la conclusion de son ouvrage sur La farce ou la machine à rire [21] démontre, à partir de la notion de mécanisme, que la farce ne se rapproche pas tant de la comédie que de la tragédie. En effet, si dans la comédie, le personnage est régi de l’intérieur par un automatisme fondé sur la toute-puissance d’une passion, dans la farce, le mécanisme est extérieur au personnage, tout comme dans la tragédie. Le « héros farcesque [est] entraîné dans une machinerie folle qui emporte dans son mouvement des personnages réduits à des pantins désarticulés et dérisoires [22] » ; la farce rejoint ainsi le tragique sur ce point de l’impuissance du héros face à une machine extérieure « au fonctionnement autonome et imprévisible [23] », voire incompréhensible. Si donc le comique est plus désespérant que le tragique, la force de la farce est d’allier la lucidité du comique au mécanisme extérieur de la tragédie – sans l’encombrant apparat de la transcendance et de la sublimation.

En somme, la farce a un potentiel tragique, supérieur à celui de la tragédie, qu’elle peut mettre au service du comique désespérant. D’où l’invention d’une sous-catégorie générique qui est finalement plus pléonasme qu’oxymore dans l’esprit d’Ionesco, « farce tragique », pour Les Chaises, en 1952. Que devient alors la farce, et notamment son pouvoir comique, confrontée au tragique ? L’analyse de deux exemples emblématiques montre que la farce tragique peut s’incarner dans des dramaturgies antithétiques.

Le texte fondateur : Ubu roi. De la mise en crise au retour du tragique par la farce (1896)

L’Ubu roi d’Alfred Jarry, « une espèce de Macbeth tourné à la farce » selon les termes du critique Henri Céard au lendemain de la première [24], marque une véritable rupture dans le réinvestissement du tragique comme de la farce, et assume le rôle de texte fondateur de la farce tragique dans la littérature française. Jarry s’inscrit dans le « rire singulier et nouveau qui constitue une transition entre le rire traditionnel et la dérision moderne [25] » mentionné précédemment. S’il ne fréquente pas à proprement parler les cercles fumistes, il s’intéresse à l’univers du Chat Noir, il fait d’Alphonse Allais, « celui qui ira [26] » l’un des rois de l’île Amorphe dans Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien [27], et les mondanités de sa vie d’homme de lettres le mettent en contact avec des représentants de l’esprit fumiste, comme Félix Fénéon. Avec Ubu, il « fait basculer le rieur traditionnel dans le “rire moderne” [28]. »

Dans un premier temps, Ubu roi met en crise la tragédie par la farce, par « farcissure [29] ». L’introduction systématique du registre, des procédés, des thèmes de la farce dans un genre donné, normalement hermétique à la farce, produit une dégradation burlesque et une mise en question du genre initial ; c’est une stratégie que Jarry adopte aussi pour le drame ou la pastorale, dans L’Objet Aimé. Jarry choisit la structure en cinq actes de la tragédie classique, ce qui lui permet de parodier efficacement les grands moments de la tragédie, comme le serment des conjurés à l’acte I, scène 7, ou le rêve prémonitoire de la Reine mentionné à l’ouverture de l’acte II. À la parodie s’ajoute la dégradation : la mise en branle de l’action tragique est motivée par la perspective de « manger fort souvent de l’andouille [30] » (acte I, sc. 1), la sourde présence de la mort qui menace le héros tragique est prise en charge par le fécal (la « merdre » d’Ubu tue les conspirés à l’acte I, scène 3). De plus, le langage tragique est contaminé par la vulgarité d’Ubu (outre le fameux mot, le juron « vrout » est récurrent), et les quelques archaïsmes évoquant le registre tragique (termes employés dans leur sens classique – « penser » pour « faillir », « perdre » pour « périr », « fort » pour « très » ; inversion du sujet à la première personne – « Que ne vous assom’je [31] » ; antéposition du pronom complément avec tour infinitival coalescent et montée du clitique – « Je te vais arracher les yeux [32] » ; emploi du pronom singulier pour un sujet au pluriel – « Tout ceci sont des mensonges [33] ») ne font pas le poids face aux calembours, déformations et néologismes à effet comique – entre autres : les Horaces et les Curiaces deviennent les voraces et les coriaces (acte V, sc. 1), la Vénus de Capoue, celle qui a des poux (acte V, sc. 1), les termes techniques de navigation à la dernière scène, des denrées : « Amenez le grand foc, prenez un ris aux huniers ! » devient « amenez le grand coq et allez faire un tour dans les pruniers » (acte V, sc. 4) [34]. Jarry convoque enfin le personnel théâtral tragique. Mais le couple royal est construit sur le modèle du couple farcesque reposant sur la tromperie, le cocuage, la violence. La Mère Ubu vole son mari : « Lui en-ai-je pris, de la finance. Lui en ai-je volé, des rixdales. Lui en ai-je tiré, des carottes » (acte V, sc. 1 [35]) et ne se prive pas de faire cocu son « gros polichinelle » avec le Palotin Giron. La « rbue », incarnation de la laideur tant physique que morale, concentre toutes les tares et renoue avec la peinture misogyne de la femme des farces médiévales. Son monologue de la scène 1 du dernier acte nous la montre voleuse, hypocrite, infidèle, alcoolique, manipulatrice. Mais le Père Ubu n’est pas en reste, et les menaces pleuvent sur la Mère Ubu dès qu’elle s’oppose à la volonté de son gros pantin. Des insultes aux coups, toute une poétique des supplices se met en place dans la geste ubique, souvent accompagnée du procédé rhétorique, si cher à la farce, de l’énumération. La violence conjugale va ainsi crescendo dans la pièce, et culmine à l’acte V, dans une savoureuse réécriture de la topique dispute conjugale, lorsque le Père Ubu découvre que sa femme a tenté de se faire passer pour saint Gabriel ; il annonce à la reine déchue les châtiments corporels qui l’attendent :

