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Estelle Ziercher

Université de Paris IV

Représentations du sujet criminel, entre facétie et pathétique

L’auteur

Estelle Ziercher est actuellement professeur agrégé dans l’enseignement secondaire. Elle est docteur de l’Université Paris IV Sorbonne où elle a soutenu sa thèse Poétique des formes narratives en prose à la Renaissance 1496-1599 en 2009. Elle a notamment collaboré à l’ouvrage collectif Fictions narratives en prose de l’âge baroque 1585-1610 (Champion, 2007) sous la direction de Frank Greiner. Ses recherches concernent l’œuvre de Rabelais, l’écriture parodique au seizième siècle et plus généralement l’évolution du récit à cette époque.


Texte complet


Cette contribution a pour objectif de jeter un éclairage sur les représentations du criminel véhiculées dans les récits brefs, à partir de la dichotomie entre perspectives tragique et comique et de ses effets sur l’élaboration de la figure du criminel, et ainsi de mettre en valeur la singularité de l’individu criminel dans le genre facétieux en particulier. Cette comparaison s’appuie tout d’abord sur des recueils mixtes, en particulier l’Heptaméron [1] et Les Comptes du monde adventureux [2], puis sur un recueil comique, les Nouvelles Récréations et joyeux devis [3], enfin sur la quinzième des Serées [4], consacrée aux criminels dans une perspective facétieuse. Ce corpus éclectique permet de faire émerger et de confronter différentes facettes de la figure criminelle.

Le criminel, figure tragique et figure comique

Le sujet criminel est spontanément associé aux histoires tragiques où la loi et sa transgression sont au cœur d’une réflexion sur l’humain, la culpabilité, la vertu ou encore les évolutions sociales et juridiques [5] : le récit trouve alors sa raison d’être dans l’exposition précise du délit et de ses circonstances, l’analyse des motivations réelles ou supposées du criminel et son châtiment. En effet, selon l’expression de Thierry Pech, le récit criminel « sonde volontiers l’intériorité de ses personnages » [6] et propose une vision globale de l’infraction (à la fois psychologique et factuelle), contrairement à la procédure judiciaire contemporaine fondée sur le for externe, c’est-à-dire l’examen des faits réels et extérieurs résultant ou exprimant une intention et donc une responsabilité [7]. La gravité des sujets abordés et l’omniprésence de la tonalité pathétique vont de pair avec la mise en scène du sujet criminel et du regard qu’il porte sur le crime accompli – en particulier lorsqu’il exprime des remords ou des regrets. La représentation du sujet criminel pourrait correspondre à une volonté de comprendre ses actes et de les rendre sinon acceptables, du moins intelligibles, et ce dans un double objectif : instituer certains comportements criminogènes en contre-modèles et proposer des mesures susceptibles d’enrayer la logique criminelle. Les modalités de représentation du sujet criminel sont associées en grande partie à ces visées narratives et rhétoriques. Il peut paraître plus surprenant de constater une présence importante du personnel criminel dans les histoires comiques – dont l’objectif est par définition de faire rire et qui abordent des sujets plus quotidiens et plus bénins. La thématique criminelle et les représentations du sujet humain adoptent dès lors une orientation différente, et ce sont ces diverses modalités de représentations qui seront au cœur de cette réflexion.

La répartition des délits et du personnel criminel entre histoires comiques et histoires tragiques dans l’Heptaméron et Les Comptes du monde adventureux délivre un premier enseignement : les crimes les plus graves sont associés aux histoires tragiques tandis que les crimes bénins sont majoritaires dans les histoires comiques – ce qui n’exclut néanmoins pas la présence de délits majeurs. Dans ces deux recueils, les histoires tragiques accordent une place prépondérante aux crimes les plus graves tels que le meurtre, le viol ou encore l’adultère – ce dernier délit étant lui-même considéré comme le plus criminogène de tous, dans la mesure où il entraîne dans son sillage une multiplication des crimes les plus graves, de l’homicide au crime de lèse-majesté. Dans la première nouvelle de l’Heptaméron, l’adultère de la femme du procureur Saint-Aignan entraîne un premier meurtre puis la fomentation d’un complot contre des personnes éminentes du royaume, en particulier la sœur du roi, et la préparation de plusieurs assassinats avec l’aide d’un nécromancien ; dans la trente-sixième nouvelle, l’adultère de la femme du Président du parlement de Grenoble avec un jeune clerc conduit le magistrat à empoisonner son épouse. De même, dans la trente-quatrième histoire des Comptes du monde adventureux, l’adultère monnayé d’une dame avec un étudiant mène le mari trompé à assassiner son épouse et dans la cinquantième histoire, l’adultère d’une dame avec un écuyer la conduit à commettre un homicide, celui d’un enfant innocent.

De manière générale, les pulsions sexuelles et les malheurs liés à l’amour et au désir sont au cœur des histoires tragiques où désir et violence sont étroitement associés (il n’y a pas moins de cinq viols ou tentatives de viol relatés dans une perspective tragique, un inceste, deux relations sexuelles illicites, trois adultères sur quinze histoires criminelles tragiques dans l’Heptaméron  ; dans Les Comptes du monde adventureux, sur onze histoires criminelles tragiques, un mariage clandestin, cinq relations sexuelles illicites et quatre adultères peuvent être comptabilisés) : l’amour est mortifère et malheureux dans la peinture tragique.

Du le recueil de la reine de Navarre sont en revanche exclus les délits de moindre importance, y compris dans les histoires comiques : le vol et autres larcins ne font pas l’objet de récits. Cette caractéristique est d’ailleurs propre à la plupart des recueils tragiques. Ainsi, si presque toutes les catégories criminelles sont présentes chez Boaistuau et Belleforest [8], le vol et les diverses atteintes à la propriété sont extrêmement rares, dans la mesure où le larcin engage des intérêts particuliers : ce délit est traditionnellement associé à un personnel sociologique populaire ou de basse extraction, qu’il s’agisse du vagabond ou du bandit. Les histoires facétieuses peuvent en revanche fort bien s’accommoder des menus larcins, surtout lorsqu’ils lèsent des personnalités bénéficiant d’un statut social confortable. Dans l’Heptaméron, l’absence du larcin et du vol est patente [9] et a pour corollaire un déséquilibre très net dans le panel des histoires criminelles en faveur des histoires tragiques. Les histoires où apparaissent les figures criminelles privilégient donc une perspective tragique, à de rares exceptions près, concernant presque exclusivement l’adultère, traité sur un mode humoristique ou farcesque [10]. En dehors du thème de l’adultère, la cinquième nouvelle peut être retenue : elle met en scène la tentative de viol d’une batelière par deux cordeliers qui sont tournés en ridicule grâce à la ruse de la jeune femme. De même, la trente-troisième nouvelle met en scène un prêtre tentant de dissimuler ses relations incestueuses avec sa sœur [11]. Dans les deux cas, la dimension comique est associée à la satire des membres du clergé et à la dénonciation de leur hypocrisie. Le déséquilibre entre histoires comiques et histoires tragiques dans les récits criminels est donc important dans l’Heptaméron, d’autant plus que le caractère comique des histoires susdites n’est pas toujours très marqué.

Ce qui distingue l’histoire comique de l’histoire tragique a trait ici à l’innocuité des apprentis criminels se heurtant à plus rusé ou plus débrouillard qu’eux-mêmes : ainsi la batelière est-elle au centre d’une histoire comique parce que la tentative de viol échoue grâce à sa ruse [12]. Les criminels dont il est question appartiennent le plus souvent aux classes privilégiées, le clergé dont les membres abusent de leurs privilèges, mais aussi la noblesse dont les représentants, hommes ou femmes, se rendent indignes en commettant l’adultère et en désobéissant aux règles morales, familiales et sociales. Il est frappant de constater l’utilisation majoritaire d’un personnel appartenant à la noblesse ou à la haute bourgeoisie dans les histoires criminelles au sein de l’Heptaméron. Les exceptions révèlent d’ailleurs une logique similaire.

