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Jean-Marie WINKLER

Université de Rouen - ERIAC

Œdipe comique ? Tragique et comique mêlés dans les parodies d’Œdipe Roi par les « comédiens italiens » du temps de Voltaire


Texte complet


Parler de comique et tragique mêlés en relation avec Œdipe Roi peut sembler, de prime abord, une aberration pure et simple. Comment un archétype tragique, porteur d’effroi tant par les crimes commis que par le châtiment sanglant du protagoniste – et le suicide de Jocaste, qu’il ne faut pas oublier – pourrait-il être source de comique ? Or, ces comédies existent bel et bien. La réception française distingue la notion de parodie de celle de satire (écrite « satyre [1] »). Il ne saurait être question ici de s’associer aux « Satyriques superficiels », ni de se moquer du tragique destin d’Œdipe. Parmi les principales parodies inspirées directement du mythe d’Œdipe dans ses dramatisations par Voltaire et Houdar de la Motte, on trouve les parodies du nouveau théâtre italien [2], représentées au théâtre de l’Hôtel de Bourgogne par les « comédiens italiens ordinaires du roi ». Le catalogue des parodies répertorie Œdipe travesti, parodie en vers de l’Œdipe de M. de Voltaire, par M. Dominique, (17 avril 1719) et Le chevalier errant, parodie en vers de l’Œdipe de M. de la Motte, par M. Le Grand, sous le nom de M. G***, (30 avril 1726).

Le transfert parodique use souvent du procédé de la localisation : la cité grecque antique est remplacée par un village plus ou moins provincial, les héros de la tragédie faisant place aux personnages habituels de la comédie. L’Œdipe travesti de M. Dominique [3] déplace l’action de la pièce de Voltaire dans le village du Bourget. Le transfert arbitraire de l’action dans un cadre paysan et profane va de pair avec une trivialisation des principaux personnages, dans des situations typiques du « théâtre de la foire [4] » ou de la « parade ». Ainsi, la parodie Œdipe travesti de M. Dominique représente-t-elle le couple royal Laïos-Jocaste sous les traits du couple paysan Pierrot-Colombine, renouant avec la tradition de la comédie. Le métier des deux époux anciennement royaux est marqué du même sceau du comique, puisque Colombine/Jocaste est gargotière, « hôtesse du Bourget ». Quant à Pierrot/ Laïos, le gargotier défunt, il ne trouve pas grâce aux yeux de son ancien rival Finebrette/Philoctète, noble [5] de naissance. Le passage de Thèbes au Bourget n’est pas sans conséquences pour le personnage du valeureux héros [6] qui a quitté la cité (i.e. le village) pour accomplir ses exploits guerriers. Mais ici, le combat aux côtés d’Hercule a été remplacé par les campagnes de Flandres [7]. Jocaste, transformée en Colombine, épouse de feu Pierrot (i.e. Laïos), chante les louanges de son ancien prétendant, dont les exploits auraient été chantés non par les dieux, mais par la Gazette [8]. Finebrette – dont le patronyme de « fine lame » est parlant – apparaît logiquement comme un Gascon vantard, aimant à enjoliver et à exagérer les hauts faits dont il se prétend l’auteur. On trouve dans la commedia dell’arte le personnage du « Capitano », à la fois militaire, séducteur et hâbleur qui peut avoir servi de modèle à Finebrette. Dans ce cas, le répertoire des « comédiens italiens » aurait sensiblement influencé la réception. Les compagnons d’armes de Finebrette semblent eux aussi davantage sortir d’un récit gascon [9] que des campagnes attiques : Alcide et Hercule sont devenus Joli-Cœur et La Ramée [10]. Le cadre des amours de jeunesse entre Philoctète et Jocaste prend, lui aussi, une allure bien campagnarde, tant par les lieux fréquentés que par le lexique utilisé, où « guinguette » rime avec « conter fleurette [11] ». Ce type de comique relève davantage du théâtre de la foire, dans la tradition de la commedia dell’arte chère aux « comédiens italiens » de l’Hôtel de Bourgogne. La configuration des amoureux (les « Innamorati ») y est en effet courante.

On objectera que cette trivialisation de l’intrigue ne touche que très indirectement le tragique. Or, si la pièce doit être perçue comme réécriture d’Œdipe Roi, il faut que les caractéristiques principales du tragique soient reprises : la peste pour Thèbes, le régicide, le parricide, l’inceste pour Œdipe [12]. Dans la parodie, ces motifs conservent une certaine dimension tragique liée à l’intertextualité, tout en y associant le comique inhérent au genre. La localisation déteint aussi sur la (trop) fameuse description des ravages de la peste à laquelle nulle dramaturgie d’Œdipe ne saurait échapper. Chez Voltaire, Dimas faisait à l’étranger de retour au pays un récit [13] aussi concis qu’abstrait, établissant un lien causal entre la peste et le châtiment divin (avec l’accusation portée contre les divinités injustes). Transposée dans le contexte villageois, même la peste gagne en comique, de par ses effets induits, à la fois localisés et trivialisés dans le récit qu’en fait Scaramouche :

SCARAMOUCHE. – Car depuis le trépas de notre ami Pierrot, Tous les malheurs ici s’avancent au grand trot : Nos moutons sont galeux ; la Campagne stérile, Nous prive tous les ans de son secours utile, Et dans tout le Bourget, il n’est point de Roussin, Qui ne soit attaqué d’un dangereux farcin ; Les garçons n’osent plus aller jouer aux quilles Et la jaunisse enfin gâte toutes nos filles [14].

La localisation s’étend également aux exploits d’Œdipe alias Trivelin, qui a terrassé non un Sphinx, mais un loup monstrueux qui menaçait le village. C’est Colombine/Jocaste qui souligne le courage du héros, même si, là encore, la parodie renforce l’ambiguïté de ces exploits en supprimant d’une part toute référence à l’intelligence, au profit du simple courage physique, et en inversant d’autre part le processus de récompense. Dans la parodie de M. Dominique, c’est en fait Œdipe/Trivelin lui-même qui demande à épouser la femme la plus riche du lieu, par intérêt personnel, et non la cité qui propose cette même récompense, au nom de l’intérêt collectif.

COLOMBINE. – Un gros loup furieux désoloit le Village, Nul n’osoit contre lui signaler son courage ; Le brave Trivelin, sans craindre le danger De ce fier animal s’offrit à nous venger ; Ce héros exigea pour prix de sa vaillance, Qu’une femme du lieu devînt sa récompense, Qu’à la plus opulente il pût donner la main : Tu sçais bien que le choix ne fut pas incertain, Pour l’intérêt commun il fallut y souscrire ; Finebrette pour lors sur moi n’eut plus d’empire ; Trivelin triomphant obtint d’abord ma foi, Et le vainqueur d’un loup étoit digne de moi [15].

