Dans la préface à son roman Le Brasseur roi, chronique flamande du quatorzième siècle, le vicomte d’Arlincourt précise qu’il faut chercher dans le récit des faits passés « des enseignements à puiser », « des prophéties à entendre [1] ». Aussi, afin d’encourager de telles habitudes de lecture, l’auteur s’attache-t-il à « greffer en quelque sorte un temps moderne sur les temps anciens [2] » dans les textes à sujet historique qu’il publie après Juillet 1830. Cette représentation palimsestique de l’histoire s’explique sans doute par le fait que d’Arlincourt voit en Louis-Philippe d’Orléans l’usurpateur d’un trône qui devait revenir de droit à Henri de Bordeaux [3], le soi-disant « enfant de miracle » en faveur duquel Charles X a abdiqué le 2 août 1830 [4]. Cette usurpation contemporaine amène d’Arlincourt à chercher des exemples de passe-droits analogues dans les annales et à écrire une série de textes qui peignent des fléaux politiques, moraux et sanitaires qui rongent un pays dans de tels cas avant de disparaître au moment de la restauration de son monarque légitime [5]. La fin du règne de Charles VI et le début de celui de Charles VII semblent particulièrement aptes, aux yeux de l’auteur, à fournir des leçons salutaires à ses lecteurs.
« Bannissement et retour de Charles VII. Fragment historique », tel est le titre d’un article de d’Arlincourt qui devait paraître dans le journal légitimiste Le Rénovateur le 4 août 1832, mais que le gouvernement de Louis-Philippe fait supprimer. Ce court texte, qui fait partie du roman que d’Arlincourt s’apprête à publier sous le titre Les Écorcheurs, ou l’Usurpation et la peste, raconte les malheurs de la France pendant l’exil du trône de Charles VII [6]. Un autre extrait du roman paraît en prépublication dans La Mode du 5 janvier 1833 sous le titre « Les Deux sacres [7] ». On peut y lire les phrases suivantes : « Hélas ! sur son trône usurpé, au sein de ses tristes splendeurs, qu’il était à plaindre et petit, celui qu’on disait roi des Français ! Oh ! dans son exil glorieux et dans sa pauvreté sublime, qu’il était grand, le roi de France [8] ! » La désignation du duc de Lancastre, l’usurpateur anglais, comme roi des Français et de Charles VII comme le roi de France (ces titres anachroniques et leur mise en italique sont le fait de d’Arlincourt) crée un rapprochement entre passé et présent, entre Louis-Philippe et Henri V que le lecteur de 1833 ne pouvait pas manquer de saisir.
Notons toutefois que d’Arlincourt n’est pas le seul écrivain de l’époque à mettre le Moyen Âge et la monarchie de Juillet en parallèle. Sous le titre « 1432. Souvenirs historiques à l’occasion du choléra-morbus », un M. de Vannesson souligne, dans les pages du Rénovateur d’avril 1832, les similarités entre l’épidémie de choléra qui sévit en France au moment où il écrit et la peste qui dévasta la France quatre cents ans plus tôt. D’après lui, « [i]l est remarquable que ce soit toujours à la suite des révolutions et comme en punition des grands crimes politiques que les fléaux, tels que la guerre, la peste et la famine, fassent leur irruption chez les peuples [9] ». Il rappelle alors que la peste noire fit des ravages à l’époque où un usurpateur anglais fut installé à la place de Charles VII. Ce n’est qu’avec le retour de l’héritier légitime du trône à Paris que la maladie et les crimes reculèrent et que la paix et la prospérité se rétablirent en France, affirme-t-il.