Dans la deuxième nouvelle, le valet du muletier de la reine de Navarre tue et viole la femme de ce dernier. Cependant, l’histoire n’est pas centrée sur le criminel, mais bien sur la victime et sur la vertu de cette dernière, dont les devisants ne cessent de faire l’éloge, tandis que le personnage du criminel est à peine esquissé. Le récit commence par la caractérisation du muletier et de sa femme tandis que le valet est d’emblée associé à un désir coupable : « un valet de son mari l’aimait si désespérément » [13]. La transformation du désir en volonté criminelle est notée par les termes : « lui vint en fantaisie qu’il pourrait avoir par force ce que par nulle prière ni service n’avait pu acquérir » [14]. De fait, son comportement est immédiatement assimilé à celui d’une bête : « Et lui, qui n’avait amour que bestiale, qui eût mieux entendu le langage des mulets que ses honnêtes raisons, se montra plus bestial que les bêtes avec lesquelles il avait été longtemps » [15].

Son forfait accompli, le criminel disparaît en toute impunité, sans qu’aucune mention ne soit faite du regard qu’il jette sur son propre crime, de ses pensées, de ses émotions, ce qui laisse supposer une absence totale de remords. Il s’agit donc d’une histoire édifiante centrée non sur le criminel mais sur la victime, dont les intervenants se servent pour remontrer aux dames bien nées la grandeur de l’attitude d’une muletière, et peut-être leur faire honte de leur légèreté, alors qu’une femme sans naissance est prête à laisser sa vie pour conserver sa vertu. Ce n’est donc pas le for interne du criminel qui est ici mis en valeur, comme si sa condition même empêchait l’éveil de sa conscience et entravait la possibilité d’un sentiment de culpabilité.

Les mêmes traits caractérisent la description des curés et moines criminels dans le recueil : les personnages de cordeliers profitent ainsi de leur habit pour commettre les forfaits les plus noirs, qu’il s’agisse de l’homicide ou du viol. Les intervenants mettent en valeur leur malice, leur méchanceté, leur omniprésente hypocrisie, en particulier grâce à la notion de bestialité. Comme dans le cas du muletier, les métaphores et comparaisons animales sont systématiquement utilisées par le narrateur pour les désigner, qu’il s’agisse du loup, du renard ou du pourceau [16].

Si les différents narrateurs s’efforcent de montrer que la vertu transcende les frontières sociales et qu’une muletière peut mettre parfois plus de courage et de force à défendre son honneur qu’une noble dame, il n’en reste pas moins que les criminels de basse extraction commettant les crimes les plus graves, au même titre que les Cordeliers, ne bénéficient pas du même traitement que les gentilshommes criminels dont les passions et les sentiments sont analysés. Les personnages nobles sont des criminels de circonstance qui sont amenés à transgresser la loi et la morale par une série d’erreurs ou de fautes en grande partie aléatoires mais dont les conséquences engagent leur existence entière. Le récit tragique expose par conséquent l’intériorité de ces personnages − auxquels le lecteur peut en partie s’identifier − en mettant en lumière la complexité du criminel comme sujet humain, et peut-être comme alter ego du lecteur, comme un membre à part entière de la communauté humaine, et non comme un monstre ou une bête dont le comportement ou les pulsions ne sont pas analysés. Les approches adoptées dans les quatrième et cinquième nouvelles du recueil sont emblématiques de cette opposition : dans la quatrième, la tentative de viol perpétrée par un gentilhomme est d’emblée caractérisée de « téméraire entreprise » [17], tandis qu’il est lui-même présenté avec les termes les plus laudatifs, connotant la perfection, comme « un gentilhomme dont la grandeur, beauté et bonne grâce passait celle de tous ses compagnons » [18]. La naissance de son amour et son incapacité à maîtriser ses sentiments sont décrites et analysées, son désir rendu compréhensible et sensible par les charmes de la princesse ; dès l’échec de son entreprise, la honte et les regrets du gentilhomme sont exprimés, au discours direct, dans le long monologue qu’il prononce devant son miroir. Ses remords sont encore mis en valeur par le commentaire plein d’empathie du narrateur, qui précise : « Ainsi passa la nuit en tels pleurs, regrets et douleurs qui ne se peuvent raconter » [19]. Les motifs du gentilhomme, ses sentiments, l’emprise du désir et de la passion font partie intégrante de l’histoire criminelle, de même que le sentiment de culpabilité et les remords qui le torturent. La tonalité pathétique est associée non à la victime mais au criminel. À l’inverse, dans la cinquième nouvelle, les deux Cordeliers, qui ne sont présentés et caractérisés que par leur condition, ne font l’objet d’aucune analyse : ils « vinrent […] à prier d’amours » [20] la batelière pour se désennuyer, à cause de la longueur de la traversée et le premier refus de la jeune femme les conduit naturellement à opter pour la force. L’échec de leur tentative ne leur donne pas de remords, mais les conséquences de leurs actes, c’est-à-dire la honte publique et leur châtiment, suscitent la peur chez les deux moines fautifs ; les deux hommes sont qualifiés de « loups enragés » [21], comme si la métaphore de la bestialité suffisait à expliquer leur comportement. La comparaison des commentaires des intervenants est symptomatique de cette opposition puisque c’est la dimension diabolique des Cordeliers qui est mise en valeur par Géburon : « et si parlent comme anges et sont importuns comme diables » [22]. Si dans l’Heptaméron, comme le souligne Nicole Cazauran, « les conduites […] ne paraissent pas dépendre, en aucune façon, des habitudes ou des soucis propres à telle ou telle condition sociale » [23], les histoires criminelles montrent néanmoins une représentation différente, voire opposée, des sujets criminels en fonction de leur statut.

La perspective sociale est donc éclairante dans le jeu d’opposition comique / tragique parce que le crime est d’abord considéré dans la perspective tragique comme une atteinte à l’ordre social et cosmique, plus que comme un dommage particulier. Elle joue aussi sur la façon dont les personnages sont présentés et dont leur acte est justifié : les histoires tragiques mettent l’accent sur le for interne du sujet humain, tandis que les motivations des sujets criminels dans les histoires comiques sont le plus souvent implicites, comme si leur profession ou leur condition sociale constituait en soi une explication, voire une justification rendant tout complément inutile. À l’inverse, les gentilshommes − peut-être parce qu’ils représentent ou sont censés représenter une forme de perfection morale − sont mis en scène dans leur milieu, leur famille, et les liens les unissant à leurs victimes, ainsi que leurs motivations, sont exposés et analysés. Seuls les criminels issus de la noblesse sont sujets à la culpabilité et au remords et cette culpabilité est justement garante de leur humanité ; en cela, ils sont le miroir de la condition humaine et des tentations ou des fautes auxquelles les hommes peuvent succomber, sans prendre immédiatement ou spontanément conscience des conséquences.

Ces caractéristiques sont aussi présentes dans Les Comptes du monde adventureux, comme en témoigne le traitement du thème de l’adultère, similaire à celui de l’Heptaméron. L’adultère peut conduire les amants ou le mari trompé à la mort [24] ; il peut tout aussi bien susciter l’hilarité du lecteur, selon que la naïveté ou les fautes du conjoint rendent l’infidélité compréhensible [25] ou que la mise en scène de l’adultère soit un prétexte à la satire, notamment lorsqu’un membre du clergé, moine ou curé, joue le rôle de l’amant [26] ou encore si l’adultère donne lieu à de bons tours et à des plaisanteries [27]. Dans les histoires tragiques au contraire, l’adultère, comme le mariage clandestin ou la désobéissance au père, est considéré comme une atteinte à la « cellule familiale, modèle de la cellule sociale » [28], un crime portant préjudice à la morale et à l’honnêteté publique, elle-même fondement de l’ordre social, tandis que l’adultère se trouve réduit dans les histoires comiques à une affaire privée mettant aux prises des individus, dont la personnalité et / ou la condition attire la sympathie ou la répulsion du lecteur. Les facéties et autres contes plaisants s’inscrivent ici dans la tradition des fabliaux en peignant volontiers des femmes insatiables sexuellement et machiavéliques moralement ou des maris délaissant leurs responsabilités et faisant preuve d’une coupable faiblesse. Là encore la tonalité comique concerne essentiellement le tiers état, en particulier la bourgeoisie, le peuple des marchands et artisans, univers au sein duquel quelque gentilhomme vient parfois jeter le trouble par ses prétentions. Deux schémas prédominent : soit la victime mérite son malheur, soit le criminel − celui qui transgresse la loi − attire la sympathie, essentiellement par son esprit.