La parodie reprend presque mot pour mot le vers [16] de Voltaire, en y substituant le loup au Sphinx, lorsque Colombine affirme : « Et le vainqueur d’un loup étoit digne de moi [17] ». Chez M. Le Grand, le Sphinx de la tragédie prend la forme d’un « terrible et cruel sanglier [18] » qui ravageait les alentours du village avant l’arrivée d’Œdipe, « chevalier errant » redresseur de torts, à la manière de Don Quichotte. Alcipe/Œdipe évoque lui-même cet épisode héroïque en parlant d’un « cruel animal » qu’il eut à tuer pour conquérir la main de Mme Cocasse. L’héroïsme raillé se nourrit d’une allusion à la (trop) célèbre formule de Jules César (« veni, vidi, vici ») appliquée telle quelle à l’épisode du Sphinx ; la transformation du monstre en simple sanglier fait d’ailleurs abstraction des qualités de perspicacité d’Œdipe, au profit du courage physique et de la force pure. La parodie recourt à nouveau au registre du chevalier errant Don Quichotte volant au secours d’une gente dame menacée par un monstre, sans toutefois masquer, chez le protagoniste, un double péché d’ambition et de cupidité.

ALCIPE. – Enfin au bout d’un tems me voyant à mon aise, Je repris le cheval, & après la chaise ; Mais ce n’étoit pas-là de quoi me contenter, Et mon ambition sçut plus loin me porter. On m’aprit dans ce tems qu’une fort riche Dame Avoit fait publier qu’elle seroit la femme De quiconque pouroit être victorieux D’un cruel animal qui désoloit ces lieux. Sur ce bruit je sentis renaître mon courage, De Chevalier Errant je repris l’équipage. Armé de pied en cap ainsi qu’un Amadis, J’arrivai dans ces lieux, je vis & je vainquis, Je devins votre époux : vous sçavez tout le reste, Epargnez-moi de grace un récit trop funeste [19].

Le dernier vers peut en outre prendre une acception des plus comiques si l’on rapporte « un récit trop funeste » non aux ravages de la peste, mais aux années de mariage avec Jocaste.

Le transfert de l’action dans un cadre paysan et profane, loin des temples et des palais grecs, s’accompagne d’une trivialisation du langage, particulièrement nette lorsque l’on compare les propos des personnages avec ceux de leurs modèles parodiés. Le vulgaire et le bas-peuple qui, conformément à la séparation des genres, habitent l’univers de la comédie, se caractérisent par un parler paysan d’autant plus comique qu’il sert à conter des faits tragiques. Ainsi, Blaise, l’ami de Finebrette, accueille-t-il le guerrier gascon de retour au village du Bourget, comme Dimas [20] accueillait Philoctète de retour à Thèbes. La trivialité du langage (les jurons et diverses exclamations) et la confusion entre la première personne du singulier et la première personne du pluriel, caractéristique d’un certain langage paysan, produisent un effet comique, alors que les faits rapportés, à savoir les ravages de la peste, ne prêtent guère à rire :

BLAISE. – Finebrette au Bourget ! à quoi donc, pensez-vous ? Morgué, gardez-vous bien d’habiter parmi nous : Ces lieux sont infectés, & j’y mourons par bande ; Que la témérité de votre pied est grande ! Du reste des vivans je semblons séparés, Et je sommes ici tretous pestiférés : La mort a moissonné la moitié du Village. Ça, rebroussez chemin [21]...

La trivialisation omet à dessein la cause céleste et divine des maux qui ravagent la cité. En intertextualité, la reprise parodique du vers de Voltaire « Nul mortel n’ose ici mettre un pied téméraire » permet ici le passage au comique. L’acte téméraire de poser le pied est pris au mot par la parodie, qui ne recule pas devant l’absurdité [22] grotesque : « Que la témérité de votre pied est grande ! ».

Dans le contexte de la comédie, l’horreur inhérente au mythe et présente dans les différentes adaptations doit être citée si l’on veut que la fable soit reconnaissable. La mort de Laïos, l’auto-mutilation d’Œdipe et son exil ne peuvent être passés sous silence : une comédie où Œdipe rencontrerait son père afin de régler pacifiquement leur divergence n’aurait qu’un rapport bien lointain au mythe antique. Un des moyens utilisés par les parodistes est la trivialisation de la mort : combinée avec la citation parodique de la « main ennemie » voltairienne [23], la rupture de style produit un effet de comique, venant atténuer l’horreur que pourrait inspirer l’assassinat de Laïos.

BLAISE. – Depuis plus de quatre ans une main ennemie, Lui fit en un moment perdre le goût du pain. Il fut assassiné [24].

Dans la parodie, le dernier voyage de Laïos, qui devait le conduire à la rencontre fatale, prend une tournure presque grotesque, puisque le char royal y est remplacé par deux ânes. La noblesse du char et des coursiers royaux fait place à un animal entaché de ridicule, signe de pauvreté et de basse naissance. Et, s’agissant non d’un roi mais d’un gargotier, le but du voyage n’était pas la quête d’une vérité divine auprès de l’oracle, mais bien la préoccupation toute matérielle de l’aubergiste Pierrot, qui se rendait en Bourgogne afin d’y acheter du vin. D’ailleurs, la satire englobe les marchands de vins, accusés de malhonnêteté.

COLOMBINE. – Comme il étoit sans crainte, il marchoit sans défense, Avec un ami seul, comme je vous l’ai dit, Un samedi matin mon pauvre époux partit : Montés sur deux bidets, Pierrot & son compere, Se mirent en voyage, helas !
TRIVELIN. – Pour quelle affaire ?
COLOMBINE. – Il alloit en Bourgogne à l’emplette de vin, Quand il fut rencontré par un lâche assassin.
TRIVELIN. – Des bons Marchands de vin, exemple auguste & rare, Aurois-je pû sur toi porter ma main barbare [25] !

L’oracle qui annonça au jeune Œdipe sa fatale destinée sombre, lui aussi, dans le grotesque : il n’intervient plus lorsqu’Œdipe fait des offrandes aux dieux, mais, trivialisation oblige, lorsqu’il descend dans la cave à vins familiale. Le sang qui coule des veines du marbre devient le vin de l’aubergiste, Apollon est remplacé par Bacchus. De même, le départ d’Œdipe quittant ce qu’il pense être sa patrie, Corinthe ou Montmartre suivant la version, n’est pas dépourvu d’un certain comique dans la parodie. Le chemin du gargotier errant, épris de boisson, le conduit naturellement de Paris à Dijon, où se produira la rencontre funeste avec un inconnu, marchand de vin venu faire ses emplettes en Bourgogne :

