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Christophe COUDERC

Université Paris Ouest Nanterre La Défense - EA369 Études Romanes

« No es ahora tiempo de risa » : l’élément comique dans El médico de su honra de Calderón


Texte complet


1. Préambule : la question du genre hybride et la taxinomie

Dans une comedia espagnole du Siècle d’Or, certaines scènes, certaines répliques peuvent faire jouer les ressorts du comique, même si le sujet choisi donne lieu à un traitement grave. Le personnage du valet comique, appelé criado, ou lacayo, gracioso, ou encore, pour reprendre le terme que semblait préférer Lope de Vega, figura del donaire [1], remplit alors cette fonction d’instiller de la légèreté et de susciter le rire dans le déroulement d’une action sérieuse. Songeons à l’exemple sans doute le plus connu de ce répertoire, La vida es sueño [La Vie est un songe], de Calderón de la Barca  : sitôt terminée l’héroïque tirade d’ouverture de Rosaura – caractérisée par un vocabulaire recherché, des figures de rhétorique, une tonalité épique et une syntaxe complexe –, le gracioso Clarín intervient pour changer radicalement la tonalité de la scène et, par ses jeux de mots et ses allusions grivoises, amener sur un tout autre terrain sa maîtresse, qui semble d’ailleurs oublier immédiatement le pathétique des plaintes qu’elle exprimait quelques vers plus haut.

Genre hybride, la Comedia est caractérisée par sa capacité à mélanger les tonalités, à combiner des matériaux d’origine diverse et à associer des motifs, des structures ou encore des personnages types que le sens commun considère comme incompatibles, contradictoires ou dissonants. Une désormais longue tradition critique a mis en avant cette hybridité, ou cet alliage, du comique et du tragique, pour en faire la spécificité majeure de l’esthétique de la Comedia Nueva, au point parfois de ramener la totalité de celle-ci à une unique formule mêlant de façon originale le comique et le tragique. Différentes raisons, touchant à l’histoire de la réception du théâtre espagnol du Siècle d’Or, peuvent expliquer ce jugement sans nuance, parmi lesquelles trois sont particulièrement importantes :

– La première est l’existence du terme unique et hypergénérique de comedia, servant à désigner toute pièce de théâtre dans la langue espagnole de cette époque ; alors que leurs homologues des pays voisins développent dans les mêmes années une nomenclature différenciant des sous-genres, les dramaturges espagnols ont assez rapidement abandonné les désignations alternatives au seul mot de comedia. Au-delà du constat de ce qui peut apparaître comme une évidence, on peut considérer, pour le dire avec Francisco Ruiz Ramón, que le malentendu nominaliste a débouché sur un malentendu herméneutique, tout se passant comme si l’emploi d’un terme unique avait puissamment contribué à ce que la Comedia (avec majuscule à l’initiale pour désigner le genre) espagnole ne soit pensée que sous les espèces d’un genre impur [2].

– Dans le même ordre d’idées, un second élément à considérer est la nature et la relative rareté des textes théoriques écrits en Espagne sur le théâtre au moment de son essor puis de son affirmation. La rareté même de ces textes, en premier lieu, est un indicateur de ce que les poètes se préoccupent plus de la pratique que de la théorie, ce qui s’exprime également, en second lieu, dans le contenu des textes où l’on trouve répétée l’idée qu’il faut faire prévaloir le goût du public sur toute autre considération, et notamment sur une considération esthétique qui serait détachée de l’accueil réservé au théâtre par son public, à qui l’on doit en donner pour son argent. Aux vers célèbres que Lope de Vega consacre dans l’Arte nuevo de hacer comedias en este tiempo à ce point, on pourrait ajouter quelques autres témoignages. Ainsi, dans l’adresse au lecteur qui figure en tête de sa Parte IV, le « Phénix des Esprits » rappelle en 1614 que justifier le théâtre par le plaisir (c’est ainsi, ou encore par « satisfaction », que l’on peut traduire l’espagnol gusto) du spectateur est un lieu commun :

Bien peu nombreux doivent désormais être les observateurs scrupuleux de notre théâtre qui ne voient pas que satisfaire le vulgaire est le seul précepte et la seule loi que l’on suive en Espagne ; c’est une maxime qui était déjà du goût d’Aristote quand il disait que le poète qui compose la fable atteignait son but s’il procurait du plaisir à son public [3].

Donner au poème dramatique le but ultime de satisfaire le spectateur, c’est aussi ce que fait quelques années plus tard Ricardo de Turia dans son Apologie en faveur des « comédies » d’Espagne [Apologético de las comedias españolas, 1616], toujours en se référant à la Poétique d’Aristote : « pourquoi le poète devrait-il renoncer à son but, qui est d’obtenir des applaudissements (premier précepte d’Aristote dans sa Poétique), pour suivre les règles des Anciens [4] ? ». Dans le même texte, on trouve également associées, comme précédemment dans l’Arte nuevo de Lope, les deux idées majeures du gusto et de l’uso – la mode, ou le goût du jour – attestant de la modernité de la Comedia Nueva, comme de la conscience qu’avait ses artisans de cette modernité :

La prouesse la plus haute consistera-t-elle à apprendre les règles et les lois chères à Plaute et à Térence, et, une fois connues, à les prendre toujours pour normes de ces comédies, ou bien à se conformer, chaque quinze jours, à de nouvelles contraintes et à de nouveaux préceptes ? Car c’est vérité infaillible que la nature des Espagnols impose pour les comédies la même chose que pour la mode, à savoir que chaque jour voit de nouveaux usages [5].

– À cela s’ajoute enfin qu’un certain nombre de textes (qui sont souvent les plus cités par les critiques) portant sur l’art du théâtre en Espagne sont publiés ou diffusés à un moment où parvient jusqu’en Espagne l’écho de débats menés quelques décennies auparavant en Italie, où s’était développée une réflexion sur un théâtre déjà pensé comme renouvellement et dépassement des canons traditionnels – un enjeu dont fait état le titre de l’épître de Lope de Vega qui propose, non sans redondance, un art nouveau de faire des comédies aujourd’hui [6]. C’est notamment vrai de la comparaison de la Comedia espagnole avec l’hermaphrodite, image que l’on trouve sous la plume de différents auteurs (chez Cascales dans le dialogue des Tablas poéticas de 1617, par exemple), et notamment sous celle de Ricardo de Turia, précédemment cité, quand il qualifie le nouveau théâtre de « tragicomédie » comparée au « fabuleux Hermaphrodite […] qui, né d’un homme et d’une femme, était de nature différente de ces deux sexes, mêlés de telle manière que l’on ne pouvait les séparer l’un de l’autre [7] ». L’auteur valencien ne fait en réalité que reprendre, dans ce développement, ce qu’avait écrit Guarini dans son Pastor fido, dont le sous-titre est Il compendio de la poesia tragicomica, pour défendre le principe de la varietas baroque afin que la scène du théâtre représente fidèlement le réel dans sa diversité et son asystématicité [8]. On est en droit de se demander par conséquent s’il ne conviendrait pas de relativiser la pertinence de ce type de définition essentialiste et généralisante de la Comedia comme forme essentiellement hybride (qu’on l’appelle tragicomédie ou autrement) : c’est dans un contexte de polémique autour du nouveau théâtre en Espagne que sont diffusés ces écrits, publiés pour les derniers en 1617, tandis que quelques années plus tard – mais la question mériterait probablement un examen approfondi – l’utilisation par les auteurs du seul terme de comedia semble bien attester que l’intérêt pour la dispute taxinomique a disparu et que celle-ci, quoi qu’il en soit, n’a pas eu de répercussions significatives sur la pratique des dramaturges ni sur la réception du public.