Cependant, contrairement à ce qui se passe dans l’Heptaméron, les histoires comiques réservent dans Les Comptes du monde adventureux une place importante aux délits mineurs, vols, duperies et autres bons tours, dont les victimes provoquent le rire, et non la compassion. Ce personnel criminel professionnel est représentatif de la perspective facétieuse et satirique, tandis qu’il est le plus souvent absent des histoires tragiques ou y apparaît au second plan. La satire des milieux marchands et artisans, dans la tradition des fabliaux, est présente dans la onzième histoire où un couturier voleur se fait meunier et apprend à être un peu larron pour éviter d’être réduit à la mendicité ; les moines malhonnêtes sont mis en scène dans la dix-neuvième histoire et dans la vingt-deuxième, alors que les membres du clergé apparaissent au contraire comme des proies faciles pour les voleurs du fait même de leur cupidité et de leur soif d’argent dans les trente-troisième et quarante-sixième histoires. Ces figures criminelles sont héritières de la tradition satirique et se caractérisent par la ruse, la finesse, la duplicité dont elles font preuve pour mystifier leurs victimes. La vingt-quatrième histoire est très représentative, puisque le menu larcin accompli par les protagonistes est assimilé à une plaisanterie, une raillerie permettant de rire aux dépens d’un personnage respecté, un docteur ès lois de la ville de Boulogne : l’identité de la victime, un notable, représentant de la justice ou membre du clergé, contribue beaucoup à faire ressortir le sel des bons tours accomplis par des personnages mi-voleurs mi-plaisantins.

La figure du criminel facétieux, entre délit et plaisanterie

La perspective facétieuse transforme en effet le criminel en personnage rusé qui attire la sympathie par sa ruse, les bons tours qu’il met en œuvre, tandis que ses victimes sont condamnées pour leur sottise, leur naïveté ou leur aveuglement. La tonalité comique tend en effet à privilégier la brièveté et le schématisme dans la caractérisation des personnages [29], ce qui conduit le narrateur à mettre en place des personnages souvent à peine esquissés, sans nom et désignés par leur profession, pour lesquels le lecteur n’éprouve pas de compassion.

Bonaventure des Périers vante ainsi dans les Nouvelles Récréations et joyeux devis l’ingéniosité et le caractère plaisant des larcins et autres forfaits. Pierre Faifeu est défini dans la vingt-troisième nouvelle comme « un bon affieux de chiendans, […] homme plein de bons motz et de bonnes inventions : et qui ne faisoit pas grand mal, fors que quelques foys il usoit de tours villoniques » [30] : bons tours, bons mots, bonnes inventions… avant même que l’anecdote soit comptée, le narrateur en a déjà mis en valeur l’innocuité et la dimension divertissante, n’hésitant à affirmer : « il le faisoit si dextrement et d’une si gentille façon, qu’on ne luy en pouvoit sçavoir mauvais gré : et ne s’en faisoit on que rire » [31]. Maître Arnaud, dans la vingt-quatrième nouvelle, est lui aussi présenté comme un auteur de « bons tours » et d’« inventions » [32], sans cesse prêt à « jouer tousjours quelque tour de son mestier » [33]. Dans ces histoires, souvent réduites à des anecdotes reproduisant l’enchaînement des péripéties, le coupable est le plus souvent désigné par son métier, qu’il s’agisse d’un larron ou mattois, ou de quelqu’un qui exerce une profession honorable.

La prédominance du peuple dans les figures criminelles comiques − auteurs de délits autres que l’adultère − se confirme dans les Nouvelles Récréations et joyeux devis. Le personnel criminel y est composé de gens d’Église [34], d’étudiants [35], de gens de justice [36], d’artisans et de marchands [37], de marginaux dont on ne sait trop s’ils sont simples plaisantins ou véritables malfaiteurs [38], de malfaiteurs professionnels, brigands de grand chemin [39] ou simples voleurs, le plus souvent citadins, qu’ils soient désignés par le nom de mattois, de larrons ou de coupeurs de bourses [40].

Le personnel criminel, dans un recueil qui adopte d’emblée une perspective facétieuse en se donnant comme objectif avoué de rire de tout afin de lutter contre la mélancolie, appartient donc au tiers état, même si les gentilshommes ne sont pas absents de ces histoires, qu’ils soient victimes des actes criminels ou redresseurs de tort. Il n’en reste pas moins que ce sont les classes populaires et bourgeoises, ainsi que le milieu ecclésiastique, qui prédominent dans cet univers de la ruse et de la tromperie − et cela dans la tradition des fabliaux puisque les gens d’Église sont la cible d’une satire conventionnelle lorsqu’ils sont dénoncés comme concupiscents, hypocrites, cupides ou encore violents : leur présence s’explique d’autant mieux qu’ils ne relèvent pas de la justice commune et semblent donc bénéficier d’une immunité scandaleuse. De même, le monde des marchands et des artisans est traditionnellement associé à la fraude et au vol, vol connu de tous et presque accepté, tant il est vrai que tailleurs, meuniers et autres profiteurs incarnent conventionnellement une forme de malhonnêteté dans les contes plaisants, héritiers des fabliaux [41]. L’acceptation de ces délits est liée à leur caractère bénin mais aussi au fait que l’ordre social n’en est pas ébranlé.

Plus intéressante peut-être est l’image restituée par la caste des coupeurs de bourses, larrons, mattois, brigands et bandouliers dont la pratique est criminelle, tout en étant associée à une condition sociale et une activité professionnelle à part entière. De fait, le narrateur assimile bien les coupeurs de bourses à une profession qui possède ses codes et ses pratiques, dans la soixante-dix-neuvième nouvelle :

Il n’y ha pas mestier au monde qui ayt besoing de plus grande habileté que celuy desz coupeurs de bourses. Car ces gens de bien ont affaire à hommes, à femmes à gentilz hommes, à Advocatz, à marchantz et à prebstres. [42]

Si l’emploi du terme « mestier » est ironique, comme le souligne la présence dans le cotexte des syntagmes « ces gens de bien » et « ces bons marchans », il souligne néanmoins l’organisation officielle de la caste des mattois – dont le statut au sein de la société peut paraître ambigu puisqu’ils apparaissent à la fois comme des ennemis qu’il faut combattre et comme des êtres étranges dont les mœurs suscitent la fascination. L’approche est identique dans la quatre-vingtième nouvelle où les coupeurs de bourses sont de nouveau appelés « ces bons marchans » [43] et l’un d’entre eux désigné comme « cest homme de mestier » [44]. Cette assimilation du vol organisé à une profession prépare, malgré l’ironie, un retournement des valeurs dont témoigne cette nouvelle puisque l’homme de métier qu’est le coupeur de bourses est confronté au prévôt – lui-même présenté comme « un mauvais et dangereux fol, avec son col tors » [45]. La représentation du coupeur de bourses devient dès lors ambiguë puisque le narrateur fait preuve à la fois d’ironie – arme de la satire – et d’une authentique curiosité vis-à-vis des techniques employées par les mattois, dont la ruse est louée et les vols transformés en bons tours joués à des naïfs et des balourds. Pechon de Ruby restitue leurs mœurs dans La Vie généreuse des mattois, gueux et boemiens et cagouz et Tailleboudin incarne ce mode de vie dans Les Propos rustiques, où les bandes de gueux sont présentées comme une véritable corporation, choisie par le protagoniste pour ses avantages et similaire à n’importe quelle autre profession. Ce monde marginal est de fait représenté de manière ambivalente, à la fois comme une anti-société, avec ses règles et ses lois, mais aussi comme un ordre appartenant à la société et n’en menaçant pas l’ordonnancement. Ce double statut peut expliquer en partie la représentation valorisante, ou du moins ambiguë, du gueux et du mattois, dans les textes comiques du XVIe siècle. Dans les Nouvelles Récréations, l’insistance sur leur ruse et leur « habileté mercurienne » selon l’expression de Nicolas Lombart [46] conduit le narrateur dans la quatre-vingt-unième nouvelle à user de la métaphore de l’œuvre d’art et à assimiler le coupeur de bourses à un artiste, entre ironie et admiration : ainsi met-il en valeur « le premier chef d’œuvre de son coulteau » [47] tout en évoquant ensuite de manière allusive « plusieurs belles executions de son mestier » [48] effectuées par le coupeur de bourses avant son arrestation et son jugement. Non seulement le coupeur de bourses fait preuve d’audace en se servant du couteau acheté au coutelier pour dépouiller ce dernier, d’assurance et d’esprit devant le prévôt au cours de son arrestation – traits traditionnels attribués aux mattois dans les récits – mais il apparaît aussi – et c’est là plus singulier − motivé par la difficulté, l’originalité et la beauté du bon tour accompli [49].