TRIVELIN. – Je suis né dans Mont-Martre, & tout franc j’en enrage, Je ne me plaisois point du tout dans ce Village ; Mon pere y fait encor le métier d’hôtellier. Un jour j’allois tirer du Vin dans le cellier... O malheur ! tout à coup les tonneaux s’entr’ouvrirent, Le vin coula par-tout, & les murs se rougirent, Ma chandelle soufflée augmenta ma terreur À vous dire le vrai, j’avois diablement peur. Une effrayante voix me parla de la sorte : Eloigne-toi d’ici, gagne plûtôt la porte, Ne viens plus du bon Vin souiller la purete ; Bacchus est contre toi justement irrité... Cette voix me prédit, le croiriez-vous Madame, Que ma mere devoit un jour être ma femme, Que je tûrois mon pere...
COLOMBINE. – O Ciel, que ditez-vous L’ai-je bien entendu, je frissonne...
TRIVELIN. – Tout doux. Vraiment j’ai bien encore autre chose à vous dire, Laissez-moi respirer, & je vais vous instruire. Lorsque de cet effroi mes sens furent remis, Je résolus d’abord de quitter mon pays ; J’abandonnai Mont-Martre, & sans beaucoup de peine J’allai deux jours après courir la pretentaine Je déguisai par tout ma naissance & mon nom, Un jeune plâtrier fut mon seul compagnon : Nous avions l’un pour l’autre une amitié sincere. Un jour près de Dijon, (il m’en souvient, ma chere, Je ne sçai pas comment je l’avois oublié, L’Oracle de la cave est trop verifié.) Trouvant deux cavaliers dans un étroit passage, Le vin qui me guidoit seconda mon courage : J’avais un peu trinqué, la bacchique liqueur M’échauffoit la cervelle, & me donnoit du cœur : Je voulus disputer, comme un homme peu sage, Des vains honneurs du pas le frivole avantage. J’étois yvre en un mot, mon camarade aussi. Je marche donc vers eux, & comme un étourdi J’arrête des bidets la fougue impétueuse : Les voyageurs saisis, sous ma main furieuse, Succombent à l’instant, & sont percés de coups ; Ils tombent à mes pieds [26].

Outre la localisation qui, ici comme ailleurs, est source de comique, la parodie respecte la logique de la fable antique. Le carrefour des trois chemins est resitué près de Dijon, ville carrefour elle aussi, et destination qui s’imposait au marchand de vin en route vers la Bourgogne. La présence du vignoble explique également l’ivresse d’Œdipe, qui remplace l’aide des dieux dans la victoire fatale. Toute l’accusation portée contre les divinités injustes (et qui est caractéristique de la tragédie de Voltaire) est ici passée sous silence : la seule divinité évoquée, Bacchus, conduit uniquement vers l’ivresse. Ce faisant, la parodie poursuit une démarche ambiguë, puisqu’elle dédramatise le meurtre (Œdipe ou les premiers méfaits de l’alcoolisme !) tout en s’inscrivant dans la longue recherche des causes et des motivations du crime. En inventant l’ivresse d’Œdipe, M. Dominique rationalise [27] d’une certaine manière le meurtre du roi à la croisée des chemins.

Autre obstacle de taille au sein d’une comédie, l’inceste ne saurait susciter que l’horreur [28] et le dégoût. Par la trivialisation, la parodie arrive à franchir cet écueil. En effet, l’inceste est revu comme la victoire amoureuse du fils sur le père, l’inceste oedipien étant ainsi réintégré dans la comédie d’après la structure éprouvée femme-mari-amant, à la seule différence que le mari et l’amant sont père et fils, et que la mère est aussi l’amante. Dans Œdipe travesti, l’oracle de la sorcière (laquelle a pris la place de la prêtresse) souligne cette configuration comique, en annonçant que le fils de Pierrot/Laïos « fera cocu son père » :

COLOMBINE. – Pardonnez si je tremble à ce seul souvenir, Voici ses propres mots, j’ai dû les retenir : Ton Fils tuera Pierrot, & ce fils témeraire... Achèverai-je ?
TRIVELIN. – Hé bien !
COLOMBINE. – Fera cocu son pere [29]...

On retrouve ce motif dans le dénouement de la pièce, lorsqu’Œdipe acquiert la certitude de son identité. La culpabilité qu’il s’attribue concerne autant le parricide que l’inceste, ce dernier se traduisant dans la comédie par les cornes ayant poussé sur le front du père cocufié par son propre fils. Ces mêmes cornes de la honte affublent l’ombre du défunt dans les Enfers, et permettent à son fils de le reconnaître dans la vision vengeresse. La blessure tragique qu’Œdipe infligea à Laïos, témoignage du parricide dans la tragédie de Voltaire [30], laisse sa place aux séquelles populaires de l’adultère. La vengeance des Euménides est remplacée chez M. Dominique par celle des villageois qui portent les flambeaux mythologiques des Erynnies. L’horreur se mêle ici au comique, le tout étant placé délibérément dans le cadre de la comédie légère :

TRIVELIN seul. – He bien es-tu content, Magister détestable ? Ton oracle à la fin n’est que trop véritable. Je n’ai pu me soustraire à mon cruel destin, De mon pere je suis l’odieux assassin ; Moi-même sur son front j’osai planter des cornes : Pour moi, barbare sort, tes rigueurs sont sans bornes. [...] Mais quoi le jour s’enfuit ! que vois-je ? le village Vient avec des flambeaux me brûler le visage ; Arrêtez... où fuirai-je... il va fondre sur moi. L’enfer s’ouvre.... ô Pierrot ! ô mon Pere est-ce toi ? Je vois, je reconnois cette honteuse crête, Panache injurieux que j’ai mis sur ta tête ; Punis-toi, vange-toi d’un fils dénaturé, D’un fils, qui non content de t’avoir massacré, Livrant à ses forfaits son âme toute entiere, Ose mettre en son lit son épouse, & sa mere [31].

En règle générale, les divinités antiques sont remplacées soit par des représentants du pouvoir séculier (tel le magistère dans Œdipe travesti), soit par des sorcières et autres devins issus de la superstition populaire qui s’est substituée à la religion antique. Dans Le chevalier errant, Apollon est devenu un diable hideux qui apparaît en songe pour demander la mort d’Alcipe. La trivialisation de l’horreur est double, puisque ce diable émane de la mythologie populaire, et que le valet, Dimas, propose d’y reconnaître sa maîtresse, dont les traits tirés l’auraient faite se confondre avec une telle créature. Le comique vient adoucir et l’horreur de la manifestation, et la cruauté de son exigence. Certes, la trivialisation de la peste, qui frappe non les citoyens du village, mais les troupeaux rend ridicule le sacrifice d’Alcipe, qui donne sa vie... pour des bêtes à cornes :

ALCIPE. – J’ai fait un songe affreux. J’ai rêvé cette nuit Qu’un Diable étoit venu me trouver dans mon lit ; Par sa figure horrible il a glacé mon ame...
DIMAS. – Un Diable ! bon, c’étoit peut-être votre femme, Qui s’étant hier au soir couchée un peu trop tard...
ALCIPE. – Non, à cette avanture elle n’a point de part, Puisque de ce lutin la voix s’est fait entendre. Alcipe, m’a-t-il dit, tu ne peux t’en défendre ; Il faut que ton sang coule, ou la contagion Toujours sur les troupeaux répandra son poison. Quant au malheur public je puis mettre des bornes, Laisserai-je périr tant de bêtes à cornes ? Non, je veux les sauver.
DIMAS. – Et, Monseigneur, tout doux, Conservez seulement celles qui sont à vous.
ALCIPE. – Non, l’état où je vois ce malheureux Village, À lui donner secours, m’intéresse et m’engage. Je vois la Clavelée infecter nos troupeaux ; Vivrai-je, quand ma mort peut terminer leurs maux [32] ?