On peut comprendre que, sur de telles bases, la critique postérieure ait privilégié une vision essentiellement mixte ou tragicomique du théâtre espagnol de l’âge classique. De plus, il faudrait aussi estimer à sa juste mesure l’importance de la réception de la Comedia en France : une réception biaisée par le débat entre Baroques et Classiques au cours duquel le théâtre espagnol a été clairement instrumentalisé pour servir de contre modèle et de repoussoir à l’esthétique classique et régulière, alors en gestation dans un contexte là encore polémique [9]. Dominée par le néo-classicisme, pensée de la règle et du précepte, puis par le positivisme, pensée de la classification et de la hiérarchie, la critique littéraire qui se construit à l’époque contemporaine s’est donc fourvoyée, ou a été victime d’une mirage herméneutique (pour reprendre la formule de Ruiz Ramón évoquée plus haut), et a de la sorte tendu à associer définitivement au théâtre espagnol du Siècle d’Or une impureté générique, du fait de l’association constante qui y est supposée d’éléments tenus pour incompatibles, sans que soit pris en compte ni l’immense corpus au sein duquel cohabitent des propositions génériques (ou sous-génériques) très variées, ni l’histoire des formes, c’est-à-dire la diachronie.

La critique plus récente, cependant, s’est attachée à décrire de façon plus précise et nuancée la poétique de la Comedia Nueva, et des travaux portant sur des corpus cohérents s’efforcent notamment de tenter de mieux comprendre comment fonctionne cette cohabitation entre le versant tragique et le versant comique au sein d’une pièce donnée. Dans les pages qui suivent sera proposé l’examen de la présence de l’élément comique au sein de El médico de su honra [Le Médecin de son honneur], considérée comme l’une des illustrations les plus représentatives de la formulation caldéronienne du genre tragique [10].

2. Coquín est-il drôle ou sinistre ?

L’un des corpus les mieux définis comme théâtre tragique au Siècle d’Or peut en effet être identifié au sein de la vaste production de Calderón de la Barca. Quoique celui-ci n’ait jamais employé le terme de tragedia pour désigner ses pièces [11], il a proposé, tout au long de sa carrière, des pièces sérieuses, graves, et proprement tragiques, si l’on suit sur ce point de nombreux critiques qui se sont attachés à définir une poétique caldéronienne de la tragédie, pour reprendre à nouveau une formule de Ruiz Ramón, l’un des spécialistes qui a le plus œuvré dans ce sens [12].

El médico de su honra constitue avec A secreto agravio secreta venganza et El pintor de su deshonra une sorte de trilogie de pièces particulièrement tragiques. Toutes trois partagent en effet un certain nombre de traits structurels et de motifs, et ont notamment en commun à la fois leur sujet – un cas d’uxoricide, ou de wife-murder selon la tradition critique anglo-saxonne, qui est un sujet tragique par excellence dans la tragédie moderne [13] – et le traitement apporté à celui-ci, l’action se construisant de telle sorte qu’elle est menée inéluctablement vers un dénouement fatal qui condamne un personnage innocent : dans El médico doña Mencía doit faire face à la cour pressante de l’infant don Enrique, qui l’avait naguère aimée et qui découvre au début de la pièce qu’elle est désormais mariée à don Gutierre ; la série de quiproquos et de maladresses qui découle de cette situation amène son époux à la croire coupable d’adultère et à la condamner à mort.

Le comique, peu développé dans cette tragédie, est exclusivement associé au personnage du criado gracioso Coquín, donnant l’impression, au premier abord, que la violence meurtrière du dénouement annoncé marginalise le comique. En ce sens, El médico illustre bien un principe qu’on a pu observer dans le répertoire de la Comedia  : lorsque le ton de l’ensemble de la pièce est grave, le comique est exclusivement véhiculé par le personnage du valet, spécialisé dans cette fonction ; inversement, l’extension du comique, ou, pour reprendre la terminologie de Marc Vitse – qui en fait un critère taxinomique essentiel –, l’étendue qualitative du rire pourra être maximale dans certaines comedias situées à l’autre extrémité de l’arc générique, jusqu’à affecter les personnages principaux de la pièce [14].

Son attitude et son langage permettent de voir associé à Coquín un certain nombre des caractéristiques du gracioso, à commencer par son nom dont la signification humoristique, comme la désinence en -ín, est récurrente chez ce personnage type. Plus précisément, Coquín est un « loco profesional », un « profesional de la burla y de la risa », c’est-à-dire un authentique bouffon, comme c’est le cas également de Juanete dans El pintor de su deshonra ou comme le plus connu d’entre ses semblables, Clarín dans La vida es sueño [15]. Cette série de graciosos, intervenant dans des pièces à sujet grave, présente un certain nombre de points communs : bufón, truhán, chocarrero, ou hombre de placer, le valet de cette espèce tire sa subsistance de l’humour qu’il est capable de déployer, il est amateur des plaisirs de la vie et soucieux de sa propre conservation, se permet une liberté de parole interdite aux autres personnages et fréquente l’espace du palais.

Coquín présente bien toutes ces caractéristiques, qu’il serait inutile et fastidieux d’illustrer de façon exhaustive : jusqu’à un certain point, et notamment au début de la pièce, Coquín est un valet correspondant assez bien à cet archétype du bouffon de la tragédie caldéronienne. Le texte insiste notamment sur ce que l’on pourrait appeler sa condition socio-professionnelle. Les deux scènes où il est présent au cours du premier acte sont pour lui l’occasion d’un double autoportrait ; dans les deux cas, devant l’infant Enrique d’abord puis devant son frère le roi don Pedro, le valet introduit sa propre personne par une plaisanterie, en guise d’illustration de son métier qu’il décrit immédiatement après ; dans les deux cas, après cette entrée en matière plaisante, il est invité à répondre à la question « qui es-tu ? » (« ¿quién sois ? » v. 459 et v. 711). La première de ces deux apparitions de Coquín a lieu au vers 314, ainsi que l’indique la didascalie : le valet, d’abord silencieux, accompagne son maître qui vient se présenter à l’infant don Enrique – celui-ci, à la suite d’une chute de cheval, a été conduit chez don Gutierre et a eu le temps d’échanger quelques mots avec sa jeune épouse, doña Mencía, dont il découvre qu’elle est, depuis un laps de temps indéterminé, la femme du maître de maison. Alors que le prince est sur le point de partir, et qu’il a pris congé, le valet fait une intervention dont l’effet principal est de mettre un terme à une situation non seulement guindée, du fait du respect du protocole qu’exige la visite impromptue de l’infant, mais aussi extrêmement tendue, parce que Enrique comme Mencía sont assaillis par des émotions contradictoires :

COQUÍN.– C’est ici que je fais mon entrée. Que Votre Altesse me donne à baiser sa main ou son pied, ce qu’elle a – c’est le plus simple – sous le pied ou sous la main [16].

Ce jeu de mots qualifie le valet comme amuseur, comme le confirment d’une part le prince alors que son maître se dispose à le rabrouer (« Dejalde, que su humor le abona », v. 450-455) et d’autre part une seconde plaisanterie à partir du double sens du verbe « caer », Coquín feignant de souhaiter au prince une bonne fête, parce que celui-ci est ‘tombé’ ce jour-là [17].

Ces deux calembours, que l’on pourrait encore qualifier d’antanaclases (ou en espagnol de dilogías), sont caractéristiques de l’humour du criado gracioso. Ils sont complétés par une troisième réplique, en réponse à la question de l’infant qui lui demande qui il est (« ¿quién sois ? », v. 459 ) :

En un mot, je suis Coquín, fils de Coquín, écuyer de cette maison, officier de bouche de la jument pie, car je retiens pour mon compte la moitié de son boisseau d’avoine [18].