Moi, je commence : torsion du nez, arrachement des cheveux, pénétration du petit bout de bois dans les oneilles, extraction de la cervelle par les talons, lacération du postérieur, suppression partielle ou même totale de la moelle épinière (si au moins ça pouvait lui ôter les épines du caractère), sans oublier l’ouverture de la vessie natatoire et finalement la grande décollation renouvelée de saint Jean-Baptiste, le tout tiré des très saintes Écritures, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, mis en ordre, corrigé et perfectionné par l’ici présent Maître des Finances ! Ça te va-t-il, andouille ?

Il la déchire [36].

Cette dégradation burlesque du couple royal tragique, et partant, de la tragédie, est fidèle à la pensée « inversante » de la farce, manifestation privilégiée du carnaval qui présente un monde à l’envers, avec jeux d’inversion ascendante et surtout descendante des hiérarchies sociales et des rapports de force. La transgression tragique – des tabous, de la place assignée dans la société – est ainsi contrecarrée par la transgression farcesque, qui annule l’identification, la catharsis et la sublimation du héros. Le héros tragique ne peut guère avoir sa place dans le monde foncièrement amoral de la farce, fait du « heurt des égoïsmes qui tentent de se satisfaire [37] » et où seule la loi du talion a cours. Le mal perd toute grandeur.

Mais cette mise en crise de la tragédie, loin de desservir le tragique, le fait renaître de ses cendres. Le rire potachique inquiète et l’intrusion du stercoraire dans l’univers de la tragédie va au-delà de l’effet comique, comme le constate Ubu lui-même dans Ubu enchaîné. Le fameux mot est banni dès l’ouverture de la pièce :

PÈRE UBU. – s’avance et ne dit rien.
MÈRE UBU. – Quoi ! tu ne dis rien, Père Ubu. As-tu donc oublié le mot ?
PÈRE UBU. – Mère... Ubu ! je ne veux plus prononcer le mot, il m’a valu trop de désagréments [38].

À l’acte II, Ubu justifie ce renoncement au fécal par la réception ambivalente d’Ubu roi  :

MÈRE UBU. – Il y a toujours le petit balai ?
PÈRE UBU. – Je ne m’en sers plus fort souvent. Ceci était bon quand j’étais roi, pour faire rire les petits enfants. À présent nous avons plus d’expérience et remarquons que ce qui fait rire les petits enfants risque de faire peur aux grandes personnes [39].

N’est-ce pas là une description de ce rire moderne, prémisse du rire inquiet de la farce tragique ? Jean-Marie Domenach fait de la pièce un jalon essentiel du Retour du tragique  :

La tragédie ne revient pas du côté où on l’attendait, où on la recherchait vainement depuis quelques temps – celui des héros et des dieux –, mais de l’extrême opposé, puisque c’est dans le comique qu’elle prend sa nouvelle origine, et précisément dans la forme la plus subalterne du comique, la plus opposée à la solennité tragique : la farce, la parodie. L’acte de naissance de la tragédie contemporaine, c’est la guignolade du lycéen Jarry [40].

