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Esther MARTIN

Université de Rouen-Normandie – ÉRIAC

Théorie et pratique du discours chez Cicéron : une dramaturgie du réel

L’auteur

Esther Martin, membre associé de l’ÉRIAC, est agrégée de lettres classiques et docteure en philosophie romaine, auteure d’une thèse sur Cicéron, lecteur de Platon (2008). Ses travaux portent sur la philosophie et l’action politique chez Cicéron. Elle est l’auteure de plusieurs articles, dont « l’éloquence cicéronienne comme arme de guerre dans les Philippiques » dans La Guerre civile, représentations, idéalisations, identifications, sous la direction d’E. Dupraz et de C. Gheeraert-Graffeuille, Rouen, PURH, 2014.


Texte complet


Par son métier d’avocat, son statut d’homme d’État, son activité d’écriture rhétorique et philosophique, Cicéron est par excellence l’homme du conseil et de la délibération. Son engagement politique le place au cœur de l’espace délibératif des tribunaux, des contiones [1], du Sénat. Mais cet espace est également celui du conseil : la république romaine n’est pas une démocratie, et la parole, portée par l’autorité des plus puissants citoyens, en est le vecteur. L’activité politique est mise en scène, incarnée par des hommes se distinguant visuellement par leur vêtement (le laticlave à bande pourpre des sénateurs), les cortèges des clientes qui les accompagnent, ou des licteurs s’il s’agit des consuls, par des hommes qui s’adressent aux foules des quirites en plein espace public du forum. Elle participe, dans son cadre institutionnel, à ce que Florence Dupont nomme « la civilisation du spectacle [2] ». Elle se décline également dans ses manifestations civiques, comme le triomphe des généraux, la pompa des jeux publics, mais aussi les funérailles des grandes familles, avec la présence d’acteurs portant les masques des ancêtres, et de l’orateur familial qui prononce devant la foule l’éloge funèbre. Impossible donc de ne pas associer l’activité judiciaire et politique à une théâtralisation de la parole. La parole éloquente, quel que soit l’espace dans lequel elle se déploie, est une parole travaillée par l’écriture, mais aussi par l’exercice, et mise en scène. Sur ce thème, Cicéron a écrit plusieurs de ses ouvrages les plus célèbres : en particulier le De Oratore, l’Orator, le Brutus. Sans m’interdire d’associer les deux derniers ouvrages à cette enquête, je voudrais m’intéresser en particulier au De Oratore [3], qui est le premier ouvrage important consacré à l’art oratoire, et plus précisément à la figure de l’orateur idéal [4]. Cicéron l’avait conçu comme un tout unique avant, neuf ans plus tard, d’y ajouter le Brutus, histoire de l’éloquence romaine, et l’Orator, dédié à Brutus et qui s’inscrit dans un débat esthétique dont il n’est pas question dans le De Oratore. Cet ouvrage s’interroge, à travers les exposés de Crassus et d’Antoine, sur ce qui peut faire un orateur idéal. Au cours du dialogue, Cicéron fait plus de vingt références aux acteurs et à leur travail, et autant à des auteurs ou pièces de théâtre [5]. Cela n’est pas anodin. Je souhaiterais d’abord m’interroger sur la relation complexe qui lie l’orateur au monde du théâtre, et sur la façon dont la référence au théâtre peut aider à penser une théorie de l’art oratoire. Je me propose d’analyser ensuite, à travers le prisme du De Oratore et des exemples concrets qui y sont développés, les caractéristiques de la dramaturgie de l’éloquence. Enfin, j’essaierai de montrer qu’il s’agit d’une dramaturgie du réel, où la vie même est mise en jeu.

Existe-t-il une dramaturgie de l’éloquence politique ?

Le théâtre et l’éloquence / acteurs et orateurs : des liens complexes

Depuis longtemps, on a souligné les points de rapprochement entre théâtre et parole judiciaire ou politique, telle Françoise Desbordes, en particulier dans l’introduction à sa traduction de Quintilien [6] : « La tribune et la scène offrent des spectacles interchangeables. ». Depuis longtemps, on cite le texte des Saturnales de Macrobe, qui montre Cicéron s’entraînant aux côtés du célèbre comédien Roscius [7], et celui de Plutarque qui évoque ce que Cicéron devrait aux célèbres acteurs Roscius et Æsopus [8]. Dans la littérature critique, bien des analyses s’attachent aux aspects de comédie de certains discours judiciaires, comme le Pro Caelio [9].

Pourtant, le monde des acteurs et celui de l’art oratoire sont extrêmement différents : au livre IV du De Republica, composé un an après le De Oratore, Cicéron évoque le théâtre dans la cité, par l’intermédiaire de Scipion (texte corrompu, dont on connaît seulement certains extraits). Scipion est choqué des attaques directes contre des personnages politiques que l’on peut trouver dans le théâtre grec, et se félicite que la loi romaine interdise tout débordement de ce type. Il rappelle également que les anciens Romains ont frappé les acteurs d’infamie, les excluant de toute vie civique :

Cum artem ludicram scaenamque totam in probro ducerent, genus id hominum non modo honore ciuium reliquam carere, sed etiam tribu moueri notatione censoria uoluerunt.
Comme ils jugeaient déshonorant [in probro] tout ce qui touche à l’art théâtral et à la scène, ils résolurent non seulement d’enlever à ceux qui s’y adonnaient toute distinction que pouvaient obtenir les autres citoyens, mais encore de les exclure de leur tribu, en vertu d’une décision infamante des censeurs [10].