Plus élaborée, cette dernière plaisanterie permet de caractériser le valet comme un personnage burlesque qui s’attribue une charge imaginaire (celle de despensero). De plus, dans la tradition carnavalesque que Bakhtine associe au bas corporel et au réalisme grotesque, le personnage se trouve animalisé puisque Coquín vole la nourriture du cheval pie que don Gutierre offre à cet instant à l’infant. Si la plaisanterie est parfaitement compréhensible car le verbe sisar est d’un emploi très courant, le double sens de despensero l’est moins : comme l’indique très clairement Armendáriz Arramendía dans son annotation du texte, le terme, qui dans un premier sens renvoie à une charge, peut être interprété ici comme un néologisme dans le sens d’ôter son « pienso » au cheval, ce que pourrait rendre le français « dé-panser [19] ».

Ces trois premières répliques du gracioso organisent déjà une gradation du plus simple au plus compliqué et posent la question de savoir si Coquín est un personnage qui fait rire. À la fois necio et cuerdo, il est la figure de l’oxymore du bouffon carnavalesque étudié par Bakhtine ; son costume, conventionnel et permettant d’identifier au premier coup d’œil l’emploi qu’occupait l’acteur, à coup sûr suscitait le sourire du spectateur du XVIIe siècle ; son style de jeu, probablement spécifique au rôle type, devait aussi avoir le même effet ; mais qu’en est-il de l’humour verbal de ce représentant de la figura del donaire, autrement dit du personnage type spécialisé dans le mot d’esprit ? La question divise la critique, par ailleurs encline à considérer que Coquín est un gracioso atypique. L’un des éditeurs de la pièce, Cruickshank, considère que ses interventions sont des « chistes que con seguridad el público encontraría divertidos [20]  » ; à l’inverse, García Gómez écrit de Coquín que «  como ‘gracioso’ su humor no hace mella ni en el rey ni en Gutierre ni incluso en Mencía (II, 208) y, posiblemente, tampoco en el público [21] ».

La seconde intervention de Coquín au premier acte, aussi brève que la précédente, confirme la difficulté à apporter une réponse tranchée à la question de savoir si le personnage est drôle ou non. Le valet a suivi son maître à Séville, où il a voulu venir saluer le roi qui vient d’arriver. Ce dialogue de Coquín avec le roi est construit de la même façon que celui avec l’infant : tout d’abord un préambule avec un jeu de mot par lequel le gracioso exprime son désir de ne pas rester en présence du roi (cette fois sur le double sens de compás, pouvant signifier ‘compas’ ou ‘en rythme’ : « me iré […] con mis pies de compás, / si no con compás de pies », v. 726-728) ; ensuite un autoportrait en réponse à la question « ¿quién sois ? ». Au terme du bref dialogue, dans une attitude caractéristique de la licence du bouffon au palais, le valet se couvrira – comme les Grands seuls pouvaient le faire en présence du monarque espagnol :

COQUÍN.– Je suis certain courrier à pied, porteur de toutes nouvelles, furet de tout profit, et jamais un seul ne m’a échappé, Sire, fût-il gentilhomme, profès ou novice. De qui m’a le mieux payé, je dis du mal, mais je le dis bien. Je suis chez moi dans toutes les maisons, et malgré cela, pour l’heure celle de don Gutierre Alfonso est mon annexe, où un Andalou me procure ma pâture de midi. Je suis membre de la confrérie des joyeux compagnons. Je ne sais pas qui est le chagrin, même pas pour l’avoir raccompagné à ma porte. Bref, tel que vous me voyez, je suis majordome du rire, gentilhomme de la joie, valet de chambre du plaisir, car c’est avec plaisir que je m’habille. Étant tout cela, je redoutais tout à l’heure de dire qui je suis, car un roi qui ne rit jamais, j’ai bien peur qu’il fasse compter sur mon dos cent coups de bâton pour vagabondage [22].

Construit de la même façon que le précédent, le dialogue a ici très certainement la fonction d’opposer les deux frères, l’infant Enrique – qui avait fait bon accueil aux plaisanteries du gracioso – et le roi Pedro, ce dernier étant resté dans la mémoire collective affublé du surnom de cruel ; une dureté qui se confirmera en effet très rapidement aux dépens du valet puisque le roi, en conclusion de leur échange, lui promet de lui donner cent écus chaque fois qu’il parviendra à le faire rire, mais, s’il n’y réussit pas dans le délai d’un mois, de lui faire arracher toutes les dents. Car le roi don Pedro, en effet, ne rit pas, ce que constate Coquín avec humour : « Vous êtes si sévère que vous montrez les dents à tout le monde » [23].

Cette seconde scène pourrait confirmer que l’humour est désamorcé dans El médico, en particulier grâce aux vers à l’évidente portée métathéâtrale par lesquels Coquín conclut son autoportrait, quand il répond au roi qui lui demande : « Bref, vous êtes un homme dont l’état est de faire rire ? Coquín : Oui, Sire, et afin de vous le faire comprendre, je joue en ce moment au bouffon du palais royal. Il se couvre [24] ». Si Coquín ‘joue’ au gracioso, c’est qu’il n’en est pas un.

La suite de l’intrigue peut également laisser comprendre que les plaisanteries du valet font de moins en moins rire : au second acte, une tentative d’histoire drôle, présentée par Coquín comme la demande d’un « gracioso vergonzante », c’est-à-dire d’un pauvre qui demande l’aumône laisse le roi de marbre. Pour tâcher de faire rire le roi (et de sauver ses dents), Coquín a recours à une plaisanterie érotique dans la tradition des histoires drôles sur les hommes châtrés (capón dans le texte de Calderón) conclue par l’épigramme suivante :

Hier, j’ai vu se lever de son lit un eunuque portant une bigotelle. [...]
Il faut que ta maison, Florus, soit bien déserte,
si l’on croit l’écriteau qui surmonte ta porte.
Pas de lettre ? À quoi bon, alors, une enveloppe ?
Pas de fruit, À quoi bon, alors, une coquille ?
Non, ne perds pas ton temps : dans l’espoir d’un profit
J’ai vu labourer des jachères, mais jamais de stériles terres [25].

Cette plaisanterie sur les eunuques a fait l’objet d’une analyse très complète d’Ignacio Arellano qui y décèle un conceptisme burlesque et considère que cette unique illustration concrète de l’emploi de Coquín dans la pièce serait d’un registre excessivement graveleux pour séduire un roi trop clairement ennemi de la scurrilité et trop entiché de sa propre gravité [26]. La compréhension de l’épigramme, guère aisée, n’était possible que pour un secteur minoritaire du public des comedias  ; surtout, dans la disposition générale de l’action, la tentative du valet de faire rire don Pedro se solde piteusement par un commentaire sans appel de celui-ci : « qué frialdad », v. 1485 (« cela est d’un niais »). Commentaire important, si l’on considère que le roi Pedro a passé un contrat avec le valet autour de sa problématique vis comica  ; mais qui prend place dans une série de remarques de même ordre, commençant au premier acte, quand don Gutierre interrompt Coquín qui ouvre alors la bouche pour la première fois (« Aparta, necio », v. 454), et se terminant au troisième acte, quand la servante Jacinta souligne que le valet a perdu sa bonne humeur :

JACINTA. – Qu’as-tu donc ces jours-ci, Coquín, pour être aussi triste ? Tu étais pourtant gai, d’habitude ? Qu’est-ce qui te met dans un tel état ?
COQUÍN. – Je me suis mis en tête d’agir en homme avisé, et mal m’en a pris. J’y ai gagné de ce côté-ci une hypocondrie si forte que je suis en train d’en mourir.
JACINTA. – Et qu’est-ce que c’est, l’hypocondrie ?
COQUÍN. – C’est une maladie encore inconnue, il y a deux ans, et qui n’existait pas non plus en ce monde. Elle est depuis peu au goût du jour, au point même qu’une dame au fait de cette mode... envers le goût du jour, ma chère, point de dégoût... a dit un jour d’une voix dolente à son chevalier servant : ‘Apportez-moi donc un peu d’hypocondrie’. Mais voici notre maître.
JACINTA. – Mon Dieu ! Je vais avertir ma maîtresse [27].