La trivialisation vient du passage parodique de l’attitude du monarque antique [33] désireux de sauver ses sujets à celle du responsable du bien public qui veut sauver ses troupeaux. Certes, la peste thébaine frappait aussi les troupeaux, mais la parodie de M. Le Grand fait se limiter les effets de la clavelée aux seuls animaux à cornes. Cette métonymie permet un autre effet comique, le serviteur Dimas servant de contrepoint comique à son maître puisqu’il se caractérise par sa cupidité d’une part et par sa maladresse verbale d’autre part : on peut très bien entendre qu’Alcipe devrait sauver non pas les bêtes à cornes qu’il possède (ce que veut dire le valet) mais... ses propres cornes qui, elles, n’ont rien à voir avec celles de son troupeau et renvoient davantage à l’épouse précitée.

Comme dans Œdipe travesti, la parodie Le chevalier errant combat soigneusement l’horreur dans les scènes où elle pourrait apparaître, à savoir lors des récits du meurtre de Laïos, et plus accessoirement de l’exposition de l’enfant. On remarquera que, si la comédie de M. Dominique s’était évertuée à rendre ridicule l’inceste en y retrouvant la figure du mari trompé, la parodie de M. Le Grand n’est pas très loquace sur le sujet. Les effets comiques se concentrent sur le crime d’Œdipe, grossièrement travesti en erreur médicale. Cette critique des médecins, motif de la comédie s’il en est, se présente plutôt comme un rajout arbitraire, qui a pour conséquence principale de relativiser et d’amoindrir la culpabilité d’Œdipe, à la fois charlatan et médecin comme tous ses autres confrères, s’il faut en croire la pièce. Autre effet de comique, la localisation permet d’opposer normand [34] et honnête homme, ce qui devrait avoir provoqué des rires parmi les spectateurs concernés :

ALCIPE. – Je suis fils, entre nous, d’un Barbier de Village, Normand, mais honnête homme, à la fois Médecin, Maréchal & Barbier ; Apoticaire enfin. Il se mêloit de tout, & sans grande science, Le hazard secondant un peu d’experience, Il guérissoit autant & plus de Paysans, Que tous nos grands Docteurs ne font de Courtisans. Il prit soin de moi dans mes jeunes années ; Et voulant m’assurer d’heureuses destinées, Il forma dans son cœur l’ambitieux dessein De m’élever un jour au rang de Medecin. Dans la Langue Latine on prit soin de m’instruire, Dans tous ses vieux Bouquins mon pere me fit lire ; Le bon homme en avoit de toutes les façons, Quantité de mauvais, & quelque peu de bons [35].

La cupidité des médecins est dénoncée tout comme la vanité de leur art prétendu qui, d’après Alcipe lui-même, doit plus au hasard qu’à la science, comme tendrait d’ailleurs à le prouver le système de rimes qui associe « Art » avec « hazard ». Un des moyens parodiques souvent utilisés par M. Le Grand consiste à faire énoncer la critique du personnage par ce dernier, afin d’accentuer sans doute la dérision :

ALCIPE. – Accablé de misere, Mourant de faim, de soif, ne sçachant plus que faire, Je vendis mon cheval, & grace à mon Latin, De Chevalier Errant je devins Medecin. O métier trop heureux ! J’y trouvai ma ressource ; Les malades bientôt vinrent remplir ma bourse. Avec quelque routine & des termes de l’Art, J’en tuais, j’en guéris, comme il plut au hazard [36].

L’assassinat de Laïos, devenu Seigneur du village de Paroisse, est doublement trivialisé, de manière à le rendre moins horrible. Dans le mensonge d’Iphicrate [37], c’est un loup-garou qui est censé avoir tué le souverain alors qu’il était parti à la chasse, ajoutant ainsi une couleur locale et une atmosphère de superstition populaire propre par ailleurs à la trivialisation des oracles. Une fois de plus, la parodie raille son modèle puisqu’Alcipe suggère qu’il serait assez sot de croire à l’existence du loup-garou. C’est pourtant une telle version qui existait dans la pièce de Houdar, qui attribue la mort du roi à un « Lion affreux ». La localisation (Iphicrate habite non à Rouen, mais à Poissy) débouche également sur le comique. On remarquera comment la parodie, par sa brièveté, condense les centres d’intérêt des longues tirades tragiques afin de produire d’autres effets.

ALCIPE. – Ce qui fait qu’aujourd’hui l’on demande mon sang, C’est faute de trouver l’assassin de Cocasse, Le malheureux Baron, dont je remplis la place : Il faut le découvrir. À Madame Cocasse Ce fut un loup garou, Si vous m’avez dit vrai, qui lui tordit le cou.
Me COCASSE. – Iphicrate en pleurant me raconta cette histoire ; Il étoit à la chasse avec lui.
ALCIPE. – Comment croire, Qu’un loup garou. Cet homme est-il encore ici ? Cet Iphicrate ?
Me COCASSE. – Non, il demeure à Poissi [38].

La révélation du mensonge d’Iphicrate, qu’il appelle « une menterie », avec la vérité concernant les circonstances de la mort de Laïos est elle aussi empreinte de comique dans la parodie. Le personnage devient un fourbe dans la tradition du mystificateur de la comédie (« un pendart, un coquin, un fripon »). La localisation, par sa précision, efface également l’horreur de l’assassinat. Certes, une erreur médicale est déjà, en soi, moins horrible à entendre que le récit d’un massacre [39] survenu à la croisée des chemins :

RATICHON. – Va trouver, m’a-t-il dit, la Baronne Cocasse, Demande-lui pardon, & dis-lui de ma part, Que j’avoüe en mourant que j’étois un pendart, Un coquin, un fripon, quand j’eus l’effronterie De l’abuser un jour par une menterie. Je lui dis qu’en chassant le long du grand chemin Qui s’en va séparant Poissy de Saint Germain, Un soir un Loup garou, qui sur sa seule mine Sembloit porter par tout sa fureur assassine, Avoit donné la mort au Baron son époux : Ce fut un Medecin, & non un Loup garoux [40].

Dans un tel contexte, le crime d’Œdipe perd de son horreur en même temps qu’il se banalise, puisque, à en croire Madame Cocasse, le fait qu’un médecin ait pu tuer, outre qu’il s’agit là d’un acte involontaire, n’est pas en soi chose singulière. Avec une Madame Cocasse, habituée à ce qu’un médecin puisse tuer plutôt que de guérir, la comédie fustige l’art médical.

MADAME COCASSE. – D’où vient ce cri bizarre ? Est-ce une chose donc si nouvelle & si rare ? Qu’un Medecin ait pû tuer [41]...

