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Françoise LAURENT

Université Blaise-Pascal (Clermont-Ferrand 2)

La précocité de l’écriture hagiographique et l’identité normande : les vies de saints composées par Wace

L’auteur

Professeur à l’Université Blaise-Pascal (Clermont II), Françoise Laurent est spécialiste de la littérature anglo-normande des XIIe et XIIIe siècles dans le domaine de l’hagiographie et de l’historiographie. Elle a notamment publié : Plaire et édifier. Les récits hagiographiques composés en Angleterre aux XIIe et XIIIe siècles, Paris, Champion, 1998, et « Pour Dieu et pour le roi ». Rhétorique et idéologie dans l’Histoire des ducs de Normandie de Benoît de Sainte-Maure, Paris, Champion, coll. Essais sur le Moyen Âge, 2010.


Texte complet


 [1] Dans un article déjà ancien, Mary-Dominica Legge a attiré l’attention de la critique sur la richesse et la précocité de la littérature anglo-normande du XIIe siècle dont les vies de saints, selon elle, sont « une des gloires [2] ». L’efflorescence du genre hagiographique est remarquable en effet, et le phénomène n’a pas manqué de soulever des questions trop nombreuses pour être toutes abordées ici. Aussi m’en tiendrai-je à ce qui fait l’objet de ce colloque : le rôle joué par la Normandie dans la « fabrique » de ces vies de saints. Car, à y regarder de près, il est probable que ce soit aux auteurs normands que revienne le privilège de leur précocité [3]. Si l’on ne peut identifier avec certitude un certain Benedeit, auteur du Voyage de saint Brandan composé dans le premier quart du XIIe siècle, et qui, selon Brian Merrilees, pourrait être natif de Normandie ou de l’Ouest de la France [4], ni l’auteur anonyme de la Vie de saint Alexis qui est à l’évidence normande, trois œuvres hagiographiques, composées peut-être entre 1135 et 1155, sont dues à Wace issu, sans conteste, de Normandie. Sa vie est connue, on le sait, par les confidences qu’il livre dans le Roman de Rou, écrit sans doute à la demande d’Henri II. Il dit être né à Jersey et avoir étudié d’abord à Caen puis en France, sans doute à Paris, avant de revenir à Caen où il fut « clerc lisant [5] » :

En l’isle de Gersui fui nez,
a Chaem fui petiz portez,
iloques fui a letres mis,
pois fui longues en France apris,
quant jo de France repairai
a Chaem longues conversai [6]… (Roman de Rou, v. 5305-5310)

Il dit aussi avoir connu les règnes successifs de trois rois : Henri Ier, Henri II et Henri le Jeune, et devoir à son Roman de Rou (1170 ?) une prébende à Bayeux. Il ne manque pas enfin de dresser un bref bilan de sa production. De retour à Caen, écrit-il, « de romanz faire m’entremis, / mult en escris e mult en fis » (Roman de Rou, v. 5311-5312). Il est possible que ces « romanz », datant de l’époque où il vivait à Caen, soient les trois hagiographies qu’il a adaptées de sources latines bien identifiées. Sa Vie de sainte Marguerite, sa Conception Nostre-Dame et sa Vie de saint Nicolas, pour suivre l’ordre chronologique de leur composition [7], seraient dès lors à classer parmi les monuments de notre littérature vernaculaire, juste à la suite de la Vie de saint Léger, de la Vie de saint Alexis et du Voyage de saint Brandan.

Quand bien même les œuvres de Wace ne seraient pas aussi précoces que le prétendent leurs éditeurs, elles permettent de poser la question de la relation existant entre le genre dont elles relèvent et le milieu où elles ont vu le jour : la terre normande dont l’auteur se réclame et dont elles pourraient être, comme on le verra dans une première partie, l’émanation, mais aussi, plus largement, la culture normande qui excède, après la conquête de 1066, les limites géographiques continentales. En effet, en raison de la période considérée, « il ne faut pas oublier, comme le rappelle David Bates, la thèse centrale développée dans l’ouvrage et dans les articles du professeur Le Patourel : on ne peut pas étudier séparément l’histoire de la Normandie et celle de l’Angleterre [8] ». Il en est de même de leur littérature commune. Wace a composé ses œuvres hagiographiques à un moment où, dans l’histoire de la Normandie et de l’Angleterre, les liens ont été très étroits et les contacts permanents [9], même si vers 1130, pour reprendre une analyse de Ian Short, les Normands de Normandie avaient conscience d’une différence avec les Normands d’Angleterre [10]. Le récurrent « Jo sui Normanz s’ai a non Wace » pourrait en être d’ailleurs la preuve : Wace ne peut faire état de son origine normande que devant un public qui n’est pas de Normandie, mais qui, pourtant, parle la même langue que lui. Il faut donc compter avec la situation très particulière de la Normandie [11], et l’apparition précoce du genre hagiographique, comme nous voudrions le montrer dans une seconde partie, nous semble très précisément conditionnée par sa dimension anglo-normande et les facteurs linguistiques, sociaux et culturels de l’Angleterre d’après la conquête.

Des exercices de piété

Les textes de Wace ont joui d’une certaine faveur si l’on en juge d’après la tradition manuscrite. La Vie de sainte Marguerite, la plus ancienne et la plus brève – elle ne compte que 746 octosyllabes –, nous est parvenue par trois manuscrits ; la Vie de saint Nicolas, qui compte 1563 octosyllabes, par cinq ; quant à la Conception, longue de 1810 octosyllabes, son succès fut considérable car elle est conservée dans vingt-six manuscrits qui s’échelonnent du XIIIe au XVe siècle [12]. Illustrant le talent de Wace à prêter sa plume à des formes différentes, ils couvrent respectivement les trois sous-genres hagiographiques : la « passion de martyre » avec Sainte Marguerite, la biographie sainte et son supplément de miracles posthumes avec Saint Nicolas, et le « miracle » avec la Conception où le récit de la vie de la Vierge est précédé par le récit de l’aventure de l’abbé Helsin à partir duquel, on y reviendra, a été instituée la fête de sa Conception. Si l’on a pu déterminer quels sont les textes sources à partir desquels il a composé et que, dans le cas de la Vie de sainte Marguerite et de la Conception, il a compilés, on ignore en revanche quelles sont les circonstances qui ont présidé à l’écriture de ses « mises en romanz ». Seule la Vie de saint Nicolas fournit une information sur son commanditaire dont le nom est livré dans l’épilogue :