Quoique le valet réponde par une brève plaisanterie sur l’hypocondrie, l’effet comique est de courte durée puisqu’il est, à nouveau, désamorcé par un rebondissement au terme duquel don Gutierre, qui entre à ce moment, va bientôt prononcer la condamnation à mort de son épouse.

Les trois interventions de don Gutierre, du roi, puis de Jacinta (une par acte), peuvent guider le public dans son appréciation de l’humour de Coquín, c’est-à-dire l’inciter à ne pas en rire. Autrement dit, le principe de la double énonciation propre au théâtre peut faire que quand personne ne rit autour de lui, le valet cesse de remplir la fonction qui est dévolue conventionnellement au criado gracioso. La perte de sa bonne humeur par Coquín, graduellement gagné par une sorte de mélancolie, est l’illustration de ce que le tragique gagne du terrain et construit une ambiance oppressante qui prépare le pathétique du dénouement. Il dira ainsi au roi, pour sa dernière apparition, abandonnant les burlas au profit des veras et tentant, mais trop tard, de sauver sa maîtresse :

COQUÍN. – Écoute ce que j’ai à dire, car c’est sérieusement que je vais parler. Je veux te faire pleurer, puisque je ne peux te faire rire. [...]
LE ROI. – Ce n’est pas le moment de plaisanter.
COQUÍN. – Quel moment l’a-t-il jamais été [28] ?

La question de savoir si Coquin fait rire est importante car elle est en rapport avec la caractérisation du personnage du gracioso et, plus généralement, avec l’usage que fait Calderón dans cette pièce des conventions de la Comedia Nueva, qui permettent ou exigent l’alliage du comique et du tragique. Question importante mais extrêmement difficile à trancher, notamment parce que, faute de documentation, nous ne pouvons qu’avancer des hypothèses sur la réception de la pièce par le public à l’époque de Calderón ou sur la façon de jouer du comédien qui incarnait le rôle. Nous avons vu jusqu’à présent : que l’examen du texte révèle qu’il est indéniable que les plaisanteries de Coquín sont d’un raffinement linguistique certain et que comme telles elles ne peuvent et ne pouvaient faire rire qu’un public attentif, avisé et cultivé ; que le texte mêle avec une certaine ambiguïté le comique et le sérieux (au point peut-être d’expliquer que l’on ait longtemps minoré la part de l’humour dans El médico comme en général dans les pièces graves de Calderón) [29] ; que les personnages qui entourent le valet expriment un jugement sur son humour susceptible de guider le spectateur sur l’accueil qu’il faut réserver à ces plaisanteries ; enfin, que du point de vue de la construction dramatique, le tragique semble opérer une sorte de contamination graduelle qui en vient à atteindre le valet.

3. Le burlesque au cœur du tragique (‘Ciel, mon mari !’)

Il y a cependant une autre scène de El médico de su honra où Coquín remplit bien un rôle comique, notamment associé à l’expression de la couardise, qui, avec le souci de la préservation de soi et la priorité donnée aux satisfactions physiques, constitue un des traits définitoires les plus habituels du valet gracioso, permettant de le différencier par contraste de son maître et plus généralement de l’opposer à l’univers idéologique propre aux gentilshommes qui sont les héros de la Comedia. La lâcheté de Coquín s’exprime en effet, au second acte, au cours d’une séquence très intéressante pour le sujet qui nous occupe, c’est-à-dire le mélange du comique et du tragique, et, plus précisément dans le cas de Calderón, l’utilisation, forcément volontaire, d’ingrédients parmi les plus conventionnels de la Comedia comique dans la construction de l’intrigue d’une comedia tragique.

Le premier acte s’est terminé par l’emprisonnement de don Gutierre sur ordre du roi en présence de qui il avait tiré son épée pour répondre à une offense de don Arias, également emprisonné. L’infant don Enrique, qui avait autrefois courtisé doña Mencía et qui avait appris lors de la première scène de l’acte I qu’elle avait depuis épousé don Gutierre, en profite pour s’introduire chez la dame dont il souhaite obtenir des explications ; nous sommes au début du second acte, et à un tournant de l’intrigue qui va évoluer de façon décisive vers son dénouement sanglant. Alors que son maître a obtenu du gouverneur de la prison, homme d’honneur comme lui, la possibilité de rendre visite à sa femme pour la nuit (ce que son épouse qualifiera de « fineza […] / de amante firme y constante », v. 1176-1177), son valet lui conseille de ne pas retourner comme il l’a promis en prison — conseil aussitôt qualifié par don Gutierre furieux de « vil acción », v. 1267. Le bref dialogue qui suit permet de marquer l’abîme existant entre maître et valet, celui-ci ne réglant pas sa conduite sur lois de l’honneur, mais affirmant au contraire son indépendance à l’égard de son maître et son manque de loyauté (« y hoy estoy determinado / a dejarte y no volver  », v. 1275-1276 [30]). Alors que don Gutierre donne la plus haute valeur à l’honneur (rien n’est encore arrivé à celui-ci mais cela est imminent), le serviteur, craignant le tempérament cruel du roi don Pedro, veut préserver sa vie à tout prix : « ¿heme de dejar morir / por sólo bien parecer ? » (v. 1279-1280). Ce dialogue a plusieurs fonctions : tout d’abord celle d’annoncer ou de confirmer l’importance de l’honneur pour don Gutierre, c’est-à-dire de rendre vraisemblable sa décision postérieure de faire mettre à mort son épouse ; ensuite celle de préparer – ce qui nous intéresse davantage ici – la scène suivante où, de façon très cohérente, le maître va faire preuve de bravoure et le valet de lâcheté, en tentant de se cacher quand son maître lui demande de le seconder – caractéristique renvoyant, comme il a été dit, au type du gracioso.

La scène en question, fondée sur le retour imprévu du mari, surtout, est construite avec tous les ingrédients de la comédie d’intrigue, voire du vaudeville avant la lettre, quoique les conséquences en seront strictement tragiques. Doña Mencía, qui pourrait s’exclamer « Ciel, mon mari ! » (comme dans Le Dindon de Feydeau) prétend en effet avoir vu un inconnu dans la pièce voisine, et elle demande à grands cris à son mari de le chasser :

Entre doña Mencía, seule, toute bouleversée.
MENCÍA. – Mon cher seigneur, viens à mon aide.
GUTIERRE. – Dieu m’assiste ! Qu’y a-t-il ? Qu’est-il donc arrivé ?
MENCÍA. – J’ai trouvé un homme...
Gutierre. – Vite !
MENCÍA. – Caché dans ma chambre, le visage dissimulé. Viens à mon secours, Gutierre [31].

À l’arrivée de don Gutierre, en effet, l’infant doit se cacher, l’épouse, avec la complicité de sa servante, faciliter sa fuite en éteignant la lumière, comme indiqué dans les vers et la didascalie suivants :

GUTIERRE. – Prends cette lumière.
Coquín. – Moi ?
GUTIERRE. – Ne crains rien, je t’accompagne.
MENCÍA. – Serais-tu lâche, vilain ? Tire ton épée, j’irai avec toi... La lumière m’a échappé. En la ramassant, elle l’éteint à la dérobée. Entre Jacinta, suivie de don Enrique [32].