Il faut cependant préciser que la dégradation farcesque de la tragédie n’est pas en soi tragique. Mais la mise en scène d’un mal dégradé, banal, sans aucune grandeur, ne rejoint que trop certains pans de l’histoire du XXe siècle, ce qui favorise une relecture de la farce potache en farce tragique. Mireille Losco-Lena a montré dans son étude sur le comique et la douleur dans le théâtre contemporain « le sacre d’Ubu » au XXe siècle [41] : Ubu roi est un modèle théâtral fécond, notamment pour parler de la figure du dictateur et du pouvoir totalitaire, pour penser l’histoire et le rapport au mal. Mais selon des procédés bien différents de ceux de Jarry : l’étape de la mise en crise de la tragédie n’est plus nécessaire, il suffit de convoquer implicitement le modèle d’Ubu (chez Wole Soyinka, Baabou roi, pièce à la manière de – en gros – Alfred Jarry ou chez Alfred Dogbé, Les conquêtes du roi Zalbarou  : farce tragique [42]).
En définitive, le modèle jarryque de la farce tragique convoque explicitement la tragédie. Il fonctionne sous ce que Jean-Marc Defays nomme le régime comique burlesque, « forme excessive de comique, un “sur-comique”, un comique au carré [43] », de démesure et d’exagération. Ce rire inquiète par son « hénaurmité », mais une ambiguïté subsiste, dans la réception, entre farce potache et farce tragique : c’est au lecteur d’activer la potentialité tragique de la farce ubuesque.

La revendication d’une « farce tragique ». Les Chaises comme « synthèse théâtrale nouvelle » (1952)

Si Ionesco admet une certaine parenté avec Jarry dans ses premières pièces [44], sa mise en œuvre d’une « synthèse théâtrale nouvelle » sous la forme d’une « farce tragique » avec Les Chaises en 1952 ne présente guère de similitudes avec celle de Jarry. Son projet est le suivant :

J’ai tenté, dans Victimes du Devoir, de noyer le comique dans le tragique ; dans Les Chaises, le tragique dans le comique ou, si l’on veut, d’opposer le comique au tragique pour les réunir dans une synthèse théâtrale nouvelle. Mais ce n’est pas une véritable synthèse, car ces deux éléments ne se fondent pas l’un dans l’autre, ils coexistent, se repoussent l’un l’autre en permanence ; se mettent en relief l’un par l’autre ; se critiquent, se nient mutuellement, pouvant constituer ainsi, grâce à cette opposition, un équilibre dynamique, une tension [45].

Cette dynamique entre comique et tragique se fonde en particulier sur une exacerbation de l’écart entre chaque pôle. Pour reprendre les termes d’Emmanuel Jacquart dans Le théâtre de dérision,

c’est en poussant le comique jusqu’au paroxysme qu’on débouche sur le tragique ; puisque le comique peut provenir, comme dans la farce, de la misère humaine (chute du personnage par exemple), il suffit d’accentuer cette misère pour que le tragique surgisse [46].

Ionesco le formule ainsi : « Pousser tout au paroxysme, là où sont les sources du tragique. Faire un théâtre de violence : violemment comique, violemment dramatique [47] ». On comprend alors que cette dramaturgie du « grossissement des effets [48] » soit particulièrement compatible avec la farce, genre de l’exagération par excellence [49].