Ci falt le livre mestre Guace
Qu’il ad de seint Nicholas feit,
De latin en romanz estreit
A l’oes Robert le fiz Tiout
Qui seint Nicholas mult amout. (Saint Nicolas, v. 1546-1550)

Diverses hypothèses ont été avancées pour identifier le personnage, mais celle qui prévaut confirme le lien du texte avec la Normandie. Dans une note de son édition, Einar Ronsjö signale que « Tiout » serait issu du nom « Teoldi » qui se rencontre à l’époque dans plusieurs chartes [13]. Parmi les noms cités, il est fait mention dans deux chartes de la Sainte-Trinité de Caen d’une donation faite à l’abbaye par « Robertus filius Roberti Theoldi ». Ronsjö considère comme probable que le « Robert » de Wace soit le père du donateur et le commanditaire du Saint Nicolas, d’autant que, se fondant sur d’autres témoignages, il rappelle que ce « Tiout », appelé aussi « Banoise », était d’une des plus anciennes familles de Caen qui a même donné son nom à une rue de la ville. Qu’un riche Normand ait commandité une œuvre qui témoigne de sa dévotion à ce saint en particulier n’a rien de surprenant. Suivant Einar Ronsjö, même si « le culte de saint Nicolas était déjà bien établi dans l’Ouest de l’Europe depuis la première moitié du XIe siècle », « la vie et les miracles du saint patron des marins et des marchands furent connus en Normandie plus vite et mieux qu’ailleurs, grâce aux relations intimes qu’entretenaient les marchands normands avec leurs compatriotes établis dans le Sud de l’Italie depuis le début du XIe siècle [14] ». Les reliques du saint, dérobées dans son tombeau, furent transportées par des Normands à Bari, dans les Pouilles, qui, dès 1087, fut un lieu de pèlerinage célèbre. La Normandie devint ainsi le centre principal à partir duquel se répandit son culte en Europe occidentale où il atteignit son apogée au début du XIIe siècle. La Vie de saint Nicolas qui nous occupe est donc marquée par une totale présence de la Normandie : en une boucle parfaite, l’origine normande mise en avant par Wace dans son prologue – il est en outre le premier à composer une vie en langue française – trouve un écho, dans l’épilogue, avec la citation du dédicataire, sans doute un Normand, qui voue un culte à l’un des saints les plus réputés de Normandie.

Rien de tel pour les deux autres textes dont seule la destination laïque est signalée : Wace dit écrire pour ceux qui ne connaissent pas le latin dans le dessein affiché de susciter ou de nourrir une dévotion, et de créer des occasions de prière. Le lien avec la Normandie est lâche, si ce n’est que l’ampleur de la ferveur des Normands pour sainte Marguerite et la Vierge peut être informée par le nombre d’églises qui leur sont consacrées. Les recherches de J. Fournée portant sur 4334 églises montrent que Marie totalise près de la moitié des dédicaces paroissiales ; saint Nicolas appartient à un second groupe qui en compte un nombre quasi équivalent [15] ; quant à sainte Marguerite, de très nombreuses paroisses sont placées sous son patronage [16]. Suivant le même dessein, la Vie que Wace dédie à la sainte est écrite en vue de célébrer la gloire de Dieu à travers une de ses servantes dont le souvenir est perpétué par ce monumentum littéraire qu’est le texte qui rapporte son existence et ses vertus :

A l’onor Deu et a s’aie
Dirai d’une virge la vie
D’une damoise saintime
Qui s’amor ot vers Deu hautisme… (v. 1-4)

Parallèlement à cette pieuse vocation, les trois textes confirment la fonction des saints et de la Vierge dans la culture médiévale, où ils sont des intercesseurs entre Dieu et les hommes dont ils ont partagé l’humaine condition et à qui ils sont censés prêter secours dans les aléas de l’existence et lors du Jugement. Les prières qui leur sont respectivement adressées dans chacun des épilogues concourent à le confirmer [17]. Réduite dans Sainte Marguerite où Wace ne fait que susciter l’acquiescement de son auditoire : « Dites amen, signur baruns » (v. 741), l’action de grâce se déploie à la fin de la Conception en une longue prière collective :

Or creons dont communaument
Que toute est el ciel hautement,
Et deproions la glorieuse,
La sainte virge precieuse,
Si voirement con Diex l’ot chiere
Qu’ele oïe nostre proiere
Et nos face la joie avoir
Que onques œil ne pot veoir,
Ne bouche d’omme raconter,
N’oreille oïr ne cuer penser,
Que Diex nostre sire a promis
En paradis a ses amis ;
Et Diex parsoniers nos en face
Par sa pitié et par sa grace
Et por l’amor sainte Marie,
Amen, amen, chascun die. (v. 1795-1810)

Comme c’est aussi le cas à la fin du Saint Nicolas :

Depreom Deu, nostre Seignur,
Que pur cest seint et pur s’amur
Nus doint de nos peccez pardon
Et venir a confession
Que nus od Deu regner poissom
In secula seculorum.
Amen. Amen. (Saint Nicolas, v. 1557-1563)

Cette vocation édifiante participe essentiellement de l’écriture hagiographique où elle est inséparable de la nature d’un texte qui ne trouve pas en lui sa justification et sa finalité, mais qui a une destination pratique. Or ce pragmatisme religieux qui émane des vies de saints serait, selon Gaston Paris, un trait de caractère spécifique aux Normands. Dans La Littérature normande avant l’annexion (912-1204), discours qu’il prononça le 1er décembre 1898 lors de la séance publique de la Société des Antiquaires de Normandie, il souligne le peu d’intérêt des Normands pour la poésie lyrique et les contes merveilleux :

L’esprit normand a pu un moment, comme Wace, prêter l’oreille aux contes prestigieux venus de Bretagne ; mais il n’a pas tardé à s’apercevoir que tout cela n’était que « folie », et ayant découvert que la vertu merveilleuse de la fontaine de Brocéliande était une pure fable, il a laissé d’autres s’y abreuver et s’y enivrer [18].