Cette évocation nous met en garde contre le rapprochement du théâtre et de l’éloquence : il est question de deux mondes très différents, celui de l’infamie civique des histriones (fussent-ils adulés dans leur art) qui s’oppose à la forme d’excellence civique que représente l’activité oratoire et politique. La question fait l’objet d’un développement de Florence Dupont dans son livre L’Orateur sans visage. Elle démontre que les acteurs ne peuvent constituer des références valorisantes pour les orateurs, et affirme qu’associer acteurs et orateurs à travers l’actio, la mise en œuvre physique du discours, est une « erreur étymologique [11] ». Mais il semble excessif de dire que l’actio ne saurait concerner que les orateurs, et qu’il n’y a là aucun point de contact possible entre acteurs et orateurs. Je suivrai sur ce point la réfutation de Guillaume Navaud, qui invoque un passage du De Finibus dont l’interprétation ne peut être contestée [12]. Par ailleurs, ce lien est confirmé par la lecture de deux passages du De Oratore : Le paragraphe 102 du livre III du De Oratore tout d’abord est sans équivoque :

[…] in quo tanta commoueri actio non posset, si esset consumpta superiore motu et exhausta.
Il [Roscius] ne pourrait rendre ce vers avec l’actio dramatique convenable s’il avait usé, épuisé ses forces dans le mouvement de la tirade précédente [13].

Le mot actio est employé de façon naturelle, sans la moindre précaution oratoire pour désigner le travail de l’acteur.

En outre, un passage du même livre III, au paragraphe 213, confirme la relation entre les mots actio et actor. Crassus rapporte une anecdote selon laquelle l’orateur Eschine (dont on peut rappeler qu’il fut acteur avant de devenir orateur) avait lu aux habitants de Rhodes un discours qu’il avait prononcé contre Démosthène, qui lui avait valu des compliments, et le lendemain avait lu le discours – réponse de Démosthène, qui suscita l’admiration. Eschine répondit alors que l’admiration eût été plus grande si Démosthène lui-même avait prononcé le discours : « Il indiqua assez par là tout ce que comportait l’action (actio), puisqu’il pensait qu’un même discours changerait si on en changeait l’interprète (actore mutato)  ». L’emploi du mot « actor  », associé à « actio  », mais utilisé à propos de deux maîtres d’éloquence de la stature d’Eschine et de Démosthène nous indique assez clairement que le rapprochement entre acteur et orateur, entre théâtre et éloquence, est possible, en particulier à propos de l’actio, dans la limite de leurs différences.

Le théâtre comme outil pour penser l’éloquence

La fréquence des allusions au théâtre dans le De Oratore, telle qu’entrevue dans l’introduction, semble bien nous autoriser à employer le terme de « dramaturgie ». Il existe clairement des domaines communs au théâtre et à l’éloquence politique : au livre III du De Oratore, lorsque Crassus explicite l’actio, il prend toujours soin de nuancer et de souligner la différence avec le théâtre, mais les exemples qu’il donne des paragraphes 217 à 219, pour évoquer le ton de la voix, ne sont que des exemples de théâtre. Si l’on passe en revue l’ensemble des références, on y trouve cinq éloges de Roscius, une où la proximité entre poètes / auteurs dramatiques et orateurs est évoquée, cinq exemples où le travail théâtral est cité en modèle, huit où il est opposé à ce que doit réaliser l’orateur. On peut également constater qu’à deux reprises Crassus évoque parmi les qualités à mettre en œuvre chez l’orateur la uenustas, « la grâce, le charme », qui, selon les analyses de Florence Dupont, serait strictement réservée à l’acteur, par opposition à la dignitas [14]. Or Crassus n’oppose pas les deux termes, lorsqu’au livre I du De Oratore il évoque le travail sur les arguments et dit qu’après les avoir trouvés et disposés, il faut « finalement les mettre en œuvre avec dignité et grâce – dignitate et uenustate [15] ».

On retrouve ce terme de uenustas un peu plus loin, associé à l’art de la plaisanterie [16]. Ainsi donc, le théâtre, dans son écriture, sa mise en scène, son jeu, est un instrument pour mieux penser la théorie de l’art oratoire. Si l’orateur idéal peut se penser à partir du poète, du théâtre, de l’acteur, il existe bel et bien une dramaturgie de la parole délibérative.

Les caractéristiques de cette dramaturgie

Comme évoqué ci-dessus, cette dramaturgie emprunte au théâtre et s’oppose à lui. L’analogie avec le théâtre est opérante pour l’écriture, dans la mesure où elle a à travailler sur les émotions. Elle est particulièrement pertinente pour l’actio : même si la mise en œuvre du discours n’est pas la même qu’au théâtre, celui-ci peut aider à mieux la penser, la travailler. Elle est opérante également dans une optique d’efficacité du discours : il s’agit de plaire à un auditoire. Elle n’est plus opérante si l’on considère les enjeux de la scène théâtrale et de la scène politico-judiciaire.

Émotion et action

Comme dans tout bon traité de rhétorique, Cicéron prend soin de nous rappeler par l’intermédiaire d’Antoine les trois piliers de l’éloquence politique : probare, delectare, mouere.

Ita omnis ratio dicendi tribus ad persuadendum rebus est nixa : ut probemus uera esse quae defendimus, ut animos eorum ad quemquomque causa postulabit motum uocemus.
Ainsi les règles de l’art oratoire s’appuient sur ces trois ressorts de persuasion : prouver la vérité de ce que l’on affirme, se concilier la bienveillance des auditeurs, éveiller en eux toutes les émotions utiles à la cause [17].