Dans Les Chaises, le pôle comique est donc pris en charge par la farce. Le choix d’une structure condensée en un acte, de seulement trois personnages sur scène, du recours à l’imagination pour suggérer ce que les moyens scéniques ne permettent pas de montrer, la renonciation à la psychologie des personnages, le langage contaminé par la « fantaisie verbale » (jeu sur les énumérations et les répétitions, insistance sur la valeur phonique des mots plus que sur leur valeur sémantique [50], termes abstraits pris au pied de la lettre [51]), le retour en force de la sexualité de la Vieille minaudant avec le photograveur, le recours à l’exagération et au grossissement, par exemple par la prolifération de chaises sur scène, sont caractéristiques de la farce. Cependant Ionesco modifie le sens de ces procédés convoquant la farce. La portée comique passe au second plan ; il dit lui-même : « Rire… rire…, certainement, je ne peux pas dire que je ne cherche pas à faire rire, toutefois, ce n’est pas là mon propos le plus important [52] ! » Ainsi, le choix du couple du Vieux et de la Vieille comme personnages principaux n’est guère l’occasion de jouer des ressorts de la dispute conjugale comme dans Ubu roi ; le couple a bien plutôt une valeur d’universalité. Quant à l’absence des invités sur scène, elle n’est pas due à des contraintes matérielles comme dans le théâtre médiéval (troupe réduite ou scène trop petite) ; Ionesco joue au contraire consciemment de l’ambiguïté créée par cette absence (on entend le brouhaha des invités à la fin de la pièce) et le malaise remplace chez le spectateur le plaisir de pallier les carences de la scène par l’imagination. Autre exemple : la prolifération des chaises sur scène n’est pas qu’exagération comique. Elle réduit le champ d’action des personnages, qui renversent les chaises par maladresse, s’y empêtrent au risque de tomber (le Vieux « chancelle, a du mal à rétablir son équilibre, s’agrippe à des épaules [53] »), et le Vieux et la Vieille en viennent à être séparés par cette accumulation, chacun à un bout de la scène : « Mon chéri, j’ai peur, il y a trop de monde… nous sommes bien loin l’un de l’autre… à notre âge, nous devons faire attention… nous pourrions nous égarer… Il faut rester tout près, on ne sait jamais, mon chou, mon chou [54]… » Le traditionnel conflit comique entre l’homme et l’objet qui lui résiste devient ici inquiétant, car l’homme ne reprend pas le dessus. Le rythme effréné, « au lieu d’être simplement comique, prend une allure de brutalité, de non-sens, de menace [55] ». L’accélération et la prolifération ne débouchent sur aucune libération des pulsions. Richard Coe souligne cette divergence majeure d’avec la farce traditionnelle :

Pour Ionesco cependant, le but de la farce n’est pas la satisfaction d’instincts refoulés, mais bien au contraire leur répression. Freud croit que les tendances morbides et violentes existent en nous et doivent trouver un exutoire, si nous désirons vivre normalement et hygiéniquement ; Ionesco croit que la cruauté, la violence et l’absurdité sont la substance même du monde [56].

La prolifération de la matière révèle ainsi in fine la solitude et l’impuissance de l’individu ; selon Ionesco, « l’univers, encombré par la matière, est vide, alors, de présence : le « trop » rejoint ainsi le « pas assez » et les objets sont la concrétisation de la solitude, de la victoire des forces antispirituelles, de tout ce contre quoi nous nous débattons [57]. »La farce est ainsi dévoyée : sa présence n’est guère la promesse d’un effet comique ; elle vient au contraire souligner le sens tragique du texte.

C’est donc finalement le tragique qui prédomine dans la « farce tragique » ; Ionesco le définit ainsi : « Le tragique : destin général ou collectif ; révélation de “condition humaine” [58]. » Ce problème de la condition humaine, qui l’« obsède [59] » selon ses termes, « l’étonnement d’être », le « sentiment déchirant, de l’extrême éphémérité, précarité, du monde, comme si tout cela était et n’était pas à la fois, entre l’être et le non-être [60] » envahissent la pièce au point de faire de cette farce tragique une réflexion sur le « vide métaphysique ». Il écrit au metteur en scène Sylvain Dhomme : « Le thème de la pièce c’est le rien, un rien qui se fait entendre, se concrétise, comble de l’invraisemblance [61]. » Les Chaises, « c’est l’absence, c’est la viduité, c’est le néant [62] » déclare-t-il encore à Claude Bonnefoy. Cette vision profondément pessimiste et sans espoir d’une condition humaine « comico-tragique » fait ainsi passer la portée comique de la farce tragique au second plan. Le comique n’est plus qu’« un moyen de construire la pièce », « un outil [63] ». On ne saurait alors s’étonner comme l’auteur de la réception de sa pièce :

Pensant alors comprendre mon erreur et que j’étais un auteur inconsciemment comique j’écrivis des farces : celle, entre autres, de deux personnes presque centenaires, drôlement gâteuses, qui organisent une soirée à laquelle des quantités de gens sont invités, qui ne viennent pas, pour lesquels on entasse une énorme quantité de chaises inutiles. Situation classique de vaudeville : les spectateurs savent qu’il n’y a personne, les héros de la pièce ne le savent pas et prennent les chaises vides pour des êtres en chair et en os, auxquels ils confient, comiquement pathétiques, tout ce qu’ils ont « sur le cœur ». Les spectateurs trouvèrent que la chose était particulièrement macabre [64].