Le récit de l’assassinat de Laïos par Œdipe est révélateur des moyens utilisés par la parodie. Le comique est obtenu en partie grâce au grotesque, et à l’emploi de techniques relevant du bas-comique : Laïos/Cocasse tombant de cheval parce qu’il souffre d’une colique est une invention aussi scatologique que le recours du médecin à une once d’émétique – i.e. à plus de trente grammes de vomitifs puissants ! – qui aurait eu des effets dévastateurs si elle n’avait pas entraîné la mort du malade. La satire du médecin qui guérit la colique, mais tue son malade avant de corrompre les témoins de l’erreur médicale par crainte de perdre sa clientèle, devrait, elle aussi, faire rire le public. Enfin, le « conte ridicule » du loup-garou désigne explicitement la péripétie inventée par Houdar de la Motte afin de rationaliser la fable antique et de rendre inutile la vengeance de Laïos. Visiblement, le parodiste n’avait guère trouvé cette modification de l’intrigue très vraisemblable.

ALCIPE. – Je tremble du raport, & des tems, & des lieux, Et de me repentir, d’être trop curieux ; Mais le vin est tiré, Madame, il le faut boire. Permettez qu’à mon tour je vous fasse l’Histoire, D’un étrange accident qui jadis m’arriva, Justement dans l’endroit que vous me nommez-là. Je venois de Poissy visiter un malade, Lors qu’entrant dans le Bois près d’une palissade, Je trouve un gentillâtre au milieu d’un fossé, Par son Cheval retif à terre renversé ; Attaqué qu’il étoit d’une étrange Colique, Je lui fis avaler une once d’Emétique.
MADAME COCASSE. – Une once d’Emetique !
ALCIPE. – Il sent dans ces instans Un feu dans l’estomac des plus violens. Que vous dirai-je enfin, sa Colique se passe, Il en guérit sur l’heure, & sur l’heure il trépasse. Son Valet vient à moi me traitant d’ignorant, Mais je sçus l’apaiser lui donant quelqu’argent ; Et dans le même tems, le priai de se taire, Pour ne me perdre pas dans l’esprit du vulgaire.
MADAME COCASSE. – Ah ! ce Valet, sans doute, étoit ce vieux coquin, Ce pendart, ce menteur, cet Iphicrate enfin, Qui de retour, me fit un conte ridicule [42].

Une technique plus subtile s’attaque aux intentions de Houdar, telles qu’elles se présentent dans les modifications apportées au mythe antique. Chez Houdar, il faut qu’Œdipe apparaisse le plus innocent possible dans cette entreprise, puisque sa faute tragique [43] n’est pas (selon Houdar) le régicide, commis par ignorance, mais une hybris, liée à un excès d’ambition. Pour déplacer ainsi le centre de gravité du tragique, il fallut à Houdar diminuer la culpabilité d’Œdipe dans le parricide, tout comme Voltaire devait faire porter la responsabilité des faits aux dieux. L’Œdipe de Houdar dispose d’excuses multiples, et d’autant de circonstances atténuantes, même s’il reprend le motif du courroux et de l’orgueil du protagoniste, qui vont dans le sens du tragique de caractère. Mais Œdipe est montré en état de légitime défense, combattant contre des ennemis en surnombre [44]. Le respect d’Œdipe devant le combattant plus âgé que, à l’en croire, il ne touche que parce que les dieux l’ont voulu, ainsi que son remords et ses divers pressentiments sont autant d’indices en faveur de l’innocence d’Œdipe. Peut-être pourrait-on, avec le recul du temps et la différence des époques, et donc du goût, trouver que Houdar, soucieux de parachever ce trait, est allé un peu loin en faisant applaudir à Laïos mourant la vaillance de son jeune vainqueur, qui est aussi son meurtrier. Certes, cette précision a une fonction très précise chez Houdar, puisque Laïos mourant demande aux dieux de ne pas venger ce crime, donc de ne pas frapper son vainqueur d’une quelconque malédiction, innocentant lui aussi Œdipe régicide et parricide. La parodie de M. Le Grand exploite cette brèche, en supprimant tout contexte héroïque dans ce qui n’est finalement qu’un banal acte médical.

ALCIPE. – Au reste fort civil, & plein de politesse. En mourant il loua mes talens, mon adresse, Me fit sur mon sçavoir beaucoup de complimens, Et de l’avoir tué mille remerciemens [45].

La grossièreté de l’erreur et l’incompétence patente du charlatan qu’est Alcipe font apparaître d’autant plus ridicules les dernières paroles du mourant qui félicite son meurtrier, non pour son courage au combat, mais pour son savoir et sa science médicale, dont le spectateur connaît les limites. L’image de Laïos qui, expirant, remercie Œdipe de l’avoir tué relève bien de l’exagération : elle souligne toutefois combien le pathétique qu’envisageait Houdar dans sa tragédie pouvait être discutable. D’ailleurs, dans la parodie, la reconnaissance de l’héroïsme, avec la grandeur tragique de Laïos agonisant, n’est qu’un échange d’amabilités et de civilités, toutes convenances qui seraient banales, si elles n’étaient pas le dialogue entre un mourant et son meurtrier. Par cette dérision grotesque, la parodie semble critiquer les modifications faites par Houdar, notamment son désir de faire innocenter le criminel par la victime elle-même, afin de modifier le mécanisme de la faute tragique.

L’épilogue [46] pose un problème structurel à la parodie, puisqu’il ne saurait être question de renoncer au dénouement de la fable antique, sous peine de trahir le mythe. Sous les traits de la parodie, l’épilogue tragique doit en effet être reconnaissable. Pour ce faire, la parodie de M. Dominique conserve l’aveuglement et le bannissement d’Œdipe, tout en ayant recours au double effet de la localisation et du comique de langage. Œdipe désormais aveugle compte en effet se rendre à l’hôpital des Quinze-Vingts, spécialisé dans les maladies ophtalmiques ! De plus, Œdipe utilise sa situation d’aveugle guidé par un enfant pour se livrer à deux jeux de mots, l’un portant sur l’adieu définitif – il ne verra plus jamais Colombine, au sens propre et au sens figuré –, l’autre sur les « faux pas » que ne manquerait de faire le coupable jadis incestueux devenu non-voyant. La parodie n’hésite pas à faire revenir sur scène Œdipe aveuglé [47], mais atténue l’horreur potentielle par l’accumulation des effets comiques. Afin de faire basculer définitivement la pièce dans le comique, le dénouement renonce au suicide de Jocaste. À sa place, on nous montre tout au plus le malaise de Colombine, qui glisse très vite vers le bas-comique :

COLOMBINE. – Où vas-tu, mon cher fils ?
TRIVELIN. – Je vais aux Quinze-Vingts, Peut-être voudra-t-on m’y donner une place ?
COLOMBINE. – L’infortuné !
TRIVELIN. – D’ici pour jamais je me chasse, Honteux de mes forfaits, justement furieux, Moi-même j’ai voulu me crever les deux yeux. Je ne vous verrai plus, j’en donne ma parole, Et voilà dans mes mots tout ce qui me console ; Bonjour. Allons, mon fils, donnez-moi votre bras, Car je suis trop sujet à faire des faux pas. Il s’en va.
COLOMBINE. – Aller au Quinze-Vingts ! ah ! quel dessein tragique ! Qui l’eût crû ? l’action est vraiment héroïque. Mais je me trouve mal, tout mon corps s’affoiblit... Claudine, par pitié, viens bassiner mon lit.  Le tonnerre gronde & les Eclairs paroissent [48].