Ainsi peut-on dresser un parallèle entre le coupeur de bourses ou plus globalement le mattois et l’artiste ou le saltimbanque, le bateleur, qui même devant le juge cherche à séduire le public et à s’attirer ses bonnes grâces. Nicolas Lombart dresse ainsi un parallèle entre l’art du conteur et celui du coupeur de bourses [50]. Si l’ironie n’est pas absente de ce récit, il y a bien quelque chose de l’ordre de la sympathie, voire de la compassion, de la part du narrateur : admiration envers l’artiste, hommage à son audace, sa finesse, son esprit [51], mais aussi mise en valeur de la rigueur de la justice et de l’inégalité de traitement des différentes catégories de malfaiteurs par l’institution judiciaire. Ainsi le narrateur rappelle-t-il de manière allusive, entre parenthèses, les exemptions dont bénéficient les gens d’Église lorsqu’ils commettent des délits : « car telles personnes ne sont pas voulentiers renvoyees devant l’Evesque » [52], façon de montrer que les mattois commettent certes des larcins mais qu’ils en assument l’entière responsabilité et qu’ils en paient le prix fort. C’est bien d’humour noir dont il s’agit à la fin de la nouvelle lorsque le narrateur conclut : « le Prevost, apres tous jeux, l’envoya pendre jusques au gibet » [53]. Au-delà du jeu de mots final et du trait d’esprit du coupeur de bourses qui explique son vol par une saillie humoristique, un jugement du narrateur transparaît et rappelle la réalité qui se cache derrière l’humour : la mort d’un homme, une justice implacable. La facétie et la perspective comique n’excluent ainsi nullement la mort comme châtiment des criminels.

Peut-être est-ce là aussi la raison de la présentation ambiguë des coupeurs de bourses et autres larrons dans les Nouvelles Récréations : contrairement aux autres figures criminelles, ces malfaiteurs professionnels paient le délit commis au prix de leur vie [54]. Le narrateur n’explique d’ailleurs que de manière exceptionnelle l’enchaînement des circonstances pouvant conduire certains personnages à adopter ce genre de vie. C’est le cas du bandoulier Cambaire dans la quatre-vingt-deuxième nouvelle. Si l’explication ne constitue pas une justification, néanmoins, les faits prennent une autre dimension, en raison de la façon dont ils sont mis en perspective avec une réalité sociale ou historique. Le « fameux bandoulier » Cambaire [55] est condamné justement pour les crimes et les délits accomplis au cours de ses brigandages, mais l’ambiguïté du personnage est rendue par le récit des événements qui l’ont conduit à adopter cette profession. Après avoir situé l’action dans la région de Toulouse, signalé sa profession de bandoulier et l’avoir nommé, le narrateur fait immédiatement référence au passé militaire glorieux du brigand dans les armées royales puisqu’il « avoit autresfois esté au service du Roy, avec charge de gens de pied, là ou il avoit acquis le nom de vaillant et hardy Capitaine » [56], avant d’être « cassé avec d’aultres quand les guerres furent finies ». Ce sont dès lors le « despit » et la « necessité » [57] qui sont invoqués par le narrateur pour expliquer la transformation du soldat servant le roi, donc la loi, en brigand la transgressant et remettant en même temps en cause l’autorité royale. Le narrateur ne met à aucun moment en doute la justesse de sa condamnation, au regard des « cas enormes par luy commis et perpetrez », ainsi que de « plusieurs crimes et delictz, dont le moindre estoit assez grand pour perdre la vie » [58]. Il est d’ailleurs intéressant de mettre en parallèle la trajectoire de Cambaire avec celle du renard jugé puis condamné par les hommes dans la vingt-neuvième nouvelle. Comme Cambaire, le renard commence une carrière de voleur de poules dont lui sait gré son maître, qui le félicite de ses rapines, avant que la vieillesse de l’animal ne le fasse tomber en disgrâce et qu’il ne se retourne contre son maître en commettant ses forfaits au sein même de la maison, puis qu’il ne s’enfuie pour voler les hommes avec ses congénères. La trajectoire de l’ancien chasseur et celle de l’ancien soldat comportent d’autant plus de similitudes que leur procès laisse la place à la même ambiguïté, avec de part et d’autre la tentation de la clémence, au regard du passé honorable de ces criminels avant le choix d’un châtiment exemplaire et implacable. L’analogie laisse à penser que les actes de Cambaire sont en partie imputables à une société qui ne lui a laissé d’autre choix pour survivre que de la combattre, tout comme le renard a dû à l’ingratitude de son maître d’abandonner le monde des hommes pour celui des bêtes [59]. Toujours est-il que le dénommé Cambaire devient plus que l’incarnation du bandit de grand chemin en se dotant d’un destin individuel dont le narrateur laisse entrevoir une explication. La facétie, pourtant présentée comme source d’un rire gratuit devant apporter un soulagement provisoire, n’est donc pas exempte d’une portée satirique, certes implicite, mais qui possède des contours cohérents dans les différentes histoires.
Cambaire, comme le renard, constitue un cas exceptionnel dans le recueil : de manière générale, rien ne transparaît de la personnalité ou des antécédents de ces criminels, tout comme de leurs victimes. Si les histoires tragiques mettent l’accent sur le for interne du sujet humain, les histoires comiques au contraire s’attachent aux faits, ce qui explique la sobriété, voire le schématisme, de l’intrigue : brièveté, succession des péripéties, ruse ou bon mot final ne laissent pas au lecteur le temps de s’attacher aux protagonistes, à tel point que le méfait lui-même semble privé de contexte. Les détails donnés sur le passé de Cambaire peuvent donc surprendre : sur le plan narratif, ils sont une nécessité pour comprendre l’indulgence de la Cour mais ils peuvent aussi s’expliquer par la dimension peu commune du criminel, la gravité des faits qui lui sont reprochés se rapprochant de l’univers des histoires tragiques. Les coupables de meurtres et de crimes similaires sont de fait relativement rares dans les Nouvelles Récréations : Cambaire est le seul personnage de bandoulier héros d’une nouvelle – dont la dimension comique réside uniquement dans le trait d’esprit final, indépendamment des crimes commis par le personnage. Les brigands sont aussi figurants dans deux autres nouvelles, la vingtième et la quarante-quatrième, où ils ne sont qu’évoqués tandis que le narrateur consacre l’essentiel de son propos aux personnages accusés de leurs crimes et à leur attitude face à la justice. Si la réalité sombre des bandouliers et brigands de grand chemin qui prolifèrent dans les campagnes se dessine en filigrane [60], ils ne constituent pas un personnel comique traditionnel. Le narrateur s’attache en revanche à restituer les délits commis par les larrons dont les traits sont à peine esquissés : si le parcours de Cambaire est retracé et expliqué, nulle information ne vient donner un passé ou une individualité à ces coupeurs de bourses dont l’état suffit à les présenter et à les caractériser aux yeux du lecteur. Leurs traits moraux ne donnent pas non plus lieu à des descriptions ou de véritables caractérisations, ce qui est accentué par la brièveté des histoires. En revanche, l’action et les dialogues mettent en valeur l’esprit dont ils font preuve, dans l’accomplissement du vol, mais aussi à travers leur ironie et leur autodérision lorsqu’ils doivent rendre compte de leurs actes devant la justice.
De fait, le face-à-face avec le prévôt, le juge ou le bourreau constitue l’acmé des histoires comiques, tandis que le procès et la confrontation avec l’instance ou l’institution judiciaire sont le plus souvent escamotés dans les histoires tragiques. Le courage, les rodomontades ou les bons mots prononcés par les condamnés sont source d’ambiguïté en même temps qu’ils suscitent le rire complice et / ou l’admiration de l’auditoire et du lecteur [61]. La force transgressive du rire justifie et met en valeur la distorsion entre d’une part les apparats solennels de la justice, incarnés par le juge et la sentence qu’il prononce, et d’autre part le commentaire irrévérencieux du condamné. Loin des criminels tourmentés par leur conscience coupable, ces condamnés font preuve d’autodérision et ridiculisent l’institution judiciaire comme source d’un pouvoir qu’ils ne reconnaissent pas et dont ils révèlent la violence et l’ambiguïté éthique. La perspective comique produit dès lors un retournement des valeurs, soit qu’elle recèle une portée satirique − ainsi en va-t-il des histoires où le criminel appartient à une institution respectée (Église ou même justice), ou de celles où l’institution engendre le délit par son injustice même − soit qu’elle permette une réhabilitation narrative de ceux que la société rejette − il en va ainsi de ces mattois et marginaux qui fascinent tant les devisants des Serées quelques décennies plus tard.
Duels verbaux et bons mots agissent comme des éléments d’un spectacle offert à l’auditoire. Que le criminel échappe ou non à son châtiment grâce à son esprit, ils confèrent à ceux qui en usent une aura presque héroïque défiant les classifications sociales. Les histoires comiques rendent compte d’un jeu auquel les criminels se prêtent de leur plein gré. Ils acceptent de perdre avec le sourire, y compris lorsque la sentence met en danger leur intégrité physique. André Janier met ainsi en avant leur détachement et leur humour « pour plaisanter avec le juge, le geôlier ou le bourreau, comme si la vie comptait peu pour eux et n’était qu’une comédie dont ils étaient les bons acteurs » [62].
Ceci explique la multiplication, dans les facéties, des personnages de marginaux dont l’exclusion hors de la société est un fait admis. Ce sont des malfaiteurs récidivistes que leur crime suffit à condamner mais dont la pauvreté permet d’expliquer − et peut-être de justifier aux yeux des devisants − le comportement et les méfaits. Les mutilations physiques des essorillés par exemple témoignent qu’ils n’en sont pas à leur première condamnation [63]. D’ailleurs, cette marque d’infamie constitue bien un élément primordial dans la représentation des criminels. C’est un état ou une condition qui s’inscrit dans la chair et dans le corps [64]. Cette marque d’infamie a justement pour fonction de permettre de les identifier car le mattois se dissimule derrière des apparences trompeuses [65]. La représentation du criminel repose donc en partie sur cette caractéristique physique que vient compléter une caractéristique morale ou psychologique : ces criminels de profession assument leurs actes, ils ont une attitude de défi vis-à-vis des représentants de la loi et de l’ordre. Leur culpabilité n’est pas remise en cause car le fait juge l’homme, selon le droit de l’époque, et le for externe seul importe lors du jugement. En ce sens, l’image du jugement du criminel véhiculée par les récits facétieux fonctionne comme un miroir des procédures judiciaires de l’époque. En guerre contre la société et contre les représentants judiciaires, ces criminels sont mis en scène dans leur confrontation avec le juge comme dans un duel, même s’ils ne sont armés que de mots et d’esprit. Le courage, la capacité à rire d’eux-mêmes et de leur condamnation sont autant d’éléments qui fascinent et inversent la condamnation morale/sociale en complicité amusée.