C’est évidemment sur les deux derniers aspects que la théâtralisation du discours peut opérer, et c’est ce qu’Antoine, en bon praticien « anti langue de bois » formule clairement un peu plus loin dans le livre II :

Et quoniam, quod saepe iam dixi, tribus rebus homines ad nostram sententiam perducimus, aut docendo aut conciliando aut permouendo, una ex tribus his rebus res prae nobis forenda, ut, nihil aliud nisi docere uelle uideamur ; reliquae duae, sicuti sanguis in corporibus, sic illae in perpetuis orationibus fusae esse debebunt.
J’ai déjà dit plusieurs fois qu’il y a trois moyens d’amener les hommes à notre sentiment : les instruire, leur plaire, les toucher. De ces trois moyens un seul doit être avoué : il faut paraître n’avoir comme objet que d’instruire. Les deux autres sont répandus dans le cours entier de la plaidoirie, de la même façon que le sang l’est dans le corps. Car ce n’est pas seulement le préambule, ce sont toutes les autres parties du discours (dont je parlerai un peu plus loin) qui doivent avoir la force de pénétrer, pour l’émouvoir, jusqu’à l’âme des auditeurs [18].

Cette formulation quelque peu provocante n’est pas en contradiction avec l’envolée idéaliste de Crassus à la fin de son discours du livre I où il cherche à rassembler tout ce que l’on attend d’un orateur. Ce faisant, il évoque systématiquement la capacité de l’orateur à soulever les émotions :

Conquirimus […] deinde, qui possit, non tam caduceo quam nomine oratoris ornatus, incolumis uel inter hostium tela uersari ; tum, qui scelus fraudemque nocentis possit dicendo subicere odio ciuium supplicioque constringere ; idemque ingeni praesidio innocentiam iudiciorum poena liberare ; idemque languentem labentemque populum aut ad decus excitare aut ab errore deducere aut inflammare improbos aut incitatum in bonos mitigare ; qui denique, quemcumque in animis hominum motum res et causa postulet, eum dicendo uel excitare possit uel sedare.
Nous cherchons un homme qui, mieux protégé par son titre d’orateur que par le caducée du héraut, s’avance en toute sûreté au milieu d’une troupe ennemie, dont l’éloquence, attaquant les coupables, livre le crime et la perfidie à l’indignation publique et au glaive des lois, dont le génie secoue l’innocence devant le tribunal et l’arrache à l’injuste châtiment ; un homme qui, si le peuple s’engourdit, le réveille et le rappelle au devoir, s’il glisse à l’erreur, le retire de l’ornière, qui l’enflamme contre les méchants et, d’irrité qu’il était, l’adoucisse en faveur des bons, un homme enfin qui sache par sa parole soulever dans l’âme des auditeurs ou calmer à son gré les passions [19].

« odio ciuium », « excitare », « inflammare » « in animis hominum motum […] postulet », « excitare », « sedare  » : le vocabulaire employé, exclusivement celui des affects, illustre bien le fait que le travail de l’orateur s’exerce sans cesse sur les émotions des hommes. La difficulté pour le lecteur contemporain de mesurer cela, réside dans le fait que les discours de Cicéron que nous lisons ne sont que des réécritures des textes prononcés, ou même des textes n’ayant, du fait des circonstances, jamais été prononcés (comme par exemple les discours contre Verrès et plusieurs Philippiques).

Or, dans le De Oratore, la mise en œuvre de l’émotion ne détache jamais le discours de la mise en scène qui l’accompagne. En ce sens, les extraits cités et analysés dans le De Oratore nous renseignent de façon beaucoup plus précise que les discours eux-mêmes sur la dramaturgie de l’éloquence romaine. Le cas le plus célèbre et le plus développé est celui du procès du vieux général Manius Aquilius, plusieurs fois évoqué dans le De Oratore [20]. En 98, Antoine eut à défendre cet ancien général, collègue de Marius au consulat en 101, vainqueur en Sicile de la deuxième révolte des esclaves en 99 (il avait reçu l’ovatio pour cette victoire) et accusé en 98 de concussion par L. Fufius, à juste titre si l’on en croit le Pro Flacco, 98. Ce procès resta célèbre par les mouvements d’émotion déclenchés par Antoine et qui sont décrits ici. Des paragraphes 194 à 196, Antoine analyse le moment précis de la péroraison. Il évoque d’abord ses propres paroles :

Quem enim ego consulem fuisse, imperatorem ornatum a senatu, ouantem in capitolium ascendisse meminissem, hunc cum adflictum, debilitatum, maerentem, in summum discrimen adductum uiderem […]
Cet homme dont je me rappelais qu’il avait été consul, général en chef, qu’il était monté au Capitole pour l’ovation, cet homme que je voyais à terre, affaibli, dans l’affliction, conduit au point le plus extrême [21] […].

Des paroles on passe ensuite à l’actio, déclenchée elle-même par l’émotion :

Sensi equidem tum magno opere moueri iudices, quom excitari maestum ac sordidatum senem et cum ista feci quae tu, Crasse, laudas, non arte, de qua quid loquar nescio, sed motu magno animi ac dolore, ut discinderem tunicam, ut cicatrices ostenderem.
Oui, je sentis que les juges étaient profondément émus, lorsque sur ma demande se leva le vieillard, accablé, les vêtements en désordre, et que mon trouble, mon chagrin (et non point un calcul de cet art dont je ne saurais rien dire) m’inspirant le mouvement qui excite encore ton admiration, Crassus, je déchirai la tunique de l’accusé pour montrer ses cicatrices [22].