Retombées dramaturgiques de l’idéologie politique de d’Arlincourt
Les prises de position idéologiques signalées ci-dessus ont pour but de servir de prélude à l’étude de La Peste noire, ou Paris en 1334, drame en cinq actes et sept tableaux que d’Arlincourt tire de son roman Les Écorcheurs, ou l’usurpation et la peste pour le faire jouer au théâtre de l’Ambigu-Comique le 7 avril 1845 [10]. Un mot d’abord sur le titre de cet ouvrage dramatique. 1334 est la seule date précise mentionnée dans la pièce et ne figure que dans l’intitulé de l’œuvre [11]. Curieusement, cette année-là ne correspond ni à l’époque de l’action du drame – qui s’étend sur la quinzaine d’années qui séparent la fin du règne de Charles VI (1422) de l’entrée de Charles VII dans Paris (1437) – ni à celle d’une épidémie de la peste à Paris [12]. Aussi Hippolyte Babou, critique de la Revue de Paris, a-t-il raison de dire : « Il est bien entendu que le titre n’engage à rien [13]. »
Si d’Arlincourt n’hésite pas à faire des entorses à la chronologie, il ne craint pas non plus de brouiller des faits admis par les chroniqueurs lorsqu’il trace le fond historique de son drame. Le cinquième tableau de la pièce (en place tout au long de l’acte IV) se passe dans les Catacombes de Paris. Or, comme le signale Louis-Étienne Héricart de Thury, dans son livre Description des Catacombes de Paris (1815) :
Aucun historien ne les [les Catacombes de Paris] a fait connaître, aucun ouvrage n’en a encore fait mention ; à peine datent-elles d’un demi-siècle. Leur origine, leur établissement, leur consécration, leur abandon, leur restauration, tout ce qui les concerne se lie à l’histoire des derniers temps ; et cependant, aujourd’hui, elles sont aussi connues, elles sont aussi célèbres que ces fameuses Catacombes [de Rome, Naples ou Syracuse] qui rappellent le souvenir des temps les plus reculés [14].
Qu’à cela ne tienne. Les souterrains sont un lieu de prédilection esthétique pour les mélodrames et les romans « noirs » au tournant du XIXe siècle [15]. En écrivant La Peste noire, d’Arlincourt pense sans doute que l’effet spectaculaire et terrifiant de ce décor fantasmatique fera toujours de l’effet et importe bien plus que l’exactitude historique. Il se sert donc de l’obscurité et l’humidité de ces galeries insalubres, de ces labyrinthes ténébreux avec leurs ossements, pour souligner le côté macabre et monstrueux des crimes que son drame met en scène. La vie, comme l’honneur individuel et national, sont mis en danger dans ce cadre souterrain emblématique de contamination et de corruption. Le retour au plein air et à la lumière du jour marquera par la suite un changement profond dans l’évolution dans l’intrigue [16]. Sortis des Catacombes, Maurice guérira de la peste, Hélène redeviendra saine d’esprit et le maréchal de Rieux, aidé du peuple, fera retrouver à la France son roi légitime. En recourant au décor anachronique des Catacombes, d’Arlincourt abandonne donc l’Histoire pour le mythe avant de remettre une version romancée des faits réels sur le devant de la scène à la fin du dernier acte.
L’anachronisme allégorique des Catacombes incite à examiner les autres lieux où se déroule l’action de La Peste noire afin de voir si l’auteur se sert d’un procédé analogue ailleurs dans sa pièce. Le drame de d’Arlincourt comprend sept tableaux dont la plupart sont destinés à donner une coloration médiévale à l’œuvre. C’est le cas, par exemple, du deuxième tableau du drame avec son hôtellerie située en dehors de Paris, à la porte Saint-Honoré. Au-delà des remparts auxquels s’adosse cette auberge, on voit les toits de la ville médiévale [17]. Le septième et dernier tableau de la pièce sert de pendant à ce cadre et représente « une place du vieux Paris » avec ses rues et ses remparts au-delà desquels ont voit la campagne [18]. Le troisième tableau de la pièce, quant à lui, représente un magasin de drapier installé aux piliers des halles de Paris – piliers visibles à travers les verrières de la boutique [19]. Un boudoir dans l’hôtel particulier de la comtesse d’Antragues compose le quatrième tableau de la pièce et fut sans doute décoré dans un style moyenâgeux [20]. Pour évocateurs qu’ils soient, ces cadres ne représentent pas les lieux où l’on s’attendrait à voir se dérouler les événements qui avancent ou retardent l’avènement de Charles VII. Dégagés de tout référent historique précis, les espaces où se passe La Peste noire servent plutôt à favoriser le rapprochement entre passé et présent que d’Arlincourt cherche à créer dans l’esprit de ses spectateurs.