Entre facétie et pathétique, séduction et exemplarité… lorsque le rire dissimule les larmes

Le narrateur des Nouvelles Récréations ne cesse de louer la finesse de ces malfaiteurs plaisantins dont les tours, à l’entendre, ne peuvent provoquer que le rire. Néanmoins, une hiérarchie s’établit entre les différentes figures criminelles qui apparaissent dans le recueil, hiérarchie similaire à celle qui apparaît dans les Serées, et qui tient essentiellement compte de la gravité des forfaits. Les devisants de la quinzième Serée distinguent en effet entre les différents délits dont se rendent coupables les malfaiteurs. Viennent d’abord les brigands « qui ostent la vie et l’argent » et devant lesquels les devisants tremblent de peur, puis les bandouliers, les voleurs « qui ne prennent que la bourse » et les « supposts de la matte » pour lesquels, selon André Janier, « on éprouve toutes les sympathies » [66].
Dans un contexte de multiplication des crimes de toutes sortes, leurs actes sont d’emblée mis en perspective avec la pauvreté qui conduit certains membres des classes populaires à sortir de la légalité, voire du cadre social pour rejoindre les marginaux et les déclassés, mais aussi avec les guerres civiles qui ont généralisé la violence et rendu moins perceptible le sentiment de transgression, ou du moins la réprobation devant certains actes délictueux. Selon Robert Aulotte, « cette sympathie quasi-générale » [67] est à mettre en relation avec le paupérisme, puisque le gueux apparaît comme « le produit des grandes mutations morales et matérielles qui ont affecté le siècle » [68]. Le rire, ou plutôt le sourire, devant les ruses des mattois, se double ainsi d’une réflexion sur les causes de ces transgressions qui contribue à en atténuer la gravité et à rendre plus difficile l’identification aux victimes, mais qui teinte aussi le propos d’amertume et assombrit l’atmosphère des anecdotes facétieuses.
Les criminels, dès lors qu’ils sont envisagés comme groupe social, lui-même manifestation d’un état, voire d’une profession, fût-elle malhonnête, à travers les gueux, les mattois et autres voleurs professionnels, suscitent moins une indignation morale que la réflexion et la fascination pour une société parallèle [69] − dont la condition même explique les actions répréhensibles. Les devisants des Serées semblent captivés par ces personnages pittoresques, faciles fournisseurs d’anecdotes et usant d’un savoureux jargon : à la fin de la quinzième Serée sont ainsi énumérées des expressions utilisées par les gueux. Les gueux, qui comprennent les « mattois », les « blesches » et les « contreporteurs », suscitent une véritable curiosité et bénéficient d’une étrange sympathie de la part des devisants. Cette attitude s’oppose aux sentiments provoqués par les criminels mis en scène dans les histoires tragiques : il y a, dans ce genre, quelque chose de l’ordre de l’incompréhension, voire du scandale moral, devant le contraste entre la qualité des personnages en présence et la remise en cause de l’ordre royal – et donc divin – qui découle de leurs actes. Rien de tel dans la mise en scène des mattois où apparaît à l’inverse la dette de la société envers les marginaux qu’elle rejette hors de ses bornes, par les tensions et les injustices que l’ordre même engendre. La sympathie exprimée envers les gueux peut ainsi s’inscrire dans la tradition évangélique où les délits sont mis en perspective avec la pauvreté [70]. Le rire devant les tours des mattois n’est pas exempt d’une visée satirique envers ces gentilshommes contents de leurs avantages [71] et ces bourgeois ou marchands [72] dont la richesse et l’indécence appellent presque un juste retour des choses et la revanche des humbles [73]. De fait, les mattois ne respectent rien, et moins que tout la hiérarchie sociale : en véritables trublions, ils rétablissent une espèce d’équilibre entre pauvres et riches.
Pour autant, le rire se justifie-t-il devant les actes commis par ces criminels de condition ? C’est là une pétition de principe des histoires facétieuses qui suscite le débat entre les Poitevins. Si la quinzième Serée est d’emblée placée sous le signe de la ruse et de l’humour, puisqu’il s’agit de relater « des larrecins joyeux de Mercure, qui sentent le bon Patelin, ou le fin Panurge, ou le rusé Mattois » [74], le débat qui se développe à la suite de la première anecdote montre l’ambiguïté du rire ainsi provoqué et de ces criminels qui font oublier par leur malice les conséquences de leurs actions : ainsi en va-t-il de cet homme qui dérobe un porc à son voisin au sortir d’un long siège. Si la ruse du voleur attire la sympathie, est assimilée à une « raillerie », et même à une « raillerie fine », à des « passe-temps et joyeuseté » [75], à des « harnois de gueule » d’autant plus excusés qu’ils se développent « entre voisins et amis », les devisants s’interrogent néanmoins sur les conséquences de cette action et sur la gravité de ce vol, au regard de la victime, ce qui conduit l’un des Poitevins à rappeler que cette raillerie « n’est pas si fine […] que la corde n’y paroisse » [76].
Le rire devant les bons tours joués par les malfaiteurs fait oublier au lecteur les victimes et leur condition, même si la pauvreté, la misère et la souffrance apparaissent en toile de fond. Ainsi Jean-Claude Arnould note-t-il à propos de Des Périers que « les persécutés de la vie ordinaire se pressent dans ces contes dont il faut rire » et qui « justifieraient une véritable étude victimologique » [77]. Le spectacle de la violence, qu’il s’agisse d’une agression physique, d’un viol, d’un meurtre, peut sembler être l’apanage des histoires tragiques. Mais en fait, la violence sous toutes ses formes trouve aussi sa place dans les histoires comiques et les figures criminelles qui les peuplent sont ambiguës, d’une part parce que leur destin s’achève traditionnellement par une arrestation, un procès, la mutilation ou la torture, la condamnation à mort, violence légale et judiciaire [78] qui vient redoubler celle des actes délictueux [79], d’autre part parce que le sort des victimes, le plus souvent laissé à l’arrière-plan et évoqué sur un mode allusif, ne déparerait pas certains recueils tragiques.