Il s’agit bien ici d’une dramaturgie du discours de l’avocat et de sa mise en œuvre, autrement dit d’une performance. Ce que Cicéron nous fait comprendre ici, c’est que le travail de l’orateur est aussi une bonne intelligence du moment présent, une capacité à s’adapter au contexte, en l’occurrence ici l’émotion créée par son propre discours.

Cette faculté d’adaptation apparaît également dans l’exemple suivant, celui du procès de Norbanus. Celui-ci avait accusé de Maiestate (atteinte à la souveraineté de l’État) Quintus Seruilius Caepio, parce qu’il avait pillé un temple lors d’une expédition militaire [23]. Le procès donna lieu à de terribles émeutes, pour lesquelles Norbanus fut à son tour accusé de Maiestate par Sulpicius Rufus (un des jeunes interlocuteurs du De Oratore). Le jeune orateur vit au cours de la plaidoirie d’Antoine la cause qu’il croyait facilement gagnée lui échapper. Antoine explique l’argumentation qu’il a suivie, défendant même le principe de la sédition en se fondant sur l’histoire romaine, puis en attaquant l’accusé (De Oratore, II, 199). Il s’adapte ensuite en observant l’effet produit sur les juges :

Quod ubi sensi me in possessionem iudici ac defensionis meae constitisse […] tum admiscere huic generi orationis uehementi atque atroci genus illud alterum, de quo ante disputaui, lenitatis et mansuetudinis, coepi.
Dès que j’eus senti que je m’étais rendu maître de la cause […] alors je commençai à tempérer le ton véhément et âpre de mon discours et j’usai de cette autre manière douce, insinuante, dont je vous parlais tout à l’heure [24].

Il conclut :

Ita magis adfectis animis iudicum quam doctis tua, Sulpici, est a nobis tum accusatio uicta.
Et voilà comment, après avoir remué le cœur des juges plutôt qu’éclairé leurs esprits, je triomphai, Sulpicius, de ton accusation [25].

Le jeu sur les émotions, c’est bien l’actio qui en est le meilleur moteur, comme en témoigne le pouvoir d’émotion de Caius Gracchus, et ce même sur ses adversaires, dans un passage qui nous est présenté comme célèbre.

C’est Crassus qui raconte l’anecdote :

Quo me miser conferam ? Quo uertam ? In Capitolium ? At fratris sanguine redundat. An domum ? Matremne ut miseram lamentantem uideam et abiectam ? Quae sic ab illo esse acta constabat oculis, uoce, gestu, inimici ut lacrimas tenere non possent.
« Où aller dans mon malheur ? Où me tourner ? Vers le Capitole ? Il ruisselle du sang de mon frère. Chez moi ? Pour y voir ma malheureuse mère abattue par le deuil et les larmes ? » Il est clair qu’il prononçait ces paroles avec des yeux, une voix, des gestes tels que ses ennemis ne pouvaient retenir leurs larmes [26].

L’énumération des aspects physiques du discours est une manière de rappeler que les mots ne sont pas les seuls vecteurs d’émotion, et d’expliciter la dramaturgie que constitue bien le discours politique, dont la mise en œuvre importe beaucoup pour la réussite. L’insistance sur la gestuelle de l’orateur, qui doit être « virile, déterminée », et se différencier de celle de l’acteur [27], précède l’introduction de la thématique du regard, qui appartient en propre à l’orateur, dans la mesure où les acteurs, eux, portent un masque. La formule lapidaire employée par Crassus : « Tout est dit sur le visage [28] » ouvre ce paragraphe, où les yeux et le travail du regard occupent la première place. Il est frappant de constater que Crassus termine ce passage consacré à l’actio en valorisant celle-ci pour la transcription d’émotions universelles, capables d’émouvoir aussi les ignorants et les barbares.

Pour un homme qui exige de l’orateur la culture la plus approfondie et la plus universelle, ce n’est pas anodin : c’est la reconnaissance de la dramaturgie, de la mise en œuvre et en scène du discours, comme un travail spécifique qui a toute son importance et sa place dans le travail et la formation des talents.

La relation au public

Le but de la dramaturgie, c’est toujours l’efficacité : la persuasion d’un auditoire. Au livre III du De Oratore, Crassus évoque l’importance du contexte et les divers types d’auditoire :

Refert etiam qui audiant, senatus an populus an iudices, frequentes an pauci an singuli, et quales ; ipsique oratores qui sint aetate, honore, auctoritate debent uideri.
Les auditeurs, que sont-ils, le Sénat, le peuple, des juges, une foule nombreuse, un petit groupe, une seule personne, et qui sont-ils ? Les orateurs mêmes doivent prendre en considération leur âge, leur rang, leur prestige personnel [29].