Pour lui, les deux genres adaptés au génie normand qui, je cite, « n’a rien de langoureux, pas plus qu’il n’a rien de chimérique, rien de mystique ou de romanesque », sont les genres religieux et didactiques, en raison du goût que les Normands éprouvent à s’instruire et, surtout, de leur dévotion, « non pas, précise-t-il, une dévotion exaltée et mystique, mais une dévotion, profonde, sincère et riche en œuvres [19] ».

Cette dévotion qui relèverait, selon G. Paris, d’une ferveur datant d’avant l’invasion danoise, les ducs normands, Rollon et sa descendance, l’ont faite leur, voire n’ont pas manqué de la « fabriquer » pour servir leur ambitions politiques. Avec son De moribus et actis primorum normanorum ducum écrit à la demande du duc Richard Ier, Dudon de Saint-Quentin est le premier à forger une image chrétienne de la Normandie qui, avec le chef danois Rollon, va rencontrer son destin mémorable. Soumettant l’histoire du personnage à une vision eschatologique, Dudon reconstruit le passé en faisant entrer le temps décousu, incohérent et violent des invasions danoises dans la temporalité ordonnée et orientée de l’histoire sainte [20]. Exilé avec ses hommes du Danemark déshérité et surpeuplé, Rollon est guidé, par-delà les tempêtes et les combats, par des songes et des visions vers un lieu qui lui est destiné de toute éternité, cette Neustrie, rebaptisée Normandie. C’est là où fera souche l’arbre généalogique normand dont la fama, pour reprendre le terme que Michel Sot applique aux Gesta abbatum et aux Gesta episcoporum [21], dépasse les hasards de l’histoire pour dévider, à partir de l’ancêtre fondateur, la chaîne d’une lignée qui aura à cœur de défendre les intérêts de l’Église et de faire des hauts lieux du pouvoir politique des sanctuaires dynastiques. Ainsi de Fécamp « toute resplendissante des reliques des saints qui ont brillé par leurs mérites », honorée de la sainteté du duc Richard qui y fut baptisé et inhumé et dont la sépulture, comme celle de saint Léger et de sainte Hildemarca, figures illustres qui contribuèrent à la célébrité de la ville, fait d’elle « une terre consacrée », garantissant « l’élévation » et le « salut » du lieu. Dans ces lieux saints, gages de l’identité et de la singularité normandes, s’origine la Normandie tout entière. Avec les églises qui s’érigent, avec ses villes reliquaires, le paysage est partie prenante d’une histoire généalogique qui vient s’enter sur le terreau normand, source d’une mémoire et souche d’une lignée.

Après la conquête, selon John Vising, cette empreinte normande, faite de sérieux et de piété, aurait pénétré la mentalité et les aspirations anglaises, au point d’être à l’origine de l’efflorescence et de la précocité du genre hagiographique anglo-normand au XIIe siècle [22]. Appliquée aux œuvres de Wace, cette hypothèse rencontre toutefois des oppositions majeures. Le choix des saints dont notre auteur rapporte la vie en est une. Même si, comme le signale François Neveux, « les Normands ont rendu un culte à de nombreux saints traditionnellement honorés dans le reste de la France, voire dans l’ensemble de la chrétienté [23] », il existait une longue et riche tradition hagiographique en Neustrie et en Normandie qui aurait pu nourrir l’inspiration de Wace et le sentiment identitaire normand : des « vies d’évêques, écrit Pierre Bouet, comme celle de saint Vigor ou de saint Ouen, vies d’abbés, comme celle de saint Wandrille ou de saint Philibert [24] ». D’autre part, la dévotion à sainte Marguerite et à la Vierge n’est pas exclusivement normande. Le culte de la sainte est bien attesté en Angleterre où il fut introduit au VIIe siècle déjà, et où, dès l’an mil, on écrivit une version de sa légende en langue vulgaire qui fut traduite deux fois en anglo-saxon dès la première moitié du XIIe siècle. Quant à la Vierge, comme l’a montré Denis Hüe à partir de calendriers liturgiques d’avant 1060, « cette dévotion est particulièrement bien attestée au cours du Xe siècle » en Angleterre où elle trouve sans doute, écrit-il, son origine « dans les contacts assidus qui ont existé entre les cathédrales anglaises et les monastères orientaux », principalement ce haut lieu de la spiritualité que fut la Laura de San Saba situé près de Jérusalem [25]. La Conception est donc une réalité anglaise avant de devenir cette fameuse « fête aux Normands ». Plus exactement, il faut attendre la conquête pour que le culte s’étende à la Normandie, et, avec elle, le texte fondateur de la dévotion mariale [26]. Il s’agit du Sermo de Conceptione Beatae Mariae, composé par un ecclésiastique d’origine anglaise, Eadmer, élève d’Anselme de Canterbury, à qui il est attribué. C’est là qu’est raconté l’épisode fameux, repris par Wace, de l’aventure d’un abbé de Ramsey, Helsin qui, vers 1070, aurait été envoyé comme légat auprès des Danois par Guillaume le Conquérant afin de se concilier leur appui. De retour vers l’Angleterre, son ambassade faite, Helsin aurait essuyé une très violente tempête dont il n’aurait réchappé que grâce à l’intervention d’une créature surnaturelle qui lui aurait accordé le salut en lui faisant promettre de célébrer la fête de la Conception de la Vierge, le 8 décembre. Des différents miracles rapportés par Eadmer dans son Sermo pour étayer la dévotion conceptionniste, Wace n’a conservé que celui-ci, sans doute parce qu’il se cristallise autour de la figure du duc roi Guillaume, et Denis Hüe voit dans son choix un projet politique, celui de sceller l’unité anglo-normande, but auquel concourraient aussi les deux autres hagiographies :

[L’œuvre hagiographique de Wace] se situe très clairement dans une situation de diffusion, de l’Angleterre vers la Normandie (pour la Conception et Sainte Marguerite), ou pour Nicolas, de la Normandie vers l’Angleterre, des dévotions qui, à un titre ou à un autre, font sens de part et d’autre de la Manche [27].