Contrairement à Ubu roi, ce n’est pas la tragédie, mais la farce qui est mobilisée comme structure ; ce point de départ antithétique donne ainsi naissance à une farce tragique bien loin de la farce potache, dans laquelle l’aspect farcesque et burlesque reste en sourdine. Pour citer Robert Abirached, l’on rit « parce qu’on est effrayé de se voir si seul et si dérisoire : oui, la farce est tragique [65]. »

Une épreuve salvatrice : la farce tragique au cœur du théâtre contemporain

Ils considèrent que l’Histoire a raison alors qu’elle ne fait que déraisonner [66].

Il est cependant un élément qu’Ionesco ne mentionne pas explicitement pour expliquer son choix de la farce tragique et qui pourtant joue sans nul doute un rôle dans le succès de ce nouveau genre après la Seconde Guerre mondiale : la déroute de la comédie et de la tragédie face aux événements historiques. L’optimisme, la visée correctrice, le retour à l’ordre inhérents à la comédie sont mis en échec par l’histoire du XXe siècle : son rire raisonné, éclairé et surplombant, n’est pas armé pour affronter la déraison de l’histoire. La farce, elle, prend acte du monde et de son absence de sens ; le recours à un modèle médiéval non formaté par l’aristotélisme et le classicisme permet aux auteurs d’échapper à la pensée normative et rationnelle de la comédie. De plus, Friedrich Dürrenmatt souligne, quatorze ans après Les Chaises, l’inactualité de la tragédie :

La tragédie implique faute, misère, mesure, vue générale, responsabilité. Dans le gâchis de notre siècle, dans cette débandade de la race blanche il n’est plus de fautifs ni de responsables. Personne n’y peut rien et personne ne l’a voulu. La roue tourne toute seule [67].

Mais il ajoute quelques lignes plus loin : « Cependant le tragique est toujours possible, même si la pure tragédie n’est plus possible [68]. » La farce est l’une des façons de prendre en charge le tragique, sans faute ni conscience (on se souvient du triste sort qu’Ubu fait subir à sa Conscience dans Ubu cocu [69]), sans grandeur ni héroïsme. La farce tragique supplante ainsi la comédie comme la tragédie.

Ce nouveau paradigme théâtral de la farce tragique s’avère extrêmement fécond ; il éclipse même la tragicomédie ; le théâtre contemporain, affranchi des catégories génériques, a fait fructifier l’héritage jarryque comme celui d’Ionesco. Les « farces tragiques », « farces tragi-comiques », « farces bouffonne-comico-tragiques », « farces politico-tragiques » ou « tragi-farces » abondent depuis Les Chaises. C’est que la farce tragique a un rôle à jouer dans le paysage théâtral des XXe et XXIe siècles ; elle est réinvestie pour « rendre compte […] des convulsions du monde contemporain [70] ». Mireille Losco-Lena a démontré l’efficacité de la farce pour montrer et interroger la « banalité du mal ». Le personnage historique peut rencontrer le personnage farcesque dans la convergence entre l’assouvissement des pulsions et l’absence totale de préméditation ou de conscience, aux conséquences tragiques. Les Hitlers farcesques de Bertolt Brecht dans La Résistible ascension d’Arturo Ui ou de Georges Tabori dans Mein Kampf (farce) sont finalement bien proches du modèle réel ; il devient alors logique d’incarner l’histoire dans la farce, dans ce que Mireille Losco-Lena nomme des
« farces du totalitarisme », dans lesquelles l’exagération propre à la farce fait écho à celle du réel. La farce tragique se révèle ainsi extrêmement efficace pour penser l’histoire contemporaine, et le rire qu’elle provoque est l’héritier du rire fumiste et jarryque. Il place le spectateur dans une position inconfortable bien loin de celle de surplomb de la comédie. C’est un rire inquiétant :

Si l’on peut parler, avec Jean-Marie Domenach, de « retour du tragique » au sein de la farce au XXe siècle, c’est parce que l’expérience historique a démenti le fonctionnement de la comédie et que ce démenti, qui a pour effet le retour de la farce, est tragique. Le rire généré par ce comique-là, qui confond et qui blesse, ne saurait être euphorique ni heureux. […] Ce rire est contradictoire, libérateur et anxiogène à la fois [71].