La règle qui est alors mise en avant est celle du quid decet, « ce qui convient », l’adaptation au public [30], avec un genre d’éloquence plus ample, plus simple ou tempéré selon le public [31]. Le discours politique et judiciaire se déploie selon trois espaces distincts : les tribunaux, les contiones et le Sénat. Les tribunaux ont conservé un caractère populaire, même si pour les procès criminels, le jury se recrute parmi l’album sénatorial [32] : les procès sont publics, et les amis, les proches, les curieux se pressent pour assister aux grands procès [33]. Le discours politique stricto sensu se déploie dans les contiones et au Sénat. Même si Antoine affirme qu’il n’y a pas de préceptes à part pour le genre délibératif, qui requiert les mêmes qualités que le genre judiciaire, il rejoint l’idéal de Crassus en insistant sur la stature et la sagesse requises pour l’éloquence politique, qui comporte de hautes responsabilités [34]. La distinction sur les formes de discours à mettre en œuvre se fait plutôt entre les assemblées nombreuses et potentiellement indisciplinées, celles des tribunaux et des contiones, et la digne assemblée du Sénat, qui ne requiert pas la même puissance oratoire [35]. C’est bien devant le peuple réuni en contio que toutes les ressources de la dramaturgie devront être mobilisées :

Contio enim capit omnem uim orationis et grauitatem uarietatemque desiderat.
L’assemblée du peuple requiert toute la puissance du discours, elle a besoin de sa noblesse et de sa variété [36].

Au sérieux, au caractère crucial du débat public, on imagine que s’oppose la relation au public de théâtre, moment de pur divertissement, comme le rappelle Florence Dupont [37]. On peut, là encore, être surpris : il n’est pas rare, semble-t-il, au premier siècle avant J.-C., que cet espace se mue également en espace politique, comme en témoigne Cicéron dans le Pro Sestio, à propos d’une représentation théâtrale ayant eu lieu alors que l’on venait de décider de le rappeler d’exil en 58 [38]. Il résume ainsi la situation :

Etenim tribus locis significari maxime de re publica populi Romani iudicium ac uoluntas potest, contione, comitiis, ludorum gladiatorumque concessu.
De fait, il y a trois occasions où peuvent s’exprimer le plus clairement l’opinion et la volonté du peuple romain en matière politique : les réunions publiques, les comices, les rassemblements attirés par les jeux et les gladiateurs. [39]

Étonnante transversalité que celle qui s’exerce entre les lieux où l’on discute les lois et ceux où l’on vient pour se divertir. Ce qui ressort de ces évocations du public, c’est bien que le peuple, dans ses réunions informelles, sous la forme la moins maîtrisée, est le seul à pouvoir donner la mesure de l’efficacité dramaturgique. C’est un point que Cicéron développe plus largement dans le Brutus :

eloquentiam autem meam populo probari uelim. Etenim necesse est, qui ita dicat ut a multitudine probetur, eundem doctis probari. Nam quid in dicendo rectum sit aut prauum ego iudicabo, si modo is sum, qui id possim aut sciam iudicare ; qualis uero sit orator ex eo quod is dicendo efficiet poterit intellegi.
Quand je parle en public, c’est l’approbation du peuple que je veux. Car l’orateur, qui par son langage réussit à avoir l’agrément de la multitude, il est impossible qu’il n’ait pas aussi l’agrément des connaisseurs. En effet, ce qu’il y a de bon ou de mauvais dans un discours, je puis, moi, le discerner, si j’ai assez de sens critique et de compétence ; mais ce que vaut l’orateur, cela c’est aux effets produits par sa parole qu’on pourra s’en rendre compte [40].

La finalité de la dramaturgie du conseil et de la délibération, c’est la triade « prouver / charmer / émouvoir » («  probare / delectare / mouere  »). Et pour constater l’effet produit par un discours, un coup d’œil à l’auditoire suffit à juger de son attention, de sa tension, de son émotion. C’est ce que nous dit Cicéron à la fin de ce passage. Ce n’est pas l’agencement précis des mots, la qualité littéraire qui sont l’indice de l’efficacité de la parole : c’est le fait de constater par ses sens l’effet produit sur l’auditoire. C’est cet effet qui est le garant de la qualité d’un grand orateur aux yeux du connaisseur. Et, comme au théâtre, il est immédiat et lié à la capacité à influencer et à émouvoir.

« Qualis uero sit orator  » : une dramaturgie du réel

C’est à cette réussite que fait référence cette formule extraite du Brutus : « Ce que vaut vraiment l’orateur – Qualis uero sit orator ». La vérité sur l’orateur nous est livrée par le résultat de son discours, son degré d’efficacité. Mais l’adjectif « qualis  » pose aussi une question de « nature ». C’est un point sur lequel la dramaturgie de l’éloquence se singularise très nettement. Elle livre la nature de l’orateur lui-même. Pas de masque dans l’éloquence, au sens propre comme au sens figuré, disent Crassus et Antoine.

Certes, cela n’exclut pas le recours à quelques procédés stylistiques dont certains relèvent de l’imitatio, comme lors des plaisanteries relevant de l’imitation comique, efficace pour susciter le rire : l’orateur ne doit y recourir qu’en l’effleurant : « furtim  », à la dérobée, « cursim  », en passant nous dit Iulius César dans le De Oratore (II, 252). Cela n’exclut pas non plus la prosopopée, où l’orateur se mue en un personnage supposé [41], qui ne constitue pas à proprement parler un masque. Mais ce qui ressort des discussions du De Oratore, sans qu’il y ait de différence sur ce point entre Crassus et Antoine, c’est que, contrairement au comédien, dont le travail consiste à « imiter », l’orateur, lui, est toujours dans la vérité. Aussi, puisque nous avons constaté qu’il y avait bien une dramaturgie de l’art oratoire, celle-ci ne peut qu’être une dramaturgie du réel :

Qui actor imitanda quam orator suscipienda ueritate iucundior ?
L’acteur, en imitant la vérité, serait-il plus agréable que l’orateur, qui la porte ?