Quand bien même on ne suivrait pas totalement Denis Hüe sur l’ambition concertée de Wace « de souder » par ses textes « une même nation de part et d’autre de la Manche », son analyse permet de saisir sa production hagiographique en dehors du seul cadre religieux et, surtout, de la mettre en relation avec la conquête normande, point, à mon sens, essentiel, en raison de la situation linguistique et culturelle que cet événement politique a créée et dont pourraient être tributaires l’éclosion et la précocité de l’hagiographie vernaculaire.

Production hagiographique et situation linguistique

La production hagiographique surgit en effet dans un cadre sociolinguistique particulier, dans le contexte mental, langagier et culturel d’une période qui s’étend globalement de 1066 à 1160 et dont il convient de résumer les données. Après 1066, les élites anglo-saxonnes cèdent la place à une dizaine de milliers d’envahisseurs normands qui s’installent dans un pays peuplé, lui, de près d’un million et demi d’habitants. L’Angleterre fut dès lors dominée par « les Normands et un petit nombre de seigneurs français qui s’étaient joints à eux [28] ». Mais il est illusoire de penser que les envahisseurs ont été assimilés facilement et rapidement et que la population indigène s’est mise soudain, comme par magie, à parler leur langue. La question de l’identité dans l’Angleterre normande est complexe et le panorama linguistique qui suit la conquête particulièrement riche et contrasté. Durant la période qui nous occupe, la société est caractérisée par son plurilinguisme. Si la cour et les grands seigneurs laïques et ecclésiastiques parlent l’anglo-normand, langue maternelle de leurs souverains, pour la petite noblesse, la politique de mariages menée par Henri Ier entre les chevaliers venus de Normandie ou de France avec des femmes anglo-saxonnes a pour effet de faire du français originel une langue seconde, au point, écrit Serge Lusignan, que l’anglais aurait commencé à « remplac[er] le français à titre de langue maternelle des nobles durant la seconde moitié du XIIe siècle [29] ». Deux autres langues contribuent à accuser la complexité linguistique nationale : le latin, langue des clercs et de l’Église, et l’ancien anglais dont les moines bénédictins maintiennent le souvenir en conservant dans leurs bibliothèques les témoins d’une production littéraire ancienne, due, selon Serge Lusignan, à la politique de traductions vernaculaires d’œuvres savantes latines [30] dont le roi Alfred fut l’instigateur, et parmi lesquelles figurent de nombreux textes didactiques, des sermons et des vies de saints.

Quatre langues se partagent donc la société anglo-normande, sans y avoir la même fonction ni le même champ d’application. Le latin est la langue des clercs, le vieil anglais est devenue une langue morte, et l’anglais parlé s’il est le plus répandu ne concurrence pas le français qui, auréolé du prestige de la cour, demeure la langue de l’aristocratie et des fonctionnaires ecclésiastiques, en un mot des élites anglo-normandes. C’est elles qui lui donnent son statut de langue de culture, dont les hagiographies de Wace pourraient être, avec le Voyage de saint Brandan et le Bestiaire de Philippe de Thaon, les témoins, et c’est le français écrit, le parler normand, qui contribue à forger leur identité.

La production vernaculaire est, à mon sens, la conséquence de cette situation linguistique, et il est éclairant pour comprendre cette interaction de poser la question de son émergence dans une perspective sociolinguistique, en particulier en inscrivant son analyse dans le sillage des travaux de Michel Banniard. À travers la sociolinguistique diachronique, ce linguiste, qui s’est consacré à la genèse et à l’histoire des langues romanes depuis leurs origines latines jusqu’au Moyen Âge, a mis en évidence en effet les liens entre la construction langagière et les interactions identitaires en s’appuyant sur la situation linguistique de l’Austrasie [31]. Dans cette région située à l’est de la Gaule et qui comprend la rive gauche et une partie de l’est du Rhin, la Moselle, la Meuse et l’Escaut, l’élévation de la parole germanique au rang de langue littéraire s’est faite, selon Michel Banniard, grâce au travail d’intellectuels germanophones au service des élites de l’Est. Sa promotion a eu pour conséquence de susciter, suivant des causalités diverses où l’imitation le dispute à la rivalité, le désir d’un développement identique pour la langue romane, exclue jusque-là de toute démarche de production. Les premiers monuments littéraires des IXe-Xe siècles ont répondu à cette demande en consacrant le français, non pas en tant que langue du peuple, mais en tant que langue de l’élite. « C’est, écrit-il, sur cet espace qu’émergent les premiers textes romans et germaniques, et également là que sont faits les premiers efforts pour promouvoir les langues naturelles au rang de langue littéraire [32] ».

La situation est assez comparable en territoire anglo-normand, berceau linguistique des premiers textes de notre littérature, où, comme pour l’Austrasie, le plurilinguisme a servi l’essor de la langue des envahisseurs au détriment du vieil anglais écrit et du latin qu’elle va supplanter comme langue de culture des laïcs, et face à la langue anglaise réduite plus ou moins à l’usage parlé. L’ascension des élites anglo-normandes en quête de leur propre légitimité historique et de leur nouvelle identité a permis de créer un espace littéraire non latin [33]. Il s’agissait pour elles de se doter d’une littérature dans leur propre langue, ou pour reprendre les termes de Michel Banniard, « de faire accéder leur parole naturelle au rang de langue littéraire [34] ». Cette émergence n’a pu se faire qu’avec la complicité des clercs qui ont mis leur savoir et leur pratique au service des élites, clercs normands qui ont sans doute aussi bénéficié des structures culturelles mises en place antérieurement en Angleterre depuis plusieurs siècles. Certes, l’homogénéité du niveau langagier de ceux qui parlaient français n’était sans doute pas réalisée [35], mais le contact avec l’écrit favorisait le maintien d’un niveau linguistique correct et « pendant le siècle qui suivit la conquête, écrit Brian Merrilees, le français insulaire, au moins sous sa forme écrite, ne différait guère de ses sources continentales [36] ».