Quoique m’on puisse considérer que les insultes (villano et cobarde) sont proférées par la seule Mencía, et parce que celle-ci a besoin que le valet suive son maître pour libérer le passage à l’infant, si on se pose la question de savoir comment il conviendrait de jouer cette scène, il faut comprendre que la courte réplique de Coquín (« Moi ? ») est l’expression risible de sa peur. Le jeu de scène farcesque se poursuit par un quiproquo comique et visuel, puisque les personnages sont censés se trouver dans une obscurité totale – ce qui est pure convention étant donné qu’on jouait à l’époque en plein jour – qui permet à Gutierre de se saisir du valet croyant que c’est l’intrus, tandis que la servante complice fait partir le vrai-faux amant :

COQUÍN. – Et moi, où irai-je ?
Gutierre empoignant Coquín. – Je tiens l’homme.
COQUÍN. – Mon maître, prends garde que...
GUTIERRE. – Vive Dieu, je ne lâcherai pas avant de savoir qui il est ! Ensuite, je le tuerai de mes propres mains.
COQUÍN. – Voyons, je...
Mencía [à part] C’est affreux ! S’il l’a trouvé, malheur à moi !
GUTIERRE. – Voici de la lumière. (Entre Jacinta.) Qui es-tu, l’homme ?
COQUÍN. – C’est moi, mon maître.
GUTIERRE. – Quelle méprise ! Quelle erreur [33] !

Le valet, couard, comme l’indiquent ses répliques citées plus haut, est placé dans une situation potentiellement dangereuse, soulignée par les termes évocateurs de la mort et du malheur ; cependant la scène bascule à ce même moment dans une couleur burlesque que l’on perçoit clairement si l’on se place dans la perspective, qui est au fond toujours la plus importante, de la réalisation scénique du texte de théâtre et du jeu des comédiens. Ce qu’il importe de remarquer est que Calderón a recours ici à un motif typiquement comique, un artifice paradoxal que l’on peut appeler « el engaño con la verdad » dans lequel dire le vrai permet de tromper l’autre. Cette ‘tromperie en disant le vrai’ est littéralement évoquée par Lope de Vega dans l’Arte nuevo de hacer comedias :

El engañar con la verdad es cosa
que ha parecido bien, como [lo] usaba
en todas sus comedias Miguel Sánchez,
digno por la invención de esta memoria [34].

On peut également songer à Cervantès qui, dans les dernières lignes du prologue de son théâtre, publié en 1615, évoque une pièce par lui écrite mais jamais retrouvée intitulée El engaño a los ojos (« la tromperie au grand jour »), une formule qui peut évoquer à son tour un certain nombre de dénouements de ses propres entremeses – sorte de farces brèves représentées entre les actes d’une comedia au Siècle d’Or –, qui, conformément aux lois du genre, mettent en scène avec une grande fréquence le thème de l’adultère et du mari cocu et berné [35]. Ou encore l’acte I de La Célestine, quand la prostituée Elicia doit cacher un amant dans un placard à balai à l’arrivée de son soupirant Sempronio, qu’elle trompe audacieusement en lui disant la vérité quand il l’interroge sur un bruit suspect :

CÉLESTINE. – Bonne nouvelle, Elicia ! Donne m’en l’étrenne ! Sempronio, c’est Sempronio !
ELICIA. – Chut, plus bas.
Célestine. – Pourquoi ?
ELICIA. – Parce que Crito est là.
CÉLESTINE. – Fourre-le dans le débarras aux balais. Dis-lui que c’est ton cousin et mon familier qui arrive.
ELICIA. – Cache-toi là, Crito ; c’est mon cousin, je suis perdue.
CRITO. – Ça va, ne t’en fais pas. [...]
SEMPRONIO. – [...] Mais dis-moi, quels sont ces pas qui résonnent là-haut ?
ELICIA. – Qui ? Un de mes amoureux, tiens !
SEMPRONIO. – Je le crois.
ELICIA. – Par ma foi, c’est pure vérité. Monte, tu le verras bien.
SEMPRONIO. – Eh bien, j’y vais.
CÉLESTINE. – Viens ici, laisse cette folle, c’est une écervelée... [36]

C’est mise en perspective avec ces quelques exemples qu’il faut interpréter cette scène de El médico, qui se termine par une farce miniature, un jeu de scène entremesil. Doña Mencía, se pensant tirée d’affaire, explique en effet après coup à sa servante ce qu’elle a fait en qualifiant de « engañar con la verdad » (v. 1354) sa trouvaille pour que le prince sorte discrètement. La tentation est grande, à l’heure de commenter cette séquence, de chercher une unité psychologique dans l’appréhension du personnage, en attribuant par exemple une faute ou une responsabilité à doña Mencía dans l’enchaînement des événements à venir qui la conduiront à sa propre perte, ou encore de souligner la cohérence dramatique de la comedia en insistant sur le fait que, toute comique qu’elle soit, cette scène contribue à l’action principale et sera grosse de conséquences tragiques. Sur le plan fonctionnel, il est vrai que la substitution du prince par le bouffon permet un évitement seulement temporaire du tragique et retarde l’issue funeste d’une trame dans laquelle la victime doit être l’épouse innocente. Pour le dire en d’autres termes, afin que se mette parfaitement en place l’engrenage tragique qui place l’épouse dans une situation où elle demeurera innocente tout en laissant croire à son mari qu’elle pourrait être coupable, il est nécessaire que l’arrivée impromptue de don Gutierre débouche sur une scène qui génère des soupçons dans l’esprit d’un mari qui est moins jaloux que parfait homme d’honneur [37] ; de la même façon, comme elle l’explique en aparté à sa servante, doña Mencía, certes innocente à cet instant, mais consciente de pouvoir être accusée d’avoir accueilli volontairement son ancien prétendant, devait nécessairement trouver une solution pour faire s’échapper don Enrique. Il est donc indéniable que Calderón continue à écrire une tragédie, et une tragédie cohérente, dans cette scène extrêmement comique, plus seulement centrée, d’ailleurs, sur le personnage type du gracioso, puisque tous les acteurs y participent. Il est même possible d’aller plus loin et d’interpréter cette scène comme l’une des expressions, dans El médico, du principe de l’ironie tragique (ou sophocléenne), suivant lequel le personnage de la tragédie fait advenir ce qu’il cherche à éviter précisément en faisant ce qu’il croit nécessaire pour l’éviter [38]. En effet, parce que nous sommes dans une tragédie et non dans une comédie, la tromperie n’atteint pas le but qui lui était fixé et se retourne contre son auteur (ici, doña Mencía) quand don Gutierre découvre dans l’appartement de son épouse la dague que l’infant a oublié derrière lui dans sa fuite.

Dans cette scène, Calderón réalise donc la gageure de réutiliser un matériau marqué par la tradition comique de la Comedia espagnole sans perdre de vue qu’il écrit une tragédie. Tout comme le montraient les interventions supposément comiques de Coquín commentées plus haut, tout se passerait donc comme si les moments de détente humoristique étaient désamorcés et comme si la tentation comique était de plus en plus systématiquement avortée. Il demeure cependant que c’est un moment vraiment comique qui s’achève par le vers «  engañar con la verdad » : une formule qui est presque de l’ordre du métadiscours en ce qu’elle fonctionne comme un clin d’œil adressé au spectateur, comme une indication donnée au public, aficionado du théâtre, à l’époque de Calderón, et par conséquent connaisseur des conventions et des motifs qui y sont exploités, de ce que son horizon d’attente ressortit à ce moment à l’esthétique de la Comedia la plus comique. Mais c’est aussi juste après que doña Mencía a prononcé le vers « engañar con la verdad » que don Gutierre rentre en scène, la didascalie indiquant « Sale don GUTIERRE, y debajo de la capa hay una daga  ». La parenthèse comique se referme et débouche sur un des moments les plus angoissants de El médico, quand doña Mencía, découvrant la dague que cache à demi son époux, a une sorte de vision prémonitoire de sa propre mort : « Al verte así, presumía / que ya en mi sangre bañada, / hoy moría desangrada » (v. 1383-1385) [39]. Il convient par conséquent de prendre la mesure de la rupture tonale, très nette, que constitue cet entremés enchâssé dans la trame de la tragédie, et qui est sans doute le seul moment de toute la pièce qui ne puisse pas ne pas faire rire – qui ne puisse pas être joué autrement que sur le mode burlesque.