Et encore :

neque actor sum alienae personae, sed auctor meae
et je ne joue pas un autre personnage, mais je suis garant du mien [42].

Et Crassus au livre III en écho :

Haec ideo dico pluribus, quod genus hoc totum oratores, qui sunt ueritatis ipsius actores, reliquerunt, imitatores autem ueritatis histriones occupauerunt.
Si j’insiste sur ce point, c’est que tout ce domaine [les techniques gestuelles et vocales] a été abandonné par ceux qui sont les acteurs de la vérité, tandis qu’il est occupé par les comédiens, imitateurs, eux, de la vérité [43].

L’insistance récurrente sur cette dichotomie entre l’authentique et le factice est un aspect crucial de la réflexion sur l’éloquence. Antoine l’affirme, le mouvement pathétique qui lui a fait déchirer la tunique de Manius Aquilius n’est pas technique («  non arte  »), mais traduit une émotion authentique («  motu magno animi ac dolore [44]  »). Sa sincérité est accentuée par l’évocation de ses larmes («  non fuit haec sine meis lacrimis  »). Il conclut en soulignant que si l’émotion n’avait pas été sincère, juste, il n’aurait suscité que la moquerie qui accompagne le ridicule [45].

La violence de l’émotion illustre la sincérité de l’orateur qui ne joue pas un personnage. Rappelons-nous les propos de Caius Gracchus qui faisaient verser des larmes à ses ennemis mêmes. Certes, il s’agit d’une dramaturgie du discours, mais rien que d’authentique dans ses propos : le sang de Tiberius Gracchus, la douleur d’une mère – tout est vrai –. L’émotion n’est pas feinte, ce qui se traduit assez bien dans la métaphore de la flamme employée par Antoine à propos de Crassus :

Ut mihi non solum incendere iudicem, sed ipse ardere uidearis.
Il me semble que tu ne mets pas seulement la flamme au cœur du juge, mais que tu es toi-même tout en feu [46].

Ne prenons pas pour une clause de style cette inscription dans le réel et l’authenticité. L’engagement de l’orateur dans son art est un engagement total, crucial. Nonobstant l’énergie physique qu’il lui fallait déployer pour être efficace, nonobstant le travail immense que Cicéron assigne à l’orateur dans son dialogue, notre auteur est bien placé pour mesurer l’engagement et les risques encourus dans cette voie d’excellence civique : l’évocation de Caius Gracchus est une illustration saisissante de ce que j’ai proposé d’appeler la dramaturgie du réel. Impossible de ne pas penser également à la mort du protagoniste du De Oratore, Crassus, tombé malade brutalement en pleine lutte politique. Cicéron, dans son évocation de la mort de Crassus, retranscrit même au discours direct le défi lancé au consul Philippe :

Non tibi illa sunt caedenda, si L. Crassum uis coercere ; haec tibi est incidenda lingua, qua uel euulsa spiritu ipso libidinem tuam libertas mea refutabit.
Non, ce ne sont pas les biens de Crassus, si tu veux le réduire au silence, c’est sa langue qu’il te faut supprimer, fût-elle même arrachée, par mon souffle encore ma liberté s’opposerait à ta tyrannie [47].

Il relate ensuite le malaise physique ressenti par l’orateur, la fièvre, et sa mort une semaine plus tard [48]. L’évocation des troubles civils qui virent la mort des autres protagonistes du De Oratore, au seuil de ce dernier livre, est l’illustration de cet ancrage dans le réel [49] : ce qui se joue dans les pratiques délibératives en cette période de la fin de la République romaine, c’est bien sûr la survie ou l’agonie de la République, mais aussi la survie ou la mort de tous ces pratiquants de l’art oratoire : Antoine, l’autre protagoniste du De Oratore, eut sa tête accrochée à la tribune aux harangues du Sénat. Son petit-fils Antoine, quelques décennies plus tard, y fera accrocher à son tour la tête et les mains de Cicéron, à qui il n’aura pas pardonné les Philippiques. Nous mesurons dès lors le sens de cette dramaturgie du réel, où la mise en scène n’est pas factice, où les hyperboles se traduisent en actes. C’est bien là l’engagement du métier d’orateur à l’époque cicéronienne.

Bibliographie

Textes de Cicéron [50]

De Oratore, livre I, texte établi et traduit par E. Courbaud, Paris, Les Belles Lettres, « Collection des Universités de France », 1er tirage 1922.

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Ouvrages et articles critiques

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Notes

[1Les contiones sont des assemblées convoquées par un magistrat et se déroulant de façon informelle (toutes catégories de citoyens mêlées), dans lesquelles on ne procède pas à un vote. On appelle aussi contio l’assemblée informelle préparatoire au vote des comices. Voir le Dictionnaire des antiquités grecques et romaines de C. Daremberg et E. Saglio, Paris, 1877 et aussi Claude Nicolet, Le Métier de citoyen dans la Rome républicaine, Paris, Gallimard, 1976, deuxième édition revue et corrigée, p. 386 à 391.

[2Florence Dupont, L’Acteur-roi, ou le théâtre dans la Rome Antique, Paris, Les Belles Lettres, coll. « REALIA », 1985, p. 24-31 ; p. 24 : « Avant d’être spectateur au théâtre, le Romain fait partie du public de la vie politique » ; p. 26 : « La politique spectacle se réalise à Rome dans des fêtes civiques où la ville devient le décor et le théâtre de cérémonies ostentatoires et au cours desquelles la cité se donne à voir à elle-même sa propre puissance. »

[3De Oratore, texte établi et traduit par E. Courbaud, Paris, Les Belles Lettres, « Collection des Universités de France », 1985.