On découvre une anonymisation semblable au niveau des personnages. Dans Charles VI, opéra de Casimir et Germain Delavigne joué au Théâtre de l’Académie royale de musique en 1843, on voit paraître et parler sur scène non seulement le personnage éponyme mais aussi Isabelle de Bavière, le duc de Bedford, Jeanne d’Arc, Dunois et d’autres personnalités bien connues [21]. Or, ces grandes figures de l’histoire de Charles VII – histoire qui met en question la légitimité royale et l’indépendance nationale – sont complètement absentes de La Peste noire. Les noms des individus retenus par l’histoire sont cités de temps à autre, mais c’est tout. À leur place, des personnages inventés par d’Arlincourt – Hélène Odiot, le maréchal de Rieux, la comtesse d’Antragues, lord Falbridge, Lionel, Marie, Maurice et le docteur Lambert – mènent l’action [22]. Le drame de d’Arlincourt réduit ainsi les grands acteurs historiques à la portion congrue alors que des personnages absents des annales sont chargés de faire advenir une restauration de caractère « légitimiste » enregistrée par les chroniqueurs.
Exceptionnellement, Charles VII sera présent sur scène (mais muet) dans l’entrée royale spectaculaire qui clôt le drame de d’Arlincourt. Ce tableau vivant est le but vers lequel tend toute l’œuvre – son « clou » idéologique et dramaturgique [23]. L’Histoire nationale sert donc de toile de fond à une histoire privée avec laquelle elle entre en liaison et dont la plupart des acteurs – marchands, truands et médecins – sortent du peuple et d’une petite noblesse fidèle à son roi. Cela se voit dans le résumé de la pièce paru dans L’Argus du 10 avril 1845 que nous citerons ici afin de faire connaître l’intrigue de La Peste noire.
La scène se passe au moment de la minorité du jeune roi Charles VII, c’est-à-dire à l’époque néfaste de l’occupation de Paris par les Anglais, que la reine Isabeau de Bavière avait appelés à son aide ; en ces temps où l’étranger et les guerres intestines désolaient la France, le maréchal de Rieux, resté fidèle à la cause du jeune roi, est contraint de se cacher dans l’hôtel de la belle comtesse d’Entragues [sic], dévouée corps et âme à la reine Isabelle. Le maréchal retrouve une femme qu’il a rendue mère, mais il la retrouve folle. Un assassin a tué le fils d’Hélène, et la pauvre mère a perdu la raison lors de cette horrible catastrophe ; le scélérat qui a frappé le fils d’Hélène et du maréchal a pris le nom de sa victime, et, devenu un riche drapier, il est le chef des malandrins, de cette bande de brigands, qui, tantôt combattant pour les Anglais, tantôt pour le dauphin, promenaient partout le meurtre et le pillage. Lionel, c’est le nom de l’assassin, aime une jeune fille qu’il veut enlever, mais un jeune homme défend la belle Marie dont il est aimé ; ce jeune homme, nommé Maurice, est déclaré être le fils de Lionel, son indigne rival. […] Un tableau admirable et du plus grand effet est celui des Catacombes, où une lutte à mort s’engage entre Maurice et Lionel le malandrin, qui veut disputer au jeune homme la possession de Marie. Mais le fléau de Dieu, la Peste Noire vient d’atteindre Maurice qui se tord sous les ongles de fer du fléau. Marie s’est précipitée sur le corps de son jeune chevalier ; Lionel a peur de la contagion ; il fuit, laissant les aman[t]s perdus dans les catacombes. [Ils seront sauvés par le maréchal et Hélène.] Puis enfin les Anglais sont chassés de la France, l’étendard de saint Louis flotte sur les remparts, il renverse le lion de la cauteleuse Angleterre ; et Charles VII entre dans sa bonne ville de Paris, au milieu d’un magnifique cortège, et salué par les acclamations du peuple [24].