Conclusion

Les remarques qui précèdent nous amènent à considérer qu’il faut appréhender l’élément comique dans El médico de su honra selon deux perspectives distinctes. Sur le plan de la construction, ou de la syntaxe dramatique, Coquín traverse la pièce comme un clown triste dont la vis comica n’est pas appréciée par ses congénères. Conforme dans sa caractérisation statique au personnage type du gracioso, il s’en éloigne dans sa caractérisation dynamique, c’est-à-dire dans sa fonctionnalité, notamment au troisième acte, quand il abandonne les burlas pour les veras  : prenant l’initiative de prévenir sa maîtresse que don Enrique va quitter la ville, il incite doña Mencía à écrire à l’infant une lettre qui précipitera la mort de la dama quand don Gutierre la découvrira ; à cette action lestée d’ironie tragique s’ajoutera sa tentative de prévenir le roi que don Gutierre se dispose à faire exécuter son épouse, alors même que cette exécution a déjà eu lieu.

En revanche, sur le plan dramaturgique, la charge tragique n’abolit pas la présence du comique dans El médico. Le contraste tonal, la combinatoire d’éléments d’origine diverse doivent être compris comme des éléments de la grammaire de la Comedia Nueva que Calderón respecte, soit parce que l’efficacité du spectacle sera supérieure si l’intensité émotionnelle est discontinue [40], soit parce qu’il faut composer avec le public du corral et avec des troupes dans lesquelles l’élément central était souvent l’acteur spécialisé dans les rôles comiques [41]. Plutôt que comme un poème mixte mariant dans une réalité nouvelle le comique et le tragique (à l’instar de l’hermaphrodite auquel fait allusion Ricardo de Turia après Guarini), une tragédie comme El médico apparaît ainsi davantage comme une composition supposant la co-présence d’unités disjointes. S’il en est ainsi, c’est que la Comedia obéit à une esthétique de la fragmentation qui implique une succession de moments de tension et de moments de détente ; ce principe d’alternance qui structurait, au corral ou au palais, un spectacle complet et total combinant les actes d’une comedia avec des bailes, des entremeses et des mojigangas, structure également la composition de la tragédie dont l’action est elle-même interrompue par des scénettes entremesiles qui, sur le plan dramatique, concourent à l’action principale, mais qui sont autonomes sur le plan dramaturgique.

Notes

[1Sur les termes employés pour désigner le gracioso, ainsi que sur leur évolution, voir les travaux de Jesús Gómez : « Precisiones terminológicas sobre ‘figura del donaire’ y ‘gracioso’ », in Boletín de la Real Academia Española, LXXXII, 2002, p. 221-247 ; La figura del donaire o el gracioso en las comedias de Lope de Vega, Sevilla, Alfar, 2006 ; « El gracioso-bufón en las comedias de Lope de Vega : nuevas precisiones terminológicas », in Joaquín Álvarez Barrientos, Óscar Cornago Bernal, Abraham Madroñal Durán, Carmen Menéndez-Onrubia (dir.), En buena compañía. Estudios en honor de Luciano García Lorenzo, Madrid, CSIC, 2009, p. 319-328. Il ressort de ces études qu’il conviendrait notamment de distinguer – ce que ne fait pas l’usage commun – le personnage type qu’est le lacayo (terme employé notamment par Lope de Vega dans l’Arte nuevo de hacer comedias en este tiempo) du gracioso qui en est une déclinaison particulière, laquelle ne recouvre pas, ou pas toujours, celle du bufón qu’est, entre autres exemples, le Coquín de El médico de su honra.

[2Voir Francisco Ruiz Ramón, Calderón nuestro contemporáneo. El escenario imaginario : ensayo sinóptico, Madrid, Castalia, 2000, p. 35-36.

[3« Ya pocos deben de ser los escrupulosos a quien no conste que no hay en España más preceptos ni leyes para las comedias que satisfacer al vulgo, máxima que no desagradó a Aristóteles cuando dijo que el poeta de la fábula había conseguido el fin con ella si conseguía el gusto de los oyentes ». Lope de Vega, Doce comedias de Lope de Vega Carpio Familiar del Santo Oficio, sacadas de sus originales. Cuarta parte, Madrid, 1614, éd. de Luigi Giuliani pour le projet IDT : http://www.idt.paris-sorbonne.fr/~ ; notre traduction.

[4« ¿ Por qué ha de dejar el poeta de conseguir su fin, que es el aplauso, primer precepto de Aristóteles en su Poética, por seguir las leyes de sus pasados ? », Ricardo de Turia, Apologético de las comedias españolas, in Federico Sánchez Escribano et Alberto Porqueras Mayo, Preceptiva dramática del Renacimiento y el Barroco, Madrid, Gredos, 1972, p. 179 ; traduction française de Marc Vitse, in Robert Marrast (dir.), Théâtre espagnol du XVIIe siècle, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 1428). Commentant cette même phrase dans un chapitre intitulé « Idea del teatro : lo trágico y lo cómico mezclados », Pontón indique que Ricardo de Turia « señala el carácter pragmático de la escritura teatral de su tiempo, que no desconoce las reglas sino que las arrumba en beneficio del éxito popular ». Gonzalo Pontón, « Arte antiguo y moderna costumbre (1499-1690) », in José María Pozuelo Yvancos (dir.), Historia de la literatura española, vol. 8. Las ideas literarias (1214-2010), Barcelona, Crítica, 2011, p. 3-189, citation p. 134.

[5« Qué hazaña será más dificultosa : la de aprender las reglas y leyes que amaron Plauto y Terencio, y una vez sabidas regirse siempre por ellas en sus comedias, o la de seguir cada quince días nuevos términos y preceptos. Pues es infalible que la naturaleza española pide en las comedias lo que en los trajes, que son nuevos usos cada día ». Apologético de las comedias españolas, in Preceptiva dramática del Renacimiento y el Barroco, op. cit., p. 178-179 ; traduction française de Marc Vitse, in Théâtre espagnol du xviie siècle, op. cit., p. 1427.

[6Voir l’utile synthèse de Marc Vitse : Choix de textes polémiques et théoriques sur la comedia, in Théâtre espagnol du xviie siècle, op. cit., p. 1413-1453 et p. 1935-1976.

[7« Ninguna comedia de cuántas se representan en España lo es, sino tragicomedia […]. Cada parte se conserva ella misma como antes era, sin alterarse ni mudarse. […] Fabuloso Hermafrodito, […] de hombre y mujer formaba un tercero participante de la una y la otra naturaleza, de tal manera mixto que no se podía separar la una de la otra ». Ricardo de Turia, Apologético de las comedias españolas, in Preceptiva dramática del Renacimiento y el Barroco, op. cit., p. 177-178 ; notre traduction.

[8Voir Michael J. Ruggiero, « The Term comedia in Spanish Dramaturgy », Romanische Forschungen, LXXXIV, 1972, p. 277-296, et surtout les travaux récents de Marcella Trambaioli, dont : « Lope de Vega frente a la Tragicomedia de Giovan Battista Guarini », in Germán Vega García-Luengos et Héctor Urzáiz Tortajada (dir.), Cuatrocientos años del Arte nuevo de hacer comedias de Lope de Vega. Actas selectas del XIV congreso de la AITENSO, Valladolid, Universidad de Valladolid, Secretariado de Publicaciones e Intercambio Editorial, 2010, p. 1013-1023.

[9Voir Christophe Couderc, « El Arte nuevo en Francia », in Felipe B. Pedraza Jiménez, Rafael González Cañal et Elena Marcello (dir.), El « Arte nuevo de hacer comedias » en su contexto europeo, Cuenca, Ediciones de la Universidad de Castilla-La Mancha, 2010, p. 113-127.