[4Dans le De Oratore, Cicéron met quelque peu à distance son premier ouvrage sur la rhétorique, le De Inuentione : De Oratore, I, 5 : « Quoniam quae pueris aut adulescentulis nobis ex commentariolis nostris incohata ac rudia exciderunt uix hac aetate digna et hoc usu, quem ex causis quas diximus tot tantisque consecuti sumus, […] » (« Puisque ces essais de mon enfance, ou plus exactement de ma première jeunesse, ébauches encore grossières échappées de mes cahiers d’école, sont vraiment par trop peu dignes de l’âge où je suis parvenu et de l’expérience que tant de causes fameuses m’ont acquise […] »). Voir le De Diuinatione, II, 2, où il présente le De Oratore, le Brutus, et l’Orator comme une trilogie.

[5I, 124 ; I, 128 ; I, 129-130 ; I, 156 ; I, 225-228 ; I, 251 ; I, 254 ; I, 258 ; II, 34 ; II, 193 ; II, 194 ; II, 205 ; II, 233 ; II, 239 ; II, 251 ; II, 259 ; III, 83 ; III,102-103 ; III, 214-219 ; III, 220 ; III, 221. Sans compter les citations de pièces de théâtre : I, 246 ; II, 39 ; II, 155 ; II, 172 ; II, 193 ; II, 255 ; II, 257 ; II, 274 ; II, 279 ; II, 326 à 328 ; énumération de noms d’auteurs, grecs et latins : III, 27 et III, 45 ; III, 141 ; III, 157 ; III, 217, 218, 219.

[6Quintilien, Le Secret de Démosthène, traduction et préface de Françoise Desbordes, Paris, Les Belles Lettres, 1995, p. XXX.

[7Macrobe, Saturnales, III, XIV, 12, Paris, Classiques Garnier, traduction et notes par H. Bornecque, 1937 : « Dans tous les cas, on sait positivement qu’il avait l’habitude de concourir avec Roscius même, à qui varierait le plus souvent l’expression de la même pensée, Roscius par ses gestes, lui par la ressource de son éloquence. »

[8Plutarque, Vie de Cicéron, 5, trad. J. Alexis Pierron, Paris, Flammarion, 1996, p.47 : « On affirme que sa diction n’était pas moins défectueuse que celle de Démosthène et qu’il s’appliqua à écouter le comédien Roscius ainsi que le tragédien Æsopus. »

[9Katherine Geffcken, Comedy in the Pro Caelio, Leyde, Brill, 1973 ; M. R. Salzman, Cicero, the Megalenses and the defense of Caelius, dans AJPH, 103, 1982, p. 299-304.

[10Augustin, Cité de Dieu, 2, 13, cité par Cicéron dans le De Republica, IV, 13, traduction d’Esther Bréguet, Paris, Belles Lettres, « Collection des Universités de France », 1989.

[11Florence Dupont, L’Orateur sans visage. Essai sur l’acteur romain et son masque, Paris, Les Belles Lettres, « Essai collège de philosophie », 2000, p. 12 ; 35 ; p. 46.

[12Guillaume Navaud, Persona. Le théâtre comme métaphore théorique de Socrate à Shakespeare, Genève, Droz, 2011, p. 411-441. Voir Cicéron, De Finibus, III, 24 : analogie entre acteur et sage stoïcien (« Ut enim histrioni actio  »).

[13De Oratore, éd. citée, III, 102.

[14Florence Dupont, op. cit., p.73-77.

[15« ad extremum agere cum dignitate et uenustate  » (De Oratore, éd. citée, I, 142).

[16Ibid., I, 243. Il est question d’une affaire gagnée par Crassus contre Scaeuola, grâce à l’humour. Antoine souligne qu’ici la pratique du droit civil n’a servi en rien à Crassus. « Dicendi uis egregi a summa festiuitate et uenustate coniuncta profuit.  » (traduction personnelle : « Mais je sais fort bien que ta puissance de parole remarquable, associée à ta verve et à ta séduction, furent efficaces »).

[17De Oratore, éd. citée, II, 114-115 (Antoine). Voir aussi II, 115 ; II, 121 ; II, 128 ; II, 181. Voir aussi Brutus, 50, 185 ; 80, 27. Orator, 21, 69. De Optimo genere oratorum I, 3, édité et traduit par H. Bornecque, Paris, les Belles Lettres, « Collection des Universités de France » 1921. « Docere debitum est, delectare honorarium, permouere necessarium. » (« Instruire est un devoir, charmer nous fait honneur, émouvoir est nécessaire. »)

[18De Oratore, éd. citée, II, 310.

[19Ibid., I, 202.

[20Ibid., II, 124 : Crassus : « Quod enim ornamentum, quae uis animus, quae dignitas illi oratori defuit, qui in causa peroranda non dubitauit excitare reum consularem et eius diloricare tunicam et iudicibus cicatrices aduersas senis imperatoris ostendere ?  » (« De quel genre de beauté, de force, de pathétique, de quel mérite, je le demande, a manqué l’orateur qui osa, en terminant un discours, faire lever le devant de sa tunique et montrer aux juges sur sa poitrine les cicatrices de blessures toutes reçues à la tête des armées ? ») Voir également II, 188, 194 à 196.

[21Ibid., II, 194-196 (traduction personnelle).

[22Ibid., II, 195.

[23Ibid., II, p. 43, note 3.