D’autre part, comme en Austrasie encore, la porosité des liens et les influences réciproques ont certainement joué un rôle important dans la naissance, ou du moins l’essor, du genre hagiographique. Il existait, on l’a dit, de longue date en Angleterre une littérature en ancien anglais qui a pu avoir une incidence sur le choix opéré par Wace qui, en composant sa Vie de sainte Marguerite et la Conception, entrait en concurrence avec les versions écrites en vieil anglais traitant des mêmes sujets. Un facteur d’émulation entre les deux langues, voire entre les trois langues si l’on tient compte des versions en latin, a donc pu jouer un rôle dans la quête identitaire des élites anglo-normandes dont nos textes pourraient se faire les témoins. Enfin, pour avancer une dernière hypothèse, leur composition qui pouvait répondre à des demandes précises ou à des situations concrètes en relation avec le patronage ou le désir d’exprimer une piété individuelle ou collective, présente l’avantage de traiter de sujets convenant aux exigences d’une population et d’une culture « mixtes ». Judith Green a montré que les élites ecclésiastiques et les membres de l’aristocratie anglo-normande, afin de « pourvoir aux besoins spirituels de leurs foyers », ont préféré aux saints anglo-saxons qui leur étaient souvent inconnus ou qui ne suscitaient pas leur intérêt [37], « des cultes récents, comme ceux de saint Nicolas ou de sainte Marie-Madeleine, ou plus encore de la Sainte Vierge [38] ». Dans le deuxième quart du XIIe siècle, le choix semble s’être porté sur des figures universelles de saints, celles qui, précisément, poursuit Judith Green, « fournissaient un important point de rencontre potentiel entre dirigeants et dirigés, puisqu’elle[s] allai[en]t au-delà des barrières sociales et raciales », et, n’étant pas créateurs de tensions culturelles, contribuaient à forger des liens entre les communautés normandes et anglaises [39]. On voit que cette hypothèse aboutit, mais par un autre biais, au même résultat que l’analyse de Denis Hüe sur la fonction politique des textes hagiographiques de Wace. Le genre qu’il contribue à faire naître est un compromis entre le champ social et celui de la parole, une forme de collaboration culturelle entre des forces qui se rencontrent, forme apte à accueillir un vaste mouvement d’ordre géolinguistique.

Ajoutons pour conclure que le choix des deux saints et de la Vierge convient parfaitement à une aire géographique, politique et culturelle à cheval sur la mer, comme l’est le royaume anglo-normand, et que ces figures jouent pleinement leur rôle d’intercesseurs entre deux univers. Marguerite que Guillaume le Conquérant, selon Orderic Vital [40], invoqua lors d’une tempête en mer, comme saint Nicolas, patron des marins, comme la Vierge, Stella maris dont l’intercession sauva de la noyade Helsin, ont partie liée en effet avec le monde maritime et la navigation, c’est-à-dire avec un univers familier aux Normands vivant de chaque côté de la Manche, ceux qui, comme les appelle Wace, « vont par mer » :

Seignurs, vus qui alez par mer,
De cest baron oëz parler
Qui par tut est tant socurable
Et qui en mer est tant aidable. (v. 227-230)

Fierté du clerc et du Normand

Que la Normandie ait grandement contribué au développement de la littérature anglo-normande du XIIe siècle, la création hagiographique en apporte la preuve. Et peut-être Wace était-il lui-même conscient du rôle joué par les Normands dans sa production ? La tentation est grande d’interpréter dans ce sens la présence récurrente du « Jo sui Normanz s’ai a non Wace » qui émaille chacune de ses œuvres. Or, c’est dans le prologue de la Vie de saint Nicolas, saint « normand » par excellence, que la revendication de son identité normande est le plus affichée et où son poids est d’autant plus fort qu’elle se conjugue avec la valorisation du statut clérical sur lequel il s’attarde singulièrement :

A ces qui n’unt lectres aprises
Ne lur ententes n’i ont mises,
Deivent li clerc mustrer la lei,
Parler des seinz, dire pur quei
Chesconë feste est controvee,
Chesconë a sun jur gardee.
Chescon ne poet pas tut saver
Ne tut oïr ne tut veer.
Li un sunt lai, li un lectré,
Li un fol et li un senee,
Li un petit et li un grant,
Li un povre, li un manant.
Si done Deus diversement
Divers dons a diverse gent.
Chescon deit mustrer sa bonté
De ceo que Deus lui ad doné.
Li chevaler et li burgeis
Et li vilein et li corteis
Deivent en Deu aver fiance
Et honurer de lur substance.
Bonement deivent esculter
Quant il oient de Deu parler.
Qui mels set mels deit enseigner
Et qui plus poet plus deit aider.
Qui plus est fort plus deit porter
Et qui plus ad plus deit doner.
Chescon deit mustrer son saver
Et sa bonté et son poer
Et Deu servir, son creatur,
Et as barons sainz pur s’amur.
Qui ben l’aimë et ben le sert
Bon gueredon de lui dester.
Petit pendra qui sert petit,
Si cum l’escristure le dit.
Jo sui Normanz s’ai a non Guace.
Dit m’est et rové que jo face
De seint Nicholas en romanz,
Qui fist miracles bels et granz.
En romanz dirrai de sa vie
Et des miracles granz partie.
En romanz voil dire un petit
De ceo que nus le latin dit,
Que li lai le puissent apprendre,
Qui ne poënt latin entendre. (v. 1-44)