Le monde décrit par Bonaventure des Périers est ainsi un monde de violence où victimes et criminels s’inclinent tous devant la loi du plus fort ou du plus fin, qu’il s’agisse du bourreau ou d’un malfaiteur. Ne peut-on voir là une transformation de l’image du juge, qui devient criminel à son tour, et peut-être plus criminel que celui qu’il condamne [80] ? Le rire n’est possible que parce que la brièveté des récits et l’absence d’individualisation des personnages rendent impossible l’identification du lecteur à la victime. Il en va de même dans la quinzième Serée où le rire se déploie aux dépens de la victime et se mue en admiration devant la ruse du larron, comme dans le cas de ce mattois qui lors d’une foire subtilise une toile à un vendeur devant l’un des devisants, avant de donner des conseils à sa victime pour prévenir les vols, en se donnant pour modèle. La réaction du témoin qui relate l’anecdote reflète toute l’ambiguïté du rire des devisants comme des lecteurs : « J’estois marry […] de ce pauvre homme qui perdoit ainsi sa toile, et si riois, voyant avec quelle façon on la luy avoit faict perdre » [81]. La réaction est double : sympathie envers une victime innocente et joie d’avoir assisté à « une aussi bonne farce » [82]. À l’ambivalence des réactions devant le sort des victimes répond celle des réactions devant l’action des mattois – ce dont témoigne l’ordre même des Serées  : la quinzième, consacrée aux bons tours effectués par les gueux et mattois, dont le lecteur est invité à rire sans arrière-pensée puisque le refus du pathétique s’exprime dans l’introduction de l’échange, succède à la quatorzième, consacrée aux châtiments de ces mêmes criminels. L’ordre adopté suggère que le lecteur ne se rend complice des criminels par le rire qu’après avoir reconnu et évalué la justesse de leur punition.
Cette ambiguïté des histoires criminelles comiques, si l’on excepte celles où la victime déjoue le piège tendu par les larrons ou personnes malhonnêtes, selon le schéma du trompeur trompé, conduit finalement à mettre en valeur l’atmosphère sombre de ces contes à rire. La juxtaposition de plusieurs histoires criminelles à la fin des Nouvelles Récréations et joyeux devis a pour conséquence de clore le recueil sur une histoire tragique dont le narrateur reprend tous les codes : le thème de l’adultère, délit lui-même criminogène, conduit à un homicide déguisé en accident et le mari trompé devient criminel, sans remords apparent et sans poursuites judiciaires ; le mari est simplement présenté comme « un monsieur », probablement un magistrat, et sa femme comme une « damoiselle » ; cette dernière subit l’ire de son époux et meurt noyée sous le regard impassible de son mari. Cette trame tragique est néanmoins traitée de manière sobre : l’adultère lui-même est posé au départ du récit, sans que ses circonstances, l’identité de l’amant ou la façon dont le mari s’en est rendu compte soient précisées ; de même, la personnalité et le caractère de la jeune femme sont passés sous silence : elle n’existe et n’apparaît dans l’histoire que comme l’épouse fautive ; enfin, les sentiments du mari ne sont nullement décrits ni précisés : son intériorité n’est pas sondée, contrairement à ce qui se passe généralement dans les histoires tragiques. Après des réflexions générales sur l’infidélité et les différentes réactions des maris trompés, le narrateur relate les actions de celui qu’il définit comme un de ces « mauvais folz et dangereux » [83], sans plus s’attarder sur les sentiments particuliers qui le motivent et le singularisent, comme s’il n’était que l’exemple d’un cas plus général et relativement commun, presque un type humain. Seules les différentes étapes du piège tendu par le mari, faisant ressortir son caractère machiavélique, sont restituées jusqu’à l’accomplissement de la vengeance lorsque l’épouse infidèle meurt « noyée suffoquée en l’eau » [84]. De fait, la sympathie du narrateur semble aller à la jeune femme qualifiée de « povre damoiselle » [85] et dont la mort est perçue comme « cruelle, et inhumaine » [86]. Pourtant, le discours final du narrateur est ambigu ; la dénonciation de la cruauté du mari est aussitôt suivie de remarques émises sur un ton plus léger : « Mais que voulez vous ? Il fasche à un mary d’estre cocu en sa propre personne » [87]. Les derniers mots du récit insistent d’ailleurs sur la liberté d’interprétation de chacun [88].
La parodie finale des contes moralisés, répondant à la visée facétieuse du recueil, vient ainsi contrebalancer la perspective tragique sans pour autant l’annuler. L’ambiguïté finale reflète celle de ces histoires criminelles qui, du comique le plus pur à l’histoire tragique, se caractérisent avant tout par l’ambivalence : ambivalence devant le sort réservé à la victime, devant les motivations et le sort du criminel et devant les violences faites à l’être humain. Les représentations du sujet criminel apparaissent non seulement plurielles, mais complexes et contradictoires, reflétant en cela les paradoxes de la nature humaine – que le crime fascine autant qu’il répugne. Il ressort finalement de certaines facéties une amertume tout aussi profonde et des réflexions tout aussi désabusées que dans certaines histoires tragiques, comme si l’histoire criminelle possédait bien une place à part, entre rire et larmes.

Estelle Ziercher
Université de Paris IV

Notes

[1Marguerite de Navarre, Heptaméron [1559], Paris, GF-Flammarion, 1982.

[2A.D.S.D., Les Comptes du monde adventureux [1555], Paris, A. Lemerre, 1878.

[3Bonaventure des Périers, Nouvelles Récréations et joyeux devis [1558], Paris, Société des Textes Français Modernes, 1997.

[4Guillaume Bouchet, Les Serées [1584, 1597, 1598], Paris, A. Lemerre, 1873-1882.