On rejoint ici la position d’Ionesco pour qui la farce perd sa valeur libératoire. Ce phénomène est à situer dans le contexte d’une rupture épistémologique décrite par Mireille Losco-Lena : les dramaturgies contemporaines font du rire le « producteur d’une conscience tragique [72] » dans « un geste de réinvention du tragique [73] ».

Somme toute, le tragique est une épreuve que la farce passe haut la main : la prédilection des dramaturges contemporains pour ce genre moderne en est la preuve. Certes, le rire suscité n’est plus de l’ordre du « gros rire de la foule [74] » ni de la « gaîté gauloise [75] » de nos ancêtres ; mais c’est à ce prix que la farce intègre pleinement le champ théâtral contemporain. Non content d’assurer la survie du genre, ce nouvel avatar de la farce, en faisant du tragique un simple adjectif accolé à son nom, est aussi une revanche sur des siècles de mépris. L’épreuve du tragique est bien salvatrice pour la farce.

Notes

[1Victor Haïm, La baignoire (« farce tragique en trois angoisses et un espoir »), Paris, Stock, 1979, p. 19.

[2Charles Mazouer insiste sur ce point dans Le théâtre français du Moyen Âge, Paris, Sedes, 1998, p. 18 : « le contemporain doit se débarrasser de la dichotomie qui hante notre culture théâtrale depuis la Renaissance, celle du tragique et du comique. Ces catégories sont grecques ; elles ne sont ni bibliques ni chrétiennes. »

[3Dominique Bertrand, « De la légitimité du rire comme critère de la comédie classique », dans Littératures classiques, n°27, 1996, p. 162.

[4Sur les rapports entre farce et comédie aux xvie et xviie siècles, voir la seconde partie de l’ouvrage de Barbara C. Bowen, Les caractéristiques essentielles de la farce française et leur survivance dans les années 1550-1620, Urbana, University of Illinois Press, 1964. Cette savante distinction entre farce et comédie n’est bien entendu que théorique : nombre d’études ont montré la contamination farcesque des comédies régulières, par exemple de Jodelle. On pourra consulter sur ce point les articles de Michael J. Freeman, Madeleine Lazard ou André Tissier (Freeman, Michael J., « Jodelle et le théâtre populaire : les sabots d’Hélène », dans Madeleine Lazard (éd.), Aspects du théâtre populaire en Europe au xvie siècle, Paris, SEDES, 1989, p. 55-68 ; Lazard, Madeleine, « Refus et survivances de la tradition médiévale dans la comédie du XVIe siècle », dans Michel Perrin (éd.), Dire le Moyen-âge : hier et aujourd’hui, Paris, PUF, 1990, p. 73-90 ; Tissier, André, « Sur la notion de genre dans les pièces comiques, de la farce de Pathelin à la comédie de l’Eugène de Jodelle », dans Littératures classiques, n°27, 1996, p. 13-24).

[5Dans l’arrêté du 19 juin 1880 sur l’« Histoire sommaire de la littérature française jusqu’à la mort de Henri IV ».

[6Matinées du 21 janvier 1897 et du 4 novembre 1909.

[7Gustave Lanson, « Molière et la farce », dans Revue de Paris, 1er mai 1901, p. 142.

[8Dans les paragraphes « Le retour de la Fête des Fous » et « Nature et fonction de l’humour fumiste », dans Daniel Grojnowski et Bernard Sarrazin (éd.), L’esprit fumiste et les rires fin de siècle : anthologie, Paris, Corti, 1990, p. 27-38.

[9Ibid., p. 30.

[10Ibid., p. 35.

[11Ibid., p. 26.

[12Eugène Ionesco, Victimes du devoir, dans Théâtre complet, Paris, Gallimard, 1990, p. 241.

[13Ibid., p. 243.

[14Eugène Ionesco, « Expérience du théâtre », dans Notes et contre-notes, Paris, Gallimard, 1962, p. 14 : « le comique est tragique ».

[15Eugène Ionesco, « Mes critiques et moi », dans Notes et contre-notes, op. cit., p. 65.

[16Karl Siegfried Guthke, Die moderne Tragikomödie : Theorie und Gestalt, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1968, p. 72 (« beunruhigende Relativität »). Dans une partie de son chapitre 2 consacré à la théorie de la tragicomédie, intitulée « L’identité des contraires » (p. 53-69), l’auteur montre le caractère factice des jeux d’opposition entre tragédie et comédie (sentiments / raison, condition humaine objective / perception subjective, transcendance / immanence, douleur bénigne ou imaginaire / douleur réelle), et souligne au contraire les liens étroits qui les unit dans le conflit du héros face à l’ordre du monde, ce qui permet aux dramaturges modernes d’envisager une synthèse théâtrale.