Histoire et histoires
Ayant exposés les choix esthétiques faits par d’Arlincourt dans l’élaboration de son drame, il est temps de considérer les rapports que le dramaturge développe entre l’Histoire de France et l’histoire de la famille qu’il met sur le devant de la scène dans La Peste noire. On constatera alors que les liens qui rattachent le destin de cette famille à l’histoire nationale correspondent aux thèmes de l’usurpation et du crime, de la filiation et l’exil. Le faux Lionel, c’est l’intrus, l’étranger. Dans le prologue de la pièce c’est même ce terme, l’Étranger, qui désigne tout d’abord « le vaillant Caboche », chef des malandrins qui cherche à échapper aux forces de l’ordre. Suite à son assassinat du vrai Lionel, ce scélérat emprunte le nom et les papiers de sa victime, le fils qu’Hélène devait revoir après une longue absence. Grâce à ce nom usurpé, le faux Lionel va pouvoir rentrer dans Paris et s’installer dans la boutique qu’un oncle d’Hélène lui [à Hélène] a laissée en héritage. Pour éviter toute contestation possible de son imposture, le truand obligera Hélène, devenue folle, à le suivre à Paris où il peut la surveiller. Pour les mêmes raisons, il exilera Maurice, le fils du vrai Lionel, à Melun. Voici donc réunis dans un seul personnage, l’Étranger, l’usurpation et le crime qui compromettent l’héritage d’une famille et son avenir. Si le lien entre la vie privée et l’histoire nationale n’est pas encore tout à fait évident, il le deviendra.
En effet, d’Arlincourt soulignera l’association entre la violence qui brise une famille apparemment sans distinction particulière et les forfaits qui compromettent l’unité nationale plus tard dans la pièce lors d’une visite du lord Falbridge, lieutenant gouverneur de Paris, à la boutique du faux Lionel. C’est dans cette boutique que des truands se réunissent avant de procéder à l’extermination de la garnison anglaise à la demande de la reine Isabelle (acte II, 3e tableau, scène 4). Voyant Falbridge et son entourage arriver inopinément, les malfrats se déguisent en grande hâte. Lionel les présente à l’Anglais comme des clients, leur donnant des noms d’emprunt comme le baron de Montgibet et Don Luis Rodrigo Birbante Pilori, duc de Ladrone. Falbridge annonce alors la victoire, près de Bourges, du duc de Bedford et du duc de Lancastre sur les forces armées du Dauphin. Venu chercher des tissus chez Lionel dans l’intention de fêter le triomphe des Anglais, Falbridge finit par renoncer à ses achats craignant que des tissus importés de Smyrne ne soient contaminés par la peste. La comtesse d’Antragues, favorite d’Isabelle de Bavière et sa représentante sur scène, est également présente dans la boutique. Les nouvelles communiquées par Falbridge incitent la comtesse à ajourner provisoirement le projet d’extermination des Anglais en attendant de revoir la reine dont les liaisons politiques changent selon les circonstances.
La scène suivante ramènera Hélène dans la boutique du drapier où elle refuse de reconnaître le faux Lionel pour son fils – refus que l’on attribue à sa folie plutôt qu’à l’horreur instinctive qu’elle ressent pour cet imposteur. À la fin de l’acte, elle va brandir un drapeau noir, étendard fait d’un tissu qui se trouve dans la boutique de Lionel, pour signaler la présence de la peste dans Paris. Cette fois-ci l’association entre usurpation et crime, entre la dissolution de la famille et la subversion de l’indépendance nationale par des gens qui lui sont étrangers est bien soulignée. Lionel et ses truands, comme les Anglais et leurs soldats, sont des intrus, des étrangers qui occupent une place (la boutique, Paris) qui ne leur revient pas de droit. Auteurs de forfaits criminels ou d’une anarchie politique, ils ébranlent les fondements de la société, la minent à la base. La peste et la folie ne manquent pas de se manifester dans cette ambiance où les vraies valeurs sont perverties et le pouvoir est exercé par des gens sans titre légitime [25].