Malgré l’irruption du comique dans l’épilogue, il ne saurait être question ici d’un dénouement heureux, fût-il parodique. Cela montre peut-être à quel point le mythe d’Œdipe, de par l’horreur et le tragique qu’il contient, résiste à une telle trivialisation par le comique.

Littérature primaire

anonyme : Catalogue general. De toutes les Parodies qui ont été représentées par les Comediens Italiens Ordinaires du Roy. in : Les Parodies du Nouveau Theatre Italien ou Recueil des Parodies Représentées sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, par les Comediens Italiens Ordinaires Du Roy, nouvelle edition, revûë, corrigée & augmentée de plusieurs parodies. tome premier. Paris, Briasson, M.DCC.XXXVIII, p.VIIIJ-XV.

Brumoy, Pierre, Discours sur le Théâtre des Grecs, in Le Théâtre des Grecs. Par le P. Brumoy. Nouvelle Edition. Enrichie de la Traduction entière des Piéces Grecques dont il n’existe que des Extraits dans toutes les Editions précédentes ; & de Comparaisons, d’Observations & de Remarques nouvelles, par MM. de Rochefort & du Theil, de l’Académie Royale des Inscriptions & Belles Lettres, tome premier, Paris, Cussac, M.DCC.LXXXV, p. 3-38.

Dominique, M., Œdipe travesti, parodie de la tragedie d’Œdipe de M. de Voltaire. Par M. Dominique, Comed. du Roi. Représentée pour la premiere fois par les Comediens Italiens ordinaires du Roy, le 17 Avril 1719. in : Les Parodies du Nouveau Theatre Italien ou Recueil des Parodies Représentées sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, par les Comediens Italiens Ordinaires Du Roy, nouvelle edition, revûë, corrigée & augmentée de plusieurs parodies. tome premier. Paris, Briasson, M.DCC.XXXVIII, p. 1-38

HOUDAR DE LA MOTTE, Œdipe, Tragedie. En prose. in : Œuvres de Monsieur Houdar de la Motte, L’un des Quarante de l’Académie Françoise, tome cinqième. Paris, Prault, M.DCC.LIV, p. 1-68.

LE GRAND, M., Le chevalier errant, Parodie de l’Œdipe de Monsieur de la Motte. Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens ordinaires du Roy, le 30 Avril 1726. in : Les Parodies du Nouveau Theatre Italien ou Recueil des Parodies Représentées sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, par les Comediens Italiens Ordinaires Du Roy, nouvelle edition, revûë, corrigée & augmentée de plusieurs parodies. tome premier. Paris, Briasson, M.DCC.XXXVIII, p. 151-198.

Voltaire, Lettres ecrites par l’Auteur, qui contiennent la Critique de l’Œdipe de Sophocle, de celui de Corneille, & du sien. in : Voltaire : Œdipe, Tragedie. Par Monsieur Arouet de Voltaire avec quelques autres Pieces, La Haie, de Rogissart, M.DCC.XIX, p. 85-128.

VOLTAIRE, Œdipe, Tragedie. Par Monsieur Arouet de Voltaire avec quelques autres Pieces, La Haie, de Rogissart, M.DCC.XIX.

Littérature secondaire

BOLLACK, Jean, L’Œdipe roi de Sophocle. Le texte et ses interprétations, Cahier de Philologie 13a, Série « Les textes », Lille, Presses Universitaires de Lille, 1990 (tomes 1-4).

SCHERER, Jacques, Dramaturgies d’Œdipe, Paris, Presses Universitaires de France, 1987.

Notes

[1Houdar de la Motte s’exprime en faveur de la critique, mais contre la « satyre » (ce même argument est repris par le discours de M. Dominique pour défendre la parodie). Ainsi on peut-on lire chez Houdar (dans le paragraphe intitulé De la manière de critiquer les auteurs) : « La Critique est sans doute permise dans la République des Lettres. Elle est légitime, puisque c’est un droit naturel du Public, de juger des écrits qu’on lui expose ; & elle est utile, puisqu’elle ne tend qu’à faire voir par un raisonnement sérieux & détaillé, les défauts & les beautés des Ouvrages. Mais autant que la Critique est légitime & utile, autant la Satyre est-elle injuste & pernicieuse : elle est injuste, en ce qu’elle essaye de tourner les Auteurs mêmes en ridicule, ce qui ne sçauroit être le droit de personne ; & elle est pernicieuse, en ce qu’elle songe beaucoup plus à réjouir qu’à éclairer. Elle ne porte que des jugemens vagues & malins, d’autant plus contagieux, que leur généralité accomode notre paresse, & que leur malice ne flate que trop notre penchant à mépriser les autres. Il faudroit donc dans la République des Lettres traiter les Satyriques superficiels comme des séditieux qui ne cherchent qu’à broüiller ; & les Critiques sages au contraire, comme de bons citoyens qui ne travaillent qu’à faire fleurir la raison et les talens. » Houdar de la Motte, in Réflexions sur la Critique, p. 18.

[2Agnès Paul-Marcetteau, « Les auteurs du théâtre de la foire à Paris au xviiie siècle », in Bibliothèque de l’école des chartes. 1983, t. 141, livraison 2, p. 307-335.

[3« Pierre-François Biancolelli dit Dominique (1680-1734) : fils de Dominique Biancolelli, célèbre Arlequin de la comédie italienne à la fin du XVIIe siècle, comédien de province et dans les foires avant de rejoindre la nouvelle comédie italienne en 1717, et auteur dramatique ». Agnès Paul-Marcetteau, op. cit., p. 310.

[4« Il importe d’ailleurs de noter que ce ne sont plus de vulgaires acteurs de campagne, sans théâtre fixe, qui se produisent à la foire, mais un Biancolelli et sa troupe de comédiens italiens qui, sans l’expulsion de 1697, seraient encore locataires de l’Hôtel de Bourgogne. La promotion est énorme pour la foire : nul doute que le public parisien y voyait une résurrection du théâtre italien. En gagnant en dignité et en importance dans l’organisation théâtrale parisienne, le théâtre de la foire se dote d’un répertoire spécifique ». Agnès Paul-Marcetteau, op. cit., p. 310-311.

[5« Finebrette. – Je veux bien l’avouer, Pierrot étoit bon diable ;/Mais quel rang tenoit-il ? il était gargotier ;/Quant à moi je suis noble, & de plus, bon guerrier ». M. Dominique, Œdipe travesti, p. 5.

[6Voltaire avait greffé sur la fable antique une intrigue secondaire, autour du personnage de Philoctète, jadis rival de Laïos,qui permet de retrouver le moteur de la galanterie et de la rivalité amoureuse. Autre avantage de cet ajout parfaitement artificiel – mais c’est ainsi que le siècle de Voltaire a réécrit Œdipe Roi de Sophocle – Philoctète constitue un coupable potentiel lors de la recherche de l’assassinat de Laïos. Voltaire avait reproché aux oracles de désigner le coupable dès le début de la pièce, « défaut » qu’il prétend corriger en proposant une alternative à Œdipe, en tant assassin de Laïos.