La référence à la communauté des clercs cache mal l’orgueil d’un écrivain qui creuse d’emblée l’écart entre les illettrés et les dépositaires et garants de ce qu’il nomme la « loi ». Ce terme qui pourrait désigner l’ensemble des règles auxquelles un chrétien doit obéir accrédite l’autorité souveraine du dogme et légitime la supériorité de ceux qui en sont les représentants et les détenteurs. Leur pouvoir repose sur le savoir qui les autorise à prendre la parole et la plume ; ils ont un rôle d’enseignants et d’initiateurs, capables d’expliquer les raisons du culte des saints – tel est bien le cas aussi pour la Conception – et le rituel propre à leur célébration : « Chesconë feste est controvee,/ Chesconë a sun jur gardee ». Le verbe « controver » qui suggère toujours l’idée d’une trouvaille, d’une invention, et qui s’applique ici à la fête des saints, renvoie autant à la date du calendrier chrétien qui commémore la mort du héros de la foi, qu’à la création poétique qui la célèbre. Par ce seul verbe, Wace rend hommage aux lettrés qui savent et complète son propre éloge dans les vers suivants. Alors que le sujet du récit aurait pu être habilement introduit sur la mention de la fête des saints, le texte fait retour sur l’opposition entre « lai » et « lectré » et la met sur le même plan que des réalités d’ordre divers pour fonder en principe la supériorité des clercs sur les autres hommes, en faire une évidence aussi flagrante que le sont les différences de taille, de richesse ou de sagesse. Fierté du clerc qui, à l’instar des saints dont il rapporte la vie et les miracles, se fait à la fois le passeur de leurs vertus et le transmetteur d’un savoir qui, sans lui, resterait lettre morte. Fierté de Wace qui clôt l’énumération des qualités cléricales de ses pairs sur le rappel de son origine normande, citée comme valeur ajoutée. Fierté donc d’être Normand, et par là, d’appartenir à une élite politique et intellectuelle.

Sans doute est-elle justifiée. L’art de Wace se manifeste en effet dans sa gestion de la matière narrative héritée et dans les suppléments qu’il y apporte, qu’il s’agisse de gloses explicatives et didactiques, ou de descriptions. Je ne prendrai, en guise de conclusion, qu’un exemple : la description de la tempête en mer, motif présent dans le miracle qui introduit la Conception et dans la Vie de saint Nicolas. Une comparaison avec les textes sources montre que la version vernaculaire a beaucoup développé ce qui était tout juste esquissé en latin. Si Wace a pu s’inspirer des tempêtes types de l’Antiquité latine, telles qu’elles apparaissent chez Virgile, par exemple, l’ampleur donnée au motif pourrait trahir aussi l’expérience d’un familier des traversées entre l’Angleterre et la Normandie, d’un Normand lui aussi à cheval sur deux terres. Si la description de la tempête relèvera de ce que Joël Grisward nomme « un fonds commun littéraire » [41], c’est Wace qui lui a donné forme, c’est lui qui est à l’origine d’un des topoi les plus exploités de la littérature, d’inspiration religieuse ou profane, et que le critique présente comme spécifiquement anglo-normand. Wace a contribué ainsi à doter l’écriture en langue française d’un motif qui appartient en propre à cet espace anglo-normand dont il est originaire, et qui se donnerait à lire comme l’expression et l’illustration d’une sorte de génie des lieux. Mais le plus important reste son désir de mettre des textes latins à la portée des non-lettrés. Cette démocratisation de la culture est une des grandes réussites culturelles de l’espace anglo-normand, et fait partie intégrante, à son tour, de la fameuse Renaissance du XIIe siècle.

Notes

[1Les citations des textes renvoient aux éditions suivantes : Wace, La vie de sainte Marguerite. Édition, avec introduction et glossaire par Hans-Erich Keller, commentaire des enluminures du ms. Troyes 1905 par Margaret Alison Stones, Tübingen, Niemeyer, (Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie, 229), 1990 ; The Conception Nostre Dame of Wace, éd. W. R. Ashford, University of Chicago, 1933 ; La vie de saint Nicolas par Wace, poème religieux du XIIe siècle, publié par tous les manuscrits par Einar Ronsjö, Lund, Études romanes de Lund, 5, 1942. Je remercie Monsieur le Professeur Ian Short d’avoir eu l’obligeance de relire cet article et d’avoir eu la générosité d’en enrichir la bibliographie.

[2Mary-Dominica Legge, « La précocité de la littérature anglo-normande », Cahiers de Civilisation Médiévale Xe-XIIe siècle, VIIIe année, 1965. n° 3-4, Juillet-Décembre 1965, p. 327-349.

[3Si l’on ne considère que le genre hagiographique, car l’Estoire des Engleis de Geffrei Gaimar, le plus ancien texte historiographique composé en français, est antérieur aux vies de saints. Voir l’édition et la traduction de Ian Short, Geffrei Gaimar, Estoire des Engleis, Oxford, Oxford University Press, 2009.

[4Benedeit, Le Voyage de saint-Brandan, Texte et traduction de Ian Short, avec une introduction et des notes de Brian Merrilees, Paris, 10/18, « Bibliothèque médiévale », nouv. éd. bilingue, « Champion Classiques », Moyen Âge 19, Paris, Champion, 2006.

[5Pour une mise au point sur la vie de Wace et une analyse de ses trois textes hagiographiques (tradition manuscrite, identification des sources, comparaison des versions vernaculaires et des textes latins, étude du style), voir le livre de Françoise H. M. Le Saux, A Companion to Wace, D. S. Brewer, Cambridge, 2005, p. 1-80. Voir aussi Jean Blacker, Wace. A critical biography, Saint Hélier, Société jersiaise, 2008, et Gioia Paradisi, Le Passioni della storia : scrittura e memoria nell’opera di Wace, Rome, Bagatto Libri, 2002.

[6Les citations renvoient à Wace, Roman de Rou, éd. Antony J. Holden, Paris, Société des anciens textes français, t. 1, 1970, t. 2, 1971, t. 3, 1973. Réédition avec introduction et traduction anglaise par Glyn S. Burgess et Elisabeth M. C. van Houts, Woodbridge, Boydell, 2004.