[17Ionesco, Eugène, « Expérience du théâtre », art. cit., p. 13-14.

[18Richard Coe, « La farce tragique », dans Cahiers Renaud-Barrault, Ionesco dans le monde, n° 42, février 1963, p 25-52.

[19Ibid., p. 30.

[20Ibid., p. 31.

[21Bernadette Rey-Flaud, La farce ou la machine à rire. Théorie d’un genre dramatique (1450-1550), Genève, Droz, 1984, « Conclusion : la farce et le rire », p. 291-300.

[22Ibid., p. 297.

[23Ibid., p. 298.

[24Henri Céard, Le Matin, 11 décembre 1896, cité dans Pascarel, Barbara, « Ubu roi », « Ubu cocu », « Ubu enchaîné », « Ubu sur la butte » d’Alfred Jarry, Paris, Gallimard, 2008, p. 95.

[25Daniel Grojnowski, Bernard Sarrazin, op. cit., p. 37.

[26Alfred Jarry, L’Almanach du Père Ubu illustré, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, t. 1, 1972, p. 562.

[27Alfred Jarry, Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien, dans Œuvres complètes, op. cit., p. 681.

[28Grojnowski, Daniel, Bernard Sarrazin, op. cit., p. 27.

[29Le terme est employé par Henri Béhar (Les cultures de Jarry, Paris, Presses Universitaires de France, 1988, p. 15).

[30Alfred Jarry, Ubu roi, dans Œuvres complètes, op. cit., p. 354.

[31Ibid., p. 353.

[32Ibid., p. 355.

[33Ibid., p. 392.

[34Ibid., p. 397.

[35Ibid., p. 390.

[36Ibid., p. 394-395 ; acte V, sc. 1.

[37Charles Mazouer, op. cit., p. 347.

[38Alfred Jarry, Ubu enchaîné, dans Œuvres complètes, op. cit., p. 429 ; acte I, sc. 1.

[39Ibid., p. 438 ; acte II, sc. 2.

[40Jean-Marie Domenach, Le Retour du tragique : essai, Paris, Éditions du Seuil, 1967, p. 260.

[41Mireille Losco-Lena, « Rien n’est plus drôle que le malheur ». Du comique et de la douleur dans les écritures dramatiques contemporaines, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011, Chapitre III, « Rapport sur la banalité d’Ubu », p. 97-137.

[42Alfred Dogbé, Les conquêtes du roi Zalbarou, Morlanwelz, Lansman, 2002 ; Soyinka, Wole, Baabou roi, Arles, Actes Sud, 2005 [King Baabu, 2002].

[43Jean-Marc Defays, « Le burlesque et la question des genres comiques », dans Dominique Bertrand (éd.), Poétiques du burlesque, Paris, Champion, 1998, p. 45. L’auteur oppose le comique humoristique (litotique, elliptique, discret, économique) au comique burlesque (exagéré, caricatural).

[44Il affirme ainsi : « dans La Cantatrice Chauve j’étais près de Jarry, mais ensuite je l’ai de moins en moins suivi », « Entretien avec Édith Mora », dans Notes et contre-notes, op. cit., p. 99. Peut-être faut-il voir dans le Policier qui a fait dans sa culotte dans Victimes du devoir une réminiscence ubuesque… Rappelons également qu’Ionesco est transcendant Satrape au Collège de ʼPataphysique depuis 1951. Cette parenté avec Jarry n’a pas manqué d’être relevée par ses contemporains. Robert Kemp constate par exemple dans Le Monde que « M. Ionesco est un gars dans le genre d’Alfred Jarry », cité dans Jacquart, Emmanuel, « Préface », dans Théâtre complet, op. cit., p. li.

[45Eugène Ionesco, « Expérience du théâtre », art. cit., p. 14.

[46Emmanuel Jacquart, Le théâtre de dérision. Beckett, Ionesco, Adamov [1974], Paris, Gallimard, 1998, p. 168.

[47Eugène Ionesco, « Expérience du théâtre », art. cit., p. 13.