[10Nous pensons notamment ici, parmi d’autres propositions taxinomiques, aux travaux de Ruiz Ramón, Francisco, Calderón y la tragedia, Madrid, Alhambra, 1984, et Calderón nuetro contemporáneo, op. cit.,qui dessinent deux modèles de tragédie caldéronienne : la tragédie du conflit entre liberté et destin et la tragédie de l’honneur.

[11Voir Maria Grazia Profeti, « De la tragedia a la comedia heroica y viceversa », in Jesús G. Maestro (dir.), Theatralia, III (Tragedia, Comedia y Canon), 2000, p. 99-122.

[12Si Calderón n’utilise pas d’autre terme que comedia pour « étiqueter » ses pièces, il parsème en revanche le texte de celles-ci de tout un lexique qui est la meilleure preuve de ce que l’on pourrait appeler chez lui une conscience générique, qu’il s’agisse de désigner les actions typiques de la tragédie ou les émotions qu’elle suscite : l’exemple le plus connu en est Rosaura qui, au début de La vida es sueño, quand elle découvre le spectacle de Segismundo enchaîné, déclare ressentir de la « terreur » et de la « pitié », mais de nombreux exemples ont été relevés par Fausta Antonucci, « Las emociones trágicas y el paradigma de la tragedia en el joven Calderón : algunas calas », in Luciana Gentilli et Renata Londero (dir.), Teatralidad y géneros en la España áurea, Madrid, Iberoamericana, 2011, p. 129-145.

[13Quand Pierre Corneille, dans son Discours de la tragédie (1660), glose (ou cite de mémoire) le passage de la Poétique d’Aristote où celui-ci conseille de chercher le sujet de la tragédie dans des conflits entre les personnes les plus proches, il ajoute « un mari tue ou est prêt de tuer sa femme » aux exemples donnés par Aristote qui évoquent l’opposition du frère contre le frère, du fils contre le père ou de la mère contre le fils : voir Georges Forestier, Essai de génétique théâtrale. Corneille à l’œuvre, Paris, Klincksieck, 1996, p. 111 et p. 120.

[14Voir Marc Vitse, Éléments pour une théorie du théâtre espagnol du xviie siècle, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1990, notamment p. 329-330.

[15Ruiz Ramón, Francisco, « El bufón calderoniano y su proyección escénica », in Felipe B. Pedraza Jiménez, Rafael González Cañal et Elena Marcello (dir.), Calderón : Sistema dramático y técnicas escénicas : XXIII Jornadas de Teatro clásico, [Cuenca], Ediciones de la Universidad de Castilla-La Mancha, 2000, p. 109 et p. 110. Voir également Francisco Ruiz Ramón, « El bufón en la tragedia calderoniana », in Primer Acto, 1984, p. 57-63.

[16Calderón, Le médecin de son honneur, in Théâtre espagnol du xviie siècle, op. cit., traduction de Robert Marrast, p. 780 ; Aquí entro yo. A mí me dé / vuestra Alteza mano o pie, / lo que está (que eso es más llano), / o más a pie o más a mano, Calderón, El médico de su honra, éd. de Ana Armendáriz Aramendía, Madrid / Frankfurt, Iberoamericana / Vervuert, 2007, v. 450 453.

[17« Y en efeto, señor, hoy, / por ser vuestro día, os doy / norabuena muy cumplida […] desde hoy diré : ‘A tantos cay / San Infante don Enrique’  » (v. 466-478). Difficilement traduisible, le jeu de mot a été rendu de la façon suivante par Robert Marrast : « Comment [celui-ci] peut-il être le jour de ma fête ? Coquín : Parce qu’il est, Monseigneur, celui où vous êtes tombé », Calderón, (Le médecin de son honneur, op. cit., p. 780.

[18Id. ; « Yo soy, en fin, / Coquín, hijo de Coquín, / de aquesta casa escudero, / de la pía despensero, / pues le siso al celemín / la mitad de la comida », Calderón, El médico de su honra, op. cit., v . 460-465. On trouve un dialogue avec une fonction analogue de portrait burlesque in La vida es sueño  : « Segismundo : ¿Quién / eres tú, di ? Clarín : Entremetido. / Y de este oficio soy jefe, / porque soy el mequetrefe / mayor que se ha conocido. / Segismundo : Tú sólo en tan nuevos mundos / me has agradado. Clarín : Señor, / soy un grande agradador / de todos los Segismundos ». Calderón de la Barca, La Vie est un songe / La vida es sueño, édition et traduction de Bernard Sesé, Paris, GF-Flammarion, 1992, p. 138.

[19Voir le commentaire à ces vers in El médico de su honra, op. cit., p. 364.

[20Calderón, El médico de su honra, éd. Don W. Cruickshank, Madrid, Castalia, 1989, p. 55.

[21Ángel M. García Gómez, « El médico de su honra : perfil y función de Coquín », in Luciano García Lorenzo (dir.), Calderón : actas del Congreso Internacional sobre Calderón y el teatro español del Siglo de Oro, Madrid, CSIC, 1983, Vol. 2, p. 1035.

[22Calderón, Le médecin de son honneur, op. cit., p. 785-786 ; « […] Yo soy /cierto correo de a pie, / portador de todas nuevas, / hurón de todo interés, / sin que se me haya escapado / señor, profeso o novel : / y del que me ha dado más, / digo mal, mas digo bien. / Todas las casas son mías ; / y aunque lo son, esta vez, / la de don Gutierre Alfonso / es mi accesoria, en quien fue / mi pasto meridiano / un andaluz cordobés. / Soy cofrade del contento, / el pesar no sé quien es / ni aun para servirle ; en fin, / soy, aquí donde me veis, / mayordomo de la risa, / gentilhombre del placer / y camarero del gusto, / pues que me he visto con él. / Y por ser esto, he temido / el darme aquí a conocer, / porque un rey que no se ríe, / temo que me libre cien / esportillas batanadas / con pespuntes al envés, / por vagamundo », Calderón, El médico de su honra, op. cit., v. 742-769.

[23Calderón, Le médecin de son honneur, op. cit., p. 786, traduction du jeu de mots dans le texte original : « dicen que sois tan severo, / que a todos dientes hacéis »  ; Calderón, El médico de su honra, op. cit., v. 793-794.

[24Calderón, Le médecin de son honneur, op. cit., p. 786 ; « y porque lo echéis de ver, / esto es jugar de gracioso / en palacio », Calderón, El médico, op. cit., v. 772-774. À ces vers répondent les suivants, qui qualifient cette fois le roi : Coquín dit à don Pedro, dans l’hypothèse où il le fairait rire et obtiendrait la récompense promise : « Fuera hacer tú aquesta tarde / el papel de una comedia / que se llamaba El rey ángel » (v. 1456-1458).

[25Calderón, Le médecin de son honneur, op. cit., p. 800 ; « [...] Yo vi ayer / de la cama levantarse / un capón con bigotera / [...] / ‘Floro, casa muy desierta / la tuya debe de ser, / porque eso nos da a entender / la cédula de la puerta : / donde no hay carta ¿hay cubierta ?, / ¿cáscara sin fruta ? No, / no pierdas tiempo, que yo, / esperando los provechos, / he visto labrar barbechos, / mas barbideshechos no  ». Calderón, El médico, op. cit., v. 1463-1484.

[26Ignacio Arellano, « Un chiste de Coquín : el epigrama a Floro en El médico de su honra de Calderón », in Antonio Vilanova (dir.), Actas del X Congreso de la Asociación Internacional de Hispanistas, Barcelona, Universidad de Barcelona, 1992, p. 755-761.