[5Ces questions sont présentes dans les différents modèles ou archétypes d’histoires tragiques, qu’elles soient centrées sur un personnage innocent sacrifié et victime d’actes criminels ou au contraire sur la violation criminelle elle-même et les agissements du sujet criminel. Ce dernier archétype est néanmoins le plus intéressant dans la perspective de cette étude.

[6Thierry Pech, Conter le crime. Droit et littérature sous la Contre-Réforme : les histoires tragiques (1559-1644), Paris, Honoré Champion, 2000, p. 20.

[7Ibid., p. 19 : Thierry Pech insiste sur la distinction entre for externe et for interne, le for interne renvoyant à la vie intérieure des sujets, aux passions, désirs et motifs pouvant expliquer le comportement de l’accusé, alors totalement ignoré par la procédure judiciaire ; l’histoire tragique semble en partie avoir pour fonction de combler ce manque.

[8Thierry Pech, op. cit., p. 194-198 : le critique établit une hiérarchie quantitative des catégories criminelles représentées dans la collection de Boaistuau et de Belleforest, en particulier dans les deux premiers tomes : l’homicide, sous toutes ses formes, est le plus fréquent, suivi par l’adultère et les unions illégitimes, ainsi que les atteintes au droit matrimonial. Ces crimes se raréfient néanmoins à la fin de la collection, au profit de crimes portant directement atteinte à la puissance publique et à la souveraineté.

[9Deux références indirectes à ces délits sont néanmoins présentes, la première dans le prologue (mais les bandouliers dont il est question donnent et reçoivent la mort, voir p. 40-41), la seconde dans le commentaire fait par Géburon à la suite de la vingt-neuvième nouvelle, lors d’une comparaison entre les délits et crimes commis par les gentilshommes et ceux perpétrés par les gens du peuple : « N’estimez pas, dit Géburon, que les gens simples et de bas état soient exempts de malice non plus que nous, mais en ont bien davantage : car regardez-moi larrons, meurtriers, sorciers, faux-monnayeurs et toutes ces manières de gens desquels l’esprit n’a jamais de repos ! Ce sont tous pauvres gens et mécaniques. » (p. 278). Les larcins sont bien cités parmi les délits caractéristiques des gens de basse extraction.

[10La dimension facétieuse de l’adultère réside soit dans les traits d’esprit et la philosophie des personnages de haute condition mis en scène (dans la troisième nouvelle où se forment successivement deux couples illégitimes, le roi et une noble dame puis la reine et le gentilhomme trompé, c’est la finesse de ce dernier qui permet à l’humour de triompher), soit dans la condition des amants et des victimes (dans la sixième nouvelle comme dans la quarante-cinquième, il s’agit de gens issus du menu peuple, dans la vingt-neuvième, il s’agit d’un membre du clergé et dans la vingt-cinquième, un membre de la magistrature est fait cocu par un prince).

[11Dans ce cas cependant, le châtiment exemplaire réservé aux coupables donne une dimension plus sérieuse au récit.

[12En cela, la cinquième nouvelle forme un diptyque avec la deuxième, dans la mesure où l’une développe une dimension comique en insistant sur la ruse de la batelière et la déconvenue des criminels tandis que l’autre met en scène une muletière qui meurt en défendant vainement son honneur.

[13Marguerite de Navarre, op. cit., p. 57.

[14Ibid.

[15Ibid.

[16Voir en particulier Isida Cremona, « Les Cordeliers et la notion de justice dans l’Heptaméron de Marguerite de Navarre », in La Nouvelle en France, actes du colloque international de Montréal, éd. M. Picone et alii, Montréal, Plato Academic Press, 1983, p. 216-223 ; voir également les analyses de Michel Gailliard, L’Heptaméron de Marguerite de Navarre. Analyses textuelles, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2005, p. 109-131.

[17Marguerite de Navarre, op. cit., p. 66.

[18Ibid., p. 67.

[19Ibid., p. 69.

[20Ibid., p. 73.

[21Ibid., p. 75.

[22Ibid., p. 69

[23Nicole Cazauran, L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, Paris, SEDES, 1991, p. 48.

[24Dans la vingt-sixième histoire, un cordonnier meurt de douleur à cause des relations coupables de sa femme et d’un gentilhomme ; dans la quarante-quatrième nouvelle, un marchand et la femme d’un gentilhomme s’enfuient ensemble et meurent dans un naufrage.

[25Dans la sixième histoire, ce sont l’infidélité du mari et sa volonté de dissimuler son forfait qui provoquent l’adultère involontaire de sa femme avec son apprenti ; dans la trente-huitième histoire, le mari, un roturier balourd et sans esprit, se laisse convaincre par son beau-père de la normalité de son cocuage.

[26Dans la vingt-huitième histoire, un cordelier couche avec la femme d’un médecin, sous le prétexte de la guérir ; dans la trente-deuxième histoire, un curé exorcise une femme jouant les possédées et lui fait un enfant, au nez et à la barbe de son mari.

[27Dans la seizième histoire, une savetière devient l’objet d’une compétition entre ses amants, un marchand, un moine et un forgeron ; dans la cinquante-troisième histoire, un gentilhomme prend la place de l’amant de la femme qu’il convoite grâce à l’aide de sa chambrière.

[28Bénédicte Boudou, « Le procès exemplaire de l’adultère chez Henri Estienne », in Littérature et droit, du Moyen Âge à la période baroque : le procès exemplaire, Études réunies par Stéphan Geonget et Bruno Méniel, Paris, Honoré Champion, 2008, p. 63.

[29Voir Lionello Sozzi, Les Contes de Bonaventure des Périers. Contribution à l’étude de la nouvelle française à la Renaissance, Turin, Giappichelli, 1965, p. 288-296.

[30Bonaventure des Périers, op. cit., p. 108-109.

[31Ibid., p. 109.

[32Ibid., p. 114.

[33Ibid., p. 119.

[34Dans la quatrième nouvelle, un chantre bassecontre, dans la trente-quatrième le curé de Brou, dans la soixantième un prêtre libidineux provoquant un adultère.

[35La quatre-vingt-quatrième nouvelle met en scène des étudiants voleurs.

[36La seizième nouvelle a pour protagoniste le sieur Beaufort, avocat.

[37Dans la neuvième, des marchands, dans la quarante-sixième un tailleur.

[38Pierre Faifeu dans la vingt-troisième nouvelle, maître Arnaud dans la vingt-quatrième.

[39C’est le cas de Cambaire, le bandoulier condamné à mort dans la quatre-vingt-deuxième nouvelle, dont on peut peut-être rapprocher l’ancien soldat se réclamant de l’Église pour échapper à un jugement civil et laïque dans la vingt-huitième. Ces malfaiteurs apparaissent aussi en toile de fond de la quarante-quatrième nouvelle où un homme est détroussé et tué dans un bois par des brigands, mais aussi dans la vingtième où un homme a là aussi été volé puis assassiné.

[40Dans la cinquante-sixième nouvelle, le coupeur de bourses est aussi appelé « larron », dans la soixante-et-unième, Jean Trubert est arrêté pour vol, enfin les coupeurs de bourses des soixante-dix-neuvième, quatre-vingtième et quatre-vingt-unième nouvelles font aussi partie de ce groupe.

[41Il est possible de dresser un parallèle avec la onzième histoire des Comptes du monde adventureux relatant l’histoire d’un couturier malhonnête qui se fait meunier et meurt de faim avant d’apprendre les ficelles du métier.

[42Ibid., p. 279.

[43Ibid., p. 283.

[44Ibid., p. 284.

[45Ibid.

[46Nicolas Lombart, « L’éloge de l’habileté mercurienne dans les Nouvelles Récréations et joyeux devis : Bonaventure des Périers face aux ‘coupeurs de bourses’ (nouvelles 79, 80, 81) », in Lire les Nouvelles Récréations et joyeux devis, Dominique Bertrand et Bénédicte Boudou (dir.), Clermont-Ferrand, Université de Clermont-Ferrand, 2009, p. 91-117.