[7Les éditeurs se sont fondés pour ce faire sur des considérations d’ordre stylistique et surtout sur la manière dont Wace se désigne dans les prologues ou les épilogues de ses trois textes. Voir Hans Erich Keller, « Quelques réflexions sur la poésie hagiographique en ancien français : à propos de deux nouveaux manuscrits de la Conception Nostre Dame de Wace », Vox Romanica 34, 1975, p. 94-123.

[8David Bates, « Introduction. La Normandie et l’Angleterre de 900 à 1204 », La Normandie et l’Angleterre au Moyen Âge, Actes publiés sous la direction de Pierre Bouet et Véronique Gazeau, Colloque de Cerisy-la-Salle (4-7 octobre 2001), Caen, Publications du CRAHM, 2003, p. 9-20, ici p. 9.

[9« Pour John Le Patourel, écrit David Bates, l’année 1144 a marqué la fin de l’Empire normand, parce qu’après cette date l’histoire conjointe de la Normandie et de l’Angleterre doit être analysée dans le contexte plus large de l’‘Angevin Empire’. Il a eu raison, mais je suggérerais provisoirement qu’il y a aussi des continuités très importantes pendant toute la période de 1066 à 1204 dont il faut tenir compte » (art. cit., p. 19).

[10Ian Short, « Tam Angli quam Franci : Self-Definition in Anglo-Norman England », Anglo-Norman Studies, t. XVIII, 1996, p. 153-175. Cette référence est citée par David Bates, art. cit., p. 16, note 39.

[11Bien plus, elle fournit souvent le premier exemple d’un genre qui ne se développera que plusieurs décennies après en France.

[12Huit sont complets, dix-huit lacunaires. Sur la tradition manuscrite de Wace, voir J. Blacker, Wace. A Critical Bibliography, op. cit., p. 2-5.

[13Voir Einar Ronsjö, op. cit., p. 193-194.

[14Ibid., p. 9-10.

[15Cité par Véronique Gazeau « Les saints dans la vallée de la Risle aux XIe-XIIe siècles », Les Saints dans la Normandie médiévale, sous la direction de Pierre Bouet et François Neveux, Colloque de Cerisy-La-Salle (26-29 septembre 1996), Caen, Presses universitaires de Caen, 2000, p. 135-149.

[16Voir Hippolyte Gancel, Les Saints qui guérissent en Normandie, tome 2, Éditions Ouest-France, 2003, p. 125.

[17Parallèlement à la prière finale, un acte de foi s’élève dans la dernière partie de la Conception à propos de l’Assomption de la Vierge :
Si l’en me demande que je croi,
Le cors si est el ciel par soi
Et l’ame par soi ensement,
De ce repondrai je briement :
Je croi qu’ele est resuscitee,
En vie et mieux c’ainçois formee.
C’est pour Wace l’occasion de rappeler les points de la foi : la survie de l’âme et de la chair après la mort, confirmée par la résurrection de Jésus et la libération des âmes des sages aux Enfers, et par les miracles que Dieu réalisa en faveur de Jonas et des enfants mis dans la fournaise, exemples récurrents des prières du plus grand péril dans les chansons de geste.

[18Gaston Paris, La Littérature normande avant l’annexion (912-1204), Discours lu à la Séance publique de la Société des Antiquaires de Normandie le 1er décembre 1898, Paris, Librairie Émile Bouillon Éditeur, 1899, p. 3-57, ici p. 17.

[19Ibid., p. 31.

[20De moribus et actis primorum Normanniæ ducum auctore Dudone sancti Quintini decano, nouvelle édition publiée par Jules Lair, Caen, 1865 (Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, 23), p. 168. Sur Dudon, voir Henri Prentout, Étude critique sur Dudon de Saint-Quentin et son histoire des premiers ducs normands, Paris, Picard, 1916 ; et E. Searles, « Fact and Pattern in Heroic History : Dudon of St Quentin », Viator XV, 1984, p. 119-137. Henri Prentout refuse à Dudon le titre d’historien.

[21Michel Sot, Gesta episcoporum, gesta abbatum (Typologie des sources du Moyen Âge occidental), Turnhout, 1981, p. 15.

[22John Vising, Anglo-Norman Language and Literature, London, Oxford University Press, 1923, en particulier les pages 42-44 et 53-56.

[23François Neveux, « Les saints dans la civilisation médiévale », Les saints dans la Normandie médiévale, op. cit., p. 21.

[24Pierre Bouet, « Les sources hagiographiques ; nature et méthodes d’analyse », Les Saints dans la Normandie médiévale, op. cit., p. 14.

[25Denis Hüe, « Guillaume le Conquérant et la Vierge », Guillaume le Conquérant face aux défis, dans Huguette Legros (dir.), Actes du colloque de Dives-sur-Mer des 17 et 18 septembre 2005 organisé par Claude Letellier, Orléans, Paradigme, 2008, p. 71.

[26Sur l’apport de Wace au culte marial, voir Françoise Le Saulx, « La Conception Nostre Dame de Wace : œuvre de propagande ? », Marie et la « Fête aux Normands ». Dévotion, images, poésie, Françoise Thelamon (dir.), Préface d’André Vauchez, Rouen, Publication des universités de Rouen et du Havre, 2011, p. 99-106.

[27Denis Hüe, « Guillaume le Conquérant et la Vierge », art. cit., p. 80.

[28Serge Lusignan, Le Langage des rois au Moyen Âge. Le français en France et en Angleterre, Paris, PUF, 2004, p. 159.

[29Ibid. p. 160. Voir aussi I. Short, « Anglice loqui nesciunt : monoglots in Anglo-Norman England », Cultura Neolatina 69 (2009), p. 245-262.

[30Serge Lusignan, op. cit., p. 162.

[31Michel Banniard, « Latinophones, romanophones, germanophones : interactions identitaires et construction langagière (VIIIe-Xe siècle) », Médiévales 45, automne 2009 (en ligne sur http://medievales.revues.org/pdf/753.) Voir aussi du même auteur, « Du latin des illettrés au roman des lettrés. La question des niveaux de langue en France (VIIIe-XIIe siècle », Entre Babel et Pentecôte, Colloque, Calenda, publié le mardi 24 octobre 2006, http://calenda.revues.org/nouvelle7521.html

[32Michel Banniard, « Latinophones, romanophones, germanophones : interactions identitaires et construction langagière (VIIIe-Xe siècle) », art. cit., p. 3 dans http://medievales.revues.org/pdf/753.