[48Ibid., p. 7 : « seul ce qui est insoutenable est profondément tragique, profondément comique, essentiellement théâtre. »

[49Josef Bessen a proposé une typologie détaillée des procédés de la farce employés par Ionesco dans son œuvre dramatique. Joseph Bessen, Ionesco und die Farce. Rezeptionsbedingungen avantgardistischer Literatur, Akademische Verlagsgesellschaft Athenaion, Wiesbaden, 1978.

[50Eugène Ionesco, Les Chaises, dans Théâtre complet, op. cit., p. 149 : « Le pape, les papillons et les papiers ? »

[51Ibid., p. 170 : « Il a l’air emprunté. Il nous doit beaucoup d’argent. »

[52Eugène Ionesco, « Entretien avec Édith Mora », art. cit., p. 98.

[53Eugène Ionesco, Les Chaises, op. cit., p. 168.

[54Ibid., p. 169.

[55Richard Coe, op. cit., p. 40.

[56Ibid., p. 32.

[57Eugène Ionesco, « Mes pièces et moi », dans Notes et contre-notes, op. cit., p. 142.

[58Eugène Ionesco, « Autres notes », dans Notes et contre-notes, op. cit., p. 199.

[59Eugène Ionesco, « Bouts de déclaration pour la radio », dans Notes et contre-notes, op. cit., p. 114.

[60Ibid., p. 115.

[61Lettre à Sylvain Dhomme, Spectacle, juillet 1956, cité dans Esslin, Martin, Théâtre de l’absurde [1968], Paris, Buchet/Chastel, 1971, p. 145.

[62Claude Bonnefoy, Entretiens avec Eugène Ionesco, Paris, Belfond, 1966, p. 84.

[63Eugène Ionesco, « Entretien avec Édith Mora », art. cit., p. 99.

[64Eugène Ionesco, « Mes critiques et moi », art. cit., p. 65-66. Ce qui n’empêche pas Ionesco de se moquer de lui-même trois ans après Les Chaises, dans L’Impromptu de l’Alma, dans Théâtre complet, op. cit., p. 427 : « Ionesco : Eh bien ! voilà : ma nouvelle pièce aura pour titre : Le Caméléon du berger. Bartholoméus i : Pourquoi Le Caméléon du berger ? Ionesco : C’est la scène de base de ma pièce, son moteur. J’ai aperçu, une fois, dans une grande ville de province, au milieu de la rue, en été, un jeune berger, vers les trois heures de l’après-midi, qui embrassait un caméléon… Ceci m’avait beaucoup touché… J’ai décidé d’en faire une farce tragique. »

[65Robert Abirached, « Ionesco et Les Chaises », dans Études, t. 290, 1956, p. 119.

[66Eugène Ionesco, Le Piéton de l’air, dans Théâtre complet, op. cit., p. 671-672.

[67Friedrich Dürrenmatt, Écrits sur le théâtre [1966], Paris, Gallimard, 1970, p. 65.

[68Ibid., p. 66.

[69Alfred Jarry, Ubu cocu ou l’Archéoptéryx, dans Œuvres complètes, op. cit., p. 505 : « Il saisit la Conscience par les pieds et, ne trouvant pas la valise, ouvre une porte, au fond, à guichet en as de carreau, et la fait disparaître la tête la première dans un trou entre deux semelles de pierre. »

[70Jean-Pierre Sarrazac, « Douleur du comique », dans Bernard Faivre (éd.), La farce, un genre médiéval pour aujourd’hui ? Louvain-la-Neuve, Études théâtrales, 1998, p. 114.

[71Mireille Losco-Lena, op. cit., p. 134.

[72Ibid., p. 54.

[73Ibid., p. 233.

[74Arthur Pougin, Dictionnaire historique et pittoresque du théâtre et des arts qui s’y rattachent, Paris, Firmin-Didot, 1885, p. 358.

[75Georges Docquois, Le petit champ, farce tabarinique en un acte, en vers, Paris, Stock, 1897, p. 7.


Pour citer l'article:

Sarah BRUN, « La farce à l’épreuve du tragique au XXe siècle » in Tragique et comique liés, dans le théâtre, de l’Antiquité à nos jours (du texte à la mise en scène), Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen en avril 2012 : publication par Milagros Torres (ÉRIAC) et Ariane Ferry (CÉRÉdI) avec la collaboration de Sofía Moncó Taracena et Daniel Lecler.
(c) Publications numériques du CÉRÉdI, "Actes de colloques et journées d'étude (ISSN 1775-4054)", n° 7, 2012.

URL: http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?la-farce-a-l-epreuve-du-tragique.html

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