[47Bonaventure des Périers, op. cit., p. 288.

[48Ibid.

[49Lionello Sozzi : « Voilà encore un coupeur de bourses présenté non seulement comme auteur d’un vol audacieux […] mais aussi comme artiste du larrecin, dévoué à sa profession, volant par goût du tour original et du chef-d’œuvre » (op. cit., p. 303).

[50Nicolas Lombart : « En ce sens, le coupeur de bourses peut apparaître comme le double idéal […] du conteur : à la fois hors de la société et fondus en elle, l’un et l’autre doivent être en mesure de réinventer des scénarios surprenants à partir de schémas simples, afin de révéler cette société à elle-même, sans perspective morale, par simple ‘esjouyssance’ du détroussement et du récit qui s’en fait l’écho. C’est bien l’ambivalence éthique du larron qui en fait paradoxalement un personnage exemplaire. » (art. cit., p. 117).

[51Nicolas Lombart, op. cit., p. 99-102 : le critique montre que les dimensions esthétique et technique du larcin suscitent l’admiration.

[52Bonaventure des Périers, op. cit., p. 289.

[53Ibid.

[54Les anecdotes concernant les coupeurs de bourses se terminent généralement par le châtiment des voleurs : dans la cinquante-sixième nouvelle, le coupeur de bourses est essorillé par le gentilhomme qu’il tente de voler ; dans les soixante-dix-neuvième et quatre-vingt-unième nouvelles, les coupeurs de bourses sont pendus ; seule la quatre-vingtième nouvelle ménage une fin moins dramatique, mais il est vrai que la victime est le prévôt.

[55Ibid., p. 289.

[56Ibid., p. 289-290.

[57Ibid., p. 290.

[58Ibid.

[59Voir à ce propos Valérie Toureille, Vol et brigandage au Moyen Âge, Paris, PUF, 2006, p. 213-217 ; celle-ci insiste sur l’ambiguïté des décisions royales, avec d’un côté des ordonnances punissant de plus en plus sévèrement les crimes commis par les hommes de guerre après leur démobilisation et d’un autre côté la grâce délivrée par le roi pour services rendus parce que l’autorité royale est « impuissante à assurer une démobilisation paisible de ces hommes de guerre » (p. 213-214).

[60Ibid., p. 150  : le brigandage apparaît comme un « avatar de la guerre » et le phénomène des soldats cassés en vient à menacer la paix sociale du royaume.

[61À propos de l’ambiguïté du supplice, visible dans les réactions des spectateurs, et de l’admiration portée aux condamnés, voir Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 72-73.

[62André Janier, Les Serées (1584-1597-1598) du libraire-imprimeur Guillaume Bouchet (1514-1594), Paris, Honoré Champion, 2006, p. 214.

[63Voir Valérie Toureille : « À la fin du Moyen Âge, la recherche quasi obsessionnelle des marques par les juges témoigne d’une crainte exacerbée de la récidive. À l’instar des marques, la mala fama est reconnue comme une preuve de l’entêtement criminel par le droit coutumier médiéval. » (op. cit., p. 173). La quatorzième Serée, essentiellement consacrée aux châtiments réservés aux criminels, est emblématique de l’importance accordée aux mutilations permettant d’identifier les criminels et aux ruses de ces derniers pour les dissimuler.

[64Pour Michel Foucault, la souffrance physique et la douleur du corps lui-même font partie intégrante de la peine ; ce « châtiment-spectacle » permet ainsi d’« inverser en pitié ou en gloire la honte qui était infligée au supplicié » (op. cit., p. 16).

[65Voir dans la quinzième Serée les faux marchands que rien ne permet de distinguer des vrais.

[66André Janier, op. cit., p. 210.

[67Robert Aulotte, « Les gueux dans la littérature française du XVIe siècle », in Misère et gueuserie au temps de la Renaissance, Paris, Centre de recherches sur la Renaissance, 1976, p. 139.

[68Ibid., p. 142.

[69Selon Valérie Toureille, la perception de bandes criminelles organisées en « monarchies de l’ombre, flanquées de leurs rois dérisoires, dominant un parterre tantôt de mendiants, tantôt de voleurs, parfois les deux à la fois » (p. 183) et en « contre-sociétés » est une obsession populaire et bourgeoise qui s’est formée au XVe siècle et a été colportée par la littérature, mais qui relèverait du fantasme.

[70Voir Robert Aulotte, op. cit., p. 189-141 : il montre que la vision du gueux change vers le milieu du siècle, mais que l’attention accordée au paupérisme et à la responsabilité de la société à cet égard par Érasme, More et Vivès a largement contribué à mettre en valeur les inégalités sociales et l’ambivalence du statut de gueux. Voir également Gabriel-André Pérouse, « Bonnes gens, pauvres et larrons au miroir des nouvelles du XVIe siècle », in Marginalité et littérature, Hommage à Christine Martineau-Genieys, Nice, Université de Nice-Sophia Antipolis, 2000, p. 279-291 : le critique montre que le marginal suscite la crainte, qu’il est représenté comme une menace pour la société, mais qu’il témoigne aussi « de notre humaine vulnérabilité, de notre misère charnelle » (p. 289) et que le problème de la pauvreté, en liaison avec les Évangiles, appelle en retour un questionnement sur les responsabilités de la société en général et des riches en particulier.

[71Voir le gentilhomme collé à un arbre pour déterminer s’il s’agit d’un mâle ou d’une femelle, tandis que le mattois s’en va avec sa bourse dans la quinzième Serée (p. 181, f° 124-126).

[72Voir le faux marchand qui fait tomber de la table l’argent compté par un véritable marchand (p. 180, f° 122-123) puis qui fait semblant d’avoir gagné au jeu (p. 181, f° 123) dans la quinzième Serée.

[73Cette idée apparaît en filigrane dans le quinzième chapitre de l’Apologie pour Hérodote d’Henri Estienne.

[74Guillaume Bouchet, op. cit., p. 175, f° 100.

[75Ibid., p. 175-176, f° 102-103.

[76Ibid.

[77Jean-Claude Arnould, « La part d’ombre des Nouvelles Récréations  », in Bonaventure Des Périers, conteur facétieux. Nouvelles Récréations et Joyeux Devis, ouvrage coordonné par Véronique Montagne et Marie-Claire Thomine-Bichard, Paris, PUF, 2008, p. 65.

[78Ces anecdotes reflètent une réalité sordide où l’atteinte à la propriété est punie avec la plus extrême sévérité, surtout lorsqu’elle est le fait d’exclus en marge de la société ; il n’en va pas de même dans le recueil pour les marchands et autres artisans indélicats.

[79Michel Foucault, op. cit., p. 15 : la cérémonie pénale fait « ressembler le bourreau à un criminel, les juges à des meurtriers ».

[80Nicolas Lombart, art. cit., p. 105 : « L’action des coupeurs de bourses aboutit à la révélation, au sens fort du terme, du visage agressif et sournois de la justice ».

[81Guillaume Bouchet, op. cit., p. 176, f° 105.

[82Ibid.

[83Bonaventure des Périers, op. cit., p. 310.

[84Ibid., p. 312.

[85Ibid.

[86Ibid.

[87Ibid.

[88Ibid., p. 312 : « Quant est de moy, je ne sçaurois pas qu’en dire, il n’y ha celuy qui ne se trouve bien empesché quand il y est. Parquoy j’en laisse à penser et à faire à ceux à qui le cas touche. »


Pour citer l'article:

Estelle Ziercher, « Représentations du sujet criminel, entre facétie et pathétique » in Juges et criminels dans la narration brève du XVIe siècle, Volume d’études préparé au cours du séminaire tenu à Rouen les 25 et 26 février 2010 sous la direction de Jean-Claude Arnould.
(c) Publications numériques du CÉRÉdI, "Actes de colloques et journées d'étude (ISSN 1775-4054)", n° 4, 2010.

URL: http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?representations-du-sujet-criminel.html

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