Cependant, Lionel et ses brigands ne sont pas les seuls personnages de la pièce qui se cachent sous un nom d’emprunt. Au prologue Hélène apprend que l’homme qu’elle avait épousé vingt ans plus tôt, et qui se faisait alors appeler Lionel Hamelin, n’est ni mort ni infidèle comme elle le croyait. Elle découvre que cet homme s’appelle en réalité Charles de Rieux et vit toujours. S’il s’est servi d’un faux nom et a exercé une profession qui ne fut pas vraiment la sienne, c’est qu’il voulait cacher son haut rang et sa fortune à Hélène, jeune femme d’origine modeste. Sans cette ruse, croit-il, Hélène l’aurait peut-être pris pour un vil séducteur et n’aurait pas cru à son amour [26]. Obligé par la suite de quitter Paris pour des raisons politiques – il fut et reste partisan du Dauphin –, de Rieux cherche depuis quinze ans la femme et l’enfant qu’il fut forcé d’abandonner dans son exil. Devenu maréchal de France, il œuvre toujours pour placer le Dauphin sur le trône de ses ancêtres. Son projet est donc double : reconstituer sa famille et restaurer son roi. Si, jusqu’au dernier moment, il prend le faux Lionel pour son fils, il finira par voir clair dans le cœur corrompu de cet homme infâme qui est le rival de Maurice, le fils du vrai Lionel assassiné. L’absence totale de sentiments paternels chez l’imposteur et le désir avilissant que le faux Lionel ressent pour Marie, une orpheline dont la beauté, comme le nom, est symbole de pureté, permettra au Maréchal de comprendre que celui qui se prétend son enfant ne tient pas de lui. Hélène, quant à elle, comprend instinctivement et malgré sa folie que le faux Lionel n’est pas son enfant et reconnaît chez Maurice les traits d’un fils qu’elle n’a pas vu depuis de longues années. (Comme dans tout bon mélodrame, une « voix secrète » attire le jeune homme vers la grand-mère qu’il ne connaît pas.)
Conclusion
Quelle est donc la leçon que la pièce formule et transmet sur le pouvoir et son exercice sous l’Ancien Régime (expression entendue dans sa conception la plus large) ? Tout d’abord, on y apprend que le pouvoir mal exercé ou illégitime est dommageable à la nation comme aux familles. Cela se voit par les divisions et les calamités qui en découlent : folie, crimes, peste, famine, occupation étrangère et contestations intestines entre autres. Aussi une grande partie de l’action se passe-t-elle la nuit ou dans l’ombre comme pour souligner la noirceur et l’oppression d’un pouvoir qui a partie liée avec l’usurpation et l’illégalité. Le fait que La Peste noire, ou Paris en 1334 adopte la forme et les conventions d’un mélodrame « classique » avec ses traîtres (Isabelle de Bavière, les Anglais, le faux Lionel), ses victimes vertueuses (Hélène, le vrai Lionel, Marie, Maurice, le peuple, Charles VII) et ses justiciers (Charles de Rieux, Hélène) et ses reconnaissances providentielles ne fait que renforcer le message que l’exercice d’un pouvoir illicite ou abusif a des conséquences néfastes et ne peut ni ne doit durer. Le manichéisme du genre veut le triomphe du bien, la restauration de la famille et du pays déchirés par l’immoralité et le mensonge. L’inondation des Catacombes – spectacle fort goûté du public –, la peste et la famine sont des manifestations de la colère divine qui punit ceux qui ne respectent pas la transmission du père en fils d’une autorité (familiale ou nationale) octroyée par Dieu. Il n’est donc pas étonnant que l’entrée de Charles VII dans Paris, autre élément spectaculaire de la pièce très apprécié du public, ferme le drame [27].
On notera aussi que la période marquée par la Guerre de Cent Ans constitue un vaste réservoir d’images de dissensions et de désordres dont d’Arlincourt profite pour parler du pouvoir politique véreux ou d’héritages contestés. Entre le règne de Charles VI et l’avènement de Charles VII, il a le choix d’un grand nombre de disputes et de malheurs, tant au niveau de la famille qu’au niveau de la nation. S’il ne les représente pas toujours avec exactitude ou n’en parle qu’allusivement, c’est que la conformité de sa pièce aux faits réels n’entre pas dans ses propos [28]. Bien au contraire, d’Arlincourt fait de l’histoire moyenâgeuse une sorte de palimpseste qui annonce ce qu’il voit comme l’illégitimité de la monarchie de Juillet. Son but est de persuader ses lecteurs et spectateurs que, à l’instar du règne de Charles VII, seul l’avènement du jeune comte de Chambord (Henri V de France) permettrait de sortir l’impasse où se trouve la France louis-philipparde.