[7« Finebrette. – Je m’enrôlai d’abord, & partis pour la Flandre ». M. Dominique, Œdipe travesti, p. 5.

[8« Colombine. – Finebrette se fit Soldat dans la Milice,/Il partit ; cet hymen pour lui fut un supplice./Depuis ce tems fatal, ce généreux Gascon,/Par ses exploits guerriers s’est acquis un grand nom :/On vante son courage, & même la Gazette/A parlé plusieurs fois du vaillant Finebrette ». M. Dominique, Œdipe travesti, p. 10.

[9« Zu den ursprünglichen vier Grundtypen kamen anschließend einige andere, ebenfalls zum festen Bestand gehörend : Capitano/Il Capitan, der spanische soldatische Liebhaber und Maulheld, Nachfolger des lat. Miles gloriosus, die üblich nichtmaskierten Innamorati, die Verliebten (meist Florindo und Isabella) und die Dienerinen, Colombine und Corallina. » G. Schneilin, Theaterlexikon, Rowohlt, reinbek bei Hamburg, 1990, p. 226 à propos de la commedia dell’arte. On reconnaît dans cette configuration traditionnelle les ressorts de l’amourette entre Jocaste et Philoctète chez les « comédiens italiens », familiers par tradition de ce genre d’intrigue.

[10Finebrette. – Qu’on accuse un héros des bords de la Garonne ;/Joli-cœur, la Ramée, & moi, braves soldats,/Nous avons fait parler de nous dans les combats. M. Dominique, Œdipe travesti, p. 13-14.

[11« Scaramouche. – On sçait que le gaillard vous a conté fleurette,/Que vous alliez souvent ensemble à la guinguette ». M. Dominique, Œdipe travesti, p. 8.

[12Pour Jocaste, la culpabilité individuelle découle de la tentative d’infanticide, destinée à éviter la réalisation de l’oracle funeste. En règle générale, les comédies condamnent plus sévèrement Jocaste qu’Œdipe. La présente contribution se limitera au tragique d’Œdipe.

[13Œdipe de Voltaire, p. 5.

[14« Dimas. – Mais la stérilité sur ce funeste bord,/Bientôt avec la faim nous rapporta la mort ;/Les Dieux nous ont conduit de suplice en suplice,/La famine a cessé, mais non leur injustice,/Et la contagion dépeuplant nos Etats,/Poursuit un foible reste échapé du trépas./Tel est l’état horrible, où les Dieux nous reduisent ». M. Dominique, Œdipe travesti, p. 8.

[15M. Dominique, Œdipe travesti p. 11.

[16« Jocaste. – Par un monstre cruel Thebe alors ravagée/À son libérateur avoit promis ma foi,/Et le vainqueur du sphinx étoit digne de moi ». Œdipe de Voltaire, p. 20.

[17M. Dominique, Œdipe travesti, p. 11.

[18« Dimas. – D’un Chevalier Errant est-ce là le langage ? Un songe vous doit-il abattre le courage ?/N’êtes-vous pas toujours ce fameux Chevalier,/Vainqueur de ce terrible & cruel Sanglier ? ». M. Le Grand, Le chevalier errant p. 154-155.

[19M. Le Grand, Le chevalier errant, p. 159.

[20« Dimas. – Philoctète, est-ce vous ? quel coup affreux du sort,/Dans ces lieux empestés vous fait chercher la mort ?/Venez-vous de nos Dieux affronter la colère ?/Nul mortel n’ose ici mettre un pied témeraire ;/Ces climats sont remplis du celeste courroux,/Et la mort dévorante habite parmi nous./Thebe depuis long-tems aux horreurs consacrée/Du reste des vivans semble être séparée :/Retournez... ». Œdipe de Voltaire, p. 1-2.

[21M. Dominique, Œdipe travesti, p. 3.

[22Une analogie avec le sens étymologique du patronyme « Œdipe » n’est pas exclue.

[23« Dimas. – Quatre ans sont écoulés, depuis qu’en Beotie,/Pour la derniere fois le sort guida vos pas./À peine vous quittiez le sein de vos Etats,/À peine vous preniez le chemin de l’Asie ;/Lorsque d’un coup perfide, une main ennemie,/Ravit à ses Sujets ce Prince infortuné ». Œdipe de Voltaire p. 3.

[24M. Dominique, Œdipe travesti, p. 5.

[25M. Dominique, Œdipe travesti, p. 21.

[26M. Dominique, Œdipe travesti, p. 23-25 ; cf. Œdipe de Voltaire, p. 59.

[27Par ce biais, la culpabilité d’Œdipe en est amoindrie : dans la parodie, Trivelin ayant agi sous l’emprise de l’alcool (et avec deux témoins !) aurait une chance de bénéficier des circonstances atténuantes pour ce qui est du chef d’accusation d’homicide involontaire...

[28« Jocaste. – Je me jetai craintive aux pieds de la Prêtresse./Voici ces propres mots ; j’ai dû les retenir :/« Ton fils tuëra son pere, & ce fils sacrilege,/« Inceste & parricide... ô Dieux acheverai-je ?/Œdipe. – Eh bien, Madame ?/Jocaste. – Enfin, Seigneur, on me prédit/Que mon fils, que ce monstre entreroit dans mon lit ;/Que je le recevrois, moi Seigneur, moi sa mere,/Dégoutant dans mes bras du meurtre de son père ;/Et que tous deux unis par ces liens affreux,/Je donnerois des fils à mon fils malheureux. », Œdipe de Voltaire, p. 54.

[29M. Dominique, Œdipe travesti, p. 22.

[30« Œdipe. – Le voilà donc rempli cet Oracle exécrable/Dont ma crainte a pressé l’effet inévitable ;/Et je me vois enfin par un mélange affreux/Inceste, & parricide, & pourtant vertueux. [...].... où suis-je ! quelle nuit Couvre d’un voile affreux la clarté qui nous luit ?/Ces murs sont teints de sang, je voix les Eumenides/Secoüer leurs flambeaux vangeurs des parricides./Le tonnerre en éclats semble fondre sur moi,/L’enfer s’ouvre... ô Laïus, ô mon père ! est-ce toi ?/Je vois, je reconnois la blessure mortelle/Que te fit dans le flanc cette main criminelle./Punis-moi, vange-toi d’un monstre detesté,/D’un monstre qui foüilla les flancs qui l’ont porté ;/Approche, entraîne-moi dans les demeures sombres,/J’irai de mon supplice épouvanter les ombres./Viens, je te suis ». Œdipe de Voltaire, p. 77.

[31M. Dominique, Œdipe travesti, p. 33-34.

[32M. Le Grand, Le chevalier errant, p. 154.