[33« Les milites, écrit Katherine Keats-Rohan, n’étaient nullement des gens dépourvus d’instruction et, formés à l’art du combat, même s’ils ne possédaient pas de fortune, ils étaient toujours en premier lieu, membres d’une militia, c’est-à-dire d’une noblesse qui a exercé des positions administratives sous des dirigeants locaux, qu’il s’agisse des châtelains, des vicomtes, des comtes, des ducs ou des rois. Jusqu’au Xe siècle compris, toute la noblesse, destinée spécifiquement à des carrières laïques ou ecclésiastiques, recevait une éducation commune de type classique jusqu’à un haut degré (voir Karl Ferdinand Werner, La Naissance de la noblesse, Paris, 1998). Dans le courant du XIe siècle, le savoir s’est progressivement cantonné aux nouvelles élites ecclésiastiques, mais l’éducation secondaire, au moins, est restée la norme pour toute la noblesse. » (Katherine Keats-Rohan, « Le rôle des élites dans la colonisation de l’Angleterre », La Normandie et l’Angleterre au Moyen Âge, Actes publiés sous la direction de Pierre Bouet et Véronique Gazeau, Colloque de Cerisy-La-Salle (4-7 octobre 2001), Caen Publications du CRAHM, 2003, p. 43).

[34Michel Banniard, art. cit., p. 3. Voir aussi I. Short, « Verbatim et literatim : oral and written French in 12th century », Vox Romanica 68, 2009, p. 156-168.

[35Pour David Trotter qui conteste l’habituelle dépréciation dont est victime le français parlé en Angleterre : « Si l’anglo-normand continuait à être la langue de prestige de la noblesse anglaise, c’est non seulement parce qu’elle était la langue de leurs ancessurs dans laquelle on célébrait leurs faiz et leurs dis, mais parce qu’elle était la deuxième grande langue de l’Europe occidentale qui concurrençait le latin comme langue de culture mais également comme langue diplomatique, politique et commerciale. » C’est ce qu’elle deviendra au XIIIe siècle. « Il est certain, poursuit Trotter, que, longtemps après son introduction en Angleterre, l’anglo-normand continue à être influencé par les dialectes continentaux, picards, normands, de l’ouest […], cela prouve déjà que l’anglo-normand n’était nullement ‘coupé de ses racines métropolitaines’ » (comme l’écrit Juliette Dor qu’il cite). S’inspirant des travaux de t. de Jong, il relève qu’encore « au XIIIe siècle, c’est avec la Normandie que les parallèles sont les plus importants, la Picardie exerce moins d’influence qu’on ne l’a cru, et Paris, plus dominant au XIVe siècle, ne joue pas un rôle très important au XIIIe ». (D. Trotter, « L’anglo-normand : variété insulaire ou variété isolée ? », Médiévales, Langues, Textes, Histoire, 45, automne 2003, p. 43-54).

[36Brian Merrilees, Le Voyage de saint Brandan, Introduction et notes, éd. cit., p. 18 ; voir surtout Ian Short, Manuel of Anglo-Norman, London, Anglo-Norman Text Society, 2007, introduction p. 11-35.

[37Selon David Bates, « des études récentes des chartes et du culte des saints, par exemple, ont réduit au minimum l’influence anglaise en Normandie », David Bates, « La Normandie et l’Angleterre de 900 à 1204 », art. cit., p. 17, note 48.

[38Judith Green, « La politique de la sainteté en Angleterre sous les rois normands », Les Saints dans la Normandie médiévale, op. cit., p. 269-284, ici, p. 278. Voir aussi : S. J. Ridyard, « Condigna veneratio : post-Conquest attitudes to the saints of the Anglo-Saxons », Anglo-Norman Studies 9, 1986, p. 179-206, et du même auteur, The Royal Saints of Anglo-Saxon England, Cambridge, 1988 ; D. Townsend, « Anglo-Norman hagiography and the Norman Transition », Exemplaria 3, 1991, p. 385-433 ; P. A. Hayward, « Translation narratives in post-Conquest hagiography », Anglo-Norman Studies 21, 1999, p. 67-93 ; S. Yarrow, Saints and their communities : miracle stories in 12th-century England, Oxford, 2006.

[39« Les évêques et abbés normands, en se faisant les avocats des mérites des saints anglais, pouvaient forger des liens avec leurs communautés, largement composées, dans les premières années, de moines anglais. Les saints pouvaient exercer leurs pouvoirs thérapeutiques ou admonester indifféremment riches et pauvres, Normands et Anglais. » (Judith Green, art. cit., p. 281).

[40Exemple cité par Einar Ronsjö, op. cit., p. 10.

[41Joël Grisward, « À propos du thème descriptif de la tempête chez Wace et chez Thomas d’Angleterre », Mélanges Jean Frappier, Genève, Droz, 1970, p. 388-389. Sur l’historique du topos de la tempête en mer, voir aussi Danièle James-Raoul, « L’écriture de la tempête en mer dans la littérature de fiction, de pèlerinage et de voyage », Mondes marins du Moyen Âge, études réunies par Chantal Connochie-Bourgne, Actes du 30e colloque du CUER MA 3, 4 et 5 mars 2005, Senefiance n° 52, PUP, 2006, p. 217-229.


Pour citer l'article:

Françoise LAURENT, « La précocité de l’écriture hagiographique et l’identité normande : les vies de saints composées par Wace » in La Fabrique de la Normandie, Actes du colloque international organisé à l’Université de Rouen en décembre 2011, publiés par Michèle Guéret-Laferté et Nicolas Lenoir (CÉRÉdI).
(c) Publications numériques du CÉRÉdI, "Actes de colloques et journées d'étude (ISSN 1775-4054)", n° 5, 2013.

URL: http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?la-precocite-de-l-ecriture.html

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