[27Calderón, Le médecin de son honneur, éd. cit, p. 818 ; « Jacinta : ¿qué tienes estos días, / Coquín, que andas tan triste ? ¿No solías / ser alegre ? ¿Qué efecto / te tiene así ? / Coquín : Metíme a ser discreto / por mi mal, y hame dado / tan grande hipocondría en este lado / que me muero. Jacinta : ¿Y qué es hipocondría ? / Coquín : Es una enfermedad que no la había / habrá dos años, ni en el mundo era. / Úsase poco ha, y de manera / lo que se usa, amiga, no se excusa, / que una dama, sabiendo que se usa / le dijo a su galán muy triste un día : / ‘Tráigame un poco uced de hipocondría’. / Mas señor entra agora. / Jacinta : ¡Ay Dios ! Voy a avisar a mi señora  », Calderón, El médico, op. cit., v. 2415-30.

[28Calderón, Le médecin de son honneur, op. cit., p. 824-825 ; « Oye lo que he de decir, / pues de veras vengo a hablar, / que quiero hacerte llorar, / ya que no puedo reir. […] Don Pedro : No es ahora tiempo de risa. / Coquín : ¿Cuándo lo fue ?  » (El médico, op. cit.,v. 2734-2769).

[29Voir sur ce point l’excellente étude de Javier Rubiera Fernández, « Función cómica y funciones dramáticas del gracioso en La hija del aire  » in Luciano García Lorenzo (dir.), La construcción de un personaje : el gracioso, Madrid, Editorial Fundamentos, 2005, p. 225-249, où l’auteur rappelle notamment que jusque dans les années 1980 l’étude de l’élément comique dans les pièces sérieuses de Calderón n’avait quasiment pas attiré l’attention de la critique.

[30Sur la conduite indigne de Coquín, et son indépendance à l’égard de son maître, signe d’une évolution du personnage type par rapport à la pratique que l’on observe par exemple chez Lope de Vega, Cf. Marc Vitse, « De Galindo a Coquín », in Luciano García Lorenzo (dir.), Calderón : actas del Congreso Internacional sobre Calderón y el teatro español del Siglo de Oro, Madrid, CSIC, 1983, Vol. 2, p. 1065-1076.

[31Calderón, Le médecin de son honneur, op. cit., p. 796 ; «  Sale doña Mencía sola, muy alborotada. Mencía : Señor, tu favor me da. / Gutierre : (¡Válgame Dios ! ) ¿Qué será ? / ¿Qué puede haber sucedido ? / Mencía  : Un hombre... Gutierre : ¡Presto ! Mencía : ...escondido / en mi aposento he topado, / encubierto y rebozado. / Favor, Gutierre, te pido  », Calderón, El médico, op. cit., v. 1294-1300.

[32Calderón, Le médecin de son honneur, op. cit., p. 796 ; « Gutierre : Toma esa luz. Coquín : ¿Yo ? Gutierre : El recelo / pierde, pues conmigo vas. / Mencía : Villano, ¿cobarde estás ? / Saca tú la espada ; yo / Iré. La luz se cayó. (Al tomar la luz, la mata disimuladamente, y salen Jacinta, y Enrique siguiéndola.)  » (El médico, op. cit., v. 1305-1309).

[33Calderón, Le médecin de son honneur, op. cit., p. 797 ; « Coquín : ¿Dónde iré yo ? Gutierre : Ya topé (Coge a Coquín) / el hombre. / Coquín : Señor, advierte... / Gutierre : ¡Vive Dios, que desta suerte, / hasta que sepa quién es, / le he de tener !, que después / le darán mis manos muerte. / Coquín : Mira, que yo… / Mencía : ¡Qué rigor ! (Aparte) / Si es que con él ha topado, / ¡ay de mí ! Gutierre : Luz han sacado. (Sale JACINTA con luz) / ¿Quién eres, hombre ? Coquín : Señor, / yo soy. Gutierre : ¡Qué engaño ! ¡Qué error ! », Calderón, El médico, op. cit., v. 1305-1325.

[34Lope de Vega, Arte nuevo de hacer comedias en este tiempo, éd. Enrique García Santo-Tomás, Madrid, Cátedra, 2006, p. 148. Le rapprochement de ces vers de Lope avec la scène de El médico a déjà été rapidement signalé par Joseph-Sébastien Pons, « L’Art nouveau de Lope de Vega », in Bulletin Hispanique, 1947, n° 47-1, p. 71-78, ainsi que dans une étude très complète de Víctor De Lama, « ‘Engañar con la verdad’, Arte nuevo, v. 319 », in Revista de Filología española, XCI, 1°, 2011, p. 113-128.

[35Le dénouement de l’entremés cervantin El viejo celoso – dont le titre renvoie à un mari vieux et excessivement jaloux, puni de ses préventions contre son épouse – consiste ainsi à faire sortir de la chambre de l’épouse un amant qui y était caché. Voir, pour cet exemple et de nombreux autres, Víctor De Lama, ibid., en particulier p. 126-127.

[36La Célestine, trad. P. Heugas, in Robert Marrast (dir.), Théâtre espagnol du xvie siècle, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1983, p. 24 ; «  Celestina : ¡Albricias !, ¡albricias ! Elicia. ¡Sempronio ! ¡Sempronio ! Elicia : ¡Ce !, ¡ce !, ¡ce ! Celestina : ¿Por qué ? Elicia : Porque está aquí Crito. Celestina : ¡Mételo en la camarilla de las escobas ! ¡Presto ! Dile que viene tu primo y mi familiar. Elicia : Crito, ¡retráete ahí ! ¡Mi primo viene, perdida soy ! Crito : Pláceme ; No te congojes. […] Sempronio : Mas di, ¿qué passos suenan arriba ? Elicia : ¿Quién ? Un mi enamorado. Sempronio : Pues créolo. Elicia : ¡Alahé, verdad es ! Sube allá y verlo has. Sempronio : Voy. Celestina : ¡Anda acá ! Deja esa loca ». Fernando de Rojas (y ‘antiguo autor’), La Celestina, tragicomedia de Calisto y Melibea, Barcelona, Crítica, 2000, p. 48-49.

[37Sur don Gutierre parfait gentilhomme placé dans un contexte social et familial marqué par le manque d’honneur généralisé, voir les études de Marc Vitse, en particulier « Gutierre Alfonso de Solís », in Ignacio Arellano Ayuso (dir.), Calderón 2000 : homenaje a Kurt Reichenberger en su 80 cumpleaños : actas del Congreso Internacional, IV centenario del nacimiento de Calderón, 2002, Vol. 1, p. 163-188.

[38Sur la parenté entre ironie tragique et engaño con la verdad, voir les remarques de Víctor De Lama, « ‘Engañar con la verdad’, Arte nuevo, v. 319 », art. cit., p. 117-118.

[39On retrouve le motif de la dague déclenchant une vision sanglante dans une autre tragédie, El mayor monstruo los celos, où Calderón utilise également le motif de la chandelle éteinte au cours d’une scène dans laquelle le Tétrarque tue son épouse par erreur. Les mêmes ingrédients peuvent donc donner lieu à un traitement générique différent.

[40Dans les communications dont les textes sont rassemblées dans le présent volume, plusieurs allusions ont été faites à la théorisation par Dryden d’une telle nécessité de l’alternance du comique et du tragique.

[41Voir dans ce sens les remarques liminaires de Rubiera, qui appelle le gracioso « una pieza clave de la construcción dramatúrgica ». Javier Rubiera Fernández, art. cit., p. 226.


Pour citer l'article:

Christophe COUDERC, « « No es ahora tiempo de risa » : l’élément comique dans El médico de su honra de Calderón » in Tragique et comique liés, dans le théâtre, de l’Antiquité à nos jours (du texte à la mise en scène), Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen en avril 2012 : publication par Milagros Torres (ÉRIAC) et Ariane Ferry (CÉRÉdI) avec la collaboration de Sofía Moncó Taracena et Daniel Lecler.
(c) Publications numériques du CÉRÉdI, "Actes de colloques et journées d'étude (ISSN 1775-4054)", n° 7, 2012.

URL: http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?no-es-ahora-tiempo-de-risa-l.html

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