[24Ibid., II, 200.

[25Ibid., II, 201.

[26Ibid., III, 214.

[27Ibid., III, 220 : « Omnis autem hos motus subsequi debet gestus, non hic uerba exprimens scaenicus, sed uniuersam rem et sententiam non demonstrare sed significatione declarans, laterum inflexione hac forti ac uirili, non ab scaena et histrionibus, sed ab armis aut etiam a palaestra.  » (« Tous ces mouvements de l’âme doivent être accompagnés de gestes, non de ce geste qui traduit toutes les paroles comme au théâtre, mais de celui qui éclaire l’ensemble de l’idée et de la pensée en les faisant comprendre plutôt qu’en cherchant à les exprimer ; les attitudes seront énergiques et mâles, empruntées non pas à la scène et aux acteurs, mais à l’escrime ou même à la palestre. »)

[28« In ore sunt omnia  », ibid., III, 221.

[29 Ibid., III, 211.

[30Sur ce point voir aussi Orator, 71.

[31De Oratore, éd. citée, II, 211.

[32L’album sénatorial est « une liste, un album de personnalités habilitées à se réunir et à agir en tant qu’assemblée […] cet album est dressé tous les cinq ans par des magistrats dont c’est une des tâches principales, censeurs ou (exceptionnellement) dictateurs. » Claude Nicolet, « Les classes dirigeantes sous la République : ordre sénatorial et ordre équestre », Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, année 1977, vol. 32, no 4, p. 726-755, p. 730.

[33Voir sur ce point Claude Nicolet, op. cit., p. 497-501, p. 498 : « Le procès romain ne s’est jamais dépouillé du caractère du combat rituel et spectaculaire que toute litigation avait possédé depuis les origines : c’était, au sens propre, une action, c’est-à-dire un vaste spectacle qui, dans toutes ses phases, se prêtait admirablement à une gesticulation et une mise en scène, qui supposait par définition un public. »

[34Voir De Oratore, éd. citée, II, 333 : « Sed tamen suadere aliquid aut dissuadere grauissumae mihi personae uidetur esse. Nam et sapientis et consilium explicare suum de maximis rebus et honesti et diserti  » (« Cependant, conseiller ou déconseiller une mesure me paraît exiger que l’orateur soit une personne d’une importance considérable. C’est à l’homme sage, à l’homme de bien, à l’homme éloquent qu’il appartient d’exposer son avis sur les affaires les plus graves […]. »)

[35Ibid., II, 333 : « Atque haec in senatu minore apparatu agenda sunt ; sapiens enim est consilium multisque aliis dicendi reliquendus locus ; uitanda enim ingeni ostentationis suscipio. » (« Et ces discours doivent être menés avec moins de recherche au Sénat ; en effet, c’est une assemblée pleine de sagesse, et il faut laisser la parole à beaucoup d’autres, il faut même éviter de vouloir trop montrer son talent. »)

[36Ibid., II, 334.

[37Florence Dupont, op. cit., p. 8-11, et particulièrement p. 10 : « les statuts énonciatifs de la parole théâtrale, ludique, et de la parole éloquente, sérieuse, sont à Rome rigoureusement disjoints, dans l’espace et dans les mœurs. »

[38Pro Sestio, traduction de Jean Cousin, Paris, Les Belles Lettres, « Collection des Universités de France », 1981, paragraphes 120 à 123. Cicéron raconte comment le tragédien Æsopus (son client), à partir d’un texte volontairement ambigu écrit par le poète Accius, évoque le retour d’exil possible de Cicéron et le fait applaudir par tout le théâtre. La relation de Cicéron est, elle, sans ambiguïté : « Sed tamen illud scripsit disertissimus poeta pro me egit fortissimus actor, non solum optumus, de me, cum omnis ordines demonstraret, senatum, equites Romanos, uniuersum populum Romanum accusaret. » (« C’est pour moi qu’écrivit le plus éloquent des poètes, c’est en pensant à moi que joua le plus brillant et le plus courageux des acteurs lorsque, montrant du geste toutes les classes, il accusait le Sénat, les chevaliers romains et le peuple tout entier »). Voir également sur ce point Claude Nicolet, op. cit., p. 481-494.

[39Pro Sestio, éd. citée, paragraphe 106.

[40Brutus, traduction de Jules Martha, Paris, Les Belles Lettres, 1960, paragraphe 184. Voir aussi paragraphe 200, même idée.

[41Cicéron se délecte de ce procédé en particulier dans le Pro Caelio (33-34 ; 36 ; 37-38). Sur ces deux procédés voir aussi Orator, 138.

[42De Oratore, éd. citée, II, 194, Antoine (traduction personnelle).

[43Ibid., III, 214, (traduction personnelle).

[44Ibid., II, 195.

[45Ibid., II, 196.

[46Ibid., II, 188. Voir aussi II, 190 ; 193.

[47Ibid., III, 5

[48Ibid., III, 4-7.

[49Ibid., III, 9-11.

[50Sauf indication contraire (traduction personnelle), la traduction est celle de la CUF.


Pour citer l'article:

Esther MARTIN, « Théorie et pratique du discours chez Cicéron : une dramaturgie du réel » in Dramaturgies du conseil et de la délibération, Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen en mars 2015, publiés par Xavier Bonnier et Ariane Ferry.
(c) Publications numériques du CÉRÉdI, "Actes de colloques et journées d'étude (ISSN 1775-4054)", n° 16, 2016.

URL: http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?theorie-et-pratique-du-discours.html

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