[33« ŒDIPE. – C’est Apollon lui-même,/Je l’ai vû cette nuit de ses fléches armé,/Le front terrible, & l’oeil de co Œdipe urroux enflammé,/Trois fois dans mes esprits répandre l’épouvante./Je suis encor frappé de sa voix menaçante./Ce n’étoit point un songe. À l’éclat qui m’a lui,/De mes yeux étonnés, le sommeil avoit fui./Je tombois à ses pieds. Mes soupirs & mes larmes,/Pour mon peuple imploroient la fin de nos allarmes./Trois fois il m’a redit, en dédaignant mes pleurs,/Que Thébe demeuroit en proye à ses fureurs,/Si, pour la dérober à ce fléau funeste,/Mon sang ne désarmoit la colere céleste./Je ne balance point. Dissipe ton effroi./Va. J’obéis aux Dieux, obéis à ton Roi ». Œdipe de Houdar, p. 466.

[34Faut-il y voir une allusion aux origines rouennaises de Corneille ? à moins qu’il n’y eût parmi les invités ou les acteurs des Normands notoires.

[35M. Le Grand, Le chevalier errant, p. 157.

[36Ibid., p. 158.

[37Le serviteur de Laïos, témoin de l’assassinat de son maître, avait menti à son retour quant aux faits produits. Selon les versions, il y est question d’une bande de brigands ou de plusieurs hommes. C’est ce mensonge qui interdit à Œdipe d’effectuer le rapprochement avec l’assassinat d’un vieil homme. Les Lumières françaises ont souligné que l’ignorance d’Œdipe, ou son absence de mémoire quant au fait d’avoir lui-même tué un homme à ce même endroit, n’était guère vraisemblable.

[38M. Le Grand, Le chevalier errant, p. 169 ; cf. Œdipe de Houdar p. 485-486.

[39« Polémon. – À la Reine, aux Thébains indignement déçûs/Mon mensonge a caché le destin de Laïus./J’ai dit qu’un monstre affreux, malgré tout son courage,/L’avoit fait à mes yeux expirer sous sa rage :/Mais, ami, ce malheur n’est qu’un fait inventé,/Dont je voulus alors couvrir ma lâcheté./Jocaste. – Achevez ; car sans doute il vous a fait entendre/L’événement fatal qu’il craignit de m’apprendre ?/Polémon. – Du malheureux Laïus connoi donc le destin,/Poursuit-il. Un jeune homme, en cet étroit chemin/Qui sépare les champs de Thébe & de Corinthe,/D’un invincible bras lui fit sentir l’atteinte :/Et Laïus & les siens, tout en fut terrassé ». Œdipe de Houdar, p. 492-493.

[40M. Le Grand, Le chevalier errant, p. 175-176.

[41 Ibid., p. 178.

[42M. Le Grand, Le chevalier errant, p.179 ; cf. Œdipe de Houdar, p. 495-497.

[43« Il étoit donc necessaire, pour instruire, qu’Œdipe tombât dans quelque faute : mais comme il falloit, pour plaire, qu’il fût interessant, il falloit aussi que sa faute, quoique considerable, fût cependant compatible avec de grandes vertus. Cette réflexion m’a déterminé à ne lui donner d’autre crime qu’un excès d’ambition, déreglement que le préjugé accorde si bien avec l’idée de grand homme, qu’il va même quelquefois jusqu’à le confondre avec l’héroïsme. Ces premieres vûës m’ont amené d’autres circonstances. Au lieu de suposer, comme Sophocle, qu’Œdipe ait été élevé, au millieu d’une cour, comme l’héritier de la Courone, ce qui ne donne pas lieu à l’ambition qui seroit déjà satisfaite ; j’ai fait élever Œdipe dans l’état de berger, afin que son ambition en fût à la fois plus héroïque & moins pardonnable ; & je lui fais défendre par un Oracle exprès de sortir de son païs, s’il ne veut renoncer à la tranquilité & à l’innocence. Il méprise assez les dangers ; & il présume assez de la vertu, pour suivre son dessein, au mépris de l’Oracle ; & par cette demarche, le voilà, ce me semble, aussi coupable, & aussi intéressant que je voulois ». Houdar de la Motte in : Quatrième discours. A l’occasion de la Tragédie d’Œdipe, p. 378.

[44Houdar choisit la version de la fable antique dans laquelle Laïos voyageait avec une escorte, contrairement à Voltaire. Si Laïos se rendait à Delphes pour consulter les oracles, il n’était pas invraisemblable qu’il avait renoncé à une escorte, par souci de discrétion. « Apollon n’attirait-il pas le père vers le sanctuaire que le fils venait de quitter ? Ce n’est pas parce que Jocaste, devant Œdipe, ne doute pas de la mort de l’enfant (v. 717-719) que Laïos n’est pas incertain. Toujours est-il que Créon ne précise rien, et il n’y a pas lieu de penser qu’il laisse un propos qu’il connaît dans l’ombre ; Laïos donc avait traité l’affaire comme une entreprise privée, personnelle, et il ne s’était fait accompagner que d’une faible escorte. […]. Le voyage alors, si ses causes restent aussi mystérieuses que les circonstances de la mort sont obscures, ressemble à une disparition ». Jean Bollack, L’Œdipe roi de Sophocle, op. cit., p. 64-65.

[45M. Le Grand, Le chevalier errant, p. 180 ; cf. Œdipe de Houdar, p. 495-497.

[46L’épilogue n’était pas sans poser problème dans la tragédie même, de par l’horreur du châtiment infligé (l’autocastigation d’Œdipe) et l’absence de mort du protagoniste. Le Père Brumoy, traducteur de Sophocle du temps de Voltaire, soulignait combien le dénouement de la fable de Sophocle était contraire au bon goût français. « Corneille avoue qu’il a cru devoir s’écarter entierement de l’ŒDIPE Grec & Latin ; “Parce qu’il a reconnu, dit-il, [dans l’Examen d’Œdipe] que ce qui avoit passé pour merveilleux dans le siécle de Sophocle & de Sénèque, (il auroit fallu excepter ce dernier) pourroit sembler horrible au nôtre ; que cette éloquente & sérieuse description de la maniere dont ce malheureux prince (Œdipe) se créve les yeux, ce qui occupe tout le cinquiéme acte, feroit soulever la délicatesse de nos dames, dont le dégoût attire celui du reste de l’auditoire ». P. Brumoy, L’Œdipe de P. Corneille, p. 255-256

[47Cette vision contraire au bon goût semblait choquante à Voltaire, qui la remplace par un récit du grand-prêtre.

[48M. Dominique, Œdipe travesti, p. 37-38.


Pour citer l'article:

Jean-Marie WINKLER, « Œdipe comique ? Tragique et comique mêlés dans les parodies d’Œdipe Roi par les « comédiens italiens » du temps de Voltaire » in Tragique et comique liés, dans le théâtre, de l’Antiquité à nos jours (du texte à la mise en scène), Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen en avril 2012 : publication par Milagros Torres (ÉRIAC) et Ariane Ferry (CÉRÉdI) avec la collaboration de Sofía Moncó Taracena et Daniel Lecler.
(c) Publications numériques du CÉRÉdI, "Actes de colloques et journées d'étude (ISSN 1775-4054)", n° 7, 2012.

URL: http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?oedipe-comique-tragique-et-